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Coignet, (Jean-) François
Article mis en ligne le 2 juillet 2012
dernière modification le 30 mai 2018

par Desmars, Bernard

Né le 10 février 1814, à Lyon (Rhône), décédé le 29 octobre 1888, à Paris (Seine). Industriel et inventeur dans les domaines de la chimie et des matériaux de construction. Fouriériste garantiste, auteur de projets de réformes du crédit et du commerce. Franc-maçon. Epoux de Clarisse Coignet et parent par alliance de Victor Considerant.

François Coignet est le fils d’Elisabeth Dupasquier (ou Dupâquier) et de Jean-François Coignet. Ce dernier est qualifié de droguiste lors de la naissance de François, en 1814 ; mais en 1818, il fonde à Lyon (avec son beau-frère Laurent Dupasquier) une entreprise chimique qui fabrique de la gélatine et qui, dans les années suivantes, élargit ses activités à la production de colle, de noir animal, d’ammoniaque et de phosphore. François, qui a fait ses études à l’école de la Martinière, une institution récente accordant une large place aux enseignements scientifiques et techniques, et en particulier à la chimie [1], rejoint l’entreprise dirigée par son père et son oncle.

En 1837, François se marie avec Gasparine Rosalie Célestine Delorme, la fille d’un médecin. La même année, son oncle se retire de la société, et François est de plus en plus associé à la gestion de l’entreprise de son père. A la mort de Jean-François (le père) en 1846, les quatre enfants (trois garçons et une fille) forment la Société Coignet père et fils, dont François et son frère Stéphane sont plus précisément chargés de la direction. L’entreprise continue à se développer avec l’achat d’une nouvelle usine (à Heyrieux, au sud-est de Lyon, dans le département de l’Isère), la diversification de ses productions, et des innovations technologiques (dans le domaine des fours) qui lui permettent d’améliorer la qualité de ses produits et d’en réduire les coûts de fabrication.

Parallèlement à ses activités industrielles, François Coignet s’intéresse aux problèmes sociaux. Il se rallie au fouriérisme, qui comprend déjà un nombre important de disciples à Lyon. A l’intérieur du mouvement sociétaire, il fait partie du courant garantiste, qui ne croyant pas dans la réalisation prochaine du phalanstère ou de l’Association intégrale, privilégie des formes de transition plus progressives vers l’harmonie, grâce par exemple à la création de mutuelles, de coopératives et de différentes associations. Coignet préconise en particulier des réformes du crédit et du commerce qui supprimeraient les intermédiaires et la spéculation.

République, remariage et installation à Paris

François Coignet est un partisan de la République, et après la révolution de février 1848, il joue un rôle important sur la scène lyonnaise. Le 7 mars, le commissaire de la République à Lyon Emmanuel Arago crée un Comité (ou Commission) pour l’organisation du travail, sur le modèle de la Commission du Luxembourg créée par le gouvernement provisoire à Paris. Ce Comité s’efforce de régler les conflits du travail, met en place les Ateliers nationaux pour lutter contre le chômage et est chargé de réfléchir à de nouvelles formes d’organisation du travail. Parmi la vingtaine de ses membres, on trouve plusieurs fouriéristes, dont Coignet qui semble avoir exercé une certaine influence sur l’activité du Comité, du reste dominé par les phalanstériens lyonnais, selon l’un de ses membres, Joseph Benoît [2]. Suite aux réflexions de ce comité, un « projet d’association libre et volontaire entre patrons et ouvriers, et de réforme commerciale », signé Coignet, est présenté à l’Assemblée constituante et publié en juillet 1848.

Coignet s’efforce vainement d’infléchir l’orientation de l’Ecole sociétaire en incitant ses dirigeants à se rallier au garantisme ; il écrit pour cela de longues lettres au Centre parisien et publie quelques articles dans La Démocratie pacifique [3] ; Coignet s’adresse aussi à un public plus large, en publiant plusieurs brochures sur le thème du crédit et du commerce pendant la Seconde République (Institution d’agences communales ; Socialisme appliqué au crédit, au commerce, à la production et à la consommation ; Le Crédit collectif suppléant le crédit individuel  ; Réforme du crédit et du commerce. Appel à tous les producteurs manufacturiers et agricoles).

Après juin 1849, alors que les chefs de l’École se sont réfugiés en Belgique et que la répression menace l’existence du mouvement phalanstérien, Coignet analyse très sévèrement la stratégie suivie par le Centre depuis février 1848, et en particulier son intervention dans le champ politique ; ceci a conduit le mouvement phalanstérien à changer d’attitude au gré des événements et finalement à perdre tout crédit dans l’opinion publique. Il souhaite que l’Ecole se distingue de « la cause démagogique », dont l’alliance lui aliène le soutien de la bourgeoisie. Pour retrouver une influence et un rôle dans la société, elle doit « sortir de l’empirisme, de l’éclectisme » et se réunir autour de quelques principes fondamentaux qui la rendent audible pour le public. A ces conditions, F. Coignet souhaite que soit relancée « une campagne [de propagande] dans laquelle on ne se bornerait plus comme autrefois à propager le phalanstère, ce qui en définitive, ne passionnait que quelques cœurs généreux, que quelques intelligences d’élite », mais où « on parlerait d’assurances, de comptoirs communaux, du crédit à bon marché, du retour des capitaux à l’agriculture, des reboisements, de chemins de fer, etc. etc. » ; il demande alors à Emile Bourdon et à ceux qui maintiennent le centre parisien en vie de réunir un congrès afin que les phalanstériens discutent de cette stratégie et des thèmes qu’ils souhaitent mettre en avant [4]. Ces propositions n’ont pas de suite, et Coignet semble alors s’éloigner du Centre sociétaire.

Devenu veuf, avec deux enfants, en 1846, François Coignet souhaite se remarier. En 1849, lors de dîners chez le fouriériste lyonnais François Barrier, il rencontre Clarisse Gauthier, fille d’un maître de forges ruiné, nièce de Clarisse Vigoureux et donc cousine de Julie Vigoureux, l’épouse de Victor Considerant. Selon Clarisse Coignet, son futur mari « songeant à se remarier, [...] tient à une femme sérieuse et qui ne soit point hostile à ses idées, chose à peu près impossible à trouver dans la bourgeoisie lyonnaise » [5]. D’ailleurs, ses opinions et ses activités socialistes lui valent une très mauvaise réputation, dont quelques amis de Clarisse se font l’écho afin de la dissuader de l’épouser : « grâce à sa participation au mouvement de 48, M. Coignet a été mis à l’index par toute la bourgeoisie lyonnaise. Il passe non seulement pour un utopiste comme M. Barrier, mais pour un anarchiste révolutionnaire, de caractère violent, d’humeur irascible, menant d’ailleurs les affaires par à-coup, d’une façon peu sûre » [6]. Cela n’empêche pas le mariage, qui a lieu en janvier 1850. Peu après, leur premier voyage a pour destination la Belgique afin d’aller rendre visite à Clarisse Vigoureux et à Julie et Victor Considerant [7].

Un premier enfant naît à la fin de l’année ; et en 1851, le couple quitte Lyon et s’installe à Paris où l’entreprise familiale a établi depuis le milieu des années 1840 un bureau pour vendre ses produits. « Isolés à Lyon dans une société opposée à nos opinons et à nos goûts, nous trouvons au contraire à Paris parmi les républicains et les fouriéristes du temps un groupe sympathique qui s’étendra rapidement, car tous deux nous aimons à recevoir ». Chaque semaine, le couple organise un dîner, et en soirée, tient « salon ouvert » ; on y rencontre notamment Jules Favre, Emile Deschanel, ainsi que les fouriéristes Bertholon, Morellet [8], Plusieurs d’entre eux viennent se cacher chez les Coignet, au lendemain du coup d’Etat du 2 décembre 1851 [9].

Industrie et innovations techniques

Sous le Second Empire, la société Coignet développe ses activités industrielles à Lyon ainsi qu’à Paris et dans sa banlieue. En 1851, elle construit, sous la direction de François, une usine à Saint-Denis pour fabriquer de la colle, de la gélatine et des engrais ; s’y ajoutent en 1852-1853 une maison d’habitation, puis des logements ; ces bâtiments sont construits dans un nouveau matériau, un béton pisé avec des cendres de houille. Ces édifices sont parmi les premiers au monde à employer le béton [10]. A Lyon, les frères Coignet continuent à diversifier les activités de leur société, avec la production d’allumettes chimiques et d’engrais chimiques, ainsi qu’avec des tentatives, moins heureuses, de production de colorants.

Ces différentes entreprises (la production de béton et celle des allumettes suscitent un moment la création d’entités séparées de la société Coignet père et fils) reçoivent des récompenses lors des expositions universelles de Paris (1855, médaille d’argent ; 1867, 1878), de Londres (1862, dans la classe des produits chimiques, à l’intérieur de la section « des substances animales usitées dans les manufactures » [11]), de Vienne (1873), Philadelphie (1876), etc. Et c’est en tant qu’industriel que François Coignet reçoit la Légion d’honneur en 1872, au lendemain de l’Exposition de Lyon où l’entreprise a reçu de nouveaux prix ; l’« état des services de François Coignet, manufacturier » énumère ses activités : « l’organisation de la fabrication du phosphore blanc sur une grande échelle et à très bas prix ; la création en France de l’industrie des allumettes de sûreté au phosphore amorphe ; l’industrie des colles fortes et gélatines les plus perfectionnées et sur la plus vaste échelle ; l’invention et l’organisation de l’industrie des bétons agglomérés que la ville de Paris a employés pour ses grands travaux dans les égouts et l’aqueduc de la Vanne ; l’invention du calorifère à flamme renversée et des appareils dessicateurs et torréfacteurs à courants de gaz chauds renversés » [12]. Coignet publie de 1855 au début des années 1870 de nombreuses notices destinées à faire connaître ses procédés industriels. Il est membre de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale où il présente certaines de ses innovations [13].

Parmi les inventions et innovations réalisées par Coignet, celles concernant la construction en béton sont sans doute les plus importantes ; elles lui valent, à son décès, d’être qualifié de « créateur de l’industrie des bétons agglomérés », encore appelés « bétons Coignet » [14]. En 1864, il crée la Société centrale des bétons agglomérés qui construit l’église du Vésinet. Ces bétons fabriqués par Coignet sont réputés à la fois pour leur solidité et leur faible coût ; ils sont utilisés pour différents chantiers publics (égouts, conduites de la dérivation de la Vanne, en particulier dans la forêt de Fontainebleau). Cependant, à la fin des années 1860, certaines constructions réalisées en béton par Coignet présentent quelques défauts qui le font exclure des grands travaux publics.

Coignet associe à cette invention de nouveaux matériaux, peu chers, des préoccupations sociales ; grâce à ce béton, « on pourrait opérer à peu de frais la régénération des quartiers pauvres, en y construisant des maisons qui, tout en conservant l’élégance de la forme, le confortable intérieur, tout en sauvegardant l’intérêt du propriétaire, permettraient de donner aux ouvriers, pour un taux de loyer inférieur, des logements plus gais, plus sains, plus vastes que ceux que la bourgeoisie obtient à prix d’or dans la rue de Rivoli. Je crois encore possible et facile de créer de toutes pièces et à moitié prix des colonies d’agrément aux abords des grandes villes » [15].

Les distances avec le fouriérisme militant

Dans les années 1860, Coignet participe modestement à l’effort de reconstitution de l’Ecole sociétaire mené par son ami Barrier ; à ce dernier, il confie ses réserves (« l’œuvre à laquelle vous vous dévouez n’est point celle qui m’attire » [16]), tout en prenant quelques actions dans la société exploitant la librairie des sciences sociales. Il assiste au banquet du 7 avril 1868 et y fait une brève intervention sur « l’union des croyances sociales », au-delà des différences entre les Ecoles.

Il milite encore pour une « réforme de la circulation » de l’argent et des marchandises, c’est-à-dire pour une réforme du crédit et du commerce. C’est dans ce but, et afin de propager ses idées, qu’il projette dans les années 1860 la fondation d’un journal hebdomadaire, qui aurait pour titre Le Semeur. Journal d’économie sociale et politique. Se présentant auprès du ministre de l’Intérieur, dont il sollicite l’autorisation, comme « étranger aux vieux partis politiques, sans ambition personnelle », mais ayant fait « une étude sérieuse et persévérante des questions économiques », il revient sur la création d’un système de docks, qui permettrait de réaliser « l’échange universel [...] sans intermédiaires, sans capitalistes, sans agiotage, sans accaparements, sans spéculation, sans parasitisme et sans fraudes ». Mais Le Semeur semble finalement être resté à l’état de projet [17]. Cependant, Coignet intervient dans les conférences publiques qui se déroulent à Paris à partir de 1868. Il « expos[e] les idées de Fourier sur le comptoir communal et les siennes propres avec la précision, la netteté de parole que nous lui connaissons », signale La Science sociale [18]..

Coignet, à la fin des années 1860, est très proche du milieu de La Morale indépendante, revue à laquelle collabore son épouse Clarisse Coignet, et qui est dirigée par son ami Massol. Comme ce dernier, il est franc-maçon, membre de la loge de la Renaissance. Lors des élections du 8 février 1871, il figure sur une liste présentée par La Tribune des Progressistes, où l’on trouve des personnalités venant d’horizons assez différents (Louis Blanc, Victor Considerant, le peintre Courbet, Dorian, Garibaldi, Victor Hugo, l’historien Michelet, Henri Rochefort, Jules Simon, Jules Favre, etc.) [19], sans que l’on sache s’il a véritablement fait acte de candidature, ou si, comme cela est alors fréquent, il a été placé sur la liste sans l’avoir expressément voulu.

Mais le mouvement fouriériste ne constitue plus sa priorité, à la fin du Second Empire et au début de la Troisième République. « Nous avons renoncé, momentanément du moins, aux réformes sociales qui nous étaient chères ; et, de même que le blessé ayant encore le fer dans la plaie, nous avons porté tous nos soins vers l’extraction du fer homicide, et tant que tous les citoyens ne seront pas libres et n’auront pas une forme de gouvernement qui assure à tout homme, à tout citoyen, à tout associé de la société le droit de parler, d’écrire, de se réunir, de s’associer, tant que la liberté de pensée et de conscience n’existeront pas, tant que l’instruction gratuite pour tous ne sera pas réalisée, toute autre vue, toute autre espérance seront ajournées. Avec la République, avec la liberté, avec l’instruction gratuite, toutes les réformes politiques, économiques et sociales s’accompliront par le concours de tous, sans luttes, sans violences, sans révolution, avec l’ordre, la paix, la liberté, et conformément aux lois de la science et aux principes de la justice », écrit-il en 1875, sous le gouvernement « d’Ordre moral » [20].

Cependant, si le combat politique pour les libertés semble devenu prioritaire, Coignet souligne, toujours au milieu des années 1870, l’importance qu’ont eue les idées fouriéristes et l’Ecole sociétaire dans le mouvement social : « car cette École ne consistait point seulement dans la conception du phalanstère, elle comprenait encore ce que, dans sa phraséologie, elle nommait le garantisme, c’est-à-dire un ensemble d’institutions économiques ayant pour but l’échange direct des produits entre la production et la consommation, sans propriété intermédiaire et sans spéculation. Or, quoi qu’on puisse dire, c’est du garantisme que sont dérivées toutes les propositions économiques modernes, à savoir : les Docks, la Banque du peuple de Proudhon, les Banques d’échange, les Coopératives, les Assurances générales et tant d’autres ; et quoique jusqu’à présent tous ces dérivés n’aient pas encore parfaitement réussi, et cela, je dois le dire, par la faute de ceux qui ont voulu les mettre en œuvre, la loyauté exige que l’on rende à Fourier et à son École la justice qui leur est due » [21].

A partir des années 1870, ce sont les enfants de François Coignet et de ses frères (décédés en 1866 et 1873) qui reprennent la gestion de l’entreprise : son fils Alphonse (ingénieur), son gendre Eugène Yung (normalien, surtout connu pour son rôle à la tête de la célèbre Revue politique et littéraire (ou Revue bleue [22]) et surtout son neveu Jean (ingénieur polytechnicien, président de la Chambre de commerce en 1911 et sénateur en 1920) [23]. Par ailleurs, l’une de ses filles, Lucy, après s’être mariée avec Emeric-Auguste (dit Attila) de Gérando-Teleki, puis s’en être rapidement séparée, épouse en 1877 Auguste Kleine, ingénieur des ponts et chaussées, chez qui Victor Considerant passera ses dernières années [24].

François Coignet semble alors se retirer de la vie publique. En octobre 1888, il décède, « à la suite d’une série de congestions cérébrales qui, pendant plus de deux ans, le réduisirent à un triste état d’infirmité » [25].