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Fabre des Essarts, Léonce (-Eugène-Joseph), dit Synésius
Article mis en ligne le 14 février 2012
dernière modification le 1er février 2015

par Desmars, Bernard

Né à Aouste (Drôme), le 19 mars 1848, décédé en février 1917 à Versailles (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines). Enseignant, puis fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique. Poète et publiciste. Occultiste. En relation avec Victor Considerant dans les années 1880 et proche d’Alhaiza dans les décennies suivantes, il participe aux manifestations fouriéristes de la fin des années 1880 jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Fabre des Essarts descend d’une ancienne famille légitimiste très connue dans la Drôme. Son père est percepteur des contributions directes. L’un de ses deux frères, Melchior-Marie (1829-1871), après avoir renoncé à l’École des beaux-arts, sur injonction familiale, devient officier dans l’armée, tout en se livrant à la poésie [1]. Son oncle est vicaire général (de 1825 à 1844) puis évêque (de 1844 à 1850) du diocèse de Blois.

Léonce Fabre des Essarts fait ses études au séminaire d’Autun, puis au collège de Pontleroy (Loir-et-Cher). Il entre lui-même dans l’enseignement dès l’âge de 18 ans, en 1865, comme professeur de grammaire au collège d’Avallon (Yonne), puis comme répétiteur à Lyon en 1870, et comme professeur de philosophie au collège libre de Forcalquier (à partir de 1872). Il se marie en 1874, avec une demoiselle Casella, fille d’un professeur de musique et nièce du compositeur Louis Lacombe. Le couple a un fils, qui meurt en 1893 [2]. En 1876, Fabre des Essarts enseigne au collège de Montélimar (Drôme), avant de diriger l’école professionnelle de Nice (Alpes-Maritimes) en 1878. Puis, il quitte le métier d’enseignant pour entrer au ministère de l’Instruction publique.

Littérature et politique

Parallèlement à ses activités de professeur puis de fonctionnaire au ministère, il compose des poèmes publiés dans la Revue des jeunes poètes dès 1873, et fait paraître des recueils de poésies (Yseult, 1874 ; Humanité, 1885 ; La chanson des couleurs, 1889) et de nouvelles ; ses œuvres lui valent des récompenses de la part des Jeux floraux de Toulouse (dès 1876, pour Aux jeunes poètes [3]) et de plusieurs académies littéraires. Il est admis au sein de la Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes [4]. Il noue des relations avec Victor Hugo et collabore à divers journaux d’informations générales et revues littéraires et artistiques (La Presse, L’Opinion, Le Petit Marseillais, L’Art dramatique, Le Feu follet, La Sylphide. Revue littéraire, Revue des journaux et des livres, etc.). Dans les années 1880, il fait partie de sociétés littéraires, comme la Nouvelle Gaule [5] et la Courte-Échelle [6].

Pendant ces années 1880, Fabre des Essarts s’est constitué une certaine notoriété dans les milieux littéraires, et même au-delà ; il participe à un grand nombre de cérémonies et d’hommages publics à des écrivains et à des personnages historiques ainsi qu’à des d’inauguration d’édifices : entre autres, il lit une Ode à Rouget de Lisle à la salle des Conférences, à Paris, en 1882 [7]. Deux ans plus tard, il dit quelques vers lors de l’inauguration du monument d’Alexandre Dumas [8]. Il déclame un poème en 1898 sur la tombe de Michelet pour le centième anniversaire de l’historien [9], et en 1903 sur la tombe de Quinet, lors d’une cérémonie où il voisine avec Daniel Halévy et Alphonse Aulard [10]. En 1907, il lit un sonnet à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Victor Hugo, dont il a fréquenté le salon vers 1880 [11].

Mais c’est surtout Jean-Jacques Rousseau qui suscite le plus grand nombre d’interventions de sa part. Au lendemain de l’inauguration du monument du philosophe au Panthéon (1889), il participe à la publication d’un ouvrage collectif, Jean-Jacques Rousseau jugé par les Français d’aujourd’hui, avec une contribution sur « le socialisme de Rousseau », dont, selon lui, « sont nés Saint-Simon, Fourier, Proudhon et Cabet » [12]. Dans les années suivantes, il fait des conférences sur divers aspects de la vie du philosophe, par exemple en 1897 sur « Rousseau musicien » [13]. En 1912, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Rousseau, il rédige des articles pour plusieurs organes et en particulier dans Le Savoyard de Paris, et écrit plusieurs strophes pour une cérémonie organisée à Ermenonville [14].

Il entre dans la franc-maçonnerie dans la première moitié des années 1880. Puis, au milieu de la décennie, il se lie à Saint-Yves d’Alveydre, l’auteur du « projet synarchique », auquel participe aussi un autre fouriériste, Hippolyte Destrem. Pour Saint-Yves d’Alveydre, il faut, afin de surmonter les crises économique, sociale et institutionnelle, refondre le système politique républicain en le réorganisant autour de plusieurs conseils formés d’élites compétentes. Fabre des Essarts crée une collection, la « Petite Bibliothèque synarchique », dans laquelle il publie une brochure de propagande, La Force, le Droit et les Trois chambres en 1885.

Dans la seconde moitié des années 1880, il s’engage, pour une brève période, dans l’activité politique : de 1886 à 1888, il est le secrétaire particulier du député Andrieux, un républicain issu du courant radical, favorable à une révision constitutionnelle, sans pour autant appartenir au mouvement boulangiste. Un autre député, Numa Gilly, ayant accusé les membres de la commission du budget (dont Andrieux) d’être corrompus, et Andrieux ayant répliqué par une plainte en diffamation finalement retirée lors du procès, Fabre des Essarts publie un ouvrage sur « les dessous de l’affaire Gilly-Andrieux ». A la suite de cette publication, Andrieux décide de se séparer de son secrétaire [15].

Peu après, il est révoqué de son poste de fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique ; « pour avoir écrit le volume des Dessous de l’affaire Gilly, autrement dit pour avoir crié un peu trop haut : A bas les voleurs », écrit-il dans une lettre publiée par plusieurs journaux et dénonçant le rôle de Lockroy (ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts) dans cette mesure [16]. Ou en raison des propos qu’il aurait tenu lors de l’inauguration du monument de Rousseau, en février 1889 ; sa hiérarchie y aurait vu l’expression de sympathies boulangistes, bien que Fabre des Essarts y critique le césarisme [17]. Il ne retrouve son poste de rédacteur au ministère qu’en 1898. En 1901, il obtient les palmes académiques d’officier de l’Instruction publique [18].

Il se présente, toujours en 1889, comme candidat républicain socialiste aux élections législatives dans le département du Var, avant de se désister en faveur de Cluseret, l’ancien communard, élu député dans les rangs socialistes.

Fabre des Essarts est membre de la Société de la paix par l’éducation (Nîmes) ; il participe au Congrès de la paix en 1889 et donne une poésie à l’Almanach de la Paix pour 1889.

Poète phalanstérien

Dans les années 1890 et 1900, l’adhésion de Fabre des Essarts aux idées fouriéristes est souvent présentée comme ancienne. Lui-même dit par exemple en 1894 avoir « bu longtemps à la coupe enchanteresse de Fourier et de Considerant [...] cru avec eux qu’il était possible de faire régner l’harmonie au sein du groupe humain » [19]. Cependant, dans les années 1860 et 1870, on ne le voit pas fréquenter les manifestations fouriéristes ou correspondre avec l’École sociétaire.

Au début des années 1880, il rencontre Victor Considerant qui le reçoit à son domicile ; « je lui parlai de la possibilité d’un groupement sociétaire. Il fut charmé de constater qu’il y avait encore un peu de foi parmi les jeunes » et « nous causâmes longuement encore des destinées de l’Humanité et de ce beau rêve d’universelle félicité », raconte-t-il en 1899 [20]. Il revoit plusieurs fois Considerant, aux obsèques duquel, en 1893, il prononce un discours où il expose les idées phalanstériennes du défunt [21].

"Victor Considerant - Notes intimes"
Notes d’abord parues dans La Méditerranée, 15 janvier 1894. Et reproduites dans Odes phalanstériennes, Montreuil-sous-Bois, Bureau de La Rénovation, 1900, p.45-48.

Il est pendant quelque temps le secrétaire d’un autre fouriériste, l’architecte César Daly avec lequel il travaille au projet « d’un grand ouvrage d’art, qui devait être en même temps une magnifique synthèse social » : il s’agissait de « montrer comment l’architecture, qui est elle-même la synthèse de tous les arts, évolue harmoniquement vers l’Idéal, reflétant les civilisations qui passent, disant les luttes et les souffrances des peuples et affirmant leur éternelle aspiration vers le Progrès » [22]. Sans doute est-il cependant excessif d’affirmer, comme le fait Alhaiza, que Fabre des Essarts a « vécu dans l’intimité de Victor Considérant et de César Daly » [23].

Le premier témoignage de la participation de Fabre des Essarts à une manifestation fouriériste date de janvier 1887 : il prononce un poème dans un banquet réunissant quelques phalanstériens autour de Destrem [24]. Ce dernier préside alors la Ligue du progrès social qui, bientôt, se présente comme la nouvelle École sociétaire et organise chaque 7 avril, pour l’anniversaire de la naissance de Fourier, une visite devant la tombe du Maître, puis un banquet en son honneur ; Fabre, de 1892 à 1914, participe régulièrement à cette fête, soit en étant présent (neuf fois) et en lisant un poème de sa composition, soit, quand il est indisponible, en envoyant un message et quelques vers lus par l’un des participants. Il assiste également à l’inauguration de la statue de Fourier, en juin 1899, et déclame alors une longue « Ode à Fourier » [25].

Quand, après la mort de Destrem et à partir de 1894-1895, la division s’installe au sein du mouvement fouriériste, Fabre des Essarts assiste le plus souvent aux banquets organisés par le groupe d’Alhaiza, le directeur de La Rénovation. Mais à la différence de ce dernier, antidreyfusard, il est un admirateur de Zola et participe avec les groupes de l’Union phalanstérienne et de l’Ecole Sociétaire Expérimentale à l’hommage public rendu en juin 1901 à l’auteur de Travail, roman qui reprend certains thèmes phalanstériens. Et après la mort de l’écrivain en 1902, la presse le mentionne parmi les personnalités qui font une visite à la maison mortuaire [26].

Mais dans les années suivantes, alors que la rupture est consommée entre les deux courants fouriéristes, il se situe aux côtés de son ami Alhaiza, qui le présente régulièrement comme « notre cher et inspiré poète phalanstérien ».

Du fouriérisme à l’occultisme ?

La foi de Fabre des Essarts en l’avènement prochain de l’Harmonie semble pourtant chanceler dès le milieu des années 1890, au moins quand il s’exprime en dehors des cercles fouriéristes. En 1896, il expose ses doutes dans des « Hymnes gnostiques » publiés dans une revue occultiste :

Et dire que j’ai jadis prêché ton Système,

O Fourier, que vouant Malthus à l’anathème,

J’ai cru dans mon insanité

Qu’il suffisait pour mettre là-bas l’harmonie,

De calquer sur le plan de la voûte infinie

La future Société

Ah ! J’en suis revenu, comme on en revient d’un rêve !

Longuement caressé dans les plis de la grève ;

Sur son front, l’on croyait sentir

Le doux baiser berceur d’une brise aromale,

On s’éveille, et le flux est là qui roule et râle

Et s’apprête à vous engloutir... [27].

Peu après, il écrit au journal L’Humanité intégrale  :

« J’ai été à mon heure, comme d’autres, fanatique du bon Fourier. Éperdûment, j’ai cru à la réalisation possible de l’Harmonie matérielle.
C’est mon vieil ami Considérant lui-même qui m’a guéri de ma chimère, en appelant mon attention sur l’universel entre-dévorement
La Gnose a achevé de m’ouvrir les yeux.
[...] Mais si le monde de la matière nous échappe, celui de l’Esprit nous appartient. L’harmonie ! nous pouvons la créer dans l’univers de la pensée » [28].

En 1903, dans un poème publié dans La Sylphide, il se demande « si Platon et Fourier n’ont rêvé qu’un beau rêve » [29]. Plus tardivement, il fait lire lors du banquet fouriériste du 7 avril 1912 un poème intitulé « Pessimisme », dans lequel il observe que le monde, loin de se diriger vers l’Association intégrale, persiste dans les vices et les maux de la Civilisation [30].

Déçu par les promesses phalanstériennes - même si, on l’a vu, il continue à fréquenter les manifestations sociétaires - Fabre des Essarts affirme dans les revues occultistes leur préférer les recherches gnostiques : « quand même le génie humain arriverait à redresser l’axe du globe et à faire resplendir cette éternelle aurore, chantée par Fourier, imposera-t-il sa loi de fraternité universelle aux astres ivres de haine aux soleils assoiffés de cataclysmes ? Heureusement, il est un autre monde, un monde vraiment harmonique, logiquement ordonné, auguste, glorieux et sacré. [...] C’est le domaine de la Gnose, c’est le Cosmos immatériel de la science absolue » [31].

Dès les années 1880, il écrit dans des publications occultistes ou spiritualistes (La Religion universelle, La Revue des hautes études. Organe de la synthèse scientifique, sociale et religieuse) ; il continue dans les décennies suivants (Le Spiritualisme moderne, L’Initiation, Le Réveil albigeois, la Gnose) et surtout participe à la création de l’Église gnostique de France vers 1890 aux côtés de celui qui en est proclamé patriarche, Jules Doinel. Fabre des Essarts est lui-même consacré évêque de Bordeaux et primat des Albigeois sous le nom de Synésius. Puis, au moment du retrait de Doinel, en 1896, il devient le patriarche de l’Église gnostique, titre auquel il ajoute celui d’archevêque de Paris ; « et on peut le voir parfois, conférencer, ou plutôt officier, en une tenue quasi-épiscopale, gants violets, cravate violette, et le Tau mystique retenu sur sa poitrine par un ruban violet » [32].

Léonce Fabre des Essarts
Portrait paru dans Les Hiérophantes. Étude sur les fondateurs de religions depuis la Révolution jusqu’à ce jour, Paris, Chacornac, 1905, p. 288.

L’Eglise gnostique connaît une scission en 1907-1908, quand Jean Bricaud, nommé quelques années avant évêque du diocèse de Lyon-Grenoble, fonde l’Église gnostique universelle dont il est le patriarche. Fabre des Essarts continue à diriger l’Eglise gnostique de France, et publie plusieurs ouvrages occultistes.

Il continue son œuvre poétique que l’on retrouve dans plusieurs journaux, dont la Nouvelle Revue, au début du XXe siècle. Entre 1914 et 1916, ce pacifiste publie plusieurs articles très bellicistes, où il dénonce les « crimes allemands », dans lesquels il voit « un cas de tératologie mentale collective » affectant le peuple germanique [33] ; ainsi que des poèmes patriotiques et germanophobes, décrivant les « monstres » allemands « semant la mort / les désastres, le viol, le meurtre et l’incendie » [34]. Il meurt à Versailles où il est installé depuis plusieurs années.