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Muiron, Just, dit “le premier disciple”, ou “le doyen”
Article mis en ligne le 13 février 2012
dernière modification le 2 octobre 2016

par Desmars, Bernard, Dubos, Jean-Claude

Né le 2 septembre 1787 à Besançon (Doubs), mort le 4 juin 1881 à Besançon (Doubs). Chef de division à la préfecture du Doubs. Premier disciple de Fourier. Gérant de journal, auteur de plusieurs ouvrages fouriéristes. Partisan de la réalisation phalanstérienne. Favorable à l’organisation d’une Ecole sociétaire appuyée sur les groupes provinciaux.

Jean-François Muiron, père de Just, a d’abord été ouvrier ferblantier, puis commis négociant ; quand Just naît, en 1787, il est marchand épicier, avant, sous la Révolution, de devenir garde des Archives du Doubs, puis chef de bureau au service des Contributions, emploi qu’il doit quitter au moment de la Restauration [1].

La Rénovation, 31 juillet 1897.

Just Muiron est élève de l’École centrale du Doubs ; il y obtient un troisième prix d’histoire et de géographie ; c’est sans doute là qu’il se lie avec deux jeunes gens de son âge, qui resteront ses amis leur vie durant, Adrien Gréa et Joseph Gauthier. En octobre 1808, Muiron, ainsi qu’Aimée et Félix Beuque, est présent à la signature du contrat de mariage de Clarisse Gauthier, sœur de Joseph Gauthier, avec François Vigoureux, marchand de draps à Besançon.

Surnuméraire à la préfecture du Doubs à partir de 1801, puis commis de préfecture, il est employé successivement dans les Basses-Alpes, puis la Sarthe. En 1811, il devient chef de bureau à la préfecture du Simplon, à Sion (Valais), puis revient comme sous-chef de bureau à la préfecture de Besançon en 1813.

Lecture des Quatre mouvements

C’est en août 1814 que Just Muiron découvre la Théorie des quatre mouvements de Charles Fourier (publiée en 1808) dans la bibliothèque de l’érudit bisontin Charles Weiss. Devenu sourd très jeune (il est parfois désigné de la façon suivante : « Just Muiron, dit le sourd » [2]), il est devenu « un lecteur omnivore », doté grâce à sa mémoire de « vastes connaissances en géographie et sciences exactes », mais s’intéressant davantage encore « aux œuvres de religion et de philosophie » [3]. Mais, écrit-il lui-même quelques années plus tard : « ses lectures avaient contenté quelquefois son esprit, presque jamais son cœur. En vain, il avait cherché en elles une satisfaisante définition du bonheur, de suffisantes indications sur les causes du mal et son origine » [4]. En 1814-1815, il souffre de problèmes de santé et traverse une crise spirituelle qui le mène au bord du suicide. Grâce au magnétisme animal, raconte-t-il dans les Nouvelles transactions sociales publiées en 1832, sa santé se rétablit. Il lit alors Mesmer, Puységur, Lavater ; puis les théosophes, Fabre d’Olivet, Saint-Martin, Swedenborg. Mais ces auteurs s’en tiennent « encore aux abstractions » car ils se taisent « sur l’efficace moyen de réaliser leurs plans » [5].

Enfin, en lisant la Théorie des Quatre mouvements, Muiron voit « la solution du grand problème, le mot de toutes les énigmes, le centre où viennent converger, pour leur plus grande utilité, toutes les connaissances humaines, bref, la voie infaillible pour substituer en tout et partout le vrai au faux et le bien au mal, dans les belles découvertes sur les DESTINEES GENERALES, annoncées par CHARLES FOURIER » [6]. Les Quatre mouvements sont pour lui « ce que la voix aérienne avait été pour Paul, l’apôtre de Jésus » ; leur lecture est un trait de lumière : « tout le chaos philosophique amassé dans son esprit se débrouilla par enchantement. Virtomnius sentit qu’il allait connaître tout le principe et la fin » [7].

Muiron essaie aussitôt de partager sa découverte avec ses amis et ses relations, sans beaucoup de succès, sinon auprès de Gréa, qui est intéressé par l’ouvrage de Fourier, sans cependant montrer le même enthousiasme.

Rencontre avec Fourier et formation d’un groupe phalanstérien

En 1816, Muiron parvient à entrer en relations avec Fourier, qu’il a baptisé « l’Inventeur ». A partir de ce moment s’établit entre eux une longue correspondance qui durera jusqu’à la mort de Fourier en 1837.

Au printemps 1818, un vieil ami de Muiron, Joseph Bruand est nommé sous-préfet de Belley, où réside Fourier, et invite Muiron à venir travailler avec lui. C’est donc à Belley, chez son beau-frère Parat-Brillat (lointain cousin de Brillat-Savarin) que Muiron fait la connaissance de Fourier. Celui-ci travaille alors à la rédaction d’un nouveau traité ; Muiron le décide à faire imprimer son ouvrage à Besançon à l’imprimerie de Mme Veuve Daclin, épouse du conseiller de préfecture Claude-François Mourgeon. Muiron se charge de trouver les concours financiers nécessaires à l’impression de l’ouvrage : il en fournit lui-même une partie, aidé par le maître de forges Auguste Bouchot, Apolline Bruand, sœur de son ami Joseph Bruand (décédé en 1820) et un collègue de la préfecture, Hippolyte Maistre.

Le Traité de l’Association domestique-agricole est imprimé à Besançon en septembre-octobre 1822. Muiron, en visite chez son vieil ami Joseph Gauthier, maître de forges à Montagney dans le Doubs y rencontre la sœur de celui-ci, Clarisse Vigoureux, veuve depuis 1817, qui, dit-elle, ne l’a pas vu depuis son mariage en 1808. Préoccupée par les problèmes que lui cause l’éducation de son fils, Paul-Émile Vigoureux, Clarisse demande à Muiron des conseils à ce sujet. « Il me fut répondu, écrit-elle par la suite, qu’à Besançon même, à l’heure présente, il s’imprimait un livre où je trouverai la réponse à toutes mes questions ». Muiron lui fait lire « en feuilles » le Traité de l’Association domestique qui provoque en elle une véritable illumination. « Ce fut comme l’horizon d’un monde nouveau où le but de la vie m’était révélé que ce grand livre ouvrait pour moi » écrit-elle.

Clarisse Vigoureux, ainsi que ses amis Aimée et Félix Beuque, rapidement conquis s’agrège alors au petit groupe formé autour de Muiron, et qui comprend essentiellement Adrien Gréa, et l’inspecteur d’Académie Désiré Ordinaire ancien recteur de la faculté des Sciences de Besançon (de 1809 à 1815).

Des comptoirs communaux à L’Impartial.

Spécialiste des questions agricoles, Désiré Ordinaire propose en mars 1823 à la Société d’Agriculture du Doubs de mettre au concours le projet de Statuts d’un Comptoir Communal assurant le placement des produits agricoles et permettant de faire des avances aux cultivateurs. Quoique le programme du concours ait été envoyé dans toutes les villes de France, il n’y a qu’une seule réponse, celle de Just Muiron, qui, en mars 1823, vient d’être révoqué de ses fonctions à la Préfecture du Doubs, sous prétexte de surdité, en réalité à cause de ses opinions libérales.

Dans son plan de statuts, très élaboré, Muiron a largement dépassé le sujet dans un sens fouriériste étendant l’action du Comptoir, notamment à l’industrie manufacturière. Son audace effraie la Société d’Agriculture, qui dans sa séance du 4 mars 1824 ne lui accorde qu’une mention honorable. Fourier de son côté dans une lettre du 1er août 1824 n’accorde au projet de Muiron qu’un demi-satisfecit, estimant que « cet établissement ne se rattach[e] pas entièrement au régime d’attraction industrielle par séries de groupes » tel qu’il le conçoit. Muiron essaie cependant de mettre sur pied ce comptoir, mais doit abandonner, faute d’un nombre suffisant de souscripteurs. Ce projet de comptoir communal est la première tentative de réalisation sociétaire, tentative sur laquelle les fouriéristes — et Muiron lui-même - préféreront faire le silence.

En cette même année 1824, Just Muiron fait hommage à l’Académie de Besançon d’un ouvrage intitulé Sur les vices de nos procédés industriels et la nécessité d’introduire le procédé sociétaire, tel qu’il est décrit dans le Traité d’Association domestique-agricole de M. Charles Fourier. L’Académie charge un de ses membres, François-Joseph Génisset (beau-père de Joseph Gauthier) d’établir un rapport sur cet ouvrage, ce que Génisset fait le 24 août 1825 avec sérieux et application, se rangeant lui-même parmi « les expectants dont M. Fourier a loué l’impartialité et la bonne foi ». Mais, tout en rendant hommage à Fourier et à Muiron, Génisset leur reproche - et il est suivi par la quasi-totalité des commentateurs catholiques (en particulier l’historien de la littérature Alfred Nettement) - de vouloir faire le bonheur de l’homme dès cette terre, contrairement selon eux à l’arrêt du ciel.

A la suite de sa révocation, Muiron connaît une période difficile durant laquelle il est soutenu par ses amis : Adrien Gréa lui confie la gérance à Besançon d’un dépôt de vins du Jura provenant de son domaine de Rotalier, Joseph Gauthier, celle d’un dépôt de fers et de pointes de Paris provenant de sa tréfilerie de Beaumotte-les-Montbozon.

En 1828, un groupe de capitalistes bisontins, parmi lesquels un cousin germain de Fourier, Denis-Louis Muguet, décident de lancer un journal d’opposition et d’en confier la direction à Just Muiron. C’est L’Impartial, dont le premier numéro paraît le 8 mars 1829, et où Fourier publie anonymement onze articles entre le 15 août 1829 et le 24 juillet 1831 [8]. Le journal fait une violente campagne contre le gouvernement de Charles X : le 28 mai 1830, Muiron est d’ailleurs condamné à un mois de prison et 300 F d’amende pour outrages aux ministres de la religion et excitation à la haine et au mépris du gouvernement. L’Impartial contribue, pour beaucoup, à l’acceptation de la révolution de Juillet dans le Doubs.

Après les Trois glorieuses, Just Muiron retrouve ses fonctions de chef de division à la Préfecture du Doubs et le 7 novembre 1830, il laisse la gérance de L’Impartial à Antoine Gilbert (dit Miran).

La constitution de l’Ecole sociétaire

Depuis 1825, un certain nombre de jeunes gens se sont joints au groupe fouriériste agrégé autour de Muiron, le médecin Auguste Pécot, le poète Auguste Demesmay, les polytechniciens Victor Considerant, cousin de Gréa, mais converti par Clarisse Vigoureux, Victor Costes, Hippolyte Renaud... En juillet 1831, deux saint-simoniens, Jules Lechevalier et Émile Capella viennent prêcher une mission à Besançon, interdite par la municipalité. L’Impartial leur ouvre libéralement ses colonnes, tandis que Muiron et Clarisse Vigoureux tentent d’amener Lechevalier au fouriérisme. Ébranlé, celui-ci ne se rallie qu’après de nouvelles discussions à Metz avec Considerant en novembre 1831. Mais il semble que Muiron ait toujours considéré que le ralliement de Lechevalier était son œuvre, Considerant étant le « poulain » de Clarisse Vigoureux.

En février 1832, Jules Lechevalier commence à donner à Paris des leçons sur « L’art d’associer » destinées aux saint-simoniens, tandis qu’à Besançon en mars, Muiron publie Les Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques de Virtomnius, longuement commentées dans L’Impartial où Xavier Marmier a succédé comme gérant à Miran en novembre 1831. Les conférences de Lechevalier amènent au fouriérisme bon nombre de saint-simoniens : Abel Transon, Constantin Pecqueur, Charles Pellarin, Eugénie Niboyet, Désirée Véret, Albert Brisbane... En mars et avril, des personnalités du monde littéraire écrivent à Muiron pour lui manifester leur intérêt (Théodore Jouffroy) ou leur adhésion (Béranger) aux thèses fouriéristes. L’heure semble donc venue pour la création d’un journal « phalanstérien ».

C’est ce qui est fait le 1er juin 1832 avec la création du Phalanstère, administré par trois gérants, Fourier, Muiron et Paul-Émile Vigoureux, simple prête-nom de sa mère, une femme ne pouvant être gérante d’un journal politique, assistés de deux syndics, Adrien Gréa député du Doubs et Baudet-Dulary, député de Seine-et-Oise. Les directeurs sont Jules Lechevalier et Victor Considerant, encore à Metz.

Il ne semble pas que Muiron ait beaucoup écrit dans le Phalanstère : toujours chef de division à la préfecture du Doubs, le 27 septembre 1832 il doit reprendre pour vingt-et-un mois la direction de L’Impartial en raison du départ pour l’Allemagne de Xavier Marmier qui commençait sa carrière de voyageur infatigable. Avant de se décider, Muiron a proposé la succession de Xavier Marmier à deux jeunes gens dont les noms suffiraient à lui établir une flatteuse réputation de découvreur de talents : Constantin Pecqueur et Pierre-Joseph Proudhon. Nous ne connaissons pas les termes de l’offre à Proudhon (seulement les réponses), mais celle à Pecqueur (du 25 septembre 1832) indique notamment : « Sous le rapport spirituel ou politique, malgré l’existence d’une commission, vous aurez droit absolu de refuser tout article qui ne vous conviendrait pas. » Proudhon refuse en invoquant son manque de talent et de compétences pour remplir la fonction, mais aussi parce qu’il ne veut pas soumettre ses articles à l’approbation préfectorale [9]. C’est seulement le 12 juin 1834 que Muiron trouve un remplaçant définitif à la tête de L’Impartial en la personne de Charles Pellarin, ancien chirurgien de la Marine à Brest.

Muiron n’en continue pas moins de participer aux travaux du groupe fouriériste : sous sa direction, L’Impartial réimprime des articles du Phalanstère - notamment le premier article de Clarisse Vigoureux - et en 1834 participe à l’offensive de charme lancée par Fourier lui-même dans le dernier numéro du Phalanstère en direction de Victor Hugo, offensive à laquelle Hugo répond par une fin de non-recevoir courtoise mais ferme dans une lettre adressée à Jules Lechevalier le 1er juin 1834 [10].

Divergences avec le Centre sociétaire

Une correspondance très importante s’établit entre Muiron d’une part, Clarisse Vigoureux, Fourier et Considerant d’autre part. A certains moments, Muiron envoie plusieurs lettres par semaine, surtout à Clarisse Vigoureux. Il donne des nouvelles de Bisontins, s’enquiert de la santé de Fourier et des activités des condisciples parisiens, à qui il prodigue conseils, recommandations et parfois reproches ; à plusieurs reprises, il se plaint de leur manque d’activité ou d’efficacité, en particulier au moment de l’essai de Condé-sur-Vesgre ; il regrette de ne pouvoir, en raison de ses occupations dans le Doubs, aller passer quelque temps à Paris pour y organiser l’activité du mouvement fouriériste ; enfin, il aimerait être mieux informé sur la situation de l’École, et aussi consulté sur les orientations que veut lui donner Considerant.

Lui-même s’efforce de regrouper les forces fouriéristes, non seulement à Besançon et dans ses environs (il réclame régulièrement à Paris la liste des abonnés doubistes au Phalanstère, puis à La Phalange afin de pouvoir les contacter), mais dans le Centre-Est de la France et en Suisse : il se rend assez souvent dans l’Ain et dans le Jura ; en 1836, il fait un voyage à Chalon-sur-Saône, Lyon, Genève pour rencontrer ses condisciples. Il souhaite alors créer, contre la volonté de Victor Considerant et du groupe parisien, une « Union phalanstérienne » dont il rédige les statuts qu’il envoie à Fourier en les accompagnant des quelques mots suivants : « tous vos disciples, et leur nombre croit chaque jour, sentent l’urgence d’un lien entre eux, d’une affiliation qui leur permette action combinée et militaire, sans laquelle nous ne saurions marcher régulièrement » [11].

Ses intentions ne consistent pas seulement à rassembler les disciples provinciaux ; il s’agit aussi de passer rapidement à la réalisation : Muiron s’intéresse beaucoup au projet dressé par Maurize et Daly, qui prévoit la construction à Condé d’un phalanstère d’enfants. Il souhaite soumettre ces plans à des fouriéristes suisses (Reydor, en particulier) disposant de moyens financiers et d’amis pour en financer la réalisation.

Ces démarches provoquent de vives tensions avec Victor Considerant qui répond par un long mémoire confidentiel à Muiron ; ce dernier fait cependant circuler le document, ce qui irrite vivement son auteur. Ces difficultés se poursuivent encore dans l’année 1837 quand des dissidents dénoncent l’autoritarisme de Considerant et les directions suivies par l’École sociétaire, critiques qui coïncident en grande partie avec les analyses de Muiron [12]. Mais pour Victor Considerant et Clarisse Vigoureux, rien n’est possible sans une action intellectuelle et surtout politique.

Finalement, sans doute par amitié pour Considerant, auquel Fourier apporte son soutien, et par volonté de préserver la paix au sein du mouvement fouriériste, Muiron renonce à l’Union phalanstérienne. Et, malgré ses divergences, il soutient la candidature de Considerant à Montbéliard en 1839, écrivant notamment dans ce sens à Frédéric Dorian, « agent électoral » de Considerant, bien que lui et ses amis en réprouvent l’orientation. Du reste, cet abandon du projet d’Union phalanstérienne par Muiron n’empêche pas la création en 1837 par d’autres fouriéristes d’une organisation dissidente, l’Union harmonienne qui combat à la fois l’autorité et les orientations de Considerant.

Fourier meurt le 10 octobre 1837. Il a légué dès 1829 ses manuscrits à Muiron ; mais en décembre 1837, ce dernier passe un accord avec Victor Considerant et Clarisse Vigoureux, ce qui fait de ces trois personnes les co-responsables des manuscrits laissés par le Maître. Mais les trois disciples souhaitent aussi conserver les biens matériels du Maître (du mobilier et quelques objets) ; c’est Muiron qui entre en relations avec les héritiers pour régler cette affaire, sans cependant s’accorder avec eux (les biens sont finalement rachetés par Considerant qui passe avec C. Vigoureux et J. Muiron un accord semblable à celui concernant les manuscrits [13].

A partir de 1840, bien que la Librairie sociétaire ait encore publié, de Muiron, une refonte de Sur les vices de nos procédés industriels... sous le nouveau titre Aperçus sur les procédés industriels. Urgence de l’organisation sociétaire, il semble que Muiron soit en retrait dans la vie du mouvement phalanstérien : on ne trouve pas son nom parmi les collaborateurs réguliers de La Phalange. Il est cependant en 1843 membre du Conseil supérieur de La Démocratie pacifique, à titre de « cofondateur de la Propagation » et de copropriétaire (avec Considerant et Clarisse Vigoureux) des manuscrits de Fourier. Il s’efforce aussi de recruter des souscripteurs afin d’accroître les fonds de l’Ecole. Et il continue à correspondre avec le Centre.

Sous le Second Empire, il continue à défendre la mémoire et les doctrines de Fourier à Besançon, notamment contre les attaques du journal conservateur Le Franc-Comtois. Sur le plan professionnel, il demande et obtient en 1856 son admission à la retraite [14].

A la tête du mouvement phalanstérien ?

A la fin des années 1850, il entretient des relations très difficiles avec ce qui subsiste du Centre sociétaire parisien, et celui qui en est alors le principal gérant, Émile Bourdon. En 1847, Muiron avait obtenu d’une certaine Éléonore Ducreux, disciple de Fourier, un prêt de 9 000 francs en faveur de La Démocratie pacifique. Après la disparition du journal, elle réclame le remboursement de cette somme, opération qui se fait toujours par l’intermédiaire de Muiron et qui est étalée sur plusieurs années : à la mort d’E. Ducreux, il reste encore 2 500 francs, qui doivent être restitués à ses héritiers. Muiron demande au Centre de verser cette somme, ce que Bourdon refuse. S’ensuit un procès devant le tribunal de Besançon, qui condamne Muiron à payer les 2 500 francs restants [15].

Le Bisontin reproche également à ses condisciples parisiens de ne pas vouloir lui transmettre des documents dont il a besoin : le projet d’institut pour enfants, élaboré par Maurize et Daly dans les années 1830-1840, et les adresses des phalanstériens à qui l’École adresse habituellement ses circulaires et ses prospectus. Quand Considerant effectue un bref séjour en France en 1858, Muiron lui écrit pour se plaindre du comportement de Bourdon, « le dictateur de la rue de Beaune » dont il a eu, dit-il, « à gémir des procédés » et dont il a reçu « une correspondance dilatoire et injurieuse » [16].

Si Muiron réclame ces documents à Bourdon, c’est qu’il a la volonté, autour de 1860, de reconstituer le mouvement sociétaire, non à partir de Paris, mais en s’appuyant sur les groupes de province qui subsistent encore, et en établissant une correspondance avec les disciples provinciaux sans passer par le Centre.

Il envoie en avril 1859 une circulaire pour inviter ses amis à se rassembler. Suite aux réponses obtenues, qui, selon lui, « attestent que la foi et le zèle animent des hommes de valeur assez nombreux encore pour remettre avec sûreté l’Ecole militante dans la voie des succès », il publie des Communications familières du doyen, en six livraisons, sans périodicité régulière, entre janvier 1861 et août 1862 ; les destinataires se sont engagés à verser des souscriptions permettant d’en financer l’impression et l’envoi. Ce bulletin, de seize pages pour chaque numéro, n’est pas un organe de propagande : il s’agit plutôt de rétablir les liens entre les disciples - les Communications sont envoyées à environ 200 individus - et de leur permettre de s’exprimer, à la fois pour faire le bilan des années écoulées et pour proposer quelques directions pour l’avenir. Plusieurs correspondants dénoncent alors l’engagement de Considerant et du groupe parisien dans le combat politique, cause directe selon eux de l’échec de l’Ecole.

Plusieurs condisciples se réunissent à Besançon le 1er novembre 1861 en un « colloque » ou « congrès phalanstérien », afin de réfléchir aux moyens de reconstituer le mouvement phalanstérien. On pense aussi à la création d’un organe qui assurerait la diffusion des idées fouriéristes ; si cela n’est pas possible, on envisage de solliciter de grands journaux afin d’y placer des articles d’inspiration sociétaire. En même temps, Muiron entame des démarches auprès des gérants de la Librairie sociétaire afin de la reprendre. Au niveau bisontin, il crée une Société de capitalisation, sur le modèle de celle que Barrier a créée à Lyon : il s’agit de recueillir et de placer des sommes d’argent versées par les disciples ; les dividendes ou intérêts qui en résultent rétribuent les sociétaires, mais servent aussi à constituer un capital qui servira, quand il sera assez élevé, à financer des essais phalanstériens.

Cependant, l’accueil fait à ces différentes initiatives et propositions n’est guère encourageant ; les souscripteurs des Communications familières n’ont pas tous envoyé l’argent promis, ce qui n’incite guère à la création d’un organe fouriériste financé par souscription. Les gérants de la librairie répondent à Muiron qu’ils sont prêts à lui laisser la librairie s’il est aussi capable d’assumer le paiement des dettes. Finalement, si l’École se relève dans les années suivantes, ce n’est pas grâce à Muiron, mais sous la direction de François Barrier, le médecin lyonnais installé à Paris à partir de 1863 afin de reprendre le Centre et la librairie sociétaires. Muiron ne fait pas même partie des actionnaires de la Librairie des sciences sociales (ni de la société en commandite constituée en 1866, ni de la société anonyme formée dans l’hiver 1869-1870). Par ailleurs, la Société de capitalisation de Besançon, qu’il préside, est dissoute en 1871 [17].

Un fouriériste en retrait

S’il doit donc abandonner le rôle central qu’il s’était attribué dans la reconstruction de l’Ecole, Muiron reste en relations avec le nouveau Centre ; il publie plusieurs articles dans La Science sociale, qui paraît entre 1867 et 1870. A l’occasion des banquets du 7 avril, qui commémorent la naissance de Fourier, il envoie des allocutions qui sont lues - le plus souvent par Pellarin - et applaudies [18]. Toujours partisan de la réalisation, il soutient les expérimentations sociétaires, à Ry [19], à Saint-Denis-du-Sig [20]. A vrai dire, ces interventions n’ont guère d’effet ; en effet, si on prononce le nom de Muiron avec déférence ou si on mentionne sa qualité de « premier disciple » ou de « doyen » avec vénération (lui-même s’exprime à la troisième personne en commençant ses phrases par « le doyen ») - certains veulent même lui donner en 1872 le nom de « président honoraire de l’École » [21] - son rôle est très modeste sinon nul au sein de l’École.

Au lendemain de son décès, en 1881, Limousin, directeur de la Revue du mouvement social, rend hommage à « cet homme de bien dont la vie fut fort modeste » qui, dans ses dernières années, serait devenu aveugle. « Encore un des vieux confesseurs de la foi nouvelle qui s’en va ; encore un des membres de cette admirable génération de croyants qui disparaît » [22]. A Besançon même, il est alors largement oublié de ses compatriotes, qui n’apprennent son décès qu’à la lecture des journaux parisiens. Seul le Courrier franc-comtois lui consacre une notice nécrologique six jours plus tard.