Né le 19 juillet 1811 à Valence (Drôme), mort le 22 octobre 1888 à Paris (5e arrondissement), officier, poète-chansonnier, rentier. Epoux de Louise Milliet, administratrice de la colonie de Condé-sur-Vesgre.
Orphelin de bonne heure, Félix Milliet a pour seule famille un oncle, M. Vialet, directeur de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Se destinant d’abord à la profession d’avocat, il renonce à poursuivre des études de droit lorsque la révolution de 1830 éclate. Il entre alors à l’école militaire de Saint-Cyr, et, ayant choisi la cavalerie, à celle de Saumur. Il devient sous-lieutenant dans les Chasseurs, puis au régiment du 7e Lanciers. Envoyé en garnison à Montoire-sur-le-Loir, à Vendôme, à Pontivy, et à Alençon, il épouse en 1839 Louise de Tucé. Fernand, leur premier fils, naît en 1840 ; Alix naît en 1842. Préférant se consacrer uniquement à sa famille et à la poésie, Félix démissionne de l’armée et s’installe au Mans (Sarthe) où naît, en 1844, son troisième enfant, Paul [1], qui devient le biographe de la famille [2].
Dans ce chef-lieu de la Sarthe qui est « la circonscription la plus solidement républicaine de France » [3] les Milliet ont de nombreux amis : la directrice de la salle d’asile, Marie Carpantier [4], un professeur de mathématiques, M. Chassevant qui leur communique « son admiration enthousiaste pour les doctrines de Fourier », l’écrivain Louis Silly, M. et Mme Trahan (que Paul Milliet présente comme des phalanstériens), le publiciste Napoléon Gallois, le docteur Barbier, franc-maçon comme Félix Milliet, Édouard de la Boussinière, directeur d’un cercle de lecture des ouvriers et cofondateur du Bonhomme manceau, un journal démocratique et populaire, à la parution irrégulière, car souvent saisi. C’est là que Milliet publie ses poèmes et ses chansons exprimant : « la haine de la tyrannie, la pitié pour ceux qui souffrent, l’aspiration vers une organisation plus équitable de la société, la foi dans un avenir de paix et d’harmonie mondiale [5]. » Il dédie ainsi Marchons en frères au docteur Savardan [6] :
« Nous sommes faits pour vivre ensemble,
L’harmonie est l’état normal ;
Allons qu’un seul lien rassemble
Travail, talent et capital.
Qu’à l’œuvre désormais commune
Chacun apporte avec ardeur
L’un ses bras, l’autre sa fortune,
L’autre son génie et son cœur. »
Félix Milliet se dit socialiste, ses chansons affirment son attachement à la République, mais ne témoignent pas particulièrement de son fouriérisme (quelques brèves et vagues allusions comme dans cette chanson Les Buveurs : « en attendant que sur la terre / Règne un harmonieux accord ».)
Pourtant, son fils Paul écrit plus tard à propos de ses parents et de leurs amis :
« Le phalanstère, avec l’harmonieuse organisation du travail attrayant, au moyen des séries, leur semblait être le remède qui allait régénérer le monde. Avec la logique d’une conviction profonde, ils mirent toujours en pratique ces doctrines et laissèrent à leurs enfants la plus entière liberté dans le choix des travaux et des plaisirs. Si mon frère fut soldat, si je fus peintre, c’est parce que les attractions sont proportionnelles aux destinées. »
En 1848 naît Jeanne, que la famille Milliet laisse en France lors de l’exil en Suisse ; Jeanne meurt en bas âge. Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, la répression frappe les Sarthois républicains : deux cent cinquante personnes sont arrêtées. Félix Milliet se réfugie en Suisse où les francs-maçons de Genève lui font « un fraternel accueil », ses chansons et ses poèmes vengeurs connaissent un grand succès [7]. Mais on ne tarde pas à voir en lui un dangereux conspirateur [8] et il doit s’exiler en Angleterre. Sa famille trouve enfin asile à Samoëns [9] où il la rejoint. En novembre 1853, il devient professeur de dessin au collège de Bonneville. Louise (Zon) naît en 1854 (elle épouse Paul Hubert dont elle a deux enfants : Sabine, qui épouse Maurice Caullery, éminent scientifique, membre de l’Institut ; Roland, sans descendance). Louise, professeur de dessin, est l’auteur de très nombreux portraits de sa famille et de colons de Condé.
Supportant de plus en plus mal la politique de Napoléon III, Félix Milliet envisage de partir avec femme et enfants au Texas pour retrouver « [leur] excellent ami Victor Considerant » et pour diriger un élevage de chevaux (ce qui ne plaît guère à sa belle-mère inquiète pour la dot de Mme Milliet !) Le projet n’aboutit pas, il n’en reste qu’un petit texte écrit par l’aîné des enfants, Fernand, qui imagine ce que pourrait être la vie au phalanstère (Ce texte est repris dans le second cahier de Une famille... ; de plus, en annexe de son troisième chapitre, Paul Milliet ajoute quelques considérations sur Fourier et les spectacles suivies d’une description d’une fête de l’unitéisme mettant en scène son frère accueilli par « le vénérable M. Chassevant dont la longue barbe ressemble à celle du Moïse de Michel-Ange. »)
Les Milliet s’installent à Paris vers 1860, ce qui leur donne l’occasion de faire de nombreux séjours à la Colonie de Condé-sur-Vesgre où ils retrouvent Marie Pape-Carpantier. Selon Paul Milliet, c’est un vrai paradis qu’ils appellent la Céleste Colonie. Mme Milliet est alors directrice du ménage sociétaire [10].
De Genève, le couple prend dix parts dans la société civile immobilière en 1862 (cinq parts au nom de chaque époux) [11]. Pendant la guerre de 1870, tandis que son fils Paul rejoint les rangs des Communards et que Mme Milliet et ses filles sont restées à Paris, Félix Milliet ne quitte pas la Colonie où il passe ses dernières années, « entouré des soins affectueux de l’excellente directrice Mme Charlot et de quelques vieux amis ». Il s’occupe de littérature, de peinture et de jardinage. « Une vie assez inutile » avoue-t-il. Écrit-il encore ? Peut-être, mais il ne semble pas avoir retrouvé son inspiration politique ou chansonnière. Il fait construire à Condé un kiosque, pour aller se reposer ; ce kiosque existe toujours dans le domaine de la colonie. Il meurt le 22 octobre 1888.
Notoriété
Si Félix Milliet n’est pas complétement inconnu, c’est parce que Charles Péguy en parle au début de Notre jeunesse où il expose les raisons qui lui font publier dans les Cahiers de la Quinzaine le manuscrit que lui a confié Paul Milliet. Mais cette référence ne doit pas faire illusion : si on cherche à en savoir plus, on découvre que celui-ci prend à sa charge les frais de l’édition et que, devant le peu d’enthousiasme des lecteurs, la publication est interrompue au bout de quelques cahiers. Paul Milliet tente alors sa chance chez l’éditeur Crès, puis publie tout l’ensemble à compte d’auteur. Il semble que Péguy a été séduit par le titre et qu’il déchante rapidement, car ce titre ne tient pas ses promesses. Ce pourrait être un témoignage précieux, utilisant lettres et journaux intimes. Malheureusement Paul Milliet ne donne que des extraits de ces documents, difficiles souvent à situer précisément. De plus, il s’égare souvent dans des péripéties familiales et enfantines de peu d’intérêt, il enjolive la réalité, faisant du bannissement de son père un récit rocambolesque que dément le dossier conservé aux Archives départementales de la Sarthe, ou bien il se contente d’anecdotes, significatives, certes, mais insuffisantes, par exemple lorsqu’il évoque les réactions suscitées au Mans par les plaisanteries sur les théories sexuelles de Fourier : « les ennemis politiques de mon père et du docteur Barbier firent semblant de prendre au sérieux ces plaisanteries : “ces partageux, disaient-ils, veulent tout mettre en commun, même les femmes ! “ »
Qu’en est-il dans ces conditions du « fouriérisme » de Félix Milliet ? Difficile de le savoir : il ne semble pas avoir écrit quoi que ce soit sur ce sujet. Paul Milliet donne quelques informations sur l’image que les enfants se faisaient du phalanstère texan, et un témoignage trop succinct sur la vie à Condé-sur-Vesgre, mais sa mémoire est très sélective : les Milliet vivaient au Mans à l’époque où le docteur Savardan voulait changer la vie des paysans sarthois grâce au fouriérisme, or son nom n’apparaît jamais dans ce livre ; l’échec de Réunion est à peine mentionné. Autant « d’oublis » ou de lacunes qu’il faut peut-être imputer à l’amitié existant entre les Milliet et Considerant. C’est sans doute ce jugement d’Alfred Saffrey (Feuillets ACP) qui restitue le mieux Félix Milliet dans sa vérité : « un bourgeois [qui] avait trouvé dans les propos de Fourier un socialisme à sa mesure, puisque celui-ci résolvait la question sociale en distribuant à chacun le travail qu’il réalisait avec plaisir. »
[1] A ne pas confondre avec un autre Paul Milliet, né aussi dans les années 1840, auteur de livrets d’opéra (entre autres Hérodiade et Werther de Massenet).
[2] Paul Milliet, Une famille de républicains fouriéristes, les Milliet, Giard et Brière, 1915 et 1916. Cette édition illustrée en deux volumes reprend le texte publié dans les Cahiers de la Quinzaine, en 1910. Les citations de P. Milliet qui suivent sont tirées de ce livre, ainsi que les portraits.
[3] Maurice Agulhon, 1848, ou l’apprentissage de la République, Paris, Le Seuil, 1992.
[4] Carpantier est le nom patronymique de la pédagogue Marie Pape-Carpantier, cf. la notice qui lui est consacrée dans le Dictionnaire biographique du fouriérisme.
[5] Napoléon Gallois, préface aux Chansons de Félix Milliet, Paris, La Propagande démocratique et sociale, 1850.
[6] La dédicace, présente dans Le Bonhomme manceau, a disparu dans Une famille de fouriéristes, où il n’est jamais question de Savardan. Paul Milliet parlant de Victor Considerant comme d’un « excellent ami » de sa famille, ceci explique peut-être cela...
[7] Cf. Marc Vuilleumier, « L’Imprimerie et la diffusion de la propagande républicaine à Genève au temps du Second Empire, 1852-1856 », Cinq siècles d’imprimerie genevoise, Actes du colloque sur l’histoire de l’imprimerie, 27-30 avril 1978, publié par Jean-Daniel Candaux et Bernard Lescaze, Genève, Droz 1981.
[8] Dossier Milliet, E 21/143, Bundesarchiv Bern (BAB).
[9] Rappelons que la Savoie ne sera rattachée à la France qu’en 1860.
[10] Paul Milliet ne précise pas à quelle date ni pour combien de temps.
[11] Archives de Condé, Registre des syndics de la Société civile immobilière, délibération du 6 juillet 1862
Œuvres
Chansons, Paris, La Propagande démocratique et sociale, 1850.
Rimes intimes, La Plume, 1904 (posthume).
Sources
Registres d’état-civil du 5e arrondissement de Paris, décès, 1888 (en ligne sur le site des archives de la Seine).
Dossiers Milliet, 4 M 424 et 4 M 248, Archives Départementales de la Sarthe (Le Mans).
Paul Milliet, Une Famille de républicains fouriéristes, les Milliet, Giard et Brière, 1915 et 1916. Cette édition illustrée en deux volumes reprend le texte dont la publication a commencé dans les Cahiers de la Quinzaine, en 1910.
Dossier Milliet, E 21/143, Bundesarchiv Bern (BAB).
Le Bonhomme manceau, 1849-1851.
Maurice Caulery, « Une histoire de la Colonie racontée par Maurice Caullery », www/la.colonie.free.fr.
Bibliographie
Maurice Agulhon, 1848, ou l’apprentissage de la République, Paris, Seuil, 1992.
Frantisek Laichter, Péguy et ses « Cahiers de la Quinzaine », Paris, Maison des Sciences de l’homme, 1985.
Charles Péguy, Notre jeunesse, Paris, Gallimard, 1993.
Alfred Saffrey, « Paul Milliet, une famille de républicains fouriéristes », Feuillets des Amitiés Charles Péguy, n°166, 15 mars 1971.
Marc Vuilleumier, « L’Imprimerie et la diffusion de la propagande républicaine à Genève au temps du Second Empire, 1852-1856 », Cinq siècles d’imprimerie genevoise, Actes du colloque sur l’histoire de l’imprimerie, 27-30 avril 1978, publié par Jean-Daniel Candaux et Bernard Lescaze, Droz 1981.
Notes de Danielle Duizabo
.
.
.