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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Barthet, (Désiré-Louis) Armand
Article mis en ligne le 14 mars 2011
dernière modification le 19 octobre 2013

par Sosnowski, Jean-Claude

Né à Besançon (Doubs) le 15 avril 1820, décédé à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) le 14 février 1874. Avocat de formation devenu homme de lettres et critique artistique et littéraire.

Armand Barthet est né dans une famille aisée et très pieuse originaire de Cendrey (Doubs). Son père est chapelier à Besançon, sa mère tient un magasin de mode et lingerie. Ils lui donnent une solide éducation, ainsi qu’à ses deux frères. Edouard, son cadet, médecin militaire devient chirurgien-major [1]. Son frère benjamin, Auguste, prêtre, intègre la Compagnie de Jésus. Armand Barthet suit ses premières années de collège à Baume-les-Dames (Doubs) et entre au petit séminaire de Consolation (Doubs). Il poursuit des études de droit à Paris en 1838. Barthet, dès les premiers temps de son arrivée à Paris, fréquente le divan Le Peletier [2], salon littéraire et artistique. Il est réputé pour y jouer au mistron, jeu de carte qui lui vaut le surnom de « Pontife du mistron » [3]. Mais également, avec toute la sincérité qui l’anime et sans doute en raison de ses convictions phalanstériennes, il donne « à travers des discours pleins de bon sens, les théories les plus excentriques et les plus saugrenues » [4]. Licencié en 1844, il est reçu avocat. De retour à Besançon, où il trouve une activité respectable pour ses parents, dans l’étude d’un avoué bisontin, il assure, sous le pseudonyme de X. Favola, le feuilleton et la rubrique théâtrale de l’Impartial de Besançon et de la Franche-comté de Just Muiron. Ses rubriques acerbes écornent les Bisontins et font scandale. En janvier 1845, il apparaît au grand jour rédigeant une critique littéraire que ses biographes considèrent comme le reflet de sa méthode d’écriture. A partir de mai, de retour à Paris, il transmet à l’Impartial ses commentaires sur les artistes franc-comtois du Salon de 1845 dont Jean Gigoux, - ami pour lequel il a composé l’année précédente, « Charlemagne dictant ses capitulaires » [5] après avoir admiré sa toile destinée au Conseil d’Etat -, et Gustave Courbet, ami de collège qu’il aurait initié aux théories de Fourier. Barthet aurait alors débuté sa carrière littéraire parisienne par quelques publications de ses nouvelles dans L’Artiste et au Corsaire-Satan.

Revenu à Besançon en septembre 1846, il reprend ses critiques théâtrales et littéraires dans L’Impartial, entrecoupées de ses propres poésies. L’une d’entre elle, « Utopie », retraçant l’histoire humaine depuis Athènes s’achève par une glorification de Fourier et de la commune sociétaire : « Après Napoléon, tu nous donnes Fourier ». Il affirme ainsi publiquement, selon Louis Peyen, son adhésion aux théories de Fourier, même si cet engouement daterait de sa jeunesse [6]. Il a néanmoins défendu les idées de Fourier dans un précédent article contre un poème caustique de Charles Viancin paru dans Le Franc-Comtois. Critique littéraire pour L’Echo de la littérature et des beaux-arts en France et à l’étranger, il s’enthousiasme à la lecture d’un des poèmes de Just Aubert, intitulé « Devant un portrait » dont la lecture lui fait penser « à Fourier, l’inventeur de la science sociale, et [poursuit-il] nous avons trouvé une telle analogie entre les vers du poète et la vie du grand homme, que nous ne serions nullement surpris de nous être rencontré avec l’auteur dans une même pensée et dans un même regret [...]. Remplissez votre prochain volume de morceaux de cette force, et l’accueil que lui fera le public, vous prouvera que chez lui le goût du beau et du bon, l’amour de la poésie et, par conséquent du vers qui en est la plus heureuse expression, survivent, quand même, aux agiotages de Bourse et aux spéculations de chemin de fer » [7]. Cette même année, en août 1847, il se rend avec Muiron et quelques phalanstériens bisontins à la frontière suisse pour une rencontre avec des frères suisses, excursion durant laquelle, promenades bucoliques, botaniques et géologiques, banquets fraternels et discussions phalanstériennes se succèdent jusqu’au Saut-du-Doubs. Barthet relate la randonnée dans l’Impartial, compte-rendu également repris comme feuilleton de la Démocratie pacifique du 12 septembre. Sous la plume de Barthet, la rencontre est une véritable communion : « Tous confiant dans la même pensée, tous apôtres d’une même doctrine, nous entrevoyions dans l’avenir le crépuscule d’une ère nouvelle, et nous nous sentions bien fier d’être les premiers à proclamer l’immuable vérité des doctrines qui doivent rendre l’humanité si heureuse ».

Mais le ton et la virulence de Barthet demeurent. Fin 1846, Dumollard de Besançon a intenté une procédure contre lui pour « coup au visage ». Le mois de prison dont Barthet écope - la peine initiale était de trois mois - l’éloigne de son père, déjà rebuté par ses fréquentations des salons littéraires et artistiques de la capitale. En novembre, Barthet quitte donc Besançon pour Paris. C’est à cette période qu’il rencontre Arsène Houssaye, dont il devient l’un des secrétaires et à qui il demande un appui pour publier le Moineau de Lesbie, pièce qui fait sa gloire littéraire lorsqu’elle est jouée au Théâtre français à partir de 1849 par Mlle Rachel, grâce à l’entremise de Jules Janin, directeur du théâtre. Le sculpteur Clésinger, ami de Barthet, immortalise par ailleurs l’actrice Rachel en Lesbie. Arsène Houssaye regrette cependant de ne pas avoir découragé Barthet : « je pouvais lui déconseiller la poésie, et l’avocat montait à la tribune en 1848 ou finissait par la magistrature » [8].

Lorsque éclate la Révolution de 1848, le 24 février au matin, il est vu aux côtés de Baudelaire derrière les barricades, au carrefour Buci ; tous deux sont « armés de fusils de chasse et prêts à faire feu » [9]. Sa relation avec Baudelaire est significative du caractère de l’individu. Monselet dit de Barthet qu’il est « un garçon bruyant, remuant, bon enfant, ayant lui-même beaucoup de rapport avec un moineau, dont il rappelait les étourderies et les piailleries » [10]. Scholl voit en lui un « homme brusque et bon. Il est dur pour les gens qui lui déplaisent, charmant et dévoué pour ses camarades » [11]. Barthet aurait dû affronter Baudelaire en duel soit quelques jours avant les journées de février pour « offense morale », transformée en « offense physique », soit en début d’année 1849. Même Nadar, après l’altercation avec Baudelaire et bien que caricaturant Barthet en « moigneau » dit de lui qu’il est un « garçon fantasque et tumultueux, qui ne saurait mettre le pied ailleurs que sur vos cors, et possède tout juste la circonspection d’un hanneton double qu’il est ; d’ailleurs inflammable, bysontin [sic] dans la moelle des os, et jusqu’à en être un peu bison, Barthet va vous entrer ses coudes dans le corps et mettre des rats morts dans vos poches pendant une demi-heure, et puis il vous lâche un mot plein d’esprit, de bon sens et de délicatesse qui vous fait oublier tout le reste. Toutes les demi-heures Barthet a son mot ; il serait à souhaiter que sa montre avançât plus souvent. En fin de compte ; caractère droit, profondément honnête et bon que l’on ne peut s’empêcher d’aimer en dépit de toutes ses énormités » [12].

En mars 1848, dans l’Artiste d’Arsène Houssaye, il publie « La Républicaine », nouvelle Marseillaise de 1848. S’agit-il pour autant d’une adhésion à la République ? Charles Baille considère qu’il reste durant toute sa vie « avec des tendances légitimistes, par horreur des politiciens et des industriels auxquels ils obéissaient » [13]. Il reste cependant proche des milieux fouriéristes et est parmi les actionnaires commanditaires de l’Union Agricole d’Afrique en août 1848, bien qu’étant toujours à cours d’argent. En 1850, il est d’ailleurs raillé de la liste des actionnaires n’ayant pas versé les sommes promises. Si la Démocratie Pacifique du 16 avril 1849 considère que son Moineau de Lesbie « est un beau début », aucune mention des liens que Barthet entretient avec le fouriérisme ne transparait dans le commentaire. Barthet contribue également à la parution des Poésies et chants harmoniens en 1857 puis des Documents apostoliques et prophétiques en 1858 de Jean Journet. Il contribue au prix indiqué pour les « Riches », soit 5 francs et plus. Il s’excuse par ailleurs de ne pouvoir participer au Congrès phalanstérien de Besançon convoqué à l’initiative du doyen Just Muiron, le 1er novembre 1861, destiné à régler la dissolution de la Société de 1840, à créer des groupes provinciaux, - le Doyen devenant pivot du groupe central installé à Besançon -, et à étudier la création d’un Phalanstérion ou « école vocationnelle » destinée « à procurer l’éducation naturelle à un nombre convenables d’enfants des âges au dessous de la puberté » [14].

Armand Barthet
Archives privées. Avec l’aimable autorisation de Mme Régine Prétet.

En 1864, le succès du Moineau de Lesbie ne s’étant pas renouvelé, il retourne vivre à Cendrey où il compte jouir du modeste héritage familial et épouse « une amie de sa mère » [15]. Il collabore à la Revue littéraire de la Franche-comté de son ami Charles Weiss qui l’avait appuyé, en vain, ainsi que Victor Hugo en 1850, afin qu’il obtienne la pension Suard décernée par l’Académie de Besançon. En 1869, il brigue sans succès un poste de juge de paix. Selon ses divers biographes, il vit en petit propriétaire campagnard, s’occupant de chasse et de pêche, confectionnant des pâtes de coings pour ses amis, développe un élevage de lapins, entreprise qui fait faillite ou enfin devient castreur de bétail avant de sombrer dans la folie, tentant de pratiquer l’acte sur lui même avec un rasoir. Le Petit journal annonce dans son édition du 6 février 1873 qu’il est « frappé d’une sorte de paralysie intermittente du cerveau [...]. Ce sont surtout les évènements de 1870 qui ont altéré la santé du poète ». Interné à Ivry-sur-Seine, il échappe à la surveillance de ses gardiens et, relate le Gaulois du 29 octobre 1873, « dans un de ses transports, s’est horriblement mutilé, et on se demande avec effroi comment il a pu survivre à cette épouvantable opération. On ajoute que les gardiens de cette maison sont obligés de recourir aux voies de faits pour contenir le malade ». Le 14 février 1874, Barthet décède dans un dénuement total, les secours de la Société des auteurs et compositeurs ne permettant de subvenir qu’au minimum des besoins. L’édition du Gaulois du 18 février 1874 minore la folie de Barthet : « sa folie ne présenta aucun caractère étrange ou particulier. Il est mort comme un fou ordinaire, dans l’inertie la plus absolue, dans l’enfance la plus complète ». Ces obsèques ont lieu dans un quasi anonymat, une dizaine de personnes suivant le cortège. Lors du banquet anniversaire de la naissance de Fourier qui suit, alors que le toast d’Edouard de Pompéry consiste à égrainer le nom des phalanstériens récemment décédés, aucune mention à Barthet n’est faite.