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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Daly, César
Article mis en ligne le 14 mars 2011
dernière modification le 18 juillet 2021

par Bouchet, Thomas

Né à Verdun (Meuse) le 19 juillet 1811, mort à Wissous (Essonne) le 18 janvier 1894. Architecte. Ami de Considerant entre les années 1830 et les années 1890. Compagnon de route de l’Ecole sociétaire, auteur d’un projet de phalanstère pour quatre cents enfants sous la monarchie de Juillet, proche de Considerant aux Etats-Unis (1855-1857).

Le père de César Daly, John Daley, est commissaire aux vivres dans la marine britannique [1]. Sa mère, Camille de Bernard de Calonne, est issue de la grande noblesse du nord de la France ; son mariage avec le bourgeois Daley est pour elle une mésalliance. La famille s’installe à Londres sous l’Empire. Daley y meurt en 1824. Il laisse une veuve presque sans ressources, et deux enfants, dont César est l’aîné. César fait à Londres la première partie de ses études, puis les Daly regagnent la France en 1828 et vivent modestement à Douai. César y prépare sans succès le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique. Il s’oriente alors vers l’architecture. Il travaille d’abord chez un architecte de Douai puis il entre en 1830 dans l’atelier parisien de Félix Duban, qui recueille les premiers fruits d’une renommée récente. César Daly ne suit pas la voie royale des futurs architectes - l’Ecole des Beaux-Arts. Il fait en revanche des études de droit en parallèle à sa formation. La rencontre de Daly avec le fouriérisme est avant tout l’effet d’une amitié : tandis que son engagement fouriériste n’est ni très profond ni très durable, Daly fait partie du cercle des intimes de Considerant, au même titre que Jules Benoît, Frédéric Dorian, Alphonse Tamisier [2]. L’amitié qui le lie avec Considerant ne se dément jamais.

Le projet d’institut sociétaire pour quatre cents enfants

L’Ecole sociétaire soutient Daly lorsqu’en 1836, après l’incendie de la charpente et des clochers de la cathédrale de Chartres, il se propose d’écrire l’histoire du monument dans la perspective de sa restauration. Soucieux d’attirer l’attention de lecteurs potentiels et de fidéliser ceux qui lisent déjà La Phalange, la rédaction du journal propose le 10 juillet 1836 en cadeau à ses abonnés trois lithographies de la cathédrale par Daly. La Revue de la Côte-d’Or en rend compte dans sa 8e livraison de l’année 1836 (page 172) : « La Phalange qui paraît maintenant tous les dix jours paraîtra ultérieurement deux fois par semaine sans augmentation de prix elle donnera à ses abonnés dans le courant des six premiers mois trois grands et beaux dessins de la cathédrale de Chartres exécutés sur les lieux avec un soin extrême par M Daly architecte et dessinateur. Le prix de ces dessins dont La Phalange fera cadeau à ses abonnés s’élèvera de 15 à 20 francs pour les non abonnés et le bénéfice sera consacré à la restauration de la cathédrale de Chartres ». L’Ecole sociétaire le charge aussi et surtout de réfléchir aux plans d’un institut sociétaire pour quatre cents enfants. L’idée est développée depuis le début des années 1830 par certains fouriéristes et par Fourier lui-même ; elle est relancée dans La Phalange en 1836. L’institut sociétaire est conçu pour des enfants âgés de 3 à 15 ans. L’« idée architecturale » générale en revient à Daly. Avec Maurize, il en réalise les plans sous la houlette de Considerant. Une souscription est lancée et Joseph Reverchon, un prospère cultivateur du Jura, proche des fouriéristes, est pressenti pour apporter une aide financière.
Le projet s’enlise. Un rapport daté de janvier 1843 et soumis à Joseph Reverchon, permet d’en mesurer l’état d’avancement plus de cinq ans après son démarrage [3]. Ce rapport a fait l’objet d’un examen attentif de la part des commissaires du projet (Barbier, Bing, Blanc, Chapelain, Harel, Mialle, Michelot, Prudhomme), qui louent le travail de Daly et le zèle désintéressé de Considerant. Selon les termes du document la phase d’étude est pour ainsi dire terminée : seuls manquent des détails sur le système de distribution des eaux, de la chaleur et de la lumière. En revanche Daly a mis au net les plans, les élévations des bâtiments et les devis de dépenses. Quant à Maurize, il a rédigé et signé des cahiers sur l’organisation des journées, des semaines, et un devis général. Trois corps de bâtiments sont prévus. Le principal est orienté au sud et comprend le collège, l’église, le théâtre, de grandes salles de réunion, des dortoirs. On y trouve au centre la « tour d’ordre » décrite déjà par Fourier. Un deuxième ensemble rassemble au nord les constructions rurales, disposées en demi-cercle ; la volaillerie et le colombier y occupent une position centrale. Le troisième ensemble, entre les deux précédents, est consacré aux industries manufacturières arrimées sur les productions agricoles. L’organisation générale, est-il précisé, est en analogie avec les idées de Fourier.
Le capital nécessaire pour réaliser le projet est évalué à trois millions de francs. En attendant, il convient de payer les études préparatoires. Daly demande 4200 francs qui correspondent à ses honoraires entre août 1837 et avril 1839 (il renonce à ses honoraires pour la période qui s’étend de septembre 1840 à novembre 1841). « Il est permis de croire, lit-on, que le projet définitif a acquis toute la perfection qu’on peut espérer en l’absence des renseignements d’une expérience directe de la vie phalanstérienne ». De fait, les tentatives de réalisation sociétaire butent sur le manque d’argent et sur les difficultés qui surgissent lors de l’expérimentation concrète. Les échecs de Condé-sur-Vesgre (début des années 1830) et de Cîteaux (début des années 1840) restent dans les esprits ; Reverchon ne donne pas suite et le projet d’institut sociétaire ne voit pas le jour.

Daly et la Revue générale de l’architecture et des travaux publics

Daly est quelque temps l’un des neuf membres du conseil de direction de l’Ecole sociétaire, sans y jouer pour autant un rôle déterminant. Le 31 juillet 1841 il tient l’un des cordons du poêle aux obsèques du fouriériste Amédée Paget et Il prononce à la mémoire du défunt une "chaleureuse improvisation" ; après la cérémonie les participants aux obsèques restent quelque temps réunis au cimetière de Montmartre pour se recueillir sur la tombe de Fourier (La Phalange, 1er août 1841). Mais c’est la Revue générale de l’architecture et des travaux publics qui occupe l’essentiel de son temps à partir de 1840. La Revue générale est une publication remarquable [4]. La qualité graphique des numéros est excellente, et le contenu de très haute tenue. Daly affiche pour sa revue de grandes ambitions intellectuelles. Il souhaite prendre du recul par rapport à l’actualité afin d’en proposer une lecture critique. Lui et ses collaborateurs s’adressent surtout aux architectes, mais aussi aux ingénieurs. Daly veut un rapprochement entre les uns et les autres.
Selon Antoine Picon la Revue générale de l’architecture et des travaux publics a un léger parfum fouriériste, mais elle ne peut pas être considérée comme une publication fouriériste. La Phalange et La Démocratie pacifique rendent compte de sa naissance et de son développement ; elles en recommandent la lecture. La Revue s’inspire symétriquement d’articles parus dans la presse fouriériste. Des fouriéristes, enfin, écrivent dans le journal de Daly : c’est le cas de l’architecte Victor Reytier, des ingénieurs Victor Fabré, Charles Perdonnet ou Abel Transon. Au début de l’histoire de la Revue, l’accent porte souvent sur le monde rural, selon une logique qui rappelle celle de Fourier. « Les vingt-deux millions de cultivateurs qui labourent le sol de la France, et dont le travail nourrit la population entière du pays, (...) sont à peine abrités contre les intempéries des saisons. » (Volume 1, 1840, « Introduction ») Plus tard c’est le monde urbain qui est privilégié.
Selon Daly l’architecture doit jouer un rôle social. Il se place ici dans la même perspective que Considerant dans Description du phalanstère et considérations sociales sur l’architectonique (extrait de Destinée sociale). L’architecture doit permettre d’instaurer des règles de sociabilité harmonieuses, en rupture avec les errances et les vices de la civilisation. L’aspect fonctionnel prime sur une vision ordonnancée et académiste de Labrouste ou de Viollet-le-Duc, que Daly trouve trop dogmatiques.
Daly porte ses regards bien au-delà du fouriérisme. A la fin des années 1830 il se plonge dans les textes d’Owen, auxquels il consacre une étude dans La Phalange (« Le système social de Monsieur Owen », 1er janvier 1838). Il figure parmi les souscripteurs de L’Union ouvrière de Flora Tristan en 1843 et 1844. En outre, l’influence du saint-simonisme est d’après Antoine Picon tout aussi importante que l’influence fouriériste dans la Revue générale. Daly défend l’idée très saint-simonienne d’une succession de phases de plénitude et de phases de division dans l’histoire de la société. Le XIXe siècle serait en l’occurrence un moment de division et de contradictions ; la solution se trouverait dans l’éclectisme architectural, et dans la sensibilité aux progrès et aux innovations techniques. Le souci d’allier poésie et raison dans les œuvres de l’intellect rappelle aussi le saint-simonisme. Daly appelle de ses vœux un avenir meilleur au sens social et artistique. A partir de 1845, Daly travaille par ailleurs à la restauration de la cathédrale d’Albi.

La Revue générale de l’architecture et des travaux publics
Image issue de Archives.org

Daly après 1848 : la République, l’Amérique

Au lendemain de la Révolution de février 1848, il est membre de la Société républicaine centrale, le club fondé par Blanqui. Il est également membre d’une Société des artistes décorateurs. Il dessine pour Louis Blanc et la commission du Luxembourg les plans d’établissements où quatre cents ménages ouvriers, disposant chacun d’un logement distinct, pourraient bénéficier des avantages de la consommation en commun. En avril, il est candidat à la Constituante mais il est rayé de la liste du Luxembourg parce qu’il est architecte et non ouvrier. Dans sa profession de foi, il demande « la République avec toutes ses conséquences », le suffrage universel, l’éducation professionnelle et générale garantie à tous, le droit au travail, le respect de la propriété, « l’union fraternelle entre les chefs d’industrie et les ouvriers », une retraite pour les travailleurs. Le 24 septembre, il est désigné par Proudhon pour faire partie de la commission des travailleurs et des doctrinaires chargée « d’organiser une Banque du Peuple avec deux syndicats (...) sur la base du projet de Banque d’échange et des travaux de la Commission du Luxembourg. » Les vice-présidents de la commission sont Jules Lechevalier et Pierre Leroux, Cabet s’étant récusé. Après 1848 il prend ses distances avec l’histoire de la République. Il est nommé membre de la commission des arts et édifices religieux dès 1848 et maintenu dans ses fonctions d’architecte diocésain d’Albi [5]. En 1853, Vaudoyer écrit à son sujet (compte-rendu du personnel) :
« M. Daly, très avantageusement connu comme rédacteur en chef de la Revue d’architecture, a été l’élève de M. Duban. Il n’avait pas encore eu l’occasion de se faire connaître comme architecte lorsque la restauration de la cathédrale et de l’archevêché d’Albi lui ont permis de se montrer à la fois artiste très distingué et praticien très habile. Les travaux importants qui sont à exécuter dans le diocèse d’Albi ne pouvaient pas être mis en de meilleures mains. M. Daly a son domicile à Paris, mais, depuis le commencement des travaux de restauration de la cathédrale, M. Daly, entraîné par son zèle, a séjourné la plus grande partie de l’année à Albi. S’il m’était permis d’adresser un reproche à M. Daly, ce serait peut-être celui d’une recherche un peu exagérée dans la perfection de ses travaux et par conséquent d’une exigence un peu trop rigoureuse à l’égard de ses entrepreneurs ; mais cela dit, je pense néanmoins que M. Daly a droit à des témoignages particuliers de satisfaction pour la bonne conduite de ses travaux et la régularité de son administration. »
Il rejoint finalement Considerant à Washington à la fin de l’hiver 1854-1855, en vue d’y négocier avec le gouvernement fédéral pour que soit autorisé l’établissement d’une colonie [6]. Il a un atout qui manque à Considerant : il parle bien l’anglais. Les deux amis sont reçus poliment mais n’obtiennent que de vagues promesses. Ils quittent ensemble New York le 14 avril 1855 avec la femme et la mère de Considerant ainsi que les Français Maguet et Willemet. Ils arrivent le 28 avril à La Nouvelle Orléans, où ils retrouvent le groupe du docteur Savardan. Ils rejoignent alors Réunion. Daly y séjourne pendant quelque temps, travaillant à l’établissement des plans de l’entrée de la cave de stockage que Savardan se propose d’édifier. Il quitte la colonie fin septembre 1855 afin d’aller explorer diverses régions d’Amérique du Sud en vue d’y réimplanter une colonie. Arrivé à Fort Washita, en territoire indien, il tombe malade, ce qui le force à revenir sur ses pas. En décembre 1855 il retrouve Considerant à Austin et il lui sert d’interprète ; là, il fait la connaissance de nombreux sénateurs du Texas et de journalistes, dont il sait se faire apprécier. A la fin de la session législative (février 1856) il part avec Considerant pour faire des repérages à l’ouest de San Antonio. Ils se déclarent enchantés de ce qu’ils ont vu à Uvalde Canyon : ils ont le projet d’édifier là une nouvelle colonie puisque Réunion est un échec.

Retour en France

Le retour de Daly en France se produit en août 1857. La Revue générale recommence à l’accaparer. Il est apprécié par les autorités du Second Empire ; il reçoit la croix de la Légion d’honneur le 13 août 1861 - dès 1859, l’archevêque d’Albi a sollicité cette décoration pour lui [7]. En 1864 il dédie la première livraison de son Architecture privée au XIXe siècle au baron Haussmann, préfet de la Seine. Il mène grand train dans la capitale.

La Légion d’honneur de Daly
LH650/13. Archives nationales, base Léonore

Il ne coupe pas pour autant les ponts avec le fouriérisme. Il est par exemple actionnaire de l’Union agricole d’Afrique (St-Denis du Sig) ; si son nom est absent de la liste de 1847 (mais c’est une liste où tous les actionnaires n’étaient pas recensés), il est en revanche présent dans la liste de 1852 et dans celles qui paraissent en 1869 et 1880. Et il assiste en 1866 au banquet de l’anniversaire du 7 avril ; il collabore à L’Economiste français de Jules Duval. Il est après la chute de l’Empire tenu en suspicion par les républicains. Il reste l’un des proches de Considerant, qui a fini par regagner la France.
Il démissionne de sa fonction d’architecte diocésain le 3 janvier 1877 : « Je date de l’origine de l’Institution, écrit-il. J’ai la conscience d’avoir fait ce que j’ai pu pour mériter l’approbation de l’administration et je serais heureux, en la quittant, de ne lui laisser que de bons souvenirs ». De son côté, l’archevêque d’Albi écrivait au chef de division Tardif : « Vos vœux sont accomplis, M. Daly... a enfin écrit sa démission. » [8]
En juillet 1880, c’est à l’initiative de César Daly et d’Eugène Burnouf que le ministre de l’Instruction publique et des Cultes Jules Ferry fait attribuer à Considerant une pension annuelle de 1000 francs, qu’il refuse. [9] Il écrit affectueusement à Considerant le 14 septembre 1883 : « Mon vieux cher, tu n’es pas un paresseux, tu es un concentré et tu te concentres de plus en plus [10] ».
Il obtient en 1892 la Royal Gold Metal for Architecture, une distinction décernée annuellement par le Royal Institute for British Architects en reconnaissance de la contribution substantielle d’un individu ou d’un groupe à l’architecture internationale. Dans les derniers temps de son existence, Considerant lui rend régulièrement visite dans sa maison de Wissous. C’est justement à Wissous que Daly meurt le 18 janvier 1894.

César Daly
La Rénovation, 31 août 1899