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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Feillet, Jules-Jean
Article mis en ligne le 21 février 2011
dernière modification le 12 juillet 2021

par Guengant, Jean-Yves

Né le 23 février 1809 à Lorient (Morbihan), mort le 10 février 1886 à Brest (Finistère) [1]. Officier de marine, candidat aux législatives de 1848 sous l’étiquette fouriériste. Il soutient la création de l’Union agricole d’Afrique, dont il est le correspondant brestois. Ami de Jules Duval, il collabore à L’Économiste français et il correspond avec les membres de l’Ecole sociétaire. Il participe au courant fouriériste brestois.

L’officier de marine

Jules-Jean naît dans une famille liée à la marine de guerre. Son père, Joachim, est agent-comptable, attaché à la frégate La Cybèle. Ses parents sont originaires de la région de Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine. Jules-Jean passe son enfance à Saint-Servan chez sa grand-mère paternelle. Joachim est nommé en 1816 à Saint-Pierre-et-Miquelon, lors de la rétrocession de l’île par les Anglais. Jules-Jean l’y rejoint en 1825, une attestation du collège local indique qu’il y est inscrit pour l’année 1825-1826. Il finit ses humanités, commencées au lycée de Rennes, et il a toute capacité pour se présenter à l’École royale d’Angoulême, alors le siège de l’École navale. Lors de son passage au lycée de Rennes, il s’est lié d’amitié avec les frères Andrieux, de Morlaix, amis du futur écrivain Émile Souvestre [2]

Pendant son séjour à Saint-Pierre, il rencontre Alexandre Duhamel, professeur qui le prépare à l’examen d’entrée au collège royal. Alexandre est le frère de Jean-Marie-Constant, l’un des fondateurs du journal saint-simonien Le Globe. Jules-Jean intègre l’École navale en novembre 1826, premier pas vers une carrière d’officier de marine. Après un an passé à Angoulême, il rejoint le port militaire de Brest et embarque sur l’Orion en novembre 1828 (à compter de cette date, l’Orion est le navire-école des élèves officiers, en rade de Brest). A partir de 1830, il embarque pour plusieurs campagnes, en Méditerranée, puis sur l’océan Atlantique. Enseigne de vaisseau en 1833, il est à Lorient en 1834, puis à Toulon en 1835. En octobre 1835, il est de retour à Brest. Ses périples lui permettent de nouer des relations utiles, que l’on retrouve au moment de la création de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig, près d’Oran. Il navigue aux Antilles et dans l’océan Indien. Il est promu lieutenant de vaisseau le 6 décembre 1841. Il est reconnu bon officier, aimant son métier, mais d’un caractère difficile : ses supérieurs le jugent tenace, jusqu’à l’indiscipline. Capable mais ne se pliant pas aux ordres de ses supérieurs : cela lui coûtera le commandement des navires : en 1841, devenu capitaine, il rejoint le port de Brest, définitivement [3].

En novembre 1837, il épouse la nièce d’Émile Souvestre ; il s’agit d’Aimé Eugénie Pinchon, fille de François Marie Pinchon et de Françoise Catherine Souvestre, demi- sœur d’Émile. Sa belle-sœur, Angélina Pinchon est l’épouse d’Aristide Andrieux, fils d’un riche papetier du Finistère, François-Marie Andrieux, ami du nantais Thomas Dobrée [4]. C’est une famille progressiste, marquée par l’engagement franc-maçon du père, et par la volonté de développer les écoles mutuelles.

La famille Andrieux entretient des relations d’affaires avec l’imprimerie de Camille Mellinet, de Nantes. Camille Mellinet (1795-1843), imprimeur, journaliste et homme politique qui a fondé plusieurs journaux d’opinion et des revues où écrivent notamment Souvestre et Guépin ; sa mère était une Malassis, d’une famille d’imprimeurs brestois francs-maçons, qui joua un rôle important sous la Révolution. Sans doute, le réseau familial conforte l’engagement de Jules-Jean, mais son entourage professionnel joue un rôle déterminant. Plusieurs condisciples de l’École navale sont ainsi membres fondateurs ou actionnaires de l’Union agricole d’Afrique (Eugène-Corentin Béléguic ou Louis-Ferdinand-Eugène Le Coat de Saint-Haouen). Il est peu probable qu’il puisse, lors de ses courtes permissions, tisser des liens solides avec les quelques rescapés du premier groupe saint-simonien, dispersés ou passés au fouriérisme, à l’exception d’Émile Chevé, en poste alors à Brest. En tout cas sa route croise à nouveau Béléguic et Chevé en 1847, lorsqu’est mise en place la société civile de colonisation de Saint-Denis-du Sig.

Jules-Jean devient officier à l’École navale, qui en 1841 a abandonné l’Orion, pour le Borda, un vaisseau « rasé » (démâté). Il fait partie de l’état-major de l’École où officient une quinzaine de professeurs et d’examinateurs [5]. Il y reste 6 ans, jusqu’en 1848. Il y est reconnu comme un excellent professeur, notamment en astronomie, qu’il enseigne avec talent. En 1849, Feillet ne fait plus partie de l’état-major de l’École navale. La suite de la carrière militaire de Jules-Jean ne comporte plus d’embarquement ; il est rapporteur devant le tribunal militaire, mission dont il s’acquitte avec zèle. Il souhaite naviguer à nouveau, sur un navire à vapeur, domaine qu’il a particulièrement étudié. Sa demande n’est pas acceptée, on lui préfère le tribunal. Devenu capitaine de frégate en 1855, il sait que sa carrière ne connaîtra plus de promotion et il prend une retraite anticipée en 1857, afin de rejoindre l’École des gardes de la marine chilienne.

L’Union agricole d’Afrique

Dans l’engagement fouriériste de Feillet, l’Union agricole d’Afrique tient une place importante. Fondée en décembre 1845, elle est autorisée en novembre de l’année suivante à exploiter un domaine agricole près d’Oran, à la condition d’y installer trois cents familles européennes.

Ordonnance royale de concession. 8 novembre 1846


Document n° 1

Le rapport établi en 1847 par la société de colonisation, entérine le transfert du siège de la société à Besançon et désigne des correspondants dans vingt villes de France [6]. A Brest, Feillet et un banquier, Montjaret de Kerjégu, sont inscrits comme les relais de l’association « auxquels on pourra s’adresser pour les souscriptions d’actions, versements de fonds, demandes de renseignements, etc. » On retrouve dans la liste Émile Chevé, correspondant pour Paris. Un premier fait, déjà mis en valeur par Michèle Madonna-Desbazeille, dans son article consacré à la communauté de Saint-Denis-du-Sig, est la forte proportion de militaires, présents dans l’association [7]. Trois armes sont représentées : le génie, l’artillerie, la marine. Trois armes présentes dans les ports militaires (Brest, Lorient, Rochefort et Toulon) à la fois bases navales et forteresses. Le second fait est la part conséquente de la région brestoise dans la liste des souscripteurs : les militaires y occupent une place de choix. Les professions des souscripteurs montrent que la société cherche des hommes installés ou de jeunes enthousiastes, prêts à investir, et aux revenus réguliers. Ils sont payés par l’Etat ou exercent des professions libérales lucratives. Le fonds social de la société est de un million de francs, réparti en parts de cinq cents francs. Même si ensuite, il y a possibilité de fractionner les parts, les sommes restent élevées, au vu d’un salaire de militaire (en 1848, un enseigne de vaisseau a une solde de mille cinq cents francs par an, Feillet, lieutenant de vaisseau de 2e classe, touche deux mille cinq cents francs, il participe à hauteur de 500 Fr.). Un troisième élément entre en jeu : le réseau familial. Ce constat est particulièrement net à Brest : certains militaires (les lieutenants de vaisseau Montjaret-Kerjégu et Guiastrennec) ont convaincu leurs parents d’entrer dans le capital de la société ; ainsi la famille Montjaret de Kerjégu, des négociants importants de la ville, apporte sa caution pour la souscription des actions [8] Il en est de même de François Guiastrennec, architecte et vice-président de la société d’agriculture, secrétaire de la société des Amis de l’industrie de Brest. Ces hommes permettent au réseau fouriériste de toucher les notables de la ville et des agglomérations environnantes. Houitte, pharmacien à Brest, membre de la Société d’Émulation et de la loge des Amis de Sully, Déniel pharmacien à Landerneau ou Tanguy, pharmacien à Landivisiau. Nous trouvons leur trace au fil des annuaires de la Société d’Émulation, preuve de leur statut et de leur appartenance à des réseaux sociaux et économiques proches. Courbebaisse, sous-ingénieur de la marine à la direction des constructions navales et membre résidant de la Société d’Émulation, souscrit en même temps que plusieurs membres de sa famille qui réside à Cahors [9]. Auguste Louvel, capitaine de corvette, né en 1792, totalise à son départ en retraite en 1852, vingt-cinq campagnes. Il a précédé Feillet sur la frégate Terpsichore, en 1835. Son fils est lieutenant de vaisseau : tous deux ont souscrit.

Les souscripteurs finistériens de l’Union agricole d’Afrique, août 1848

Document 2

Jules-Jean Feillet est celui qui assure le lien entre le milieu militaire et le monde civil. L’étude de la liste des fondateurs et des souscripteurs permet d’éclairer le rôle de Jules-Jean à Brest, d’Eugène-Corentin Béléguic à Toulon et Brest (notamment parmi l’équipage de l’Iphigénie). Le lyonnais François Barrier, lors du dépôt des statuts est mandataire de Béléguic et de plusieurs officiers stationnés à Brest. Notons parmi eux Charles Méquet [10], alors en poste avec Jules-Jean Feillet à l’École navale et Claude Ballard, capitaine du génie, en poste au Conquet, avant-poste militaire de Brest [11]. Claude Ballard est membre du conseil d’administration de la société. Son frère, Guillaume-Jacques, est le chirurgien en chef des hôpitaux militaires de Besançon et de Bourbonne. Claude Ballard circule dans l’arrière-pays, notamment Roscoff, où il recrute des adeptes. Son statut et son influence se font aussi sentir sur la participation d’officiers du génie (Auguste-Théodore Garnot, lieutenant-colonel, ou Villain, à l’état-major de la place de Brest).

Une caractéristique du recrutement des souscripteurs semble être que ces derniers gardent un lien très fort avec la bourgeoisie militaire. Hormis le cas de la ville de Landivisiau (autour de Pouliquen, un fouriériste identifié depuis une dizaine d’années, un groupe est constitué, qui a souscrit plusieurs parts : outre le pharmacien, ils sont tous membres du tribunal de Landivisiau, du juge au greffier !), les fouriéristes brestois (Vincent, les promoteurs de la boulangerie sociétaire, la famille Cuzent, etc.) n’apparaissent pas. Est-ce à dire que l’opération est perçue comme étant spécifiquement militaire ou spéculative ? Les souscriptions lancées pour lutter contre la disette et la constitution parallèle de la boulangerie ont-elles freiné les ardeurs ou limité les possibilités d’investissement ? Seul le nom d’Allanic, professeur de philosophie (ici signalé comme lieutenant de vaisseau ?) est cité ; cependant cette mention est importante : Jean-René Allanic est alors le vice-président de la Société d’Émulation et l’un des hommes les plus en vue de Brest. Par son influence, il ouvre des portes au correspondant. Enfin, notons la présence d’une seule femme, Anaïs Valeton [12]. Au total, dans le Finistère, trente-deux souscripteurs sont recensés en 1848.

Une géographie du fouriérisme se dessine : les souscripteurs sont urbains et ils habitent dans le centre-ville bourgeois ; ils sont militaires, pour un nombre conséquent d’entre eux aux constructions navales, aux forges, ou à l’École Navale. Ils sont également responsables de services civils, les postes ou les douanes. Cette géographie recoupe ce que l’on pouvait percevoir des fouriéristes brestois. Elle en montre aussi les limites : elle concerne un nombre conséquent de personnes soumises à mobilité, sans liens étroits avec la ville. La part des officiers de marine s’inscrit dans une tradition de ce corps. L’étude des loges maçonniques brestoises montre que le rapport militaires/civils s’inverse au milieu des années 1830. Cela traduit à la fois la perte de substance du port de Brest au profit de Toulon et la mutation du corps des officiers de marine, qui devient plus conservateur et moins laïque.

Jules-Jean Feillet est un officier respecté et aimé : lors des élections législatives d’avril 1848, il arrive en deuxième position des candidats, sur le navire-école Borda, juste après Lacrosse, le grand favori de l’élection.

L’Algérie : un nouvel exotisme

Il faut prendre en compte la fascination de l’Algérie pour ces hommes. Le port de Brest participe à l’expédition d’Alger, à l’été 1830. Auguste Louvel, né en 1792, commande le brig L’Alcibiade, et ses états de services montrent qu’il est de l’expédition. Charles Pellarin, parti de Brest sur le navire La Médée, évoque la figue d’Eugène Louis Méquet, un cousin de Charles Méquet, qui est l’un des premiers à débarquer à Sidi-Ferruch le 14 juin 1830 [13] Feillet lui-même est élève officier, en Méditerranée, au moment de l’expédition.

L’expédition d’Alger est pour la plupart de ces militaires, devenus élèves officiers dans les années 1830, un fait d’armes incomparable. Érigée près de la forme de Troulan, dans le port militaire de Brest en 1833, la « Consulaire » est une pièce d’artillerie de 7 mètres prise lors de la conquête de la forteresse d’Alger. Ce n’est pas le coq, trônant au sommet du fût, qui doit attirer notre attention, mais les plaques en bas-relief de la base du monument. La plaque de la face ouest représente la France civilisatrice tendant la main à l’Afrique. L’Afrique est représentée par une femme à la poitrine dénudée, assise à même le sol à l’ombre d’un palmier. La lumière darde ses rayons vers l’Afrique et dissipe les ténèbres. La France apporte technique, science et médecine ; l’Afrique l’attend, entourée des richesses naturelles de son sol. Cette allégorie accompagne nombre de ces jeunes officiers [14]. Un phacochère, à peine esquissé, crée un monde onirique. La plupart des officiers favorables à la société de colonisation projetée, ont commencé leur carrière sur les routes maritimes d’Afrique de l’ouest et des Antilles. Ils en connaissent le système colonial, fondé sur l’esclavage. Ils rêvent sans doute de s’en affranchir et de mettre en valeur de nouveaux territoires, en échappant à cette logique d’exploitation.

Il ne faut pas négliger cependant, parmi les souscripteurs, la volonté d’un placement intéressant, et d’une expérimentation économique Les sommes engagées ne sont pas minimes (cinq cents à mille cinq cents francs), la présence d’hommes intéressés par l’agriculture, et propriétaires fonciers (les Kerjégu ou les Pompéry) en témoigne.

Plaque ouest de la Consulaire, 1833, port militaire de Brest
Photographie F. Michel, 2008

Document 3

Jules-Jean participe à l’aventure de Saint-Denis-du-Sig plusieurs années : en 1856, il fait partie de ceux qui prêtent de l’argent à l’Union pour lui permettre de survivre, mais son enthousiasme s’est refroidi, comme semble l’indiquer le montant de son apport (50 Fr).

La campagne législative d’avril 1848

La chute de la monarchie constitutionnelle, en février 1848, ouvre une période d’élections. Brest, ville de la Marine, doit-elle présenter des candidats issus de la « démocratie maritime », tel que le journal L’Océan le souhaite ? [15]. Les candidatures sont multiples et les comités électoraux essaient de présenter des hommes issus des différents milieux. Très peu ont une audience départementale. Feillet est l’un des deux seuls militaires d’active à se présenter, parmi cinquante-cinq candidats. Tout comme Aristide Vincent, autre candidat malheureux, Feillet ne dispose pas de réseaux suffisamment étendus, et sa voix ne tranche pas avec le discours général. Sa candidature est une candidature de témoignage : il comprend rapidement que les comités locaux, en validant certaines candidatures et en repoussant d’autres, ne permettront pas à ses idées d’être diffusées. Le journal L’Océan donne la parole aux candidats en mars, et nous pouvons retenir les principaux traits de son programme : « Voici mon programme : la république de 1792 a détruit l’ordre ancien ; la République de 1848 doit constituer l’ordre nouveau. La République doit fonder l’ordre sur la liberté. Tout BON CITOYEN doit accepter, sans ARRIERE-PENSEE, l’ordre des choses actuel et concourir, avec dévouement à la consolidation et au développement des institutions républicaines » [16].

Il développe son programme autour du respect de la propriété, de la famille, des croyances et du droit au travail garanti. Il préconise la « prévoyance sociale étendue à tous les faibles par la création : 1° De caisses de réserve pour les invalides du travail ; 2° De banques agricoles pour développer la première de toutes nos industries déshéritées jusqu’à ce jour de tous moyens d’action ; 3° De comptoirs d’escompte pour soustraire le petit et le moyen commerce aux exigences de la haute finances ; 4° de crèches, de salles d’asile, écoles d’arts et métiers, fermes écoles, etc., Union fraternelle entre les chefs de l’industrie et les travailleurs. Création d’un ministère spécial de l’agriculture. Création d’un ministère du progrès. » [17]

Proche d’Émile Souvestre, seul homme politique à esquisser une campagne départementale, hors des cercles de notables, Feillet subit le contrecoup des luttes qui cherchent à éliminer Souvestre. Ce dernier n’est pas élu, mais avec plus de 44 000 voix, il est le premier des perdants.

L’attachement aux idéaux fouriéristes

Après 1849, Feillet collabore régulièrement au journal L’Armoricain, se cantonnant désormais à des articles généraux. Ainsi relate-il en 1851 les régates, données lors des fêtes maritimes, dont quelques années plus tôt Aristide Vincent, un autre fouriériste, avait pris l’initiative. Il y voit un moyen extraordinaire de progrès dans la science nautique, qui peut permettre « d’égaler bientôt nos rivaux (les Anglais) ». Il est passionné par la technique navale, des navires à vapeur qui commencent à révolutionner la marine de guerre aux navires à voile dont il souhaite développer la plaisance. Il fonde, en 1865, la société des régates brestoises [18]. Après un séjour au Chili - à l’issue de son activité dans la Marine (1857), il est mis à la disposition du gouvernement chilien et signe un engagement de 5 ans pour remplir les fonctions de Directeur de l’école des gardes marines au port de Valparaiso - il passe sa retraite, à défendre un certain nombre de projets de développement dans le domaine maritime, et se rapproche de Jules Duval, l’ancien directeur de la société de colonisation de Saint-Denis-du-Sig, alors à la tête du journal L’Économiste français. Il poursuit sa propagande fouriériste comme l’atteste une correspondance publiée dans le Journal des initiés, qui accueille des informations sur le mouvement sociétaire, des articles de fouriéristes, et des lettres de militants phalanstériens ; ainsi, en février 1863, il propose « une souscription permanente de tous les travailleurs de France, à 10 centimes par semaine, pour former une caisse de prévoyance en vue de toutes les éventualités de chômage et autres vicissitudes auxquelles le travail peut être exposé dans tous les départements » ; il s’agit de « remplacer l’aumône par l’assistance mutuelle et fraternelle ».

Se sentant isolé à Brest, où il ne rencontre plus guère ses anciens amis phalanstériens, il correspond avec la rédaction du journal La Science sociale, qui regroupe les partisans de la cause phalanstérienne autour de François Barrier, à la fin du Second Empire [19]. Il adhère également au projet de Cercle parisien des familles, destiné à offrir un lieu de rencontre et de détente pour les fouriéristes et les sympathisants :
« Revenons à la création actuelle du cercle phalanstérien [le Cercle des familles], c’est une excellente idée, et je désire vivement qu’elle fasse son chemin. La première chose à obtenir, en effet, c’est de mettre en contact les hommes destinés à agir de concert. Les éléments de progrès se forment ainsi [...]
Le groupe parisien vient de faire preuve d’un libéralisme plus grand que tout ce qui s’est vu jusqu’ici en composant de femmes en majorité, le conseil d’administration du cercle, aussi croyé-je que malgré la perte très grande pour l‘École de l’éminent Barrier, nous allons être appelés à travailler très activement. Sur le point où je suis, les phalanstériens n’existent plus que de souvenir. Je ne vois même aucun des anciens condisciples brestois qui [mot illisible] encore se dire phalanstérien. Cela ne me décourage pas, mais je comprends la nécessité de me tourner d’un autre côté pour ne pas perdre mon temps, et je me tourne naturellement vers le centre » [20].

Feillet n’abandonne donc jamais le réseau créé lors de l’Union agricole d’Afrique, même s’il ne cotise plus à la société. L’un de ses articles dans la Science sociale est un hommage à une femme qui préconise l’exercice féminin de la médecine. Un second article (décembre 1868) s’adresse à Charles Pellarin, qu’il qualifie de condisciple ; son courrier est un éloge aux constructeurs du canal de Suez, et à son concepteur, Ferdinand de Lesseps [21]. Il y voit une grande aventure, « la plus belle entreprise humanitaire qu’on eut jamais tentée », comme le fut jadis « la pauvre Algérie », désormais dévoyée par le gouvernement français. Le canal de Suez devient le symbole de la victoire de la paix et le temps où les « bienfaiteurs de l’humanité reprendront bientôt leur droit à l’admiration, à la reconnaissance et à l’amour de tous ! » Dans son article sur Feillet, Marie-Françoise Bastit-Lesourd note les liens étroits d’amitié qui au fil des ans se sont tissés entre les familles Feillet et Rousseau, les fondateurs du domaine de Kéremma, en Tréflez, dont Louis fut le chef de file saint-simonien, puis quelque temps fouriériste, en Finistère.

Il participe cependant à la vie locale, mais il est condamné pour diffamation envers le maire de Brest, en 1867. Il souhaite se présenter au conseil municipal en 1870. Pourtant, si trois de ses anciens condisciples, Allanic Béléguic et Vignioboul, sont élus, en août 1870, actant la poussée républicaine dans la ville, Feillet ne passera jamais le cap de l’élection. Après la chute de l’Empire, les élections municipales de 1871, confirment le triomphe de partisans de Gambetta ; Feillet n’en fait pas partie.

Parallèlement, il commence à pratiquer l’homéopathie, qu’il qualifie dans une lettre au cercle parisien des familles, de « médecine de charité ». Il peut ainsi « fournir les remèdes gratuitement en donnant les soins ; et ceux qui le peuvent le paient. » (27 juillet 1870). Cette intrusion dans le monde médical lui coûte son retour en politique et un procès en 1871. Condamné une seconde fois en 1874, cette fois-ci lourdement, il quitte Brest pour l’Ille-et-Vilaine, puis est de retour en 1875, sur la ville. Ses condamnations, surtout celle de pratique illégale de la médecine, lui valent une suspension de six mois de l’ordre de la légion d’honneur [22].

Dès 1870, il manifeste son intérêt pour la Maison rurale de Ry [23]. Son soutien s’affirme en 1871 et 1872, avec de longues lettres envoyées à Adolphe Jouanne et la promesse d’un soutien financier régulier. Il considère que la Maison rurale doit recevoir le soutien de l’ensemble des fouriéristes, car son succès probable va démontre la validité des thèses fouriéristes ; et le bulletin publié par Jouanne doit devenir l’organe de l’Ecole, puisque celle-ci n’a plus de périodique. Cette correspondance lui permet aussi d’exprimer ses convictions : la fin prochaine du « vieux monde » et la nécessité de « préparer la réédification » en s’appuyant sur la doctrine phalanstérienne et en passant à la réalisation, afin de montrer à l’opinion « des applications fécondes de nos idées sur le travail attrayant » [24]

Lettres de Feillet au docteur Jouanne

Document 4

Puis il perd le contact avec l’Ecole sociétaire. On le retrouve cependant membre d’une association, « L’adoption, société protectrice des enfants abandonnés », fondée par la fouriériste et romancière Marie-Louise Gagneur ; cette société fusionne en 1881 avec la société des Orphelinats agricoles d’Algérie, qui vient de naître sous la direction du fouriériste Couturier, et qui reprend en location le domaine de Saint-Denis du Sig pour y accueillir des orphelins métropolitains ou recueillis par l’assistance publique en Algérie [25].

Feillet décède à Brest le 10 février 1886. De ses quatre enfants, Céline, née en 1856, débute une carrière en littérature, fréquente la famille Rousseau, puis entre sur le tard en religion, exemple suivi par deux de ses nièces ; Paul, est officier de santé puis percepteur ; Lucie épouse le chef d’orchestre de l’opéra de Brest, Théodore Lécureux. Au fil du siècle, s’estompe l’engagement fouriériste de la famille, qui est de plus en plus imprégnée par un catholicisme militant.