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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

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Armand, F. et Maublanc, R., Fourier, 2 vol., Editions sociales internationales, Paris, 1937 (264 et 263 p. ; l’ensemble frs. fr. 25. -)
Article mis en ligne le 5 janvier 2011
dernière modification le 2 octobre 2016

par Benjamin, Walter

Fourier a cherché toute sa vie à se porter à la rencontre du public par son mode d’écriture. Avant tout, il s’efforce de s’adapter aussi largement que possible à sa passion « papillonne », à son envie de distraction. Ce faisant, il recourt à des procédures qui rappellent Jean Paul (auquel le relie en effet une profonde parenté) ; de façon cocasse, il entremêle le texte de prologues et préambules, de postambules, de corollaires, d’appositions ou d’intermezzi, et en outre il s’invente de nouveaux signes, inconnus dans les réserves de l’écriture ordinaire, comme marques identitaires d’une formation de groupes répondant à une philosophie bien particulière. Avec tout cela, il a énormément compliqué la lecture suivie de ses livres, et légitimé à peu près comme personne d’autre les tentatives d’anthologie à partir de son œuvre. Elles ont eu lieu plus d’une fois ; l’une, récente, d’A. Pinloche a été signalée ici même en 1934 (p. 291 et suiv.)

L’anthologie d’Armand et Maublanc se différencie très avantageusement des précédentes. Elle va plus loin dans la fragmentation du texte que ce n’était jusqu’alors advenu. La chose se révèle fort justifiée. Non seulement parce que, ainsi, suscité par les mots-vedettes, les slogans ou les thèses qui servent aux éditeurs à intituler les fragments, l’attrait que Fourier a cherché à conférer à ses écrits se fait réellement sentir ; mais parce que, en outre, cette façon de procéder se voit suggérée par la technique de composition qu’adopte Fourier lui-même. Ce curieux homme s’est montré quelque peu arriéré dans ses écrivailleries. Exactement comme avec les écrivains et rhéteurs du 17e siècle formés aux gradus ad Parnassum, on se heurte chez lui à quantité de tournures stéréotypées, dont il enrichit son texte à toute occasion, tournures empruntées certes pas à la convention classique, mais à ses propres cahiers d’études. Il fallait éviter ce genre de répétitions, et les éditeurs y sont parvenus.

Maublanc a déjà prouvé par une édition de l’érotologie fouriériste [1] qu’il a une particulière compréhension des excentricités de l’auteur. En attribuant à ces « éléments romanesques » — ainsi les nomme-t-il dans l’introduction — une place de première importance dans sa sélection, il oriente le lecteur vers cet aspect de Fourier qui fut aussi le plus attirant pour Marx et Engels. Fourier apparaît en effet, à travers la sélection en question, comme l’écrivain qui oppose avec un humour naïf sa « colossale vision de l’homme … à la modeste médiocrité de l’homme de la Restauration ». Ces mots renferment la clé de nombreuses divagations fouriéristes, et on peut se demander avec les éditeurs si Fourier en personne ne les a pas apprêtées de la sorte. En tout cas, leur humour cache une impitoyable critique de ses contemporains (semblablement, il y a maintes fois un élément satirique logé dans l’humour de Daumier). Parmi les trois parties majeures de l’anthologie, les éditeurs ont réservé celle du milieu à la critique de l’ordre social, à laquelle Fourier s’est livré en partant de ses expériences de vendeur. Quant aux deux parties restantes, l’une traite de la « Philosophie générale de Fourier », l’autre de l’ « Utopie phalanstérienne ». Le rapport de tension que la première section entretient avec la troisième, le déisme du métaphysicien avec l’hédonisme de l’utopiste, peut donner à penser à l’historien. Il se peut qu’en Fourier qui, comme le note l’introduction, fut à proprement parler un homme du dix-huitième siècle, ledit siècle, qui a produit un Bayle à côté d’un Swedenborg, un Basedow à côté d’un Sade, apparaisse concentré dans sa nature contradictoire.

Recension parue dans la rubrique « Mouvement social et politique sociale » de la revue Zeitschrift für Sozialforschung publiée à la Librairie Félix Alcan en 1937 (6e année, cahier 3), p. 699-700.

J — Revue de recherches sociales 6 (1937), 699 et suiv. (Cahier 3).

Renvois : 509, 29 A. Pinloche] cf. Compte-rendu de ce livre par Benjamin, 427 et suiv. — 510, 15 Erotologie] cf. Charles Fourier, Hiérarchie du cocuage. Edition définitive colligée sur le manuscrit original par René Maublanc, Paris o.J. — 510, 17 Eléments] cf. Armand et Maublanc, l.c., 206 : « Nous avons fait une large part […] au Fourier romancier — 510, 38 note] cf. l.c., 205