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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

70-72
Quaderno Filosofico, n° 14-15 (1989)
Università degli studi, Dipartimento di filosofia, Lecce, 1989. 282 p.
Article mis en ligne le décembre 1992
dernière modification le 7 août 2004

par Dubos, Jean-Claude

Dans son n° 14-15 daté de 1986 mais publié en juin 1989, la revue du département de philosophie de l’Université de Lecce publie - en français - 10 des 36 communications présentées en mai 1986 au colloque sur “Les socialismes français, 1769-1866”, organisé à l’École normale supérieure à Paris par la Société des études romantiques.

Cinq d’entre elles nous intéressent particulièrement, et tout d’abord celle du regretté Fernand Rude, “Le mutuellisme, ’Philosophie de la misère’ lyonnaise”, (pp. 32-57) dans lequel on retrouve la maîtrise coutumière de l’historien des canuts et du mouvement ouvrier lyonnais. Est-il besoin de rappeler ici que le fondateur du mutuellisme, Michel Derrion était, comme le souligne Fernand Rude, “un ancien saint-simonien passé au fouriérisme” ?

La deuxième communication, celle de notre amie Joan Fornasiero, professeur à l’Université d’Adélaïde (Australie), “Pour une révision du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français de J. Maitron” (pp. 58-78), lui fournit l’occasion de retracer la carrière d’un certain nombre de fouriéristes, connus comme Jean-Augustin Barral et César Daly, ou moins connus comme Félix Tourneux et Charles Sauvestre. Les fouriéristes dans le Dictionnaire de Maitron mériteraient certainement une étude exhaustive, que nous entreprendrons peut-être un jour, car leur traitement y est fort inégal. Alors que certains - Cantagrel, de Bonnard, Jænger, Lechevalier, B. Mure, etc. - font l’objet de notices détaillées et extrêmement précieuses, la plupart sont réduits cependant à une mention très brève et parfois même erronée, comme Paul-Émile Vigoureux, que le Maitron marie à sa propre mère, Clarisse Vigoureux, à qui il avait servi de prête-nom lors de la création du journal Le Phalanstère en 1832, erreur reprise notamment par Mme Desanti dans son ouvrage Les Socialistes de l’Utopie. En tout état de cause, chaque fois que la possibilité s’en présente - et particulièrement en ce qui concerne Jean-Augustin Barral, Adrien Berbrugger, François et Clarisse Coignet, César Daly, etc -, on aura intérêt à se reporter aux notices du Dictionnaire de biographie française de Roman d’Amat, qui fournissent un utile complément.

Sarane Alexandrian, auteur de la troisième communication, “Actualité de Fourier” (pp. 79-89), s’est attaché à montrer que “son œuvre, loin d’être une curiosité littéraire, apporte des solutions à divers problèmes que l’on se pose aujourd’hui.” Il souligne avec raison que Fourier a beaucoup souffert d’être traité d’utopiste, et que ses disciples furent “ des ingénieurs, des professeurs, des médecins, des magistrats, des officiers, des architectes, des ouvriers qualifiés, tous plus ou moins éminents. ” Pour M. Alexandrian, “la société moderne est fouriériste sans le savoir. Nous sommes dans la sixième période qu’il appelait garantisme.” Et de citer le SMIC, le droit au travail, l’organisation du travail, l’ONU, dont, selon lui, la première description aurait été donnée par Considerant dans Destinée sociale en 1838, le droit des femmes d’accéder à tous les métiers et à tous les honneurs. Tout cela est certain, mais il est malheureusement bien d’autres points sur lesquels le monde moderne s’éloigne de Fourier, qui avait, rappelons-le, horreur du gaspillage industriel. Nous sommes toujours dans une société où “la pauvreté naît de l’abondance même” et où surtout les progrès réalisés sont loin de s’appliquer “à toutes les races, à la terre entière” comme le voyait, au lendemain de la mort de Fourier, une de ses disciples les plus enthousiastes, Zoé Gatti de Gamond.

Biographe et exégète reconnu de la pensée de Charles Fourier, Émile Lehouck a consacré ses réflexions à “Charles Fourier et les origines de l’écologie moderne” (pp. 90-102). Fourier précurseur de l’écologie, ceci ne souffre guère de contradiction, mais l’intérêt de l’étude de M. Lehouck est de montrer que Fourier a eu lui-même un précurseur - avoué - en la personne d’un ingénieur des ponts-et-chaussées nommé Rausch, auteur d’un ouvrage fondamental où se trouve développé pour la première fois le principe de l’influence des forêts sur le climat. Défenseur de l’air pur, de l’eau pure, “les ruisseaux sont aux campagnes ce que les veines sont au corps humain” écrit-il, Fourier part aussi en guerre contre la dégradation des aliments grâce aux inventions de la chimie.

Dans la dernière communication qui nous retiendra, “Poésie et idéologie, bref inventaire de l’œuvre de Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé” (pp. 168-188), Peter Hambly continue l’inventaire qu’il avait commencé en 1974 dans l’Australian Journal of French Studies de l’influence de Charles Fourier sur les poètes de son temps ; après Sainte-Beuve, Victor Hugo, Béranger, Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Louis Festeau, Pierre Dupont et Théophile Gautier, voici maintenant Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé. Pour M. Hambly, tous les trois auraient connu Fourier à travers l’œuvre de Toussenel, particulièrement Le Monde des oiseaux, mais les vers célèbres de Baudelaire ("Là tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté") qui évoquent en effet de façon saisissante le monde idéal rêvé par Fourier seraient simplement - avec le génie en plus - la réminiscence d’un article publié dans La Phalange en 1846 par Désiré Laverdant, “ Artistes, venez... venez à ce monde nouveau où tout est luxe, splendeur, beauté, amour, ineffables harmonies. ”

Saluons ici l’initiative de l’Université de Lecce qui a publié ces communications - les autres, dont celle de Peter Byrne sur Parole de providence de Clarisse Vigoureux et celle que nous avions consacrée à “ Just Muiron et les débuts du fouriérisme à Besançon, 1816-1832 ” devraient paraître cette année au CDU-CEDES -, en regrettant toutefois que de nombreuses coquilles déparent ces textes, dont les auteurs ne semblent pas avoir eu la latitude de corriger eux-mêmes les épreuves.