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Bonnard (de), Arthur (Charles), dit Gallus
Article mis en ligne le 16 juin 2008
dernière modification le 8 février 2022

par Desmars, Bernard

Né le 28 germinal an XIII (18 avril 1805) à Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire), mort le 20 janvier 1875 à Asnières (commune alors situé dans le département de la Seine ; aujourd’hui dans les Hauts-de-Seine). Médecin, fouriériste dissident, coopérateur.

Arthur de Bonnard naît dans une famille noble, au château de La Nivardière (commune de Beaumont-en-Véron), près de Tours (Indre-et-Loire). Il entre à l’Ecole militaire de Saint-Cyr en 1822, afin de suivre une carrière militaire, comme son père. Sorti officier en 1824, il démissionne de l’armée en 1828 et part étudier la médecine à la faculté de Montpellier. Interne aux hôpitaux de Lyon, il obtient son doctorat en 1831.
Son mariage (avec Sophie Eléonore de Meaulne) et des difficultés pécuniaires l’obligent à interrompre ses activités scientifiques et médicales pour occuper un emploi plus rémunérateur ; il prend en 1833 un poste de percepteur des contributions directes à Witry-lès-Reims (Marne), fonction qu’il abandonne après le décès de son épouse survenu le 30 juin 1835. On le retrouve peu après à Paris, où il exerce la médecine.

Nouvelles thérapeutiques pour un nouveau monde

Dans ses pratiques thérapeutiques, Bonnard manifeste, comme d’autres fouriéristes, beaucoup d’intérêt pour les nouvelles doctrines médicales, grâce auxquelles l’on pourrait soigner les malades de façon différente, en évitant le recours à des techniques trop brutales comme la saignée ou l’amputation. Dans « l’Institut hémostatique » fondé à Montmartre, il agit sur la circulation du sang à l’aide d’un système de ventouses. Il y pratique également l’aéropiésie, qui utilise l’air comprimé sur des malades souffrant de maladies respiratoires, en les enfermant dans des « chambres aéropiésiques ». En plus de l’Institut, de Bonnard possède également un établissement situé chaussée d’Antin, les Néothermes, où il pratique l’hydrothérapie.
L’« Institut hémostatique » est favorablement présenté en 1839 dans l’organe fouriériste Le Nouveau Monde qui déplore le silence ou la méfiance entourant son auteur.

Pensez-vous que dans l’état actuel, M. de Bonnard sera dignement récompensé ; qu’il trouvera justice, aide et appui ; que les hommes de la science lui prêteront leur concours ; que la presse quotidienne tâchera de populariser un système si bienfaisant. Vous vous trompez ; M. de Bonnard subira le sort de tous les inventeurs ; il sera forcé de lutter contre les préjugés, contre la routine, contre la mauvaise foi.

Le rédacteur fouriériste ajoute :

[Ce nouveau] système [thérapeutique] est en parfaite harmonie avec la théorie de notre maître. Le principe que Newton a découvert dans le mouvement du monde matériel, que Fourier a trouvé dans les cinq branches du mouvement universel, M. de Bonnard l’a appliqué au mouvement, à la circulation du sang. La santé, selon lui, c’est l’harmonie de la circulation ; la rétablir, en cas de souffrances, telle est la tâche du médecin. Il le fait sans saignées, sans médicament, à l’aide de la machine pneumatique qu’il a perfectionnée et adaptée au service du corps humain [1].

Dans le numéro suivant, c’est Bonnard lui-même qui prend la plume pour présenter ses techniques médicales ; il conclut : « Je rappellerai dans la vraie route une thérapeutique encore aujourd’hui boiteuse et impuissante, et je guérirai l’homme malade par la modification multiple, simultanée, mobile ou constante des milieux qui l’environnent » [2]. Son Institut est un établissement de soins, mais aussi un lieu de recherches, où Arthur de Bonnard élabore de nouveaux appareils, réalise des expériences, avec des résultats qu’il avoue lui-même inégaux.

Un disciple réalisateur et coopérateur

Bonnard, à la fin de ces années 1830, est un disciple de Fourier ; Le Nouveau Monde déclare en octobre 1839 le compter « désormais au nombre de [ses] collaborateurs » [3] Le 1er novembre, Le Nouveau Monde publie les noms des membres de son comité de rédaction : Arthur de Bonnard en fait partie. Le numéro du 21 novembre signale la parution de son Du sang et de la circulation. Il signe l’« Appel des disciples de Fourier » destiné à inaugurer une période de réalisation phalanstérienne le 21 janvier 1840 : « Mettons-nous à l’œuvre, et le phalanstère surgira. » Il est cité parmi les membres du groupe fouriériste l’Union harmonienne [4]. Il fait donc partie, au sein du mouvement phalanstérien, des « dissidents » qui se prononcent pour une application rapide des principes sociétaires et qui reprochent à Victor Considerant et aux « orthodoxes » de rester dans le domaine de la propagande. Son rôle s’accroît rapidement au sein de l’Union harmonienne ; membre d’un « comité de souscription pour la fondation du premier phalanstère » [5], il est président du Comité central du groupe du Nouveau monde (décision du 30 juillet 1841 rapportée dans Le Nouveau Monde du 1er août 1841, où Bonnard appelle à l’union). Il est l’un des orateurs lors de la cérémonie organisée en octobre 1841 en mémoire de la mort de Fourier [6]. Le Nouveau monde du 1er décembre 1841 publie un compte rendu très élogieux sur sa Théorie sociétaire de Charles Fourier. Unité de propagation composée, basée sur une opération de commerce véridique En décembre 1841, Czynski cède la propriété de ses deux publications, Le Nouveau Monde et Le Premier Phalanstère à A. de Bonnard qui veut en faire des organes de propagande en faveur de la coopération.
Reprenant la critique de Fourier envers le « commerce mensonger » et dénonçant les prix excessifs pratiqués par le monde du négoce ainsi que les fraudes sur la qualité des produits, il cherche à établir de nouvelles formes d’échanges qui constitueraient un « commerce véridique ». Déjà membre de l’association La Boulangerie véridique fondée en 1838 par Andron, un ouvrier ébéniste [7], il s’efforce de créer un nouvel organisme, qui mettrait en relation les vendeurs et les clients, et qui garantirait la qualité des produits ainsi que la justesse des prix : c’est la « Maison sociétaire de commission centrale véridique », présentée en décembre 1841. Le Nouveau Monde doit servir à publier les « annonces véridiques ». L’entreprise échoue cependant très rapidement (elle ne survit sans doute pas au mois de janvier 1842), emportant avec elle une partie des ressources de Bonnard [8]. La publication du Nouveau monde est suspendue pendant environ une année, tandis que Le Premier Phalanstère disparaît.
Dans la première moitié des années 1840, l’Union harmonienne est traversée par des dissensions ; alors que certains partent s’établir au Brésil, que d’autres s’installent à Cîteaux, quelques-uns, dont Arthur de Bonnard, projettent un départ pour le Texas, qui n’a finalement pas lieu.
Le docteur de Bonnard, qui connaît alors des difficultés financières et est poursuivi par ses créanciers, quitte Paris pour le département de la Meurthe, d’abord à Pont-à-Mousson ; il y dirige pendant quelques mois un Institut hydrothérapique en association avec un autre médecin, le docteur Geoffroy. A l’automne 1842, s’étant séparé de son confrère, il tente de fonder son propre établissement dans la même ville (voir document ci-dessous)

Brochure sur l’Institut hydrothérapique de Pont-à-Mousson [1842]

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Puis il s’installe pendant l’année 1843 dans la périphérie de Nancy, à Boudonville. Là, il crée « un Institut hydrothérapique » également appelé « Villa sociétaire », où, dit-il, l’on soigne par l’hydrothérapie, mais aussi par « le bon air », la variété et la qualité de l’alimentation, les promenades et les distractions ; on peut aussi y accueillir des « sociétaires » bien portants. Cet établissement ne fonctionne vraisemblablement que quelques mois, vers 1845 [9]. Au même moment, Bonnard se marie avec Aimée Victoire Bignet, avec laquelle il vit depuis déjà plusieurs années ; leur premier enfant naît à Paris en 1839, et, lors du mariage, le 16 juin 1845, ils en ont trois, le quatrième naissant au mois de septembre suivant [10].
Pendant ce séjour lorrain, A. de Bonnard publie Organisation d’une commune sociétaire d’après la théorie de Charles Fourier ; il y décrit les progrès du mouvement fouriériste en France et dans plusieurs pays étrangers ; puis il propose l’acte d’une future société phalanstérienne, en tenant compte des difficultés éprouvées par les tentatives précédentes. Cet ouvrage, « dédié aux réalisateurs », a donc pour but de susciter les initiatives et la réalisation d’une commune sociétaire. En 1845-1846, il est également signalé comme collaborateur de la Correspondance des disciples de la Science sociale, un éphémère bulletin publié par les dissidents [11].

Socialisme et République

Arthur de Bonnard retourne à Paris en 1846 ou 1847 ; toujours plein de projets, et afin de « prévenir la catastrophe sociale [qui] ne peut tarder à éclater » à cause de la misère du peuple, il fonde une nouvelle association, la Société de justice et de vérité pratique, destinée « à éclairer les classes supérieures sur les dangers de leur indifférence et de leur inertie, porter à leur connaissance les vérités de la science du mouvement social, notamment leur apprendre à organiser la bienfaisance et la charité productive qui relèvent le moral du travailleur et permettent de l’aider utilement et honorablement pour lui-même et pour la société qui le protège » [12]. Cette société annonce en avril 1847 la création d’ateliers de confection, qui donneront du travail à des ouvrières dans la misère ; elle prévoit aussi la formation d’une coopérative de consommation, afin de réaliser le « commerce véridique » et de diminuer le coût des produits de première nécessité pour les plus pauvres ; Bonnard compte pour cela sur l’aide des femmes de la bourgeoisie, car « il faut que celles qui sont dans l’aisance sauvent par le travail organisé les femmes pauvres que la misère entraîne fatalement au mal », écrit-il [13]. A la même époque, la Société de justice et de vérité fonde une « Ecole neutre », également dirigée par de Bonnard, qui devrait rassembler « les socialistes de toutes nuances, réformistes, hommes de bonne foi appartenant à toutes les opinons et à tous les cultes », qui, après discussion, pourraient établir « les points fondamentaux sur lesquels on est tous d’accord » et ainsi constituer « une orthodoxie socialiste large et compréhensive » ; ensuite, « on concentrera une masse importante de forces aujourd’hui éparpillées » pour diffuser cette « orthodoxie socialiste » qui sera ainsi reçue « beaucoup plus vite par le monde civilisé ». Pour faire partie de cette Ecole, il faut cependant accepter un ensemble de principes, auxquels on peut reconnaître une forte inspiration fouriériste (« substitution graduelle de l’attrait à la contrainte morale ou physique dans l’organisation du travail » ; « association intégrale de toutes les ressources individuelles » ; « éducation intégrale et gratuite pour tous », « exercice alternatif des facultés morales, intellectuelles, industrielles de chaque travailleur »...), même si le nom du Maître n’est pas cité, pas plus d’ailleurs que celui d’autre théoriciens socialistes [14].
Dès les lendemains de la révolution de Février et l’établissement de la Seconde République, Arthur de Bonnard s’engage très activement en faveur non seulement du nouveau régime politique mais surtout d’une véritable transformation sociale ; il fonde la « Ligue du Salut social », qui, dans un appel daté du 3 mars 1848 et adressé « à M. le baron James de Rotschild [sic], par le citoyen docteur Arthur de Bonnard », promet une « révolution commerciale » avant la fin du mois si l’homme d’affaires apporte son aide et rompt avec « la féodalité banquière, mercantile et industrielle dont [il est] le chef en France ». Critiquant « le commerce anarchique, mensonger, falsificateur, empoisonneur et liberticide », Bonnard continue son combat pour un « commerce véridique » fondé sur un réseau de comptoirs coopératifs, dont les bénéfices, placés dans une « caisse de l’organisation du travail » seraient employés à « l’éducation intégrale » des enfants, aux secours pour les veuves, les orphelins ; un « ministère du progrès » favoriserait l’installation des manufactures en campagne afin de désengorger les villes surpeuplées... [15]. En avril, il publie un manifeste dans lequel il reprend les mêmes thèmes : critique du système commercial ; utilisation des bénéfices au profit des plus pauvres.... tout en précisant le financement et le fonctionnement de l’organisation commerciale. Le système proposé, observe Jean Gaumont, historien de la coopération, contient les principes appliqués quelques décennies plus tard par toutes les grandes sociétés coopératives ; et s’il est certes « exposé sous une forme naïve » et comprend quelques lacunes, il « s’est peu à peu réalisé par la suite » [16]. Cependant, au-delà des premiers bénéfices procurés par la coopération, Bonnard voit dans ces associations « la préface d’un avenir sublime », car grâce aux coopératives ouvrières et aux « armées industrielles » qui assécheront les marais, reboiseront, défricheront..., la production nationale augmentera et « tout le monde sera bien nourri, bien logé, bien vêtu » [17].
Alors que la Seconde République déçoit ceux qui en attendaient de profondes réformes sociales, Bonnard continue à souligner la nécessité de ces changements, indispensables pour que soit close l’ère des révolutions politiques et des changements de régime. Il exprime ces convictions dans un journal, Le Salut social, dans lequel il promeut « l’organisation du travail par l’association » comme solution aux problèmes sociaux ; surtout il y dénonce, à côté de « la guillotine politique », « la guillotine de la faim », ainsi que « l’exploitation de l’homme par l’homme » ; il lance un « appel aux opprimés » afin qu’ils prennent la parole [18]. Sans doute le ton adopté dans ce journal et l’évolution conservatrice de la République expliquent-ils sa brièveté. Son second et dernier numéro (daté des 23-25 juin) paraît alors que les barricades s’élèvent dans les quartiers populaires de Paris et que des affrontements très violents opposent les émeutiers et les gardes nationaux. Sans que l’on connaisse précisément les causes de la disparition du journal, il est évident que cet « appel aux opprimés », dans ce contexte, n’a pu apparaître que comme une provocation pour le pouvoir.
A. de Bonnard essaie aussi de propager ses idées par la parole et la discussion ; il fonde et/ou préside plusieurs clubs (le club du Salut social, l’Association fraternelle médicale, au printemps 1848, et à l’automne le club du Château des Brouillards et le club électoral de la Redoute) [19] ; il expose également ses idées lors de conférences, comme celle où il présente le « plan d’association fraternelle générale de production et de consommation », en décembre 1848 [20].
Cependant, cet activisme suscite l’inquiétude du pouvoir, désormais aux mains du parti de l’Ordre. En mars-avril 1849, Bonnard est poursuivi et emprisonné à la suite de ce que Jean Gaumont qualifie de « répugnante machination de police » ; avec quelques amis, il est accusé d’escroquerie et d’abus de confiance pour avoir détourné de l’argent collecté pour une association, et il est condamné à 3 ans de prison [21]. Quelques années plus tard, un tribunal d’honneur l’exonère de tous ces soupçons [22].

Sa condamnation pour escroquerie au printemps 1849 est précédée d’une autre : 500 francs d’amende in absentia pour ouverture de club sans autorisation, parce qu’il a organisé le banquet des associations réunies salle Martel le dimanche 21 janvier 1849 et a annoncé l’intention de le renouveler chaque dimanche (Le Droit, 31 janvier 1849).

Pendant plus d’une décennie, Arthur de Bonnard semble abandonner toute activité publique et militante, à l’exception de la publication en 1855 d’un texte proposant à nouveau la création d’une société coopérative, projet apparemment sans suite [23] ; il se consacre à sa famille (il a cinq enfants) et à sa profession, qu’il exerce dans un quartier populaire, dans le faubourg Montmartre ; « médecin des pauvres, il avait fixé à un franc le prix de ses consultations, et oubliait le plus souvent de se faire payer », écrit plus tard l’un de ses amis [24]. Il semble avoir renoncé à ses expérimentations scientifiques (hémospasie, aérospiésie) ; cependant, il reste favorable à de nouveaux traitements thérapeutiques ; il pratique l’homéopathie et promeut ses bienfaits tout en se prononçant contre « la guerre civile dans la science » médicale et pour l’alliance des allopathes et des homéopathes [25] ; Juliette Adam, qui le compte parmi ses amis, se méfie cependant de ses remèdes et recourt à un autre médecin : « certaines fantaisies de mon cher ami, le docteur de Bonnard, sur le traitement des maux de gorge, ne m’inspiraient qu’une confiance relative » [26]. En 1865, il présente un projet de « Villa des enfants » qui recevrait « les enfants faibles de constitution ou convalescents » afin qu’ils respirent « l’air vivifiant de la campagne » [27].
Il reprend des activités publiques au cours des années 1860 et fréquente l’Ecole sociétaire en cours de réorganisation : les disciples renouant en 1865 avec la tradition des banquets célébrant la naissance de Fourier, il y assiste régulièrement et y prononce un discours lors des 7 avril 1868 et 1869 ; il soutient la création d’un organe fouriériste, qui paraît à partir de 1867 sous le nom de La Science sociale [28], et il lui apporte une collaboration ponctuelle [29].
Surtout, il participe très activement à l’essor du mouvement coopératif dans les années 1860. Il fait partie en 1863 des fondateurs de la Société du Crédit au Travail (dirigée par Beluze, gendre et ancien disciple de Cabet), dont la vocation est d’aider au financement des coopératives [30]. L’année suivante, il participe à la création de l’Association générale d’approvisionnement et de consommation ; il est sans doute le rédacteur ou tout au moins l’inspirateur de la brochure présentant la nouvelle coopérative, et dont le texte ressemble fortement au « Manifeste » du printemps 1848, tout en tenant compte des échecs des associations ouvrières sous la Seconde République et des innovations apportées par les coopérateurs anglais de Rochdale [31]. La même année, il figure parmi les actionnaires de L’Association, « bulletin international des sociétés coopératives » publié de novembre 1864 à l’été 1866 [32] ; il est l’un des signataires de l’« Appel aux démocrates » qui annonce l’entrée des coopérateurs sur la scène politique, en faveur de la démocratie [33]. Vers la même époque, il est l’un des membres du comité d’initiative de L’Epargne immobilière, une société coopérative devant recueillir l’épargne populaire et à la diriger vers la construction de maisons à bon marché, dont les sociétaires pourraient devenir les habitants [34]. En 1869, il est le fondateur de la Ligue des consommateurs, qui s’efforce de garantir la qualité des produits et de peser sur les prix en achetant en grande quantité aux producteurs [35]. Cette Ligue publie en mai 1870 Le Progrès coopératif. Moniteur de la Ligue des consommateurs [36].
Son engagement coopératif passe aussi par la plume ; écrivant désormais sous le nom de Gallus, il publie en 1865 La Marmite libératrice ou le commerce transformé. Ce livre d’une grande originalité, « prolixe et loufoque », au premier chef « utopie économique et commerciale », mais aussi « utopie médicale et même, à la limite, [...] utopie écologique » (Henri Desroche, Dans Gallus, La Marmite libératrice, rééd., Paris, Balland, 1978 (4e de couverture et préface p. XXIV).), dénonce les conditions de vie du peuple et montre les bienfaits de la coopération (voir l’extrait ci-joint)

Paroles sorties de la marmite
Gallus, La Marmite libératrice, extrait du chapitre 4.


Il collabore à l’Almanach de la coopération (de 1867 à 1870) ainsi qu’à l’Annuaire de l’Association (1868).
Son adhésion à la coopération reste marquée par ses convictions fouriéristes, dont Jean Gaumont a relevé l’influence, par exemple dans les statuts de l’Association générale d’approvisionnement et consommation : les bénéfices de la société seront restitués aux consommateurs (la ristourne selon le principe de Rochdale), mais aussi aux commanditaires et aux employés (rétribution du capital, du travail et du talent selon le principe fouriériste) ; ils seront également affectés à un « budget de la solidarité », afin de financer des pouponnières et des garderies d’enfants, des bibliothèques, des cours pour adultes des deux sexes, des orphéons, des « villas » accueillant des malades et des convalescents, des infirmes et des vieillards, « avec des conditions de vie collective ou individuelle, calculées pour tous les goûts et pour toutes les aspirations légitimes » [37].

Les visions d’Arthur de Bonnard

A la fin des années 1860, A. de Bonnard élargit ses préoccupations bien au-delà du seul domaine coopératif et publie plusieurs textes sur des questions politiques. En 1867, il envisage la formation d’une confédération européenne avec un « congrès permanent de l’Europe pacifiée et fédéralisée » siégeant à Constantinople, qui réglerait les conflits entre les Etats ; cette Europe serait constituée d’Etats démocratiques dont les frontières seraient redessinées pour tenir compte de la volonté des peuples, mais aussi constituer de vastes Etats (une Ibérie regroupant l’Espagne et le Portugal ; une vaste Confédération danubienne en Europe centrale...). Cette nouvelle organisation, « harmonisant les intérêts », rendrait « inutiles les armées permanentes » qui seraient transformées en « armées industrielles » et contribueraient à l’accroissement des richesses pour le profit de tous. « En l’an 2000, l’instruction étant généralisée et distribuée à chacun proportionnellement à l’intensité et à la variété de ses aptitudes et chacun occupant dans l’atelier social la place indiquée par ses facultés utilisées, tous vivront heureux et contents, parce qu’ils seront rétribués selon leurs œuvres » [38]. Il collabore aussi aux journaux publiés par son ami Fauvety, comme Solidarité [39], puis La Religion laïque, organe de régénération sociale.
En 1870, après la chute du Second Empire, il imagine un nouveau système de recrutement aux emplois publics et aux fonctions électives, afin de vérifier les qualités morales et la profondeur des opinions républicaines des candidats [40]. Après la fin de la guerre contre les Etats allemands, et alors qu’une partie de la France reste occupée, il publie, toujours sur le nom de Gallus, une brochure sur la libération du territoire, puis une autre sur la réforme du service militaire, où il demande la suppression des armées permanentes au profit de « citoyens-soldats », qui apprendraient le métier des armes depuis la petite enfance, en utilisant le goût pour le jeu, jusqu’à l’âge adulte, en passant par l’école primaire.
Mais à la fin de 1871, Arthur de Bonnard est frappé d’une apoplexie, qui, d’après l’un de ses amis, aurait « dérangé l’équilibre de son cerveau, altéré ses facultés intellectuelles et paralysé ses jambes » [41]. En 1872, il déclare que Jeanne d’Arc lui est apparue : elle a sonné à la porte de son appartement parisien et s’est présentée : « je m’appelle Jeanne et je suis née dans le petit village de Domrémy, près Vaucouleurs en Lorraine ». Contestant l’importance donnée aux apparitions de la Vierge et rappelant sa propre lutte pour la libération de la France, sa condamnation et sa mort, elle déclare alors : « je suis donc l’Immaculée et la Martyrisée ; je suis la Sainte de la France. Et si on doit faire un pèlerinage, ce n’est ni à Lourdes, ni à la Salette, mais à Domrémy où mon humble chaumière existe encore, pieusement conservée [...] là se feront les miracles dont nous avons besoin ». Ainsi, « les courages se retremperont, l’amour de la patrie renaîtra dans les cœurs les plus froids, la France retrouvera ses enfants », c’est-à-dire les territoires alsaciens et lorrains annexés par l’Empire allemand. Bonnard, par ailleurs très critique envers la hiérarchie épiscopale, oublieuse selon lui de Jeanne, et accordant trop d’importance aux apparitions de la Vierge, annonce peu après la création d’un « Comité pour l’organisation du pèlerinage » de Domrémy [42].
Ce sont là apparemment ses derniers textes. Il meurt le 20 janvier 1875 à Asnières. L’écrivain Charles Fauvety salue en lui « un des plus vaillants soldats de la démocratie et du socialisme militant » [43]. Plus récemment, Jean Gaumont souligne dans ses différents travaux l’importance d’Arthur de Bonnard dans l’histoire de la coopération, dont il est à la fois un praticien et un propagandiste.