Dans cet article, L. Jenkins observe que les fouriéristes anglais n’ont pas réalisé, ni même véritablement projeté d’expérimentations sociétaires, même s’ils ont pu vaguement en caresser le rêve. Il s’intéresse donc exclusivement au discours qu’ils ont tenu sur la colonisation en s’appuyant sur The London Phalanx, l’organe créé en 1841 par Hugh Doherty, par ailleurs familier des milieux fouriéristes français. Ce dernier est favorable à l’émigration d’ouvriers anglais vers les colonies, façon de résoudre les difficultés sociales, et en particulier de résorber le chômage et le paupérisme générés par la révolution industrielle ; ces départs, pense-t-il, pourraient constituer une alternative intéressante aux workhouses, ces établissements dans lesquels on enferme les pauvres, en particulier depuis la loi de 1834. S’ils soutiennent le processus de colonisation, les rédacteurs de The London Phalanx souhaitent néanmoins que l’État exerce un contrôle plus rigoureux afin d’éviter que les compagnies privées ne reproduisent dans ces nouveaux territoires les procédés de l’exploitation capitaliste et n’y exportent les vices de la Civilisation. Aussi Doherty plaide-t-il en faveur de colonies organisées selon les principes du travail associé, afin que l’émigration et la colonisation deviennent une voie de l’émancipation. Si ces idées n’ont pas reçu d’application concrète, elles ont contribué, écrit l’auteur, au débat public sur la colonisation, en proposant d’autres approches et en suscitant de nouvelles interrogations ; les étudier, ajoute-t-il, et de façon plus générale s’intéresser à des courants d’idées qui ont apparemment « échoué », permet souvent une meilleure compréhension des phénomènes étudiés, ici des enjeux coloniaux. À travers cet exemple, L. Jenkins montre que le fouriérisme anglais, si ses effectifs et ses moyens sont restés réduits, et s’il n’a guère de place dans l’historiographie sur le socialisme anglais de la première moitié du XIXe siècle, dominée par la personnalité et l’œuvre de Robert Owen et de ses héritiers, a néanmoins exercé une réelle influence sur le débat d’idées et sur la pensée socialiste en Angleterre.
Bernard Desmars est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Lorraine. Après avoir étudié la délinquance des premières décennies du XIXe siècle, il s’intéresse depuis quelques années déjà aux militants fouriéristes, et surtout à ce qu’ils deviennent après la Seconde République, aux voies qu’ils empruntent pour réaliser leurs ambitions et concrétiser leurs idéaux. Il participe depuis une quinzaine d’années aux activités de l’Association d’études fouriéristes. Il a récemment publié Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle (Dijon, Presses du Réel, 2010)
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