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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Buisson, Henry
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 2 mai 2016

par Desmars, Bernard

Né le 2 décembre 1854 à Saint-Yrieix (Haute-Vienne) ; mort le 20 juillet 1935 à Saint-Yrieix ; ouvrier peintre, puis directeur d’une coopérative de peinture en bâtiment, dirigeant du mouvement coopératif français. Insiste sur le rôle de Fourier dans la naissance de la coopération, s’efforce d’appliquer le principe de l’association du capital, du travail et du talent dans son entreprise, et noue des liens étroits avec l’École sociétaire entre 1896 et 1900.

Henry Buisson fait son apprentissage d’ouvrier peintre dans sa commune natale, Saint-Yrieix (Haute-Vienne). En 1874, il rejoint Paris et y travaille quelques mois. Il fait son service militaire qu’il effectue en grande partie dans les colonies, dans l’infanterie de marine. Il en sort avec un grade de sous-officier. Rentré à Paris, il est embauché chez son ancien patron.

Henry Buisson (L’Association ouvrière, 25 octobre 1906 - Coll. CEDIAS-Musée social)

En 1881, l’élection d’un délégué pour le congrès ouvrier du Havre suscite des discussions parmi les ouvriers peintres parisiens. Buisson se fait le défenseur de la coopération et le promoteur de la théorie fouriériste de l’association du capital, du travail et du talent. Plusieurs de ses camarades le sollicitent alors pour constituer une coopérative, la société "Le Travail" [1].

Un dirigeant de la coopération

Parallèlement au développement de cette entreprise, il prend des responsabilités au sein du mouvement coopératif en voie d’organisation dans les années 1880-1890. Il collabore à L’Emancipation, le journal de l’Ecole de Nîmes dirigé par E. de Boyve ; en 1889, il entre au conseil d’administration de la Chambre consultative des associations ouvrières de production, fondée en 1884 ; celle-ci publie à partir de 1893 un journal, L’Association ouvrière, dont Buisson est l’un des rédacteurs occasionnels ; la même année, elle crée une Banque coopérative, dont il est le premier directeur. Les fonds de la banque sont en partie alimentés par un don effectué par un de ses amis, le fouriériste Faustin Moignieu. Au milieu des années 1890, il fait également partie des organes centraux de l’Union coopérative des sociétés de consommation, lui-même étant adhérent d’une coopérative de consommation du quartier Montmartre, « Les solidaires ». Enfin, en 1896, il est élu au Comité directeur de l’Alliance coopérative internationale. Pendant cette période, Buisson s’affirme donc comme l’un des principaux dirigeants du monde coopératif français, dont il essaie de rapprocher les deux versants, les sociétés de production et les associations de consommation. D’une conférence et d’un rapport présenté à un congrès international, il tire deux brefs ouvrages : Les Associations ouvrières de production, en 1894 ; Le Rôle de la coopération et son application pratique, en 1897.
Ce second travail est préfacé par Léon Bourgeois, ancien ministre et théoricien du solidarisme. En effet, cette ascension dans le mouvement coopératif se double d’une fréquentation des milieux politiques et sociaux réformateurs ; Buisson entre au Musée social, cette institution fondée en 1894 par le comte de Chambrun pour réfléchir sur les problèmes sociaux (il est d’abord membre de la section des associations ouvrières, puis du Conseil général). Il y retrouve son ami Charles Robert, fondateur de la Société pour l’étude de la participation aux bénéfices, dont il est aussi membre. En 1899, quand la société Le Travail organise un grand banquet pour fêter son seizième anniversaire, elle accueille le ministre Delombre, plusieurs députés, un vice-président du conseil municipal de Paris...

Affirmer les origines fouriéristes de la coopération

On trouve aussi lors de cette manifestation celui qui s’est imposé comme le chef de l’une des tendances du mouvement phalanstérien, Adolphe Alhaiza. Au milieu des années 1890, Buisson noue des liens étroits avec le groupe de la Rénovation. A l’automne 1895, il écrit à cette revue afin d’obtenir un catalogue d’ouvrages disponibles : il souhaite en effet acquérir des livres d’inspiration fouriériste pour la bibliothèque de son entreprise de peinture. « Procédant dans une large mesure des idées émises par Fourier, il nous serait on ne peut plus agréable de recevoir, un jour qu’il vous plaira, votre visite ainsi que celle de toutes les personnes attachées à ces idées et que leur mise en pratique intéresse » [2].
Pendant plusieurs années, Buisson participe régulièrement aux manifestations de l’Ecole sociétaire où il est présenté comme « notre condisciple et notre collaborateur » [3]. Alhaiza, qui préconise le garantisme, c’est-à-dire la transformation sociale par la coopération, la mutualité et l’association, et qui veut cantonner sa propre action à la propagande, est contesté par les partisans de l’essai phalanstérien comme Barat ; Buisson constitue donc pour lui un allié de poids, ainsi qu’un alibi à sa propre inaction sur le terrain pratique. D’autre part, à la même période, Alhaiza est à l’initiative du projet de statue de Fourier. Or, très vite, il apparaît que les forces de l’Ecole et les moyens financiers rassemblés par les condisciples seront insuffisants pour réaliser un monument digne du grand homme. Buisson, là encore, arrive à point nommé et mobilise les milieux coopératifs en soulignant ce qu’ils doivent à Fourier [4]. Leur contribution se traduit principalement de trois façons : des souscriptions supplémentaires, la réalisation de certains travaux pour un coût très modique, voire gratuitement ; et enfin, grâce au réseau de relations de Buisson, le soutien d’hommes politiques (Léon Bourgeois est placé à la tête du comité de la statue) et l’obtention de subventions (c’est Buisson qui fait la demande au ministère de l’Instruction publique, sur un papier à en tête de la société Le Travail [5]) et d’un emplacement à Paris. Buisson et plusieurs coopérateurs entrent dans le comité de la statue dans la réalisation de laquelle ils prennent donc une part décisive.
A partir de 1897 et pendant plusieurs années, Buisson participe aux banquets organisés le 7 avril pour l’anniversaire de la naissance de Fourier et y prononce des discours célébrant le rôle de Fourier dans la naissance de la coopération. Fin 1896, quand Virginie Griess-Traut, membre du mouvement fouriériste depuis la fin des années 1840, décide de léguer un capital de 50 000 francs dont le revenu (1 300 francs par an) doit être consacré à la propagande sociétaire, Buisson est désigné par cette militante fouriériste comme l’un des trois exécuteurs testamentaires, avec Alhaiza et Emile Arnaud (président de la Ligue internationale de la paix et de la liberté) [6]. Ces liens établis par Buisson avec l’Ecole sociétaire se traduisent aussi en 1898 par une visite en compagnie d’Alhaiza à Condé-sur-Vesgre, où subsistent « les dernières traces matérielles de l’œuvre des premiers disciples de Fourier » [7].
Vers 1900, les positions antisémites et antidreyfusardes exprimées dans La Rénovation amènent Buisson et les dirigeants de la Chambre consultative à prendre leurs distances avec Alhaiza ; ils se réunissent désormais avec les fouriéristes dissidents regroupés dans l’Union phalanstérienne et l’Ecole Sociétaire Expérimentale, auxquels ils ouvrent largement les colonnes de L’Association ouvrière. En 1901, Buisson est l’un des orateurs qui rendent hommage à Zola (représenté à cette manifestation par sa femme) lors du banquet phalanstérien organisé pour la publication de Travail [8]. Afin de rompre toute relation avec le groupe de La Rénovation, il obtient en 1906 que les revenus du legs Griess-Traut ne soient plus gérés en commun avec Alhaiza, mais divisés en deux parts égales que chacun peut employer de façon indépendante pour la propagation des idées fouriéristes et coopératives [9].

Un effacement relatif après 1900

Cependant, alors que dans les années 1890, Buisson est devenu l’un des principaux dirigeants de la coopération, qu’elle soit de consommation ou de production, cette position s’affaiblit à la fin de la décennie et après 1900, sans que l’on en connaisse très bien les raisons. Il est possible que cela soit lié notamment lié au changement de statuts de sa société Le Travail, devenue en 1898 une société anonyme avec l’entrée dans le capital d’actionnaires qui ne travaillent pas dans l’entreprise (on y trouve notamment un banquier). Cette évolution, destinée à accroître les ressources de l’entreprise, qui s’est fortement développée, permet, justifie Buisson, de mieux associer le Capital, le Travail et le Talent, selon le principe fouriériste. Mais cette orientation suscite beaucoup de débats au sein de la Chambre consultative, certains lui reprochant d’abandonner les idéaux coopératifs [10]. Les critiques viennent surtout des socialistes, pour qui Buisson représente une conception conservatrice de la coopération ; le 31 mars 1909, L’Humanité prend à partie Buisson, « directeur de la prétendue société ouvrière d’entreprise générale de peinture, Le Travail, [...] qui occupe un personnel de cent cinquante personnes. Nous savons, en effet, et nous pourrions prouver, que le système de la participation aux bénéfices est une sorte de trompe-l’œil qui masque le sens véritable et les dessous d’une affaire industrielle dont les gros profits passent dans des poches qui ne sont pas celles des ouvriers ».

Henry Buisson (Jean Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, 1923-1924, tome 2.

En tout cas, Henry Buisson abandonne ses fonctions dirigeantes ; désormais, son rôle est plus effacé dans les institutions coopératives (il est toutefois élu membre du conseil supérieur de la coopération à sa fondation en 1918, et il assiste aux premières Journées parlementaires de la coopération, au Musée social, en 1925). Mais il continue au moins jusqu’à la fin des années 1920 à présider le conseil d’administration de son entreprise de peinture, qui se revendique toujours de l’héritage de « notre maître Fourier » [11]. Du côté fouriériste, on le voit encore au banquet du 7 avril 1913, organisé par la Chambre consultative et quelques disciples phalanstériens [12]. Son nom est mentionné parmi les adhérents de l’Union Sociétaire en 1914 [13], et de l’Ecole Sociétaire Expérimentale en 1930 [14], vaines et éphémères tentatives pour reconstituer un mouvement fouriériste.