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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bonnet, (Hias) Adolphe
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 5 janvier 2014

par Bouchet, Thomas, Sosnowski, Jean-Claude

Né le 17 janvier 1804 à Dijon (Côte-d’Or) et décédé à Daix (Côte-d’Or) le 14 août 1873. Propriétaire foncier à Champmoron, près de Dijon, sympathisant actif du fouriérisme, partisan de l’expérience de Cîteaux.

Issu de la petite bourgeoisie côte-d’orienne, Adolphe [1] Bonnet est fils d’un négociant dijonnais, Joseph Bonnet, installé rue de la Liberté à Dijon. Après une licence de droit à la faculté de Dijon, il s’installe en 1828 dans une ferme de trois cents hectares à Champmoron (commune de Daix) ; cette « ferme-manoir » (Pierre Lévêque) est un héritage paternel. Electeur censitaire du collège du premier arrondissement (Dijon-nord), domicilié à Daix, sa contribution fiscale en 1839 s’élève à un total de 908,05 francs (contribution foncière : 700,97, personnelle et mobilière : 11,57, portes et fenêtres : 19,07 à Fontaine-lès-Dijon ; contribution foncière : 176, 44 francs à Dijon-nord). Son domaine atteindra plus de 340 hectares. En 1846, ce cens n’atteint que 1034 francs. Il est féru d’agronomie et applique les nouvelles techniques à son exploitation : abandon de la jachère morte, assolement alternant céréales et prairies artificielles, intensification de l’élevage bovin pour la viande et le lait. Bonnet tente par ailleurs d’acclimater le mûrier dans son domaine (mais ses trente mûriers dégénèrent en 1844-1845) ; il élève des moutons qui font sa réputation. Sa ferme est un modèle. Pierre Joigneaux note :

au double point de vue de la pratique et de la théorie, la vaste propriété de Champmoron, dirigée par M. Adolphe Bonnet, mérite assurément une mention spéciale. Il est à regretter que M. Bonnet ait affaire à un sol trop souvent ingrat ; car, dans toute autre condition, son fanatisme agricole aurait donné des résultats de la plus haute importance pour nos localités, n’en déplaise aux bonnes gens qui ont toujours une pierre à jeter aux novateurs. Dans le département en général, pas plus que dans l’arrondissement de Dijon, il n’existe un établissement agricole aussi remarquable que celui de Champmoron ; les étables, les écuries, les bergeries ne laissent rien à désirer pour la tenue ; le bétail y est magnifique ; les engrais y sont l’objet des soins les plus minutieux. Les urines des animaux sont recueillies dans un puisard et répandues sur les terres, à l’état liquide. La laiterie est disposée pour le mieux et d’une propreté qui ne le cède en rien aux belles fromageries de la Flandre française [2].


Vice-président du Comité central d’agriculture de la Côte-d’Or (comité dijonnais de la Société d’agriculture et d’industrie du département de la Côte-d’Or), il collabore au Journal d’agriculture de la Côte-d’Or. En mai 1843, il est élu membre du premier conseil de surveillance du comptoir d’escompte destiné à fournir des capitaux aux agriculteurs [3], comme Gabriel Gabet.

En juin 1839, Jean-Claude Oudot le cite parmi la trentaine de Dijonnais qui « se disent hautement phalanstériens » [4]. En décembre 1839, la Société d’agriculture l’a désigné pour dresser un état du domaine de Cîteaux en vue d’y installer une école pratique d’agriculture. Sa connaissance du domaine de la veuve du marquis de Chauvelin explique probablement que le 9 mars 1841, il se rend avec Arthur Young à Cîteaux afin d’expertiser la terre de Cîteaux en vue de l’établissement d’une « colonie phalanstérienne » dans l’ancienne abbaye. Bonnet visite à nouveau les lieux en juin 1841 avec Arthur Young et probablement Giovanni Gatti. La curiosité de Bonnet est certainement stimulée par l’expérience d’agronomie locale tentée au sein de la colonie phalanstérienne de Cîteaux. C’est probablement sur les conseils de Bonnet qu’Arthur Young présente en 1842 et en 1845, lors de deux concours agricoles, les plus beaux spécimens des produits du domaine - un poulain de deux ans et une génisse de race fribourgeoise - qui lui valent des distinctions.
En 1846, tandis que l’expérience de Cîteaux subit des critiques acerbes dans la presse dijonnaise, il se joint à Jean-Claude Oudot, Léonard Nodot, Jacques Grapin et d’autres lorsqu’ils lancent le 11 mars 1846 un appel aux fouriéristes de France pour sauver la colonie. Dans cet appel, on lit :

Nous, phalanstériens de Dijon, qui sommes à portée d’apprécier la valeur et l’importance pour l’Ecole de la grande et belle propriété de Cîteaux, qui connaissons les sacrifices faits pour la cause par M. Young et le dévouement dont il est capable, nous qu’on ne peut suspecter de partialité en sa faveur, puisque nous n’avons jamais pris part à ce qui s’est fait à Cîteaux.
Nous croyons.
1°. Qu’il est du devoir de l’Ecole de venir en aide à M. Young
2°. Qu’elle peut le tirer d’embarras sans nuire à La Démocratie pacifique dont l’existence doit être assurée avant tout [...] »


L’appel traduit bien la volonté et la gêne des signataires. Ils prennent position en faveur des « réalisateurs » dans un débat complexe (défendre Cîteaux, c’est prendre le risque d’affaiblir La Démocratie pacifique de Victor Considerant). Ils reconnaissent aussi qu’ils ont jusqu’ici peu soutenu l’action de Young : l’engagement de 1846 donnerait tort, in extremis, à « la civilisation [qui] serait en droit de nous accuser de peu de foi et de proclamer que les apôtres de l’unité et de la solidarité ont donné à M. Young des preuves d’égoïsme et d’insolidarité ». L’appel se conclut par une proposition destinée à galvaniser les énergies : « Nous avons formé le projet de réunir à Cîteaux pour le dimanche 29 mars les phalanstériens ou les délégués phalanstériens de Lyon, Besançon, Colmar, Semur, Châlon, Mâcon, Cluny, Saint-Etienne et autres villes. » Ce projet n’aboutit pas et l’expérience de Cîteaux s’achève fin juin 1846 avec la vente du domaine.

En 1847, Pierre Joigneaux salue les activités de Bonnet : « L’organisation du travail que l’on remarque dans cet établissement moderne dénote chez son propriétaire des tendances socialistes qui font honneur à ses sentiments et à son intelligence » [5]. Il emploie en 1846 une quinzaine de travailleurs dans son domaine, mais ne semble absolument pas appliquer un quelconque principe phalanstérien, même s’il a un souci d’humanité et d’enseignement moral. Des inscriptions parsèment les murs des bâtiments : « Tout travail ennoblit. Qui vit oisif déroge et s’avilit » ; « Travailler c’est obéir à la volonté de Dieu, c’est faire acte de chrétien » ; « Si tu aimes la vie, épargne le temps, car c’est l’étoffe dont la vie est faite ».

En 1848, Adolphe Bonnet est vice-président du Comité central démocratique de Dijon. Dans La Démocratie pacifique du 10 avril, il figure parmi les candidats soutenus par le journal : « Elections générales. Voici la récapitulation des candidatures qui nous ont été signalées par nos amis des départements : Côtes (sic) d’Or : A. Bonnet, Collenot, Mourgues (sic) ». Il a été désigné par un comité de citoyens de son canton. Il signe, comme agriculteur, une profession de foi marquée par la conciliation et la modération : « mes convictions et mes désirs m’entraînent vers l’usage des moyens d’apaisement et de conciliation » [6]. Au banquet démocratique et social organisé à Dijon le 22 octobre 1848 pour commémorer la proclamation de la République (1792), il porte un toast à l’agriculture : il rend hommage aux hommes de 1789 et de 1792, il reprend le motif du soldat-laboureur, il prône l’organisation du crédit et invite les campagnes à se prémunir du mythe bonapartiste. Il reste par la suite en retrait de toute action politique même s’il garde des contacts avec les milieux républicains. Il semble passer progressivement au libéralisme économique. Sous le Second Empire, il fait partie des personnalités marquantes de l’agriculture bourguignonne ; une nouvelle évolution le conduit vers le protectionnisme et le conservatisme. Il collabore au Bien Public, journal conservateur de Dijon.

A sa mort, le 14 août 1873, sa fortune est évaluée à plus de 200 000 francs. Ses héritiers sont Jeanne Chouardot, une domestique en charge de sa laiterie depuis 1840 qu’il a épousée en 1868 et son fils Adolphe dit Alfred né en 1847 qu’il a adopté. Adolphe Bonnet est inhumé civilement au fond de son domaine.