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Baudet-Dulary, Alexandre, François
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 11 décembre 2023

par Bouchet, Thomas

Né à Paris le 6 mai 1792, mort à Paris le 29 juin [1] 1878, médecin, riche propriétaire, député de Seine-et-Oise au début de la monarchie de Juillet. Syndic de la Société de fondation ; responsable et principal soutien financier de l’essai sociétaire de Condé-sur-Vesgre ; auteur de nombreux articles et ouvrages fouriéristes.

Le médecin, le député [2]

Alexandre Baudet-Dulary est issu d’une prospère famille de propriétaires fonciers de Seine-et-Oise. Dans sa jeunesse, il semble nourrir des ambitions littéraires : il serait l’auteur d’une pièce de théâtre intitulée « La mort du Connétable de Bourbon », qui n’a selon toutes les apparences jamais été jouée. Puis il fait des études de médecine, il devient docteur de la faculté de Paris en 1814, et il s’établit à Etampes (Seine-et-Oise) ; c’est là qu’il est élu député d’opposition le 5 juillet 1831 à une large majorité (189 voix contre 103, au sein d’un collège de 328 électeurs). Il paraît à la tribune de la Chambre dès le 12 août 1831 pour proposer un amendement à l’adresse que les députés rédigent en réponse au discours du trône ; il en propose un second le 15 août : il insiste cette fois sur l’importance d’une représentation politique des « capacités » et sur la nécessaire mise en valeur de l’Algérie dont la conquête a commencé en 1830. En définitive, début décembre 1832, il fait partie de la minorité qui se prononce contre l’adresse [3]. Il intervient par ailleurs sur des questions financières et commerciales - il est libre-échangiste. Député actif dans les premiers mois, il prononce au total sept discours à la Chambre (un autre reste dans ses cartons), tous d’intérêt général plutôt que local, et où l’« utilité » [générale] est le maître-mot. Il insiste également beaucoup sur les enjeux moraux de l’instruction :

« Quant au pauvre peuple, tout le monde réclame pour lui l’instruction primaire, mais cette instruction primaire, bornée à la lecture et à l’écriture, est tout à fait insuffisante. Il faut le mettre à même de vivre honnêtement, facilement, par un travail utile à tous. Il faut surtout former sa moralité, lui démontrer que tout travail honnête est honorable, que dans toute profession, le bonheur peut se trouver. Cette éducation détruira l’envie d’alimenter le mécontentement qui tourmente les classes pauvres et les rend trop facilement dupes des factieux et des utopistes. » (péroraison du discours prononcé le 12 août 1831).

On notera ici l’approche dépréciative de l’utopie, au sens de chimère dangereuse (il en est de même dans un discours de janvier 1832, à propos cette fois de certaines théories financières). Tous les amendements présentés par Baudet-Dulary au cours des neuf premiers mois de députation sont repoussés ; il n’est en outre guère écouté par ses collègues, lassés de la longueur de ses interventions. Le 30 mars 1832, il prononce son dernier discours. Il cesse ensuite de monter à la tribune, et il finit par donner sa démission de député, au début de l’année 1834. Dès avant, l’épidémie de choléra, dont les premiers cas sont signalés à Paris le 22 mars 1832, il mobilise son énergie en relation directe avec son savoir et son expérience de médecin. Il s’engage activement auprès des malades. Plus tard, dans Description du phalanstère ou Considérations sociales sur l’architectonique (1848), Victor Considerant reprend certaines de ses analyses et remarques (« Riche qui aimais la vie, j’ai vu, j’ai vu, j’ai vu »...) En temps de choléra, dans l’esprit de Baudet Dulary, préoccupations hygiéniques et préoccupations sociales se rejoignent.

Baudet-Dulary et Condé : l’élan

C’est semble-t-il en 1830 que Baudet-Dulary lit le Traité de l’Association domestique-agricole [4]. A l’automne 1831, il rencontre Considerant. Celui-là se réjouit des perspectives que Baudet-Dulary peut ouvrir et il écrit en ce sens à Fourier, qu’il sait si désireux de sensibiliser des mécènes : « Je vais entreprendre la conquête d’un homme qui est déjà bien préparé et pourra donner le branle à une compagnie d’actionnaires [5] ». Baudet-Dulary soutient sans tarder la presse sociétaire, Le Phalanstère, La Réforme industrielle ou Le Phalanstère, puis La Phalange. Il fait plus : lorsque, dans le premier numéro du Phalanstère (1er juin 1832), Fourier, Just Muiron et Paul Vigoureux présentent le programme, le devis et les statuts d’une Société de fondation, il est désigné dans les statuts comme syndic avec Adrien Gréa. Il observe de très près, sans doute, l’effervescence qui suit le programme du 1er juin : voici Laisné de Villevêque qui propose aux rédacteurs du Phalanstère 20 000 arpents au Mexique, prélevés sur son domaine, à titre gratuit [6] ; « Empereur Augustin, ancien officier de cuirassiers, décoré à Wagram, maréchal-des-logis chef de gendarmerie, en expectative de retraite, père de trois enfants en état de rendre des services, vous prie de vouloir bien utiliser sa famille dans l’établissement que vous venez de créer. » [7] Fourier écrit dans Le Phalanstère des articles sur la phalange d’essai à partir de la fin juillet 1832. C’est dans ce contexte que Baudet-Dulary prend les devants.
Il annonce dans deux articles du Phalanstère, les 15 et 22 novembre 1832, qu’il s’engage dans le projet d’une « colonie sociétaire ». Il ne retient pas le nom de « phalanstère », que certaines personnes ont, dit-il, jugé « bizarre » (article du 15 novembre). Il se veut modeste et pragmatique. Il prend d’emblée ses distances avec le modèle de Fourier. L’essai se fera à Condé-sur-Vesgre, au sud-ouest de Paris, en bordure de forêt de Rambouillet. Là, un agriculteur nommé Joseph Devay, agronome, ancien élève de Mathieu de Dombasle, tâche d’amender ses terres et d’augmenter ses productions sur le domaine d’une ferme qu’il a achetée à Condé deux ans plus tôt. Le sol est ingrat - et Devay ne s’en cache pas - mais Condé n’est pas très loin de Paris. Baudet-Dulary et Devay se mettent d’accord pour acquérir les terrains autour de la propriété du second. Mais ils doivent compter avec le propriétaire de ces terrains, Monsieur de Bouillon. Baudet-Dulary doit débourser 75 000 francs pour cet achat [8].

« Que voulez-vous, écrit-il à Fourier sur cette question, il faut bien commencer ! Vous demandez cinq lieues carrées, vous rêvez de quinze mille hectares, je vous en offre cinq cents. Vous rêvez d’une rivière : je vous offre la Vesgre, vous avez un moulin : il est là, mais s’il vous plaît, commençons ».

L’inauguration est prévue en mars 1833 ; pour réunir l’argent nécessaire à l’entreprise, il est prévu de former une société anonyme. Baudet-Dulary fournira une partie du capital, l’autre partie proviendra des actionnaires.
L’idée de Baudet-Dulary déclenche de nombreux enthousiasmes dans la France entière. Le 3 décembre 1832 par exemple, Nicolas Lemoyne, saint-simonien converti en juin 1832 au fouriérisme, écrit de Rochefort-sur-Mer à Abel Transon. Il prévoit de souscrire pour quatre actions et espère faire davantage s’il arrive à convaincre sa femme, plus fortunée, d’y contribuer ; « je compte que nous (ou plutôt ma femme) vous remettrons entre 10 et 20 mille francs, mais ce n’est point du tout une affaire certaine ». Il a l’intention de confier à la Colonie son fils aîné, âgé d’à peine huit ans et de prendre lui-même un congé afin de s’installer avec son épouse quelques mois à Condé-sur-Vesgre ; puis, « quand la réussite ne sera plus problématique, son séjour [de son épouse] au phalanstère la conduira certainement à prendre des actions quand elle verra par elle-même que la chose doit infailliblement bien marcher » [9]. A Lyon, L’Echo de la fabrique titre le 16 décembre 1832 sur la « Colonie sociétaire » de Condé. Le rédacteur de l’article, Marius Chastaing, met en regard d’un côté les projets des saint-simoniens qui « viennent, à pied, comme de pauvres prolétaires, pour travailler avec nos artisans, et commencer, par leur exemple, l’émancipation des travailleurs. Sublime apostolat auquel nous applaudirions de tout notre cœur, si des idées mystiques ne venaient, mal à propos, s’y joindre ; si... Mais ce n’est pas la notre sujet. Tant pis pour eux... », d’autre part « Ch. Fourrier » (sic), « qui commence le grand œuvre promis par le phalanstère. Honneur à lui, qui ne craint pas de recevoir le démenti de ses théories ! » Et Chastaing poursuit :

« Honneur à ceux qui se sont associés au philosophe pour régénérer, non plus d’une manière spéculative, mais matériellement, la classe souffrante des prolétaires. M. Baudet-Dulary, député de Seine-et-Oise, et M. Devay, agronome, élève de M. Mathieu Dombasle, propriétaires de 500 hectares (quinze cents journaux), à Condé-sur-Yesgres (sic), près Houdan, à quinze lieues de Paris, viennent de former, sous le nom de colonie sociétaire, une société anonyme pour établir, sur ce terrain, une exploitation agricole, manufacturière et commerciale, suivant les principes de M. Charles Fourrier. La colonie sociétaire publiera un recueil périodique, sous le titre de la Réforme industrielle, lequel rendra compte de cet intéressant établissement. Puisse-t-il prospérer ! Le nom de M. Fourrier sera grand parmi les hommes. »

Tout l’hiver 1832-1833 se passe en travaux de préparation du terrain, par cent cinquante ouvriers rémunérés par Baudet-Dulary. Victor Considerant écrit : « Ce sera la Jérusalem céleste ». Le Phalanstère publie régulièrement dans une rubrique spécifique des nouvelles optimistes sur l’avancement des travaux. Dans une lettre du 3 mars 1833, Just Muiron demande à Jules Lechevalier des informations sur le nombre de personnes à envoyer, le pécule nécessaire pour « organiser la petite caravane dubo-jurassienne » [10].

Baudet-Dulary et Condé : l’enlisement

Mais l’ouverture officielle doit être repoussée : les achats de terres sont plus difficiles que prévu ; or ils doivent être réalisés pour que soit obtenue l’autorisation administrative de fondation d’une société anonyme. En outre, des bruits malveillants circulent, au point que dans Le Phalanstère du 22 mars 1833, Devay dément que certains adhérents de la colonie « pratiquent le libre amour avec des bacchantes ». C’est dans ce même journal que, le 31 mai 1833, Baudet-Dulary annonce que le projet rencontre de sérieux obstacles. Comme il tient à « montrer un résultat, quelque faible qu’il soit », il décide de prendre la responsabilité de l’entreprise : la société anonyme est transformée en société en commandite dont il devient le gérant. D’après ses statuts, cette société doit disposer de 900 000 francs correspondant aux bâtiments, terrains, bestiaux, et de 300 000 francs d’actions réservées. Le fin juin 1833, dans Le Phalanstère, paraît l’« acte de Société de la colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre », « sur un terrain appartenant à Baudet-Dulary et Devay frères, communes de Condé-sur-Vesgres (sic) et Allainville, canton de Houdan. Société en commandite. Fonds social 1 200 000 francs et actions de 500 francs ».
L’été 1833 déçoit les attentes. Le projet connaît peu d’avancées concrètes tandis que d’importantes sommes d’argent sont dépensées par Baudet-Dulary. L’ambiance entre les ouvriers et les colons n’est pas bonne. Les idées de l’architecte, Gengembre - un fouriériste -, sont très contestées. Le chansonnier Vinçard, de passage à Condé au cours de l’été, note beaucoup plus tard dans ses souvenirs qu’une « profonde déception » domine alors, et il remarque « l’aspect morne et glacial » des lieux. « Pendant le repas [...] un silence profond régnait chez tous. » Puis Vinçard chante. « Pendant le cours de ma chanson j’avais remarqué que M. Baudet-Dulary [...] était resté les deux coudes appuyé sur la table, la tête dans ses mains et réfléchissant profondément ; lorsque j’eus terminé il se leva et dit avec émotion : ‘Voilà ce qui nous manque ici, c’est l’entrain, l’expansion’. » [11]
C’est le 22 septembre 1833 que se tient l’assemblée générale des actionnaires. Fourier, Abel Transon, Just Muiron et Victor Considerant font le déplacement (au total, treize actionnaires sur quarante-huit sont là). Baudet-Dulary présente dans un long discours le rapport de la gérance. Les perspectives ne sont pas favorables parce que l’argent rassemblé, 373 000 francs au total, ne suffit pas à financer la colonie. « Avec d’aussi faibles ressources, nous n’avons pas pu élever un Phalanstère », explique-t-il. Certes, selon le rapport, 13 000 arbres ont été plantés, 45 hectares de terres mis en culture, 225 000 briques anglaises fabriquées. Un bâtiment de ferme de 66 mètres sur 36 (Le Rouvray) a été construit.
Si Condé va mal, c’est également parce que la défiance est profonde entre Baudet-Dulary, Fourier, Considerant. La position de Considerant vis-à-vis du rôle que pourrait jouer Fourier est très claire. Il écrit ainsi à Devay :

« Ayez la bonté de nous écrire et de nous tenir au courant. Ecrivez à l’un de nous en particulier parce que nous ne voulons pas encore, comme je vous l’ai déjà dit, parler de cela au Père Fourier, il ne nous servirait absolument à rien et ne pourrait que nous nuire dans nos démarches pour organiser un comité d’hommes à nous, influents ».

Baudet-Dulary ne souhaite pas pour sa part être gêné dans son action par le contrôle de Fourier et il veut garder les coudées franches ; il soupçonne en outre Fourier et Considerant de donner la priorité au journal sur l’expérience. Quant à Fourier, il se désolidarise assez vite du projet. Les tensions naissent entre lui et les hommes de Condé dès novembre 1832, à propos des modalités pratiques du projet [12]. Il ne reconnaît pas sa pensée dans les choix de Baudet-Dulary. Mis en garde par certains (Maurize, le 19 juin 1833, lui écrit : « [...] Il est fâcheux que M. Dulary, malgré toute sa bonne volonté, n’ait pas de caractère, mais il est d’une faiblesse désespérante... M. Dulary n’est pas un administrateur ; ce n’est pas un capitaine. » [13]), il déprécie le rôle du dirigeant de la société en commandite. A l’été 1833, une note de sa main qui est probablement le brouillon d’une lettre à Muiron, le prouve : « On ne peut compter sur rien avec lui, il donne dans tous les pièges, il n’aime que ceux qui le trompent. » [14] ; il conteste la « dictature de Baudet-Dulary » [15]. Il n’est donc pas étonnant qu’il exprime son scepticisme à l’assemblée générale du 22 septembre 1833. « Ce n’est pas du tout ce qu’il fallait faire, je n’ai rien fait à la Colonie », explique-t-il. Il pense de plus en plus à tenter l’expérience d’un phalanstère d’enfants. Il écrit en ce sens plusieurs articles dans La Réforme industrielle entre juin et août 1833. Considerant rallie le projet, contre la volonté de Baudet-Dulary. Il écrit le 17 août 1833 à Fourier : « Dans l’intention où nous sommes unanimement, mes amis et moi, de pousser M. Dulary à faire un essai d’enfants, nous vous prions de nous donner quelques détails nécessaires à la préparation des plans et devis de l’opération » [16]. Et, le 16 décembre 1833, toujours dans La Réforme industrielle, Muiron écrit un compte rendu pessimiste de l’expérience de Condé. Il préconise un essai de série minimum avec deux cents enfants. L’expérience de Baudet-Dulary est condamnée. Dans l’hiver 1833-1834, les travailleurs installés sur le domaine se dispersent après avoir été payés.

Après Condé

Baudet-Dulary perd au total 487 000 francs à Condé [17]. La dissolution de la société est prononcée en 1836. Mais l’homme ne perd pas espoir ; il poursuit son action dans d’autres directions. En 1837, Considerant affirme dans La Phalange que Baudet-Dulary a « disposé sa propriété dans [le] but » de fonder un « institut industriel, agricole et scientifique pour l’enfance », sur la terre de Condé. Le projet fait long feu [18]. Baudet-Dulary voyage : avec le Haut-Rhinois Scheurer, il conclut dans La Phalange de septembre, octobre et novembre 1837, sur la foi de leur commun séjour en Angleterre, que ce pays n’a sur le chantier aucune idée sociale nouvelle. En juin 1840, il prend avec Emile Bourdon la direction de la Librairie phalanstérienne et préside à plusieurs reprises les banquets du 7 avril [19]. Au début des années 1840, le sort de Condé est de nouveau d’actualité et des discussions agitent les membres de l’Ecole sociétaire fin 1841 et début 1842 [20]. Considerant se montre favorable à la vente du domaine, ou à son maintien dans la sphère de l’Ecole sans qu’aucune tentative d’expérimentation y soit menée. Il s’adresse dans ces termes à Arthur Young, engagé alors dans le projet de colonie sociétaire de Cîteaux, le 6 février 1842 :

« M. Dulary reprend, dans notre arrangement, la Chenage (sic) pour 102 500 francs, le dessus est repris pour 82 500 francs par MM. Madaule et Reverchon. Ces messieurs se proposent de faire des opérations purement industrielles et s’engagent à ne donner aucun contenu phalanstérien à leur affaire [...] Ainsi la propriété reste entre des mains amies. » [21]

Cette solution semble à son tour vite abandonnée et ce sont finalement les frères Chambellant, des sympathisants, qui rachètent Condé. En 1843, Baudet-Dulary revient sur l’expérience tentée une dizaine d’années auparavant à Condé : « Il est vrai, 2 à 300 000 francs ont été perdus à Condé, mais jamais aucune organisation phalanstérienne n’y a été essayée. [...] Les pertes d’une entreprise préparée avec de grandes espérances, de grandes illusions, si vous voulez, ont été considérables, mais moi seul, je les ai supportées. J’ai remboursé intégralement tous les actionnaires. Le résultat définitif est la construction de deux vastes fermes et le défrichement de 200 hectares de bruyères. Ce petit bienfait au pays me console des pertes, des tracas et des calomnies ».
Baudet-Dulary, dans les années 1840 et jusqu’au soir de sa vie, écrit beaucoup. Ses thèmes de prédilection sont variés : hygiène populaire, physiognomonie, rêveries d’un vieux médecin de campagne, et même des considérations sur le transformisme. Essai sur les harmonies physiologiques (1844) est un ouvrage particulièrement digne d’intérêt. C’est, lit-on dans un catalogue de l’Ecole sociétaire,

« une première et heureuse tentative faite afin d’allier les notions de la physiologie et celles de la Science sociale. L’auteur y expose d’une façon claire et concise les principales fonctions de la vie, tant spirituelle que matérielle de l’homme, et discute avec sagacité les plus importantes questions qui d’y rattachent : libre-arbitre, passions, caractères, tempéraments, races humaines, etc. Tous ces points sont successivement abordés par M. Dulary, qui les traite comme le pouvait seul faire un homme qui est en même temps médecin et disciple de Fourier, c’est-à-dire avec le double criterium de la science médicale et de la théorie de l’Unité universelle. [22] »

A le parcourir, on comprend certains aspects importants de la pensée de Baudet-Dulary, qu’il partage souvent avec d’autres membres de l’Ecole, et au-delà. Il tâche d’articuler socialisme et phrénologie, car ils se retrouvent sur le principe d’une bonté essentielle de la nature humaine :

« La science plus complète de Fourier accepte franchement et sans crainte toutes les conséquences logiques de la physiologie du cerveau. Oui, l’homme est continuellement à la merci de son corps et des choses extérieures : l’homme a des besoins organiques qui le dominent impérieusement ; ces besoins doivent tous être bons dans leur essence ; car ils viennent de Dieu [...]. »

Ainsi le cerveau dévoile-t-il les lois physiques du monde et les lois morales de l’humanité [23]. Cette logique profonde des correspondances, fondée sur un principe d’ordre religieux, transparaît d’une autre manière : l’unité de composition et l’harmonie des rapports ouvrent sur le concept d’organisation. Et Baudet-Dulary, en écho à Georges Cuvier, explique que « tout corps organisé a son unité, son individualité, dont le caractère se retrouve dans chaque partie, et chaque partie reflète et rappelle l’ensemble ». Et il ajoute :

« On a comparé avec raison l’organisme animal à un monde. Notre corps forme un ensemble harmonique composé de parties diverses ayant chacune leur fonction particulière, et, pour ainsi dire, la vie particulière rattachée à la vie générale ». [24]

Après les années 1840, Baudet Dulary continue à participer aux activités sociétaires, même si son rôle est plus discret. Lorsque, par exemple, Considerant revient en Europe pour convaincre de l’intérêt d’un essai à Uvalde Canyon (1858), il est l’un des cinquante-neuf actionnaires présents pour la réunion annuelle de l’Assemblée générale de la société de colonisation [25]. Surtout, il est l’un de ceux - avec Emile Bourdon et Charles Brunier - qui permettent à la Librairie sociétaire de survivre dans ces années 1850 en lui faisant des avances financières [26]. Lors de la liquidation de la société, en 1861, celle-ci lui doit 14 000 francs (11 000 francs à Bourdon et 27 000 francs à Brunier, qui renonce à ses droits). Bourdon et Baudet-Dulary reçoivent alors, pour leurs créances, l’actif de la librairie ; ils le revendent aussitôt à Barrier et Donnedieu de Saint-André qui veulent réorganiser l’Ecole en s’appuyant sur ce fonds de la Librairie sociétaire [27]. Baudet-Dulary est actionnaire (10 actions de 50 francs chacune) de la nouvelle société fondée par Barrier [28]. Il est également présent à plusieurs banquets phalanstériens organisés le 7 avril pour célébrer la naissance de Fourier, et en préside plus d’un. Il publie quelques articles dans le Bulletin du mouvement social. Baudet-Dulary, libre-penseur, est enterré sans cérémonie religieuse ; à la demande de son fils Paul Dulary, également fouriériste, Victor Considerant prononce quelques mots sur la tombe du défunt pour honorer la mémoire d’un « saint » [29].
Au total, le parcours fouriériste de Baudet-Dulary inspire à Charles Pellarin ce jugement très fondé : Baudet-Dulary a toujours su fait preuve « non seulement d’une loyauté devenue assez rare dans les entreprises industrielles de notre temps, mais encore d’une générosité a peu près sans exemple ». [30]


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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