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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Barrier, François (Marguerite)
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 8 juin 2014

par Desmars, Bernard

Né le 20 janvier 1813 à Saint-Etienne, fils de Louis-Marie Barrier et de Jeanne-Marie Lafay ; décédé à Montfort l’Amaury (alors Seine-et-Oise, aujourd’hui Yvelines), le 9 juillet 1870. Marié, deux enfants. Médecin à Lyon. Membre du groupe phalanstérien lyonnais à partir de 1843-1844. Principal animateur et soutien financier de l’Ecole sociétaire dans les années 1860.

Son père, avoué au tribunal de Saint-Etienne, cesse ses activités professionnelles dès 1815 et s’installe à la campagne, à Saint-Paul-en-Jarest (Loire), où il vit de ses rentes. C’est donc dans cette ville que François Barrier, un enfant d’abord plutôt maladif, vit à partir de l’âge de 2 ans. Il fait ensuite ses études à Saint-Chamond (à une dizaine de kilomètres de Saint-Paul), puis à Lyon, qui lui permettent d’obtenir en 1831 le baccalauréat es lettres.
Il entame alors de brillantes études de médecine, réussit l’internat des hôpitaux de Lyon en 1833 (il est classé premier), puis devient interne des hôpitaux de Paris de 1835 à 1839. Après avoir soutenu sa thèse (De la tumeur hydatique du foie) en 1840, il passé avec succès le concours du majorat de l’Hôtel-Dieu de Lyon en 1843 et y pratique la chirurgie. Il devient un médecin réputé, qui, outre son exercice professionnel, participe à l’activité de plusieurs sociétés médicales (en 1843, il accède à la présidence de la Société d’émulation médicale de Lyon ; il est aussi membre de la Société de médecine de Lyon), publie des articles, fait paraître plusieurs livres et brochures sur des questions médicales et sociales, et en particulier sur les maladies des enfants (Traité des maladies de l’enfance fondé sur de nombreuses observations cliniques, 1842). En 1847, il lance une campagne en faveur de la création de crèches (Considérations sur l’établissement des crèches à Lyon) ; il fonde alors une association dans ce sens, association dans laquelle on retrouve plusieurs membres de l’Ecole sociétaire.
Lui-même est devenu fouriériste au début des années 1840 : selon le récit de l’un de ses anciens élèves et amis, le Docteur Garin, c’est lors d’un voyage en Suisse, effectué en avril 1843 afin de se reposer du travail fourni pour le majorat, qu’il aurait découvert Fourier ; ayant trouvé dans la bibliothèque de son père La Théorie des Quatre mouvements, le titre lui-même éveillant sa curiosité, il l’aurait lu pendant ce séjour helvétique et cette lecture aurait provoqué son adhésion à la science sociale et aux perspectives harmoniennes [1] En tout cas, c’est vers 1843-1844 qu’il rejoint le groupe des phalanstériens lyonnais, assez nombreux et actifs, parmi lesquels on retrouve l’un de ses confrères de l’Hôtel Dieu, le Docteur Imbert [2].
Pendant les années suivantes, il collabore aux périodiques socialistes lyonnais La Revue sociale, L’Echo de l’industrie, L’Avenir, présente certains aspects de la doctrine sociétaire (Esquisse d’une analogie de l’homme et de l’humanité, 1846) ou la défend contre ses adversaires (Examen et réfutation du discours de M. Massot, avocat-général à la Cour royale de Lyon, sur les réformes sociales, avec notes, par un socialiste phalanstérien, 1846). Il joue un rôle très important dans la fondation d’une colonie sociétaire à Saint-Denis du Sig, en Algérie. L’idée de cet essai sociétaire semble avoir émergé lors de conversations entre Aimée Beuque et Gautier, un officier d’artillerie. Félix Beuque, le frère d’Aimée, et François Barrier sont les premiers consultés et sollicités pour trouver des soutiens au projet. C’est d’ailleurs Barrier qui est le secrétaire du conseil d’administration de la nouvelle société (son collègue, le Dr Imbert en est le président) et qui en rédige les statuts. Cependant, dès 1847-1848, l’entreprise connaît d’importantes difficultés et les fondateurs lyonnais, dont Barrier, en perdent le contrôle, le siège de la société étant d’abord transféré à Besançon, puis sur le sol algérien [3].
Sous la Seconde République, Barrier semble être resté à l’écart des luttes politiques [4]. Il poursuit son activité professionnelle, avec la création en 1849 d’une revue, la Gazette médicale de Lyon, dont il assure l’administration, l’essentiel de la rédaction - avec notamment des articles sur l’hygiène et sur les conditions de logement du peuple - et dont il soutient l’existence de ses propres deniers ; il transmet en 1856 la revue à d’autres mains. Devenu chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu en 1850, il ouvre la même année un cours de clinique chirurgicale, puis, dans les années suivantes devient professeur suppléant, puis titulaire à l’Ecole de médecine de Lyon. Il publie parallèlement plusieurs ouvrages médicaux.
Il reste disciple de Fourier, même si l’Ecole sociétaire, tout au moins son centre parisien, semble être entrée en sommeil après dans la première décennie du Second Empire. Aussi, il crée en 1856 à Lyon une Société de capitalisation, qui recueille des fonds déposés par des phalanstériens ; cet argent est placé afin de rémunérer les épargnants, d’aider les expériences sociétaires en cours et d’accroître le capital qui, quand il sera parvenu à un montant suffisant, pourra être investi dans la réalisation d’un phalanstère [5]. Cette société de capitalisation possède des actions de la Société de Beauregard (à Vienne, en Isère), animée par le Dr Couturier, un ami très proche de Barrier ; elle prend aussi des parts dans la colonie de Condé-sur-Vesgre, dont Barrier lui-même devient l’un des sociétaires en 1862. D’autre part, l’Union du Sig, un moment menacée d’étouffement par ses créanciers, revient au milieu des années 1850 sous le contrôle d’administrateurs fouriéristes. Barrier fait partie de ceux qui, en 1856, acceptent de prêter de l’argent (il verse 1000 francs) [6]. Enfin, il possède des actions dans la Société de Colonisation au Texas [7]
François Barrier, dans ces années 1850, est un homme riche et un notable ; admis dans l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon en 1856, il en devient le président en 1862. Il est également président de la Société protectrice des animaux, à Lyon, en 1863. Or, il décide d’abandonner cette carrière médicale et cette position sociale en quittant son poste de chirurgien titulaire à l’Hôtel-Dieu (mais depuis 1857, il n’exerçait plus vraiment tout en gardant ce titre) et en renonçant à sa chaire de professeur en 1863.
Cette même année, il se présente aux élections législatives dans la deuxième circonscription du département du Rhône ; il souhaite d’abord représenter « l’opposition libérale » au régime impérial, mais suscite la méfiance des républicains qui ne sont pas tout à fait convaincus de sa ferveur républicaine : « Barrier est très honnête et très intelligent. Une conversation qu’il a eu avec notre ami [....] me le présente comme étant aussi très libéral. Je ne suis inquiet que d’une chose : est-il pour les institutions républicaines » écrit le publiciste Frédéric Morin, également candidat à Lyon en 1863. Barrier ne lève d’ailleurs pas tout à fait l’ambiguïté quand il répond que « la République n’est qu’une des formes multiples de la liberté » et que lui-même est « libéral et non autoritaire », ainsi que « fouriériste » [8]. En tout cas, les militants républicains lui préfèrent un autre candidat, Jules Favre. Barrier se maintient comme « candidat indépendant et sincèrement libéral », mais se fait éliminer au premier tour ; il appelle alors à voter pour Favre qui est élu au second tour [9].
Après l’abandon de son activité professionnelle et ce bref engagement dans la compétition politique, Barrier quitte Lyon et se consacre à la cause phalanstérienne. Dès 1861, il a pris contact avec les condisciples qui assurent la survie de la Librairie sociétaire à Paris. Avec un fouriériste nîmois, Donnedieu de Saint-André, il en obtient la cession, puis il devient le seul propriétaire après la mort de son associé en 1863. Il en régularise l’administration, en obtenant pour Aimée Beuque un brevet de libraire. En 1864, il s’installe avec sa famille à Paris et prend un ensemble d’initiatives destinées à réorganiser l’Ecole sociétaire ; il crée une société, dont il est le principal actionnaire, pour exploiter la librairie, qu’il déménage de la rue de Beaune à la rue des Saints-Pères ; elle prend le nom de Librairie des sciences sociales et constitue le siège du mouvement phalanstérien ; il y nomme un nouveau gérant, Noirot. Parallèlement, il relance en 1865 la tradition des banquets du 7 avril, jour anniversaire de la naissance de Fourier et parvient à y regrouper jusqu’à 100 à 200 participants dans les années suivantes. En 1867, Il dote le mouvement d’une revue, La Science sociale, dont il est avec Charles Pellarin le principal rédacteur. Il publie deux ouvrages : Principes de sociologie, qui expose la théorie fouriériste en s’efforçant d’en démontrer le caractère scientifique et en l’adaptant aux acquis les plus récents des sciences ; et Catéchisme du socialisme libéral et rationnel, qui présente la doctrine phalanstérienne sous une forme simplifiée et accessible à tous, à l’aide d’un système de questions et de réponses.

François Barrier, Principes de sociologie
Page de titre (1867)


Dans ces années 1860, l’Ecole sociétaire est divisée entre plusieurs courants, et notamment entre les partisans du garantisme qui promeuvent la mutualité et la coopération comme vecteurs de progrès social, et les défenseurs de l’essai sociétaire, dont le succès provoquera une rapide transformation de la société. Barrier, tout en laissant les deux courants s’exprimer dans les colonnes de La Science sociale, incline plutôt du côté des seconds. Il continue donc à s’intéresser aux entreprises plus ou moins inspirées par le projet phalanstérien : quand le siège de l’Union du Sig revient en France en 1864, Barrier est placé à la présidence du conseil d’administration de la société, fonction qu’il occupe jusqu’en 1867 ; il refuse alors de prolonger son mandat, mais reste au conseil d’administration. De 1865 à 1868, il est président de la société civile immobilière de Condé-sur-Vesgre. Il ne réside pas toutefois, semble-t-il, à la Colonie, d’autant qu’il possède une résidence dans les environs (Montfort-l’Amaury). Il incite ses condisciples à fonder de nouvelles sociétés de capitalisation sur le modèle lyonnais (une est effectivement créée à Besançon ; mais la constitution d’une caisse parisienne, un moment envisagée, n’aboutit pas). Vers 1868, il visite le Familistère de Guise [10]. La même année, il entre au conseil de surveillance de la Société de colonisation au Texas [11].
Pourtant, il ne veut pas se tenir à l’écart du mouvement coopératif qui connaît un véritable essor dans les années 1860. Il collabore à plusieurs organes : L’Association et La Réforme [12], L’Almanach de la coopération, L’Annuaire de l’Association, ce dernier étant publié en 1867 et 1868 par la Librairie des sciences sociales.
Enfin, tout en ayant abandonné la pratique médicale, il est membre du conseil général de l’Association des médecins de France, pour laquelle il rédige en 1868 un rapport sur « l’assistance médicale des indigents dans les campagnes » [13]. Il contribue avec le Dr Mayer à la création en 1865 de la Société protectrice de l’enfance, qu’il préside en 1866. Cette association, dont le siège est d’abord situé à la Librairie des sciences sociales, a pour but de lutter contre la mortalité infantile, notamment par une meilleure surveillance des nourrices chez lesquelles sont placés les enfants en bas âge. Barrier essaie d’ailleurs de conjuguer ses aspirations fouriéristes et ses préoccupations en faveur des enfants, en projetant des colonies maternelles » [14].
Cependant, malgré l’énergie qu’il déploie et l’argent qu’il dépense pour redynamiser le militantisme fouriériste, l’Ecole sociétaire ne parvient guère à élargir son audience et apparaît incapable de mobiliser les disciples autour d’un projet viable. Dès 1866, François Barrier observe : « nos affaires ici vont bien modestement. L’inertie est toujours dominante. Il faut avoir de la persévérance, car la tâche est difficile. Ceux qui avaient autrefois le plus de vie sont les plus morts maintenant » ; deux années plus tard, « nous nous traînons déjà si laborieusement à la rue des Saints-Pères que je suis parfois bien découragé » [15]]. La Librairie n’est pas rentable et Barrier doit combler les déficits ; l’activité du Centre parisien est critiquée pour son inefficacité. Surtout, les dissensions au sein de l’Ecole, entre ceux qui veulent passer à la réalisation, ceux qui privilégient les voies garantistes et ceux qui préconisent l’engagement politique - alors que Barrier veut exclure la politique du champ de l’Ecole sociétaire - contribuent à la décourager. De surcroît, à partir de l’automne 1869, une maladie éloigne peu à peu Barrier de la gestion quotidienne et de l’animation de l’Ecole, ce qui laisse libre cours à des conflits de plus en plus vifs dans le Centre parisien. En avril 1870, il ne peut assister au banquet phalanstérien. Il s’éteint trois mois plus tard dans sa propriété de Montfort l’Amaury. Lors des obsèques, Charles Pellarin, qui l’avait secondé à la rédaction de La Science sociale, déclare que « la mort de Barrier est pour notre Ecole la plus grande perte qu’elle ait faite depuis longtemps, et dans les circonstances actuelles, c’est à coup sûr, la perte la plus dommageable qu’elle pût éprouver » [16]. Quelques années plus tard, le même Pellarin revient sur l’échec de Barrier à la tête du mouvement phalanstérien : « il ne rencontra pas dans l’Ecole sociétaire tout l’appui, tous les encouragements et toutes les sympathies sur lesquels il avait droit de compter. Des membres de l’ancien groupe de propagande, un ou deux à peine apportèrent à son œuvre un concours assidu. Quelques-uns se firent un grief contre lui de son apparente froideur. Cette indifférence, cette sorte d’abandon furent singulièrement pénibles au cœur de Barrier. Il ne s’en ouvrait que rarement et dans l’intimité. Peut-être cet éloignement, où il crut voir quelque chose de personnel, n’était-il qu’un effet de lassitude et de découragement » [17].
En 1877, son nom est attribué par le conseil d’administration des Hospices civils de Lyon à une rue située sur les terrains de l’établissement. Et en 1893, le sculpteur Henri Allouard réalise un buste de Barrier, qui est aujourd’hui placé au Musée des hospices civils de Lyon.

Buste de François Barrier
Par H. Allouard (1893)
Musée des Hospices civils de Lyon