Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Charles Fourier jugé par ses contemporains et par la postérité
Article mis en ligne le 7 avril 2007
dernière modification le 9 avril 2007

par Dubos, Jean-Claude

Si l’on considère que, dès la publication de la Théorie des Quatre Mouvements en 1808, Fourier avait déjà livré au public l’ensemble de ses théories, il n’est guère d’auteurs dont la pensée ait mis plus longtemps à s’imposer que la sienne. Certain d’être dans le monde moral, l’auteur d’une découverte aussi importante que celle de Newton dans le monde physique, Monsieur Charles, après avoir espéré vainement un compte-rendu de son oeuvre dans le très officiel Journal de l’Empire dut se contenter, les 30 novembre et 1er décembre des feuilletons littéraires de deux journaux mineurs, le Journal du Commerce et la catholique Gazette de France. Et encore, alors que le premier diagnostiquait "de graves dérangements dans les organes du cerveau de M. Charles" pour le second, "bien des personnes croient sans doute que ce livre a été écrit à Charenton" [1].

Quinze ans plus tard, en 1823, le Traité de l’Association domestique-agricole, publié l’année précédente à Besançon par les soins de Just Muiron, n’obtenait guère plus de succès. Certes, dans son numéro du 18 mars, un petit journal, Le Miroir, le jugeait "l’un des plus singuliers, des plus nouveaux, des plus féconds, des plus bizarres, des plus vastes systèmes que l’intelligence philosophique se soit plu à bâtir", mais cet entassement d’adjectifs n’avait guère de signification. Quant à la Revue Encyclopédique, elle lui consacrait en mai 1823 un article dans sa section agronomie : mais son auteur confessait que, si Fourier avait enrichi la science sociale d’un langage nouveau, la compréhension de celui-ci était au-dessus de ses forces [2].

Cependant l’année suivante, en février 1824, le baron de Férussac publiait dans le Bulletin des Sciences géographiques un article favorable à Fourier et, en août 1825, le secrétaire de l’Académie de Besançon, Génisset, y faisait un compte-rendu bienveillant du Traité de l’Association domestique-agricole, compte-rendu qui laissait perplexe un autre membre de l’Académie, J-A Marc, qui, dans une lettre adressée de Remiremont à son ami Thelmier, receveur des postes à Besançon, qualifiait le nouveau monde social inventé par Fourier de "fruit indigeste d’une imagination fiévreuse" [3].

De fait, jusqu’en 1831, on peut dire que le fouriérisme ne rassemble qu’une petite coterie d’amis bisontins de Just Muiron - Clarisse Vigoureux, Aimée Beuque [4], Adrien Gréa, député du Doubs, Désiré Ordinaire, auxquels se joint en 1830 un petit-cousin de Gréa, Victor Considérant. Mais, durant l’hiver 1831, se produit un évènement décisif, le ralliement de Jules Lechevalier, un des principaux saint-simoniens. Celui-ci, venu prêcher à Besançon en juillet 1831 une mission saint-simonienne, à la suite de ses discussions avec Muiron et Clarisse Vigoureux, abandonne Saint-Simon pour Fourier et donne à Paris les premières leçons de fouriérisme qu’il réunira en volume en mars 1832 sous le titre L’Art d’associer. En juin 1832, Lechevalier et Considérant fondent à Paris le premier journal fouriériste, Le Phalanstère ou la Réforme industrielle, auquel succèdera en 1836 La Phalange, puis La Démocratie pacifique. Grâce au talent de Considérant et de l’équipe qu’il a réunie autour de lui, ces journaux connaîtront un véritable succès, et la période de la monarchie de Juillet peut être considérée comme l’âge d’or du fouriérisme. Celui-ci connaît certes des ennemis irréductibles - comme le bibliothécaire de Besançon, Charles Weiss -, des détracteurs farouches dans les milieux les plus conservateurs et les plus religieux - et pas seulement chez les catholiques, comme le prouvent les articles du journal protestant Le Semeur, organe d’Alexandre Vinet ; mais il rassemble aussi des partisans enthousiastes, en France et hors de France : aux Etats-Unis, autour d’Albert Brisbane et d’Horace Greeley, en Russie autour de Petrachevsky se forment des cercles fouriéristes, dont certains membres connaîtront par la suite une célébrité littéraire : Nathaniel Hawthorne, Saltykov-Chtchédrine, Dostoievski. Un journaliste roumain, Téodor Diamant, un espagnol, Joachim Abreu, un palermitain, B. Mure figurent aussi parmi les adeptes. En Allemagne, sous le pseudonyme d’Evander, dès 1835, un ouvrage sur Charles Fourier et son système paraissait à Heidelberg, suivi d’un ouvrage de Schneider Le problème de l’époque et sa solution par l’association, paru à Gotha en 1836. Arnold Ruge, le directeur des Annales franco-allemandes - dont le correspondant à Paris était Karl Marx - ne craint pas d’écrire dans son livre de Souvenirs Zwei Jahre im Paris : "Le père de tous les systèmes qui, sous le nom de socialisme, agitent en ce moment la grande société française est incontestablement Fourier. Il joue le même rôle en France que chez nous Hegel, il prête des armes à tous les partis. Les conservateurs aiment sa polémique contre la philosophie et la Révolution, tandis que sa critique de la civilisation, du commerce, du moralisme, de la famille et de la politique plait aux révolutionnaires". Vision assez juste de l’œuvre de Fourier, mais peut-être un peu trop idyllique de son retentissement [5].

C’est à cette période de la monarchie de Juillet qu’appartiennent la plupart des textes que nous citons, signés de noms parfois illustres. Stendhal, Vigny, Chateaubriand ont lu Fourier, ou du moins ils connaissent l’essentiel de ses idées dans le domaine social et les critiques qu’ils formulent relèvent du simple bon sens, de ce bon sens avec lequel l’Académie des Sciences déclarait que "au-dessus de 40 km à l’heure, l’homme mourrait d’un arrêt du cœur" ou que "le plus lourd que l’air ne pourrait jamais voler". L’article de Balzac dans la Revue Parisienne du 25 août 1840 est d’une toute autre signification, et l’on peut dire que, de tous ses contemporains c’est lui qui a le mieux compris Fourier. Mais il s’agit de deux géants de même taille et leur analyse de la société est semblable, même si le romancier Balzac se délecte de ses imperfections qui sont le miel de son oeuvre, alors que le moraliste Fourier s’en indigne - qu’il s’agisse du commerce ou du mariage - et cherche le moyen de les corriger.

Entre tous les disciples qui, comme le prévoyait dès 1823 le baron de Férussac, ont "repris l’ouvrage de Fourier pour le rendre accessible au public" - Muiron, Considérant, Hippolyte Renaud, Victor Hennequin, Villegardelle, Pompéry etc -, nous avons choisi une femme, Mme Gatti de Gamond, qui nous a paru avoir l’avantage de représenter une variété de fouriéristes assez peu connue, ou plutôt systématiquement passée sous silence : les fouriéristes catholiques [6]. Fourier lui-même, on le sait, se présentait comme le disciple "post-curseur" de Jésus-Christ et certaines de ses idées sur l’association sont passées dans les encycliques pontificales Rerum novarum (1891) et Quadragesimo anno (1932) mais en catimini ou plutôt en contrebande, et sans jamais qu’il soit nommé. L’Eglise du XIXe siècle est avant tout l’Eglise des riches, et son porte-parole à la Chambre, Montalembert, n’hésitait pas à proclamer en 1850 que son rôle était "de dire à l’homme - entendez aux pauvres - que sa vie devait être une vie de souffrances dont le prix n’était pas ici-bas. Avec cela, ajoutait-il, vous pourrez avoir des peuples gouvernables".

En dépit de la légende qui veut que Fourier n’ait eu que des disciples enthousiastes ou des détracteurs haineux, il n’a pas manqué cependant de commentateurs pour présenter son oeuvre au public de manière à la fois critique et équitable. Le premier d’entre eux est un journaliste injustement méconnu de nos jours, Louis Reybaud, certainement l’un des esprits les plus fins du XIXe siècle dont les Etudes sur les réformateurs ou socialistes modernes Saint-Simon, Charles Fourier, Robert Owen surent plaire à la fois aux fouriéristes, reconnaissants à Reybaud de les avoir pris au sérieux et à leurs adversaires les plus rétrogrades, notamment les académiciens Jay et Villemain qui leur firent décerner le grand prix Montyon en 1841. Mais Reybaud ne fut pas le seul et en 1847, Louis de Loménie, dans le tome X de sa Galerie des contemporains illustres par un homme de rien remarquait avec pertinence que "les disciples de Fourier excellent dans l’art d’atténuer la pensée du maître quand il s’agit de passer du dithyrambe à l’exposition. Tout en parlant sans cesse du caractère audacieux et grandiose de sa conception, ils commencent toujours par la présenter par son plus petit côté" [7]. De même, dans son Histoire de la littérature française sous le gouvernement de Juillet, publiée en 1854, Alfred Nettement consacre à Charles Fourier et à l’école phalanstérienne plus de trente pages, qui sont à la fois un modèle d’analyse et une réfutation courtoise selon les principes du catholicisme le plus strict.

Le 13 juin 1849, Considérant prend part avec Ledru-Rollin à une insurrection dirigée contre le soutien apporté par les troupes françaises à la Papauté en lutte avec la République Romaine. Décrété d’arrestation, il doit s’enfuir en Belgique, tandis que les presses de la Démocratie pacifique sont détruites. C’est la fin du mouvement fouriériste qui, sous le Second Empire ne survit qu’autour de quelques épigones - Allyre Bureau, Cantagrel - qui n’ont pas le talent de leurs aînés. Le fouriérisme est passé de mode, et le devant de la scène est maintenant occupé par Proudhon, que Zola peut certainement à bon droit appeler "le petit-fils de Fourier", mais un petit-fils plein de haine envers un grand-père qu’il ne cesse d’accabler d’invectives [8]. Si l’on excepte la phrase célèbre, mais au fond peu significative de Hugo sur les deux Fourier dans Les Misérables, à partir de 1860, Fourier n’est plus considéré seul et en lui-même, mais comme un élément d’un ensemble disparate : "Fourier, Considérant, Proudhon" (Lamartine) ; "Saint-Simon, Leroux, Fourier, Considérant, Proudhon" (Flaubert) ; "Saint-Simon, Fourier" (Edgar Quinet) ; "Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Louis Blanc, Cabet" (Hippolyte Taine). Les jugements de Lamartine et de Quinet sont d’ailleurs de simples banalités, tandis que Flaubert insiste - à juste titre d’ailleurs - sur l’hostilité de Fourier à la Révolution et que Taine, traumatisé par la Commune et porte-parole des bourgeois de la IIIe République classe Fourier au nombre des adversaires dont il faut connaître "les mobiles, les principes et la puissance", ce que lui-même d’ailleurs ne semble avoir guère mis en pratique.

C’est en 1880 que partait un texte capital par son retentissement, celui d’Engels dans l’Anti-Duhring, repris ensuite dans Socialisme utopique et socialisme scientifique. Couvrant Fourier d’éloges pour sa critique du capitalisme - en réalité, de manière beaucoup plus générale de la civilisation - Engels ne porte aux nues la partie critique de l’oeuvre de Fourier que pour mieux dénier toute valeur à sa partie constructive. Pour l’éternité - du moins Engels le croyait -, Fourier n’était plus, comme d’ailleurs Hegel auquel Engels le compare, que le dernier représentant des précurseurs de Marx.

Dès 1891, cependant, une timide protestation allait s’élever, sous la plume d’un économiste libéral, Paul Leroy-Beaulieu, qui consacre au Collège de France un cours d’une année à la Théorie des Quatre mouvements, et qui ne craint pas de prophétiser dans son Traité pratique d’économie politique (tome I, p. 443) : "Quand on examinera l’histoire des idées de ce siècle avec attention et impartialité, on verra que le grand homme qui a produit le socialisme, c’est Fourier et non Karl Marx". Sans aller aussi loin dans l’affirmative, les travaux de Charles Gide et d’Hubert Bourgin rendent à la pensée sociale de Fourier son originalité propre, tandis qu’en 1901, dans son Histoire du Socialisme français, Paul Louis met les choses au point : pleinement d’accord avec Engels. "C’est l’aspect négatif, c’est l’argumentation destructive du Fouriérisme qu’il faut tout d’abord envisager, car c’est là qu’est le roc solide" écrit-il, Paul Louis dresse cependant le catalogue des points de divergence : "Fourier apparaît pleinement religieux [9]... Il a la haine de l’intervention gouvernementale, de tout ce qui peut se qualifier pouvoir... Il n’entend pas spolier les possédants : dans son phalanstère, il réserve une place, et non infime, au capital... Il estime que la participation aux bénéfices réduira et supprimera le salariat". Un peu plus loin, Paul Louis ajoute même une phrase qui n’a peut-être pas perdu toute son actualité, et qui pourrait être à la base de ce qu’un ouvrage récent - qui, curieusement ne fait aucune allusion à Fourier - appelle la "soft-idéologie" [10] : "Socialement parlant, et si l’on s’en tenait au phalanstère en lui-même, le régime sociétaire ressemblerait assez à celui préconisé à notre époque par les conservateurs qu’épouvante l’ascension du socialisme".

Quel que soit l’intérêt des derniers ouvrages que nous venons de citer, il est certain que, en dehors des facultés de droit, - et, pour celui de Paul Louis, des militants socialistes, - leur audience a été des plus restreintes, et, pendant des décennies, c’est l’opinion d’Engels qui fait partout force de loi. D’ailleurs, on ne lit plus Fourier, et la seule citation qu’en fait un penseur comme Péguy, qui le compte au nombre des "grands fondateurs de la République" (alors que nul ne fut plus indifférent que Fourier aux superstructures de la politique) le montre à l’évidence.

En réalité, comme l’a montré Jonathan Beecher dans l’introduction de sa biographie de Fourier, sa véritable résurrection date du surréalisme et le mérite en revient avant tout à André Breton. Son Ode à Fourier est trop connue et trop facilement accessible pour que nous ayons voulu la citer ici, de même que les textes de Michel Butor, Roland Barthes, et des nombreux fouriérologues - André Vergez, René Schérer, Simone Debout, Emile Lehouck, Jean-Pierre Thomas, Sarane Alexandrian, Pascal Bruckner, Michel Nathan, Michael Spencer et leurs homologues italiens des universités de Turin et de Lecce, qui depuis une vingtaine d’années ont renouvelé notre connaissance de Fourier. Nous nous sommes borné, pour la période contemporaine à citer un texte de Félix Armand, écrit peu de temps avant la mort de Staline, et qui représente en quelque sorte le chant du cygne du marxisme triomphant, et deux auteurs qui, sans être des spécialistes de Fourier ont apporté des lumières neuves sur deux points importants - certainement plus pour nous que pour lui-même et ses contemporains - de la pensée de Fourier : l’antisémitisme et le féminisme. Pour Léon Poliakov, auteur d’une remarquable Histoire de l’antisémitisme, "cet ancien voyageur de commerce (Fourier) exprimait fidèlement les vieilles revendications corporatives à l’encontre des juifs. On retrouve sous sa plume en 1808 les récriminations des marchands du XVIIIe siècle et c’est l’esprit petit-bourgeois le plus routinier qui parle de sa bouche" [11]. Mais paradoxalement, l’anti-sémite Fourier peut être aussi considéré comme le premier des sionistes, puisque il écrivait dans la Fausse industrie : "La restauration des Hébreux serait une belle palme pour M.M. de Rothschild ; ils peuvent, comme Esdras et Zorobabel, ramener les Hébreux à Jérusalem et y rétablir le trône de David et de Salomon pour y asseoir une dynastie Rothschild". Si les Rothschild préférèrent leurs titres de barons autrichiens ou de lords anglais au trône de Jérusalem, soixante-dix ans plus tard, une famille rivale, les Montefiore devait établir, sur un vaste domaine acheté par elle, les premiers colons juifs en Palestine, réalisant ainsi en partie le rêve de Fourier.

Plus important que l’antisémitisme de Fourier - en tout cas plus original, son féminisme, mis en lumière par Benoîte Groult dans Le Féminisme au masculin. Il est bien possible, et Benoîte Groult a raison de le souligner que ce soit cet aspect de son oeuvre qui ait le plus éloigné de Fourier les français, peuple machiste, qui se retrouve beaucoup plus facilement dans le sexisme fondamental d’un Proudhon, et qui fut l’un des derniers à accorder aux femmes ce droit de vote que, dans un silence glacial, Victor Considérant proposait à l’Assemblée nationale au cours de la séance du 12 juin 1848.

Deux textes contemporains terminent cette anthologie, volontairement incomplète et fragmentaire : le premier du romancier américain John Updike nous apprend qu’aux Etats-Unis la renommée de Fourier n’est pas aussi grande que nous serions tentés de l’imaginer, voyant, peut-être un peu vite en lui le "père" de Marcuse, comme il fut successivement le père de Marx, de Freud et des surréalistes. Le second, d’un conseiller culturel de l’ambassade de Chine à Paris, s’il ne nous apprend rien sur la connaissance de Fourier en Chine, montre du moins que les fils de Mao savent pratiquer le pardon des offenses, puisque, aux yeux de Charles Fourier, le peuple chinois était le plus fourbe et le plus perfide de toute la terre... Opinion livresque, car il est fort improbable que Fourier, dans toute son existence ait rencontré un seul chinois...

Choix de textes

Je me suis glissé furtivement dans le boudoir des destinées universelles, et j’ai vu des dames sans voiles, comme Vénus sortant du fond des mers. J’ai surpris le calcul analytique et synthétique des attractions et répulsions passionnées. J’ai découvert la théorie des quatre mouvements. (Journal du Commerce, 30 novembre 1808). [12]

Puisque le règne de l’impossible est venu, ne nous étonnons pas de voir paraître à l’horizon scientifique et littéraire, les deux volumes qui réunissent le plus d’impossibilités, étayées par de la science, des recherches, de l’imagination, de l’esprit, de la bizarrerie, des connaissances de tout genre et des rêveries de toute espèce. (Le Miroir, 17 mars 1823).

A moins d’une marche rétrograde dans la civilisation, si le développement de l’esprit humain et de la population n’est point arrêté, la force des choses conduira à l’application de l’idée de M. Fourier, avec des modifications qui doivent naturellement varier selon les pays, les hommes et les institutions qui les régissent. (Baron de Ferussac, Bulletin Universel des Sciences et de l’Industrie, février 1824).

M. Fourier a publié il y a environ trois ans une découverte qu’il regarde comme la branche morale d’un système d’attraction universelle, dont Newton n’aurait saisi et développé que la partie physique... Convaincu que les besoins essentiels de l’homme réclament impérieusement de nouvelles moeurs, des lois et des institutions nouvelles, M. Fourier a donné le plan d’un nouveau monde social, où toutes les passions, portées à leur plus haut degré de développement dans chaque individu, seraient néanmoins en complète harmonie par rapport à l’ensemble... réunissant toutes les sociétés et tous les hommes dans une paix et une concorde à jamais inaltérable, rendant le travail attrayant même pour les Sybarites et les sauvages, procurant le triplement provisoire et subit et le trentuplement prochain et définitif de la richesse réelle. Mais si nul inventeur n’a été aussi magnifique en promesse, nul n’a été plus malheureux dans l’exploitation d’une découverte par la manière dont elle est présentée... Faut-il s’étonner si M. Fourier, combattant toutes les idées reçues, a trouvé si peu d’apologistes de son système ? (François-Joseph Génisset, Rapport à l’Académie de Besançon, 4 août 1825).

Connais-tu le Traité de l’Association domestique agricole par notre compatriote Fourier et le développement de cette doctrine nouvelle par Just Muiron ? D’après l’analyse du professeur Génisset, je n’oserais pas prononcer en public que l’auteur et son apologiste ont le timbre fêlé, mais leur nouveau monde social, fruit indigeste d’une imagination fiévreuse, quoi qu’en dise l’indulgent professeur, fournirait à la mienne une boutade qui m’amuserait et que j’insérerais volontiers dans l’Album... Je crois bien que l’on peut classer cela dans l’hypothèse de l’abbé de Saint-Pierre et dire que c’est un nouveau rêve d’un homme de bien. Ne crois-tu pas qu’il faudrait un peuple introuvable de sages pour l’exécution de ce projet ? (J.-A. Marc, lettre à Thelmier, 7 novembre 1825).

"M. Charles Fourier, osons le dire, est un des savants les plus distingués de notre époque. Il n’est cependant pas de l’Institut, car il a autant de répugnance pour l’intrigue que de l’amour pour le vrai savoir. Nous nous proposons de prouver que tout ce qu’il y a de raisonnable dans le saint-simonisme est un plagiat fait à la découverte de l’attraction passionnée de M. Charles Fourier". (Amédée Pichot, Mercure de France. 17 Novembre 1830).

"Vous savez que depuis longtemps je suis d’accord avec vous et les St. Simoniens sur la situation actuelle de l’humanité, nous ne différons que sur la bonté du remède que vous et eux proposent, c’est-à-dire sur la doctrine sociale de l’avenir. Je crois au dogme nouveau, il y a longtemps que j’ai l’annonce. Je prêche avec foi en pleine Sorbonne depuis que j’y parle, mais M. Fourier a-t-il trouvé ce dogme nouveau ? Les St. Simoniens l’ont-ils trouvé ? Je pense que non. Voilà donc ce qu’il y a de commun et ce qu’il y a de différent entre nous. Du reste je ne fais pas de comparaison entre la vaste et minutieuse conception de M. Fourier et l’édifice à peine ébauché des St. Simoniens. Mr. Fourier est infiniment supérieur, mais par cela même il est plus difficile à populariser. C’est pourquoi je suis enchanté que vous vous soyez fait son truchement, car vous êtes clair et parlez le langage vulgaire. L’enseignement de Jules Le Chevalier, que je lis avec soin, ne sera pas moins utile". (Théodore Jouffroy à Just Muiron, le 14 mars 1832).

Les disciples de Fourier partent de ce point que l’homme a été mis sur la terre pour donner à ses passions le plus grand essor, c’est-à-dire pour jouir, et moi je crois que l’homme est né pour souffrir, et lors même que la religion ne me l’apprendrait pas, mon expérience ne m’en aurait que trop convaincu. (Charles Weiss, Journal, 18 décembre 1833).

FOURIER
Hommes, voici Fourier : écoutez sa parole
"Humanité, dit-il, j’apporte la boussole
"Qui te fera trouver des flots moins en courroux".
Et, tel que Dieu l’a fait, se saisissant de l’Homme,
Tous ses penchants divers, il les compte, il les nomme
Et sa loi les accepte tous.

Prophète de l’espoir, Newton de l’âme humaine,
Du Ciel avec la Terre il rattache la chaîne
Et, sur l’ordre absolu fonde la liberté ;
Le globe n’est pour tous qu’un immense héritage
Chacun selon son droit est admis au partage
N’est-ce point là l’Egalité ?

Il rend la force au corps, à l’âme il rend la joie
De sa main inspirée, il nous montre la voie
Le Plaisir est le guide et le but le bonheur
Et voilà que, pour prix de son essor sublime,
De nos savants du jour, la foule magnanime
N’a pour lui qu’un dédain moqueur.

Ainsi l’homme toujours est ingrat au génie.
Colomb, de l’ignorance et de la calomnie
Languit quinze ans victime, à la honte des rois.
La ciguë, ô Socrate à ta coupe est mêlée
Sous l’inquisition succombe Galilée
Et l’Homme-Dieu meurt sur la Croix
(Auguste Demesmay [13] L’Impartial, 14 décembre 1834).

Demesmay a fait imprimer dans l’Impartial des stances intitulées "Fourier" dans lesquelles il compare le patriarche du phalanstère à Galilée à Colomb, à Socrate et enfin à Jésus-Christ. Les vers sont assez bien tournés pour qu’on regrette que l’auteur ne fasse pas un meilleur emploi de son talent... Viancin, scandalisé comme moi et comme bien d’autres des vers de Demesmay à la louange de Fourier vient d’y faire une réponse assez piquante. (Charles Weiss, Journal, 13 et 23 décembre 1834). [14]

Le peintre Gigoux doit exposer au Salon prochain le portrait en pied de Charles Fourier, et quoiqu’il n’ait pas dit "C’est un chef-d’oeuvre", il est clair qu’il le pense [15]. (Charles Weiss, Journal, 30 novembre 1835).

L’association (de Fourier) fait des pas immenses ; mais, comme Fourier n’avait aucune élégance et n’allait pas dans les salons, on ne lui accordera que dans vingt années son rang de rêveur sublime ayant prononcé un grand mot : Association. Fourier, vivant dans la solitude, ou, ce qui est la même chose, avec des disciples n’osant faire une objection (d’ailleurs il ne répondait jamais aux objections), n’a pas vu que dans chaque village un fripon actif et beau parleur (un Robert Macaire) se mettra à la tête de l’association et pervertira toutes ses belles conséquences. (Stendhal, Mémoires d’un touriste, 1837).

Le grand tort de Charles Fourier a été celui-ci : né pour ainsi dire hors de nos sphères, il n’a jamais daigné comprendre qu’il fallait y vivre pour y acquérir quelque ascendant... Parce qu’il avait marché, il s’imagina qu’on l’avait suivi... Exact et méthodique dans ses idées, Fourier ne l’était pas dans leur exposition ; il manquait d’ordre et d’enchaînement. Un monde où l’harmonie doit régner aurait pu être décrit et prouvé avec plus d’harmonie. Cependant on ne peut disconvenir que cette profusion de gracieux tableaux, que ce cercle confus et passionné de créations naïves, joyeuses, inattendues ; que ce désordre charmant, cette incohérence volontaire, qui sont une faute chez le savant, ne deviennent un titre réel pour l’homme d’imagination et pour le poète. Les couleurs de ces paysages sont si fraîches et d’un effet si neuf, il y a tant d’éclat et de verve dans ces Géorgiques idéales, qu’on s’abandonne, malgré soi au flot descriptif, sans regretter l’appui moins fragile d’une démonstration sérieuse. (Louis Reybaud, Etudes sur les réformateurs ou socialistes modernes, 1837).

La nouvelle est arrivée ce matin de la mort de Charles Fourier, le chef des phalanstériens. Il est mort à Paris le 10 octobre à 65 ans. C’était un homme admirable, un grand génie suivant ses disciples, et, suivant les autres un songe-creux dont les systèmes n’avaient pas le sens commun... (Charles Weiss, Journal, 13 octobre 1837).

Fourier est venu, par la découverte de la loi d’attraction, concilier tous les partis, satisfaire toutes les opinions : sa doctrine est basée sur l’analogie universelle. La doctrine de Fourier ne s’arrête point à telle race d’hommes, à telle partie du globe ; mais elle comprend toutes les races, la terre entière, elle base l’unité, elle détruit l’esclavage, tout emploi servile, tout travail obligatoire ; elle assure à tous la richesse, le bien-être, le développement complet des facultés ; elle donne double garantie à la propriété, du fonds et du revenu ; elle vient au secours du misérable, elle augmente infiniment la fortune et les jouissances des riches ; elle fait naître la concorde de l’essor même des passions... elle perfectionne tous les produits de la terre et toutes les races d’animaux par la culture universelle. Elle rend ce monde un séjour enchanté, réalisant les vertus de l’âge d’or unies aux jouissances du luxe, du développement illimité des arts, des sciences et de l’industrie. (Zoé Gatti de Gamond, Fourier et son système, 1838).

Fourier part d’un principe faux dans son système du Travail attrayant ; il part de ce principe : l’homme est un être essentiellement actif. - Non, l’homme est un être essentiellement nonchalant. (Alfred de Vigny, Journal d’un poète, 13 juin 1840).

"Quand Fourier n’aurait que sa théorie sur les passions, il est digne d’être un peu mieux analysé. Sous ce rapport, il continue la doctrine de Jésus. Jésus a donné l’Ame au Monde. Réhabiliter les passions, qui sont les mouvements de l’âme, c’est se constituer le mécanicien du savant. Jésus a révélé la Théorie, Fourier invente l’application. Fourier a considéré certes avec raison les passions comme des ressorts qui dirigent l’homme et conséquemment les sociétés. Ces passions étant d’essence divine, car on ne peut pas supposer que l’effet ne soit pas en rapport avec la cause, et les passions sont bien les mouvements de l’âme, elles ne sont donc pas mauvaises en elles-mêmes. En ceci, Fourier rompt en visière, comme tous les grands novateurs, comme Jésus, à tout le passé du monde. Selon lui, le milieu social dans lequel elles se meuvent rend seul les passions subversives. Il a conçu l’oeuvre colossale d’approprier les milieux aux passions, d’abattre les obstacles, d’empêcher les luttes. Or, régulariser l’essor de la passion, l’atteler au char social n’est pas lâcher la bride aux appétits brutaux. N’est-ce pas faire oeuvre d’intelligence et non de matérialité ? Ceci est le sens général de la doctrine de Fourier comme la divinité possible de l’âme immortelle est le sens général du christianisme". (Honoré de Balzac, La Revue Parisienne. 25 août 1840).

Les disciples de Fourier vous doivent une vive reconnaissance par la justesse avec laquelle vous avez précisé le système de leur maître. Fourier s’annonce en effet comme le mécanicien du Christ. Jésus a formulé la loi d’amour, Fourier a découvert les moyens d’application. La charité est impossible dans une société vouée à la misère. Quant il n’y a pas de foin au râtelier, les ânes se battent, dit le vilain, dans son gros bon sens. Fourier ne fait que développer cette thèse. (Alphonse Toussenel [16], Lettre à Balzac, 5 septembre 1840).

Chercherez-vous l’association du travail ? Qu’apportera le faible, le malade, le paresseux, l’inintelligent dans la communauté restée grevée de leur inaptitude ?
Autre combinaison : on pourrait former, en remplaçant le salaire, des espèces de sociétés anonymes ou en commandite entre les fabricants et les ouvriers, entre l’intelligence et la matière, où les uns apporteraient leur capital et leur idée, les autres leur industrie et leur travail ; on partagerait en commun les bénéfices survenus. C’est très bien, la perfection complète admise chez les hommes ; très bien, si vous ne rencontrez ni querelle, ni avarice, ni envie : mais qu’un seul associé réclame, tout croule ; les divisions et les procès commencent. Ce moyen, un peu plus possible en théorie, est tout aussi impossible en pratique. (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, 1841)

Mon devoir est pénible, il m’impose de dures nécessités. Il me faut parler d’infamies qu’on rougit même de nommer et dont la seule pensée laisse une souillure (...). Le monde devient ainsi un immense lupanar : c’est même trop peu dire au prix de tout ce qui sera permis dans cette maison de débauche qu’on appelle phalanstère (...) ; Veut-on savoir ce que deviennent le sentiment filial et la tendresse paternelle ? L’ingratitude des enfants est la plus noire et la plus justement abhorrée, s’il est chose qui navre, c’est assurément ce vice affreux. Eh bien, il devait se trouver un homme pour prendre son parti. Fourier se fait froidement son avocat contre les douleurs paternelles. Il l’excuse, il la justifie : abominable plaidoyer qui montre jusqu’où peut descendre la perversité de l’intelligence (...) (Le Semeur, 1841).

En considérant ces trois sectaires dont M. Louis Reybaud a exposé les systèmes, on est frappé d’un trait caractéristique qui leur est commun : c’est une obstination invincible, une opiniâtreté d’apostolat, un dévouement à leurs principes qui résiste à toutes les épreuves, (...). Et cependant, en y regardant de près, on aperçoit le mobile de leur conduite ; et ce mobile tout-puissant, c’est le désir de la domination : en d’autres termes, c’est l’orgueil, passion impérieuse dont l’exaltation peut amener la folie. Saint-Simon, Fourier, Robert Owen, ont pensé qu’ils avaient reçus (sic) de la supériorité de leur intelligence la mission spéciale d’organiser les sociétés sur des bases nouvelles, et d’occuper le premier rang parmi leurs contemporains. (A. Jay, Rapport à l’Académie Française, 20 avril 1841).

Il est des illusions paisibles qui charmaient quelques imaginations, sans agiter le monde ; il en est de menaçantes qui ne tromperaient aujourd’hui la société que pour la corrompre, la posséder violemment et la détruire. C’est là ce que l’historien des nouveaux réformateurs a voulu combattre, sans prévention injuste, sans animosité personnelle, mais avec une logique inexorable pour les faux principes. (Villemain, Rapport à l’Académie française, 17 juin 1841).

Swedenborg, par la révélation des correspondances, a annoncé l’unité et l’universalité de la science et a indiqué à Fourier son beau système des analogies. Fourier a voulu réaliser sur la Terre le rêve céleste de Swedenborg et a transfiguré en phalanstère le couvent du Moyen Age [17]. (Flora Tristan, L’Emancipation de la femme, 1846).

Non, non, les femmes qui ont soulevé imprudemment la question de leurs droits politiques ne viennent pas, au nom de Fourier briguer vos suffrages avec cette doctrine immonde, ce dogme ésotérique de la promiscuité caché dans les plis de leur écharpe. (George Sand, Lettre aux membres du Comité Central, avril 1848).

L’émancipation de la femme, ce vœu raisonnable de tous les bons esprits qui voudraient régénérer la famille en relevant la condition morale de l’épouse et de la mère, on n’ose même plus y faire allusion. Les femmes libres de Saint-Simon et les bacchantes de Fourier en ont dégoûté le siècle. (Daniel Stern (Marie d’Agoult), Esquisses morales et politiques, 1849).

Le fouriérisme est un système pacifique, il séduit l’âme par sa finesse, il flatte le coeur par l’amour de l’humanité qui inspirait Fourier lorsqu’il élaborait son système et étonne l’esprit par son harmonie. Il attire non pas par des attaques fielleuses, mais en inspirant l’amour de l’humanité. Il n’y a pas de haine dans ce système. Le fouriérisme ne préconise pas de réformes politiques ; sa réforme est économique. Elle ne touche ni au gouvernement ni à la propriété... (Dostoievski, déposition devant la commission d’enquête, 1849).

Nulle part que dans cette ville (Lyon) il n’y eut plus de rêveurs utopiques. Nulle part, le coeur blessé, brisé, ne chercha plus inquiètement des solutions nouvelles au problème des destinées humaines. Là parurent les premiers socialistes, Ange et son successeur Fourier. Le premier en 93 esquissait le phalanstère, et toute cette doctrine d’association dont le second s’empara avec la vigueur du génie [18]. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, 1852).

La doctrine de Fourier est l’opposé de la doctrine de Leroux qui en a fait la critique foudroyante (...). Leroux a raison de nous révéler que sous cette doctrine ésotérique se cache un matérialisme immonde : si Leroux ne l’avait pas révélé, ce livre écrit par énigmes ne l’eut fait comprendre qu’à un petit nombre d’adeptes et vous avez tort de dire qu’il a perdu la France qui ne le connaît pas et ne le comprend pas. (Georges Sand, lettre à Giuseppe Mazzini, 23 mai 1852).

Au rebours de la raison catholique, qui fait monter au ciel l’homme purifié, Fourier fait descendre le ciel sur une terre souillée. Avec des éléments imparfaits, il prétend créer une société parfaite, tandis que la raison catholique conçoit qu’on ne peut former une société parfaite qu’avec des éléments parfaits. C’est là l’erreur perpétuelle du philosophe utopiste, son perpétuel sophisme. Il a le sentiment de la grandeur de la destinée humaine, mais il se méprend sur les conditions de cette grandeur. (Alfred Nettement, Histoire de la littérature française sous le gouvernement de Juillet, 1854).

Fourier, Considérant, Proudhon, tous ces esprits spéculatifs qui écrivent leurs poésies en chiffres et qui jettent leur imagination par dessus l’ordre social, aimant mieux inventer l’impossible que ne rien inventer du tout sont Francs-Comtois. (Lamartine, Cours familier de littérature 76e entretien).

Il y avait à l’Académie des Sciences un Fourier célèbre que la postérité a oublié et dans je ne sais quel grenier un Fourier obscur dont l’avenir se souviendra. (Victor Hugo, Les Misérables, 1862).

Je viens d’avaler Lamennais, Saint-Simon, Fourier et je reprends Proudhon... Il y a une chose saillante qui les lie tous, c’est la haine de la liberté, la haine de la Révolution française et de la philosophie. Ce sont tous des bonshommes du moyen âge, des esprits enfoncés dans le passé. Et quels cuistres, quels pions. Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire. Le socialisme est une face du passé comme le jésuitisme une autre. (Gustave Flaubert, lettre à Mme Roger des Genettes, 1864).

Saint-Simon, Fourier et nos autres utopistes se sont formés dans l’isolement intellectuel de l’Empire... Le blocus continental intellectuel les a tous marqués du même sceau. Leur raison n’a pas su résister à un si grand confinement de l’esprit. (Edgar Quinet, La Révolution, 1865).

Proudhon est un esprit honnête, d’une rare énergie, voulant le juste et le vrai. Il est le petit-fils de Fourier, il tend au bien-être de l’humanité. (Emile Zola, Proudhon et Courbet, 1866).

Il est bon de connaître ses adversaires, leurs mobiles, leurs principes et leur puissance. Depuis Babeuf jusqu’à Saint-Simon et Fourier, depuis Proudhon, Louis Blanc et Cabet jusqu’à l’Internationale, plusieurs sortes de milléniums ont été construits sur le papier et nous savons quels ravages ils font dans des cerveaux incultes, conduits par des cerveaux demi-cultivés... (Hippolyte Taine, Journal des Débats, 15 octobre 1871).

... Nous trouvons chez Fourier une critique des conditions sociales existantes, qui, pour être faite avec une verve toute française, n’en est pas moins pénétrante. Fourier prend au mot la bourgeoisie, ses prophètes enthousiastes d’avant la Révolution et ses flagorneurs intéressés d’après. Il dévoile sans pitié la misère matérielle et morale du monde bourgeois et il la confronte avec les promesses flatteuses des philosophes des lumières, sur la société où devait régner la raison seule, sur la civilisation apportant le bonheur universel, sur la perfectibilité illimitée de l’homme, aussi bien qu’avec les expressions couleur de rose des idéologues bourgeois, ses contemporains ; il démontre comment, partout, la réalité la plus lamentable correspond à la phraséologie la plus grandiloquente et il déverse son ironie mordante sur ce fiasco irrémédiable de la phrase. Fourier n’est pas seulement un critique ; sa nature éternellement enjouée fait de lui un satirique, et un des plus grands satiriques de tous les temps. (...). Mais là où il apparaît le plus grand, c’est dans sa conception de l’histoire de la société. (...) Il démontre (...) que la civilisation se meut dans un "cercle vicieux", dans des contradictions qu’elle reproduit sans cesse, sans pouvoir les surmonter, (...) de sorte que, par exemple : "la pauvreté naît en civilisation de l’abondance même". Fourier,(...) manie la dialectique avec la même maîtrise que son contemporain Hegel. (...). De même que Kant a introduit la fin à venir de la terre dans la science de la nature, Fourier introduit dans l’étude de l’histoire la fin à venir de l’humanité. (Friedrich Engels. Socialisme utopique et socialisme scientifique. (Anti-Dühring, 1880).

Le 7 avril 1772 naissait à Besançon un homme que ses disciples ont proclamé le plus grand génie de l’humanité, d’une trempe peu commune, et auquel on ne peut refuser une puissance d’imagination surprenante et une force de logique extraordinaire dans la théorie absolument neuve qui à l’avenir devait servir de base à la société.
Cet homme était Charles Fourier. Il fut de ceux qui, comme Paracelse, Agrippa, Albert-le-Grand, réussirent à faire accepter leurs boutades pour du savoir, leurs rêves pour des découvertes réalisables. (...) Ce fut un grand semeur d’idées, d’idées bizarres et étranges, mais semeur enthousiaste et convaincu, qui n’eut jamais un instant de découragement, tout en se rendant compte qu’il laisserait son or sur la lisière de la terre promise et que la moisson qu’il préparait ne lèverait pas. (Alexandre Estignard, Portraits franc-comtois, 1887).

Quelle joie, si nous pouvions saisir, par Ange et par le mouvement lyonnais que Michelet signale, le passage de la Révolution au fouriérisme ! (Jean Jaurès. Histoire socialiste de la Révolution française)

... Une autre méthode, c’est, comme Fourier et Karl Marx, d’élaborer sur le papier un plan général de refonte de la société et d’essayer ensuite de l’appliquer in animo viventi. L’exemple russe montre les résultats pratiques de cette méthode. (Paul Claudel, lettre à Pierre Brisson, 20 juin 1939).

Qui lit encore Fourier ? Personne, sauf quelques spécialistes. Pourquoi ? Cela tient certes pour une part à la difficulté de l’oeuvre, extraordinaire imbroglio où Fourier, prétendant suivre un ordre scientifique, donne libre cours à sa manie de changement, en abusant des coupures, des développements intercalaires, (...) de néologismes qui donnent à son style une allure abrupte, hermétique et rébarbative.
De toute évidence, ces motifs, réels, sont secondaires. La bourgeoisie ne lit plus Fourier parce que son aspect critique, progressiste, et révolutionnaire lui est insupportable. Quant au prolétariat, il ne le lit pas, car tout le contenu vivant de l’oeuvre est passé, solidement repensé, puissamment systématisé dans le matérialisme dialectique. On ne lit plus Fourier parce que tous ceux qui pensent avec leur temps, en avant de leur temps, lisent Marx, Engels, Lénine et Staline. (...). Il y a de tout dans Fourier : du meilleur et du pire. Antisémites ou sionistes, anarchistes ou néo-monarchistes, spirites, espérantistes, jusqu’aux promoteurs des mouvements de scoutisme, peuvent, avec quelque apparence de raison, se réclamer de lui. Les théoriciens du paternalisme et leurs disciples Pétain ou de Gaulle pourraient le reconnaître pour leur ancêtre, aussi bien que les laudateurs des standards américains. Le mouvement réformiste des coopératives de production et de consommation, bien qu’il ait d’autres patrons, est issu en partie de l’influence fouriériste. (Félix Armand, Actualité de Fourier", 1953).

A L’INVENTEUR DU MOT "FEMINISME"
Surréaliste cent ans avant qu’Apollinaire n’invente le mot en 1917, écologiste en un temps où l’on croyait encore la terre inépuisable et l’industrialisation un bien absolu, prophète égaré de la liberté et du plaisir dans une période de restauration bourgeoise et de morale catholique pudibonde, psychologue freudien et reichien avant la naissance de Freud ou de Reich, écrivain enfin d’une variété extraordinaire, on peut s’étonner que Charles Marie François Fourier ne soit demeuré si longtemps qu’un nom dans les dictionnaires et que son oeuvre ait dormi plus d’un siècle dans la poussière des bibliothèques.
La raison en semble aujourd’hui assez claire : des théoriciens peuvent imaginer un monde concentrationnaire, proposer des systèmes de société aberrants, emprisonner ou tuer des gens pour leur religion ou leur couleur de peau, prôner la guerre ou la destruction des races dites inférieures, rien de tout cela ne semble bien nouveau et ils ne susciteront jamais autant d’indignation et de scandale qu’en s’en prenant à l’institution du mariage et de la famille, en préconisant de nouveaux rapports amoureux, la liberté sexuelle et le droit au plaisir. La volonté de bouleverser le monde a toujours paru moins inquiétante que la négation de la morale traditionnelle. (Benoîte Groult, Le Féminisme au masculin, 1977).

Certains immortels le sont plus que d’autres. Platon est suspendu dans le ciel, d’autres noms clignotent, à peine visibles. Cinq de ces luminaires de second rang sont le sujet de deux volumes au titre composé : Sade, Fourier, Loyola par Roland Barthes, Vico and Herder par Isaiah Berlin [19]. Les courants intellectuels contemporains coulent de façon irrégulière autour de ces cinq sujets : on pourrait dire de Vico et de Sade qu’ils sont à la mode. Loyola prit d’assaut l’histoire en fondant l’ordre des jésuites ; les deux personnages les plus proches de notre temps - Herder et Fourier - sont les plus estompés dans notre perspective, bien que les projets utopiques, scandaleusement écervelés, de ce dernier, fussent autrefois pris au sérieux aux Etats-Unis par Horace Greeley entre autres et qu’on tentât de fonder des communautés fouriéristes dans des lieux aussi reculés que le Texas et le New Jersey. (John Updike, Navigation littéraire, 1983).

Besançon est une ville accueillante qui tend ses bras aux amis venus de loin, à nous qui sommes venus de Chine, à la recherche de coopération et d’amitié. Nous nous sommes arrêtés sous la fenêtre qui porte une plaque indiquant que c’est ici qu’est né Victor Hugo. Je me suis fait photographier sur la place, en pensant que la Franche-Comté avait engendré des talents et des génies pour la nation française tels que Charles Fourier. (Yan Hansheng, Membre du Conseil de l’Association des Traducteurs de Chine, 28 juin 1985).