Né au Havre (Seine-inférieure auj. Seine-Maritime) le 9 septembre 1808. Décédé à Paris (Seine) le 29 novembre 1850. Ancien ouvrier ébéniste et grammairien au Havre, professeur de langues à Paris. Saint-simonien. Membre du « collège doctrinal » du groupe parisien du Nouveau Monde en 1841. Membre de l’Institut phalanstérien en 1846. Auteur de pamphlets. Inculpé à la suite de l’insurrection de juin 1848.
Anthime [1] Benjamin Hamel est le fils d’un Havrais, commis de l’octroi, Jacques Benjamin Hamel, âgé de cinquante ans lors de sa naissance et de Marie Madeleine Ameline, née à Branville (Calvados), âgée de trente-trois ans. Ils se sont mariés le 7 mai 1806 à Branville. Les prénoms d’Anthime Benjamin Hamel ont été choisis par l’un des témoins, Guillaume François Le Roy, tonnelier et beau-frère du père, et par la sœur d’Anthime, Flore Adèle Hamel.
Le 25 octobre 1828, Anthime Hamel épouse à Paris (10e arrondissement) Flore-Flavie Beaufillot, âgée de 32 ans. Il demeure « de droit » 88 rue du Bac à Paris et est professeur. Le couple est marié selon le culte catholique à l’église Saint-Pierre du Gros-Caillou.
Un engagement initial auprès des Saint-simoniens
Quelques années plus tard, dans une lettre à Enfantin adressée du Havre, le 14 janvier 1832, Hamel se présente comme ancien ouvrier ébéniste et grammairien [2]. Cette activité ouvrière paraît avoir été éphémère. Il affirme son soutien à Enfantin en prenant six inscriptions de 50 francs à la rente saint-simonienne. Il convainc également sa sœur et sa mère, la première souscrivant pour neuf actions, la seconde pour six [3]. Mais comme de nombreux partisans, Hamel s’éloigne du mouvement saint-simonien et trouve l’opportunité de concrétiser ses espoirs avec Fourier.
Premier échange avec Charles Fourier
Hamel entre en contact avec Charles Fourier le 24 mars 1833 depuis Le Havre. Il indique qu’il est « professeur et disciple de M. Andrieu [4] quant à l’enseignement des langues (inclus le prospectus de la méthode de mon maître, œuvre extraordinaire sur laquelle j’appelle votre attention) ». Il se présente comme « ex-saint-simonien », mais précise que, bien qu’ayant pris ses distances à cause de « la conduite ambiguë des chefs st simoniens », il sera « peut-être plus difficile de [lui] faire abandonner les idées scientifiques et économiques, sinon sur le présent, au moins sur le passé et sur l’avenir ». Il poursuit en précisant :
Mais, ainsi que l’a dit quelque part Enfantin ou l’un des siens, comme la vie, le progrès, c’est le présent ; et comme aussi je crois fermement que vos moyens d’extirpation des affreuses misères de la plèbe - (œuvre sublime qui doit être le delenda carthago des hommes de mon âge) - sont, au moins relativement et transitoirement, les plus puissants & les plus rapides pour arriver précisément à ce but qui est exactement le même qui était à mes yeux le but St simonien ; voilà Monsieur, ce qui m’a déterminé à me livrer à vous, à vous suivre mais seulement dans la fraction pratique de votre œuvre, me réservant bien entendu, de me déterminer ultérieurement, (après long et mûr examen), à l’égard de vos doctrines cosmogoniques et historiques sur le développement général du monde extérieur et de l’humanité.
Hamel ne fait pas allégeance à Fourier, mais lui adresse « respect et admiration pour [son] génie et pour [sa] persévérance » ; il n’hésite cependant pas à annoncer quelques réticences en introduction, même s’il le rejoint sur les conséquences des révolutions de 1789 et 1830 :
Vous avez presque toujours un million de fois raison (abstraction faite peut-être de ce qu’il y a d’exclusif dans votre manière de raisonner) car il n’y a que le vulgaire ignorant et les imbéciles achevés qui croient que les classes qui ont actuellement le monopole du pouvoir et de la fortune sont réellement embarrassées de trouver des moyens positifs de sortir la plèbe de la misère et des chaos engendrés par nos deux révolutions. Chez le peuple penseur personne n’ignore que l’infâme aristocratie oisive qui a succédé à la féodalité nobiliaire a ourdi sourdement avec tous les immenses moyens matériels qui sont à sa disposition une conspiration vaste, permanente et indirecte, pour tenir indéfiniment les classes prolétaires dans l’indigence & dans l’abrutissement intellectuel ; et ce, afin d’empêcher la véritable civilisation, […] et de pouvoir continuer indéfiniment à consommer sans travailler et à dominer sans se donner la peine d’acquérir capacité positive.
En raison de l’adversité que rencontre Fourier dans l’application de sa théorie à Condé-sur-Vesgre, Hamel annonce qu’il a :
résolu de [le] suivre et de contribuer matériellement à la partie pratique […] J’ai dans la doctrine de St Simon (fraction Enfantin) un certain nombre d’inscriptions qui, toutes me sont actuellement remboursées en obligations dont l’échéance est très prochaine et avec le montant desquelles j’ai l’intention d’acheter plusieurs actions, dans votre colonie sociétaire.
Malgré l’échec du projet, Hamel reste fidèle à l’idéal fouriériste dont il approfondit l’étude.
Proche du groupe du Nouveau Monde
Il s’illustre en octobre 1841 en annonçant [5] une série de Lettres au Roi des Français dont Le Nouveau Monde et Le Premier Phalanstère se font l’écho. Il propose selon Le Nouveau Monde la création d’un tribunal spécial composé de « 72 notabilités intellectuelles » élues chaque année par le gouvernement, et autant par « les gérants de tous les journaux politiques de France ». Seuls « 36 journalistes et 36 notabilités scientifiques » pourront siéger, les autres étant « pris dans tous les rangs de la société ». Ce tribunal sera chargé de juger les affaires de « calomnies (par voie de presse] contre les individus, soit les fonctionnaires, soit les particuliers » [6]. Hamel précise qu’
aucun abus grave ne serait à redouter. La double amovibilité des jurés de la presse serait un contrepoids à toute tentative de tyrannie ou de monopole intellectuel. La compétence si restreinte de ce tribunal l’empêcherait de devenir un pouvoir moral dans l’État. La concurrence électorale du gouvernement et des journalistes mettrait dans l’impossibilité de suspecter la composition de ce tribunal. […] la presse départementale sortirait de l’ilotisme où la tient virtuellement l’ignorance des classes moyennes [… et] serai[t] ainsi appelé[e] à jouer un rôle dans la formation de l’opinion, et le monopole indirect du journalisme parisien serait définitivement brisé [7].
Cette réforme effectuée, la priorité sera donnée à la réforme de l’organisation du travail :
les grands pouvoirs nationaux désormais mieux assis, pourraient se livrer avec calme à l’étude des vastes améliorations que réclament impérieusement les progrès industriel de la société […] ; et ils seraient inévitablement amenés à chercher une solution à ces formidables questions […] :1° Le développement de l’industrie moderne, et le régime de concurrence anarchique qui l’a produit, ne concourent-ils pas dans une grande mesure à engendrer la misère du peuple, et ne doivent-il pas prochainement nécessiter un changement profond dans L’ORGANISATION DU TRAVAIL ?
2° Si les changemens [sic] devenus urgens [sic] dans l’organisation du travail, rencontrent des résistances […], existe-t-il des moyens certains de prévenir les catastrophes qui menacent périodiquement la société et notamment la pénurie fiscale, le retour de la double banqueroute de l’État, et des insurrections populaires provoqués par le manque de travail et l’abaissement progressif des salaires ?
3° Quelle est l’organisation industrielle la plus propre à protéger les gouvernans [sic] et les peuples contre l’imminence d’une féodalité mercantile et financière, à améliorer le sort des travailleurs pauvres sans dépouiller les riches oisifs, enfin à assurer de l’ORDRE et de la LIBERTÉ ? [8].
C’est pour Hamel l’occasion de rappeler que peu avant la chute de Charles X, son ministre des travaux publics, le baron Capelle adressait le 24 juillet 1830, une lettre à Charles Fourier, affirmant « adopt[er] l’examen de l’entreprise (l’industrie attrayante) ».
« Une confiance sans borne » [9] en Arthur de Bonnard
Hamel est proche d’Arthur de Bonnard. Lorsque Jean Czynski cède la propriété et la direction du journal Le Nouveau Monde à « l’Unité [de la propagation phalanstérienne selon le mode composé] » constituée par Bonnard et destinée à « réunir tous les groupes de l’École pour les appeler à l’œuvre commune » [10], Hamel comme Eugène Stourm appartiennent au « collège doctrinal » [11] du projet. Ce collège est pour Stourm « un outil de la réconciliation entre les groupes, « une corporation spéciale chargée du dépôt de l’orthodoxie phalanstérienne et de l’enseignement de la Théorie de Fourier ». Hamel y voit « un admirable procédé de propagation unitaire et composée » [12]. Le projet se traduit concrètement par une création garantiste, la « Maison sociétaire de commission centrale véridique ». Dénonçant comme Fourier le commerce mensonger synonyme de prix excessifs et de fraude, Arthur de Bonnard veut faire du Nouveau Monde un organe de publication d’« annonces véridiques » mettant en relation directe vendeurs et clients. Hamel, selon Le Premier Phalanstère [13], exprime
une confiance sans bornes. M. Hamel s’est posé comme le précurseur ou du moins l’annonciateur de cette nouvelle voie de transition. Son concours est en quelque sorte inconditionnel, et c’est avec une sorte d’enthousiasme, de fougue irréfléchie qu’il a consacré tous ses loisirs, ses talents et ses travaux à faire valoir le projet en question. Le discours qu’il a prononcé à ce sujet est la preuve de ce que nous avançons ; M. de Bonnard lui-même ne parle pas de sa propre pensée avec plus de confiance et de ferveur ; il en énumère tous les avantages, il en prévoit toutes les conséquences ; les anciens disciples sont vertement tancés pour n’avoir pas eu plutôt l’idée d’organiser la propagande sur un mode composé qui pût tout à la fois servir d’enseignement théorique et pratique, de précepte et d’exemple, et fournir à ceux qui s’y consacrent des moyens, sinon de fortune, au moins d’indépendance matérielle. Il répond, sans beaucoup de peine, aux orthodoxes exclusifs qui s’obstinent à vouloir tout ou rien ; ce qui, dans notre état de choses, peut les condamner encore pour longtemps à se résoudre à rien. Enfin, M. Hamel espère que le mode nouveau de propagande proposé par M. de Bonnard permettra de faire une approximation, quoique très-incomplète [sic], du procédé sériaire en travail propagandiste, c’est à dire d’expertiser les natures et de les classer en raison des aptitudes qui les caractérisent.
Le discours de Hamel ainsi que ceux d’Arthur de Bonnard et d’Eugène Stourm doivent paraître en brochure. Mais le projet fait long feu. Le Nouveau Monde cesse de paraître durant près d’un an, Le Premier Phalanstère disparaît, Arthur de Bonnard quitte Paris pour Pont-à-Mousson.
Hamel continue à graviter dans le cercle des phalanstériens s’activant en marge du Centre parisien de l’École sociétaire. En 1846, établi comme professeur de français au 1 rue Favart, il appartient à l’« Institut phalanstérien » [14] comme Simon Blanc, le général Dubourg, Hugh Doherty, le statuaire Arthur Guillot, l’homme de lettres Sharrassin [15] et le colonel de Zeltner.
Junius Hamel pamphlétaire
Il écrit à cette date sous le pseudonyme de Junius. Par erreur, J.-M. Quérard [16] identifie Junius comme étant Frédéric Malapert, avocat, faisant également de Hamel un pseudonyme. Pour étayer cette affirmation, il s’appuie sur le Journal des sans-culottes de Constant Hilbey [17] :
Un journal annonce des concerts donnés dans la salle de la Fraternité, rue Martel ; le directeur de cette salle est un nommé De Bonnard, ami d’un certain Malapert, qui s’appelle aussi Junius, auteur de la satire sociale et de la ligue sociale, duquel j’ai sous les yeux deux lettres écrites, l’une en 1845, l’autre en 1846, l’une signée Hamel et l’autre Junius, mais son adresse est indiquée chez M. Michel, rue Favard, 1, et M. Michel c’était le même homme. Ce citoyen JUNIUS, MICHEL, — HAMEL, MALAPERT, m’écrivit sous l’autre gouvernement pour me faire des propositions suspectes que je n’acceptai pas ».
Cependant l’adresse donnée par Hilbey, « rue Favart, 1 » infirme la révélation. L’adresse est celle donnée dans les différents annuaires cités précédemment comme étant celle de Hamel [18] ; Quérard note par ailleurs parmi les écrits qu’il attribue à Malapert, « Le Jury spécial de la Presse » (Extrait du Nouveau-Monde, journal dirigé par J. Czinsky) qui est sans conteste l’œuvre de Hamel.
Faut-il également considérer les quelques autres titres cités par Quérard [19] comme écrits de Hamel et non de Malapert ? On peut l’admettre pour les titres de La Satire sociale. Après avoir repris in extenso en février 1846 un article du Corsaire Satan [20] dénonçant les compagnies adjudicataires des chemins de fer, pamphlet de Junius et consorts, La Démocratie pacifique [21] publie fin mai 1846 une lettre de Junius :
Seriez-vous assez aimable pour dire un mot de ma belle dénonciation en coalition contre les compagnies adjudicataires du chemin de fer de Lyon, de la même manière que le Constitutionnel parle de la belle traduction de mon maître Paul-Louis ? Je dis ma belle dénonciation, et c’est peu, je devrais dire belle ET bonne, puisque la Démocratie pacifique l’a reproduite textuellement du Corsaire-Satan, un journal qui est presque toujours spirituel (c’est encore la Démocratie qui l’a dit). Ce pamphlet forme la première livraison de la SATIRE SOCIALE, par Junius et consorts. Parlez un peu, je vous prie, en passant, de la seconde livraison, qui a pour titre : A MM. les députés de l’aristocratie d’argent sur l’avantage qu’il y aurait pour eux à servir fidèlement les intérêts de la nation par moi, Junius. C’est une sorte de dénonciation en complicité, dirigée contre les soi-disant représentants du pays, qui ont, assure-t-on, trempé pour quinze mille actions dans le complot du MONOPOLE DES TRANSPORTS. Vous trouverez cette seconde livraison avant la fin de mai dans cet excellent Corsaire-Satan, qui, tout en approuvant l’idée du pamphlet, me l’a fait remettre sur le chantier, afin que je tâche à faire court, comme dit le bonhomme Paul, s’imaginant apparemment que le pauvre Junius a beaucoup de loisirs, ou qu’il va vivre de la Satire sociale, ce qui est loin d’être exact. Peut-être il ne serait pas inutile d’annoncer les troisième et quatrième livraisons, intitulées l’une : Pétition au quatrième pouvoir, et en particulier à la presse réformiste, sur le danger des coalitions capitalistes ; et la seconde : Mémoire à consulter au corps électoral sur l’imminence du mouvement social qui emporte la civilisation vers la féodalité industrielle et financière, toujours par l’infatigable Junius. C’est la mise en accusation régulière et complète de cette aristocratie d’argent qui envahit l’une après l’autre toutes nos libertés industrielles et commerciales. Il faut bien que Junius instruise le procès, puisque M. du Nord, aussi bien que MM. de l’Opposition, reculent devant la tâche, dont pourtant l’accomplissement constitue un impérieux devoir social. Ce n’est pas à un converti comme vous que je vais prêcher qu’il y a urgence de faire une diversion puissante, de détourner les coups qui menacent la royauté politique, et de diriger l’orage contre les véritables ennemis de la liberté, les hauts et puissants seigneurs de la féodalité nouvelle, si tant est que nous en soyons réduits à regarder la guerre comme un moyen permanent de progrès social. En habiles économes de ressorts, faisons qu’à quelque chose le mal soit bon. Répétons sans cesse avec l’illustre auteur de l’Esclavage moderne que si l’oppresseur politique est appelé tyran, l’oppresseur industriel ne reçoit de nom qu’aux enfers.
Sa dénonciation de l’aristocratie financière dérive vers une diatribe antisémite personnifié par Rothschild [22]. Junius fait appel à plusieurs reprises à Fourier pour justifier son propos :
P. S. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que S. M. I. [le tsar Nicolas 1er] entreprend de regimber contre la suzeraineté juive, en rendant un oukase très-progressif, je vous assure, lequel condamne les quatre-vingt-dix-neuf-centièmes des Israélites à embrasser des professions honorables et productives, telles que l’agriculture, la fabrique, etc. Bravo ! Nicolas ; Charles Fourier n’aurait pas fait mieux pour moraliser le peuple élu ; ce sera un temps d’arrêt pour la féodalité usurière et trafiquante. Nous souhaitons de grand cœur que S. M. I. puisse achever ses grands travaux publics sans avoir à subir les fourches caudines des traitants. Qui vivra verra. […] NOTE FINALE Il va sans dire, on le conçoit de reste, que nous excepterions de l’anathème les néo-israélites d’outre-Rhin et d’outre-Manche, qui subissent la dure persécution financière du roi des Juifs et de ses grands vassaux, parce qu’ils repoussent la coutume, aujourd’hui barbare, de la circoncision. Disons bien haut, après la Démocratie, que ces néo-juifs, ces hommes de progrès, ces modèles d’urbanité, de loyauté, sont destinés à jouer un rôle important dans le mouvement intellectuel et social, qui se développe parallèlement avec le mouvement transitoire dont la féodalité juive et saint-simonienne a la haute direction
Junius paraît attendre un soutien de La Démocratie pacifique prétendant qu’une analyse de trois de ses publications a été donnée dans les colonnes du journal. La « Petite correspondance » des éditions des 7 et 14 juin 1846 semblent montrer que La Démocratie pacifique n’est pas aussi enthousiaste vis à vis d’un inconnu affirmant ne pas vouloir prendre « d’engagement sur des choses à venir dont l’auteur ne se fait pas connaître » [23].
Socialiste et bonapartiste
Lors de la Révolution de 1848, Hamel est toujours proche d’Arthur de Bonnard. Il participe à la constitution de la Ligue du Salut Social fondée par Arthur de Bonnard [24] et contribue avec Legenvre à la rédaction de son manifeste [25] qui paraît au lendemain de l’insurrection du 23 juin 1848. Il s’agit encore de trouver « le capital nécessaire pour fonder les boutiques d’épicerie et de commerce de vin véridique » [26]. La Ligue du Salut social diffuse un journal dont la rédaction en chef est tenue par « le vieux de la Montagne » [27], qui est probablement Hamel. Son propos est particulièrement emphatique :
En fait de révolution, je sais que personne ne sait : je suis le grand révolutionnaire, le révolutionnaire par excellence, le seul révolutionnaire sérieux qui ait apparu dans le monde depuis Jésus-Christ… Le Christ n’est venu sur la terre que pour préparer mon arrivée ; les nations m’attendent depuis dix-huit siècles ; rien de bon ne peut être fait en dehors de la marche que veux indiquer au peuple [28].
Arthur de Bonnard en est le premier rédacteur-adjoint. Une première « BOUTIQUE D’ÉPICERIE VÉRIDIQUE » voit le jour 32 rue Neuve-Saint-Martin [29]. La Ligue du Salut social s’appuie également sur un club qui se réunit salle du Vaux-Hall, 18 rue de la Douane et que préside Arthur de Bonnard [30].
Hamel est poursuivi après les journées insurrectionnelles de juin et condamné à la transportation le 7 septembre 1848 [31]. La condamnation est sans effet puisqu’il poursuit son activité de propagande. Ainsi, si seuls deux numéros du Salut social paraissent, doit lui faire suite, selon Le Manifeste de la Ligue sociale [32], appel à l’unité des démocrates et des socialistes, un nouveau titre, La Ligue sociale, revue mensuelle de tous les journaux socialistes [33]. Le projet de la Ligue du Salut social préfigure la Propagande démocratique et sociale [34]. L’objectif est de
créer un centre universel de propagande et d’agitation socialiste, assimiler tous les éléments qui ont quelques points de contact, rechercher, élaborer et mettre en lumière les principes des réformes urgentes, des moyens d’action transitoires, sinon définitifs, voilà le premier résultat à conquérir par la ligue sociale. La propagande écrite étant le moyen d’enseignement le plus sûr, la ligue sociale doit avoir pour pivot la presse, sous toutes ses formes variées et solidarisées […] La Ligue sociale, par ses rapports suivis avec les chefs de la propagande orale, offrira encore en prime à ses abonnés des entrées libres dans toutes les réunions, conférences et clubs socialistes de Paris. Quant au journal La Ligue sociale, qu’ils ne recevront qu’une fois par mois, il complétera leur instruction sur la matière [35] […]Ce qu’il y [a] à faire au début, c’est le devoir des hommes de cœur de le tenter aujourd’hui : c’est de fonder l’UNION des partis progressifs [sic].
Cette œuvre doit commencer ainsi : dégager les principes communs formant le terrain neutre du socialisme moderne, et concentrer systématiquement les forces des écoles militantes sur la diffusion de leurs axiomes communs [36].
Dans la première version du Manifeste de la Ligue sociale est également publiée une adresse des « démocrates socialistes de France aux démocrates de Vienne » [37] lue lors d’une séance du club électoral de la Redoute fondé par Arthur de Bonnard, Legenvre et Junius Hamel, en octobre 1848 [38]. Cette adresse est accompagnée d’une « lettre des [trois] fondateurs de la Ligue sociale » appelant à désigner au sein de l’association viennoise « trois délégués pour la représenter auprès des démocrates de Paris, avec mission de coopérer à la fondation d’une ligue internationale des peuples révolutionnaires, et d’aviser aux mesures d’urgence propres à faire triompher la République démocratique et sociale, ouvertement menacée par la réaction » [39]. Une descente de police dans les locaux de la Ligue sociale met fin au projet de journal le 12 novembre 1848 [40].
Selon Alphonse Lucas, les trois fondateurs du club de la Redoute sont des soutiens bonapartistes en novembre 1848 [41]. C’est en tous cas l’orientation prise par Hamel et Legenvre. En décembre 1848, Hamel lance Le Progrès social, organe des idées napoléoniennes et des intérêts populaires [42] qui reprend partiellement Le Salut social [43]. Il en est propriétaire et gérant [44]. Il s’agit de réunir derrière la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, les votes contre Eugène Cavaignac, « l’auteur des déplorables journées de Juin » [45] :
Dans cette candidature, il y a une force sociale d’une valeur incontestable qu’il importe d’attirer à nous au lieu de la repousser dans les mains de la réaction [46].
Seul un numéro paraît, sans doute le 7 décembre 1848 [47].
À la même période, Junius Hamel est avec Legenvre l’un des membres du comité qui publie le Bulletin du Comité central provisoire pour la candidature permanente des ouvriers démocrates-socialistes à l’Assemblée nationale et à toutes les fonctions électives [48]. Le comité présidé par J. Marot, et composé également de Gys, C. Lelièvre, Levergeois réclame, parmi de multiples revendications unitaires ou communes aux différentes écoles démocrates-socialistes,
[l’]établissement d’écoles oratoires mutuelles et gratuites pour les citoyens ouvriers, dans tous les pays où le français est la langue vulgaire, à l’effet de propager rapidement les doctrines démocratiques et socialistes, et de mettre la classe ouvrière en état de défendre ses intérêts par elle-même ; [la] constitution d’une école neutre ou ligue sociale, renfermant dans son sein des représentants de toutes les nuances socialistes, et chargée d’organiser la diffusion des principes généraux du socialisme acceptés par toutes les écoles connues ; [l’]organisation de l’échange et du commerce véridique ; abolition successive de l’usure et des privilèges du parasitisme ; […] [l’]organisation de fêtes ou de banquets périodiques à bon marché, dans le but d’entretenir et de développer l’esprit de fraternité chez toutes les classes de travailleurs ; [...] [la] constitution de la ligue internationale des révolutionnaires socialistes, dans le but de consacrer l’indépendance des nationalités et de régulariser la concurrence internationale qui a jusqu’ici causé l’abaissement indéfini des salaires, et ainsi a été un obstacle à l’émancipation sociale des classes laborieuses de tous pays […].
C’est d’ailleurs à la Ligue sociale dont Legenvre est le gérant que les cartes d’adhésion sont à retirer. C’est à cette période que paraît la brochure Rothschild devant le tribunal de l’opinion publique, ou la Féodalité financière dévoilée [...] vendue « au profit du Comité électoral pour la candidature permanente des ouvriers à toutes les fonctions électives » [49].
Hamel poursuit son combat aux côtés de Legenvre en fondant, avec Grandvalet et Lelièvre, un nouveau titre, Le Socialisme napoléonien : organe de la Ligue démocratique pour l’extinction du paupérisme [50]. La Ligue démocratique pour l’extinction du paupérisme est soutenue par le député Pierre Bonaparte, cousin germain de Louis-Napoléon Bonaparte dont la souscription de vingt francs est mise en avant. La Ligue viticole et son journal Le Réformateur, la Ligue sociale, le Vrai catholique, « feuilles mensuelles, organes d’associations nombreuses, marchant toutes dans une voie parallèle à la nôtre lui offrent aussi le concours de leurs adhérents » [51]. On apprend également que « les ouvriers orateurs, candidats à l’Assemblée nationale, formés à l’excellent cours oratoire du citoyen Junius se proposent tous pour être les missionnaires de la religion nouvelle sur tous les points du pays où les conduisent leurs pérégrinations industrielles » [52]. Hamel applique ainsi une des revendications du Bulletin du Comité central provisoire pour la candidature permanente des ouvriers démocrates-socialistes à l’Assemblée nationale et à toutes les fonctions électives. Seuls deux numéros du Socialisme napoléonien, au contenu identique, paraissent.
On retrouve Hamel également en juillet 1849 collaborateur de Grandvalet, rédacteur de l’Écho populaire, journal de la propriété du peuple [53]. Granvalet est chargé de l’économie sociale, Junius de la politique.
Propagateur de la « la méthode d’émancipation intellectuelle » [54] de Jacotot
La Révolution de février 1848 a conduit Junius Hamel à faire évoluer sa fonction de pédagogue. Professeur de langues devenu professeur d’art oratoire destiné à former des missionnaires ouvriers, il donne des
leçons gratuites de langue française et d’orthographe raisonnée pour les travailleurs des deux sexes. Le moment est venu de préparer de longue main le rapprochement et la fusion fraternelle des classes par la culture intellectuelle et l’éducation égale pour tous. C’est le plus puissant moyen d’arriver à l’égalité positive et à la dignité réelle qui commandent le respect et la considération. Nous engageons vivement les ouvriers des deux sexes à seconder de tous leurs efforts le dévouement du professeur [55]
Il expose sa méthode dans La Ménippée nouvelle. Satire sociale, ou Vérités sur la Civilisation [56] série de « dialogues populaires sur les doctrines socialistes [entre] un démocrate et un réactionnaire » [57]. Cette nouvelle publication devait se composer de 200 livraisons ; seules les deux premières ont paru. Dans La Ménippée nouvelle, Junius et ses co-auteurs défendent « la méthode d’émancipation intellectuelle » de Jacotot, selon laquelle l’enseignement peut être effectué par un maître qui ignore ce qu’il enseigne, et un élève peut apprendre seul auprès d’un maître ignorant :
Trouvez-moi environ douze hommes de volonté, douze hommes sincèrement dévoués à la cause populaire ; c’est, à la vérité, chose assez difficile par le temps qui court. Je prends l’engagement solennel de les émanciper en quelques mois, à la condition que chacun d’eux s’engagera publiquement à en faire autant en faveur de douze travailleurs manuels, c’est-à-dire, à ne pas renoncer à leur instruction qu’ils ne soient en état « sans maître et d’enseigner ce qu’ils ignorent » chose démontrée possible par l’expérience. Avec un bataillon sacré d’environ cent quarante-quatre improvisateurs en unité de principes et de but pratique, avant 1852, nous sommes maîtres du mouvement des esprits, et par conséquent des délibérations dans toutes les réunions électorales. Une partie de ces travailleurs, voyageant pour les besoins de leur profession, peuvent former, sur tous les points de la France, des groupes d’ouvriers-orateurs, comme nous l’aurons fait dans Paris et dans la banlieue ; nous renouvellerons ainsi, à la barbe de la loi sur les clubs, cette affiliation tacite des esprits, au moyen de laquelle Robespierre et les Jacobins, ces hommes tant méconnus [...], dirigèrent le mouvement de l’opinion avancée. Voilà une publicité sans limites, à laquelle rien ne peut résister, parce qu’elle est orale et gratuite [58].
Les auteurs affirment que
Quelques jours avant le 29 janvier, des démocrates bien connus, et des rédacteurs de journaux socialistes, convaincus de la nécessité d’organiser la discipline intellectuelle dans le parti démocratique, proposèrent au citoyen Junius de centraliser l’enseignement social des clubs, en faisant un cours normal d’émancipation intellectuelle, appliqué à l’éducation populaire. Le grand complot réactionnaire empêcha de donner suite à cette entreprise, qui sera probablement reprise en sous-œuvre par l’association des instituteurs socialistes, à laquelle un Mémoire à consulter, sur un projet d’École normale populaire, sera adressé prochainement [59].
Retour aux sources phalanstériennes : la nécessité du commerce véridique
Junius reste marqué par son expérience aux côtés d’Arthur de Bonnard et propose un système d’« annonces véridiques et gratuites garanties par les annoncés, et contrôlées par des Jurys spéciaux » [60] qui rappelle la dénonciation du commerce mensonger par Fourier :
Au moment où les hommes sérieux se préoccupent des voies et moyens de la rénovation sociale qui est l’œuvre de notre siècle, il serait bien temps d’aviser à chasser le Mensonge des relations privées, et notamment d’introduire la Vérité dans les transactions commerciales. La réforme des individus doit marcher de front avec la réforme sociale ; c’est le grand moyen d’accélérer notre régénération. A cet effet, nous ouvrons une ENQUÊTE PERMANENTE sur les vices et les crimes du commerce et de la spéculation, en même temps que nous établissons une PUBLICITÉ GRATUITE en faveur des travailleurs qui opèrent loyalement. Nous invitons, en conséquence, les bonnes maisons et les ouvriers honnêtes à nous envoyer des notes détaillées sur les abus industriels et sociaux en général, ainsi que sur les moyens frauduleux employés pour tromper le public sur la qualité des matières de toute nature et sur les vices de la fabrication des produits. Junius et ses coopérateurs dénonceront les petits voleurs, ainsi que les grands voleurs, et arriveront avec le temps à tuer la concurrence à vil prix, qui est la ruine des entrepreneurs et des bons ouvriers. Des annonces gratuites et garanties, contrôlées par des jurys spéciaux composés de travailleurs émérites, feront successivement affluer les clientèles chez les maisons qui travaillent loyalement, ainsi que chez les associations ouvrières fondées sur le principe de la Solidarité ; ce sera la récompense légitime de leur concours et de nos propres efforts. La presse progressive sera notre alliée naturelle dans cette croisade satirique contre le mensonge commercial, et nous aidera ainsi à trouver l’issue de notre fausse civilisation.
Appel à l’unité démocrate-socialiste
La seconde livraison de La Ménippée nouvelle. Satire sociale, ou Vérités sur la Civilisation, « Pétition d’un ouvrier socialiste sur la réalisation du droit au travail, aux représentants montagnards, aux candidats radicaux, aux chefs d’écoles, aux journalistes » [61] selon le titre de départ de la brochure, met fin à l’activité de Junius Hamel [62]. Sous couvert d’un discours d’un ouvrier menuisier nommé Jacques, Hamel défend de nouveau sa méthode d’émancipation intellectuelle :
c’est qu’étant émancipé, j’ai le courage, moi, simple ouvrier, d’user de mon libre arbitre, d’avoir une opinion à moi, de la raisonner, de n’accorder à personne le droit de me mener, de gouverner mon intelligence [...] [63].
Il peut ainsi réclamer :
le travail libre à option selon les aptitudes multiples de l’homme ce qui est la condition sine qua qua non de l’équilibre entre la production et la consommation ; - la faculté d’apprentissage gratuit pour les adultes qui se seraient trompés dans le choix de leur état ; - le minimum proportionnel aux besoins physiques et moraux ; - l’éducation intégrale selon les facultés ou vocations de l’individu [64].
L’objet du discours est un « appel aux vrais démocrates pour l’organisation unitaire du mouvement démocratique et social » [65]. Hamel propose d’ouvrir dans chaque circonscription électorale des « cahier[s] des vœux de la démocratie » afin que chaque électeur démocrate y inscrive le « titre du système social ou du moyen pratique qui lui paraîtra le plus propre à conduire directement ou indirectement à la réalisation du droit au travail et du droit au bien-être » [66]. Suit la liste des titres et plans qu’il juge les plus connus, dont celui rédigé par ses soins avec Granvallet et Brunemaire :
Le Socialisme et l’Impôt, par E. Girardin ; - la Banque nationale, par P.-J. Proudhon ; - les Ateliers nationaux, par L. Blanc ; - la Société universelle, par H. Letellier ; - la Propriété du Peuple [67], par A. Granvallet, P. Brunemaire et H. Junius ; - l’Institut d’éducation professionnelle, par V. Considerant ; - l’Égalité dans l’éducation ou Organisation démocratique de l’enseignement, par A. Meunier ; - la Doctrine d’émancipation intellectuelle, par J. Jacotot ; - la Réforme financière, par F. Coignet ; - la Commandite nationale, par H. Fugère ; - la Révolution sociale, par L. Fontarive ; - le Communisme icarien, par G. Cabet ; - le Communisme fusionien, par L. Toureil ; - le Dernier mot du Socialisme, par C. Chevé ; - les Lettres d’un Habitant de Genève, par St-Simon ; - le Traité de l’association domestique agricole, par Ch. Fourier ; - l’Impôt progressif, par Léon Faucher, etc. […][…] Les auteurs des projets pratiques conduisant à la réalisation du DROIT AU TRAVAIL qui auront obtenu la majorité du suffrage universel, seront proclamés, de plein droit, candidats aux prochaines élections.
Mais le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Seine, fait saisir la brochure dans la première quinzaine de février 1850. L’imprimeur, l’éditeur et l’auteur sont poursuivis « 1° pour excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres ; 2° pour attaque contre le principe de la propriété » [68]. Hamel est incarcéré à Sainte-Pélagie le 1er mars 1850 mais est libéré par ordre du ministre de l’Intérieur, le 27 juillet 1850 [69]. Il décède le 29 novembre suivant, 21 rue Neuve des Petits champs à Paris (12e arrondissement) et est inhumé le 1er décembre 1850 dans la fosse commune du cimetière de Montmartre puis dans une fosse individuelle le 14 janvier 1851. Le 3 octobre 1856, il est exhumé sans que nous en connaissions le motif.