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Mary-Lafon, Jean-Bernard (pseud. de Lafon, Jean Bernard Marie)
Article mis en ligne le 1er août 2024
dernière modification le 15 juillet 2024

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 26 mai 1810 à Lafrançaise (Tarn-et-Garonne). Décédé le 24 juin 1884 à Montauban (Tarn-et-Garonne). Homme de lettres et de théâtre, journaliste, historien et philologue. Membre de diverses sociétés dont la Société des Antiquaires, la Société des gens de 3ettres. Chevalier de l’Ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare (Royaume de Sardaigne). Officier de la Légion d’honneur.

Un homme de lettres aux velléités politiques déçues

Jean Bernard Marie Lafon est le fils d’un médecin bonapartiste et franc-maçon de Lafrançaise, et de Marie Dagrand qui décède le 30 juin 1810, peu après sa naissance. Il grandit dans une famille bourgeoise protestante. Cependant, sa grand-mère paternelle, catholique, le conduit à la messe le dimanche, seul lien entretenu avec le village. Elle lui donne une éducation littéraire. Après une jeunesse ressentie comme un isolement du fait de l’ostracisme subi par son père lors de la chute de Napoléon Ier, Lafon obtient son baccalauréat en 1829 au collège de Montauban. Il arrive à Paris pour effectuer des études supérieures le 10 juillet 1830 [1]. Engagé au sein d’un groupe commandé par un sergent, ancien grognard, il déclare s’illustrer le 27 juillet aux côtés d’un compatriote méridional de Souillac, en mettant en déroute une brigade au débouché de la rue du Chantre, proche du Palais Royal. Ce fait d’armes ne donne lieu à aucune distinction ; Mary-Lafon n’est pas cité parmi les récipiendaires de la Médaille de Juillet [2]. Le 29 juillet, il est témoin de l’invasion du Louvre puis des Tuileries. Il est remarqué par La Fayette parce qu’il porte la cocarde que son grand-père portait en 1789.
Déçu par les comportements opportunistes qui se révèlent au lendemain des journées de Juillet, il se consacre à l’écriture et se constitue un réseau dans les milieux littéraires et artistiques parisiens qui lui ouvre de nombreuses portes [3]. Il prend alors le nom de Mary-Lafon. « Il [est] un des premiers et des plus vaillants organisateurs du Mouvement réformiste de 1840, et présid[e] le [...] banquet de Gramat, où assist[ent] des délégués de tous les départements méridionaux. Il prend part, [...], aux conférences réformistes tenues chez Arago, à l’Observatoire » [4]. Il tente, mais sans succès, de se faire élire conseiller général du canton de Lafrançaise sous l’étiquette « radicale » [5] et se désiste au profit du candidat réformiste [6] Il échoue également à l’élection législative de 1842 [7] La campagne a été particulièrement virulente.
Il s’illustre plus particulièrement par ses ouvrages sur l’histoire et la culture méridionale, provençale et occitane. Il est amené en 1847 à remplacer Sainte-Beuve à la chaire de littérature française de l’académie de Lausanne [8]. De retour à Paris, en mars 1848, il est nommé, par le commissaire général de la République à Montauban, membre de la commission départementale du Tarn-et-Garonne [9]. Sa nomination n’est pas sans émouvoir la rédaction du Courrier du Tarn-et-Garonne qui prétend relayer une inquiétude générale ; l’élection de 1842 a laissé des traces [10] :

Une des choses qui ont le plus vivement ému ces jours-ci notre ville, c’est la crainte d’avoir M. Mary-Lafon pour Commissaire délégué. Des démarches faites auprès du Commissaire général n’ont pu nous préserver en entier de ce danger […]. M. Mary-Lafon a été compris dans la commission départementale. Cette nomination a déjà porté de tristes fruits. On n’a peut-être pas oublié que M. Mary-Lafon fut, en 1842, candidat à la députation de Caussade, et qu’il obtint, après bien des courses, bien des efforts, 17 voix. M. Mary-Lafon avait à cœur de se venger de cette triste déconfiture. Aussi, hier s’est-il empressé de se rendre à Lafrançaise pour frapper de destitution un juge de paix, citoyen honorable, qui a voté en son temps avec l’opposition et dont les opinions républicaines étaient bien connues, bien éprouvées. L’opinion publique proteste hautement contre une telle mesure, et attend que réparation soit faite [11].

Il se présente cependant aux élections législatives d’avril 1848 dans le Tarn-et-Garonne mais échoue de nouveau [12]. Ses convictions républicaines sont mises en question par le Courrier du Tarn-et-Garonne qui publie un courrier adressé à Guizot, président du Conseil, depuis Lausanne en décembre 1847. Le journal en fait un informateur du gouvernement sur la situation politique helvétique [13].
Il perd tout enthousiasme devant la tournure des évènements et reste alors à distance des affaires politiques. Mary-Lafon se satisfait du coup d’État du 2 décembre [14]. Le Courrier du Tarn-et-Garonne change de ton et ne manque pas de souligner son activité littéraire. Mary-Lafon effectue un séjour d’étude à Rome de 1852 à 1853. Il est nommé bibliothécaire de la ville de Montauban en 1865 [15]. Il occupe le poste jusqu’en 1870. En 1867, au château de Beauséjour près de Montauban, il épouse Nancy Bonhomme de 20 ans sa cadette. En mai 1870, il est de nouveau candidat au Conseil général du Tarn-et-Garonne [16]. Il a encore quelques velléités en octobre 1871 mais se désiste avant le premier tour [17].

Mary-Lafon est membre de plusieurs sociétés savantes et s’est vu décerner plusieurs décorations. Il est membre de la Société des Antiquaires en 1836, membre de la Société des gens de lettres dont il est vice-président en 1848 [18]. Il devient en janvier 1853, président honoraire de l’Athénée de Provence, puis en décembre chevalier de l’Ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare sur ordre du Roi de Sardaigne [19]. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 6 août 1860 [20]. Il est par deux fois candidat à l’Académie française en 1869 et 1871 [21].

Ses liens avec le mouvement phalanstérien

C’est probablement l’histoire, la littérature et le théâtre qui rapprochent Jean-Bernard Mary-Lafon du mouvement phalanstérien.
Au printemps 1831, il suit parfois les réunions saint-simoniennes où il rencontre Julie Fanfernot [22] qui tente sans succès de le convaincre de rejoindre le mouvement. Il côtoie Alphonse Esquiros, « voisin et […] commensal » [23]. Son premier contact connu avec l’École phalanstérienne a lieu lors du Congrès historique européen de novembre 1835 qui se tient à l’Hôtel de Ville de Paris. Mary-Lafon est membre de l’Institut historique, classe des langues et de la littérature [24]. Il prétend « avoir conçu l’idée [de ce congrès] ; idée que je communiquai à mes collègues dans l’assemblée générale du 14 juillet 1834, à laquelle assistaient Buchez, Roux, Michelet, Bouland, Bory Saint-Vincent, Laurentie, Alexandre de Laborde, Albert Lenoir » [25] déclare-t-il.
Ainsi le 15 novembre 1835, il voit « pour la première fois, dans son carrik [26] jaune, Fourier, le chef de l’école phalanstérienne, et pour la première fois aussi [il entend] Considérant [sic] et Charles Dain, ses disciples, qui furent, de l’aveu de tous, les plus brillants orateurs du Congrès » à la différence de « la petite église catholico-démocratique de Buchez [qui] y échoua au contraire misérablement à la tribune, dans la personne de son grand prêtre et de ses plus chauds acolytes Roux et l’anglais Belfield » [27].

Quelques années après, Jean-Bernard Mary-Lafon côtoie le groupe du Nouveau Monde. Comme d’autres auteurs, artistes et musiciens, il est annoncé comme devant lire le premier acte du drame Stenko le rebelle de Jan Czynski lors d’une soirée du groupe du Nouveau Monde le 4 août 1840 au château Beaujon [28]. Lors de ces réunions, « orateurs et poètes s’unissent aux artistes de tous les genres, pour attirer le public, pour lui offrir, au milieu des chants harmonieux, et de la musique mélodieuse, l’exposition de quelques vérités nouvelles. Le plaisir composé, cette nourriture des sens et de l’âme devait attirer d’un côté les artistes de cœur et de talent, et de l’autre un public choisi » [29]. En 1842, la Société des gens de lettres, dont l’un des fondateurs est Léon Gozlan adresse également à tous les ministres un « Mémoire sur la contrefaçon, dont les conclusions, présentées depuis un an, tendent à l’Union douanière » [30]. Une commission à laquelle appartiennent Victor Hugo, Agénor Altaroche [31], C. Merman, Henri Celliez [32], et Mary- Lafon doit s’accorder avec la commission de la librairie « et formuler une adhésion à l’adresse présentée par leur assemblée », adresse à laquelle a déjà adhéré la Chambre des imprimeurs de Paris.

Mary-Lafon est proche du potier de terre, poète de langue d’oc, Jean-Antoine Peyrottes, avec qui il correspond et dont l’engagement fouriériste est avéré [33]

Néanmoins, cette proximité de Mary-Lafon avec l’idée phalanstérienne ne paraît pas être connue du Centre parisien de l’École sociétaire.

Le 9 mars 1846, La Démocratie pacifique par la plume de Victor Hennequin émet une critique sur la nouvelle pièce de Mary-Lafon jouée au théâtre de l’Odéon, « L’Oncle de Normandie » sans mentionner une quelconque affinité avec l’auteur. Victor Hennequin note bien que « M. Mary Lafon est un peu socialiste sans le savoir et à côté d’excellentes tendances il a laissé dans sa pièce l’empreinte de préjugés qui font tache » :

Pourquoi, par exemple, ridiculiser l’avocat, au moment où il vient de remplir une des fonctions les plus honorables de sa profession, en plaidant en cour d’assises, c’est-à dire en défendant un accusé gratuitement et d’office ? Pourquoi railler la joie qu’il éprouve d’avoir enlevé un acquittement difficile ? Les doctrines de la répression, de la compression, ont assez de partisans, la geôle possède assez d’apologistes sans qu’un jeune écrivain vienne répéter des plaisanteries peu neuves sur les forçats libérés rendus à la société, et sur les circonstances atténuantes ; trop de crimes sont le résultat de la misère, trop de récidives sont enfantées par un régime pénitentiaire imprévoyant, pour qu’on ait bonne grâce à persifler l’avocat qui dispute au ministère public la liberté ou la vie d’un malheureux […]

Mais ce qui heurte encore plus Victor Hennequin, c’est le rôle donné à la jeune héroïne :

Nous regrettons encore plus que l’auteur de l’Oncle de Normandie n’ait pas montré de sympathies au génie féminin qui cherche à s’émanciper. Rire des bas-bleus après avoir ri des acquittements et des avocats philanthropes, ce serait s’enrôler sous la bannière de l’immobilisme, si dans la pièce de M. Mary Lafon mille traits ne venaient attester les tendances généreuses de l’auteur ; socialiste par le cœur, il a besoin seulement de quelques études pour l’être aussi par l’intelligence, et pour effacer de son esprit le dernier vestige des préventions civilisées.

Le personnage de Mlle Dulac a été conçu comme une critique de la femme qui lit beaucoup de romans et qui en fait un peu. L’idée, au fond, n’est pas libérale, et, dans la forme, elle prend tous les caractères d’une personnalité […], Mme de Girardin, qui feuilletonne aussi sous un pseudonyme masculin […]

Nous aurions voulu encore que M. Mary Lafon n’avilît pas autant qu’il l’a fait le caractère de la jeune fille. Comment ! elle entre sans réserve, sans hésitation dans le complot de ses parents, elle flatte un jeune homme pour le dépouiller, elle va l’épouser, sans éprouver d’autre amour que celui du luxe ? Subitement, sans transition, elle consent, toujours par intérêt, à devenir la garde-malade d’un vieillard affligé de catarrhes. Ce caractère est vrai malheureusement, mais laissez-nous croire qu’il est exceptionnel, anormal. Ne nous ôtez pas toute foi dans la dignité de la femme et dans le désintéressement du premier âge. Géraldine est trop jeune pour les affreux calculs que vous lui supposez [...].