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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Ysabeau, (Victor-Frédéric-) Alexandre
Article mis en ligne le 22 mai 2023

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 23 ventôse an VIII (14 mars 1800) [1] à Rouen (Seine-inférieure, auj. Seine-Maritime). Décédé le 21 avril 1873 à Paris (13e). Médecin, professeur de belles-lettres, agriculteur et agronome, professeur d’histoire naturelle. Collaborateur de La Démocratie pacifique de 1843 à 1846.

Il est le fils du conventionnel Claude-Alexandre Ysabeau (1754-1831), commissaire du gouvernement auprès de l’administration de la poste à Rouen en 1800 et de Louise Suzanne Ysabeau [2] mariés à Paris le 1er thermidor an III (19 juillet 1795) [3]. Vers 1805-1806, Alexandre Ysabeau accompagne son père, devenu simple commis à la correspondance en Belgique. Ses différents biographes affirment qu’il revient à Paris en 1813 et font de lui un volontaire, qui s’enrôle et est blessé à Montereau (Seine-et-Marne) le 18 février 1814. Après les Cent-Jours, on apprend que Claude-Alexandre Ysabeau laisse « son fils, apprenti chez un pharmacien » [4] à Paris. Condamné pour avoir voté la mort de Louis XVI, Claude-Alexandre Ysabeau doit s’exiler en Belgique jusqu’en 1830. Alexandre Ysabeau le rejoint à Vilvorde près de Bruxelles [5]. Claude-Alexandre Ysabeau y vit avec sa fille, son épouse ayant succombé peu de temps après son arrivée. C’est plus probablement à cette période qu’Alexandre Ysabeau suit des études de médecine à Liège [6].
Le 12 février 1833, à Versailles (Yvelines), Alexandre Ysabeau épouse une parente, Victoire Suzanne Ysabeau, rentière née à Gien (Loiret) le 4 juillet 1801. Elle est la fille de Denis Martin Ysabeau et Anne Lecomte décédée. Alexandre Ysabeau est professeur de belles-lettres et réside à Liège. Parmi les témoins, il convient de noter la présence de Charles Auguste Fourdrin, architecte à Paris. Il est le frère de Jean-Joseph Fourdrin [7], actif fouriériste en Belgique [8]. C’est en l’honneur du jeune fils décédé de Charles Auguste Fourdrin et de Camille Cornélie Lémard que Victor Hennequin compose un poème en mars 1839 [9].
Ysabeau est bien intégré à la société liégeoise. En 1832, rédacteur du Journal de Liège, il est provoqué en duel à propos d’un point de vue critique émis sur le talent littéraire de Jules Janin [10].
En mai 1833, aux obsèques de J. Comhaire, jeune médecin, enseignant l’histoire naturelle à la Société des sciences naturelles de Liège, il prononce un discours « au nom de tous ceux que sa perte laisse inconsolables » [11]. Il donne des cours d’histoire moderne et de « culture intellectuelle » [12] à la salle de la Société d’émulation. Il est trésorier-adjoint de l’Association pour l’encouragement et le développement de la littérature en Belgique [13]. Il fait partie du tiers sortant aux élections de mars 1836 [14]. Ysabeau est membre de l’Association nationale pour l’encouragement et le développement de la littérature en Belgique [15]. Il est également secrétaire de la commission directrice de l’Association pour l’encouragement des Beaux-Arts [16].
Ysabeau dirige une institution, quai d’Avroy à Liège. Il y accueille les enfants de l’ambassadeur de la Porte à Vienne [17]. Mais Le Messager de Gand du 29 mars 1836 reprenant L’Industrie annonce que « Le sieur Ysabeau, français, qui est venu établir un pensionnat au bout du quai d’Avroy, a levé le pied, en abandonnant ses élèves. Il a réussi, par sa faconde, à faire de nombreuses dupes qu’il a compromises pour des sommes considérables. [...] ». Il semble quitter la Belgique [18], son nom disparaît tout du moins de la presse. Il développe à partir de cette période des talents d’agronome.

Le couple Ysabeau a au moins trois enfants, sans doute beaucoup plus [19] : Alexandrine Adrienne Ysabeau née le 1er juillet 1836 à Paris [20] ; Alexandre Victor Émile né le 8 août 1837 à Paris [21] et Victor Henry Joseph, né le 28 mai 1839 à Sainte-Reine de Bretagne (Loire-Atlantique) - Ysabeau est alors agriculteur au moulin de Crévy [22]. Quelques mois plus tard, Ysabeau est cultivateur en Loire-Atlantique (alors Loire-Inférieure) à Sainte-Reine [23] près de Ponchâteau [24], puis dans le Var, « fermier aux Jausson » [25] « ou Jasson » [26]. Il y cultive, écrit-il, « la vigne en grand » [27]. En 1844, il est « jardinier-maraîcher » à Paris [28], puis à Saint-Mandé (auj. Val-de-Marne) et Choisy-le-Roi (auj. Val-de-Marne) [29]. En 1845, c’est à Thiais, près de Choisy-le-Roi qu’il poursuit son activité [30]. Il retourne en Belgique où il enseigne comme professeur d’histoire naturelle [31]. Le 15 août 1846, son fils Émile reçoit le 1er prix des anciens en langue française distribué à l’École centrale de commerce et d’industrie de Bruxelles [32]. Quelques mois plus tard, une annonce indique qu’Ysabeau est professeur dans cet établissement, portede Cologne à Bruxelles. A partir du dimanche 25 avril 1847 de 15h à 16h pour un tarif de 10 francs de l’heure, il donne des leçons d’« histoire naturelle à l’usage des gens du monde [...]. Ce cours comprendra l’exposé du système du monde, de la géologie et des diverses classes d’être vivans [sic], végétaux et animaux, depuis la mousse jusqu’au palmier, depuis l’insecte jusqu’à l’homme.
L’anthropologie et l’ethnographie y seront l’objet de développemens [sic] particuliers, comprenant le tableau des principales divisions de la race humaine, de leurs différences, et du degré qu’elles occupent dans la civilisation. Le cours formera 12 leçons […].
Première séance publique et gratuite. On pourra se procurer des cartes en s’inscrivant après la première séance » [33].
Ce cours au descriptif racialiste est ouvert aux femmes [34]. En novembre, Ysabeau propose un cours de deux heures sur la « physiologie végétale appliquée à l’horticulture, à l’usage des gens du monde » [35]. Ysabeau complète ses activités pédagogiques par une boulimie éditoriale.

Littérature et économie rurale

Les premiers écrits publiés recensés datent de 1827 [36]. Ysabeau est aussi l’auteur d’un recueil de 79 chansons populaires publié en 1832 [37] :

LA CANAILLE
Air : Les maris ont tort.

Pauvre artisan, souffre, travaille,
Sois bon époux, bon citoyen.
Tu compteras dans la canaille,
Parmi les gueux, les gens de rien (bis).
Mais joins la souplesse à l’audace,
Mérite la faveur d’en haut ;
Fais-toi mouchard, et prends ta place
Parmi les gens comme il faut (bis).

Je vois des gens de la canaille
Partager avec un voisin
L’abri, le pain noir et la paille
Dont ils manquent le lendemain (bis) ;
Je vois des faquins en voiture
Écraser le peuple badaud,
Et rire quand il en murmure :
Ce sont des gens comme il faut (bis).

Sous les boulets, sous la mitraille.
Nos guerriers volaient au trépas,
C’était de la franche canaille,
La France ne s’y trompait pas (bis) ;
D’autres que l’Europe apprécie
Restaient au lit le jour d’assaut,
Vendaient Paris à la Russie :
C’étaient des gens comme il faut (bis). [38]

Alexandre Ysabeau se consacre essentiellement à l’économie rurale. Il écrit dans Le Journal d’agriculture pratique et de jardinage. En 1844, avec Jacques-Alexandre Bixio, il reprend La Maison rustique du XIXe siècle à laquelle il collaborait par ailleurs. Cette même année, il est élu secrétaire-général du Cercle général d’horticulture [39]. Il est rédacteur de Le Jardin et la ferme [40]]. Au cours de l’année 1846, il cesse de tenir la rubrique horticole du Journal d’agriculture pratique de jardinage et d’économie domestique [41]. Il dirige durant une douzaine d’années en Belgique La Sentinelle des campagnes et un journal populaire, le Packeter ou le Fermier. Il est un des principaux rédacteurs de La Revue villageoise. Il participe comme agronome au Congrès agricole de Belgique de 1848 réuni à Bruxelles du 21 au 24 septembre 1848 [42]. Un débat s’engage autour des courses de chevaux lors du Congrès. « Ysabeau y prend part. Il regrette que l’argent du budget serve à alimenter le turf, qui n’est au fond qu’un tapis vert avec ses chances aléatoires et ses gageures. Les amateurs de ce genre de jeu sauront très bien le continuer sans intervention de l’État, dont les fonds recevront une destination beaucoup plus utile à l’amélioration des races équestres. » [43]. Il y milite pour l’enseignement agricole. S’il se rallie à une motion favorisant l’« éducation agricole des enfants des familles pauvres des campagnes », il réclame « pour mettre la production en harmonie avec le chiffre de la population, avec les exigences de la consommation, [...] le concours des grands propriétaires ; c’est aux classes riches, car richesse oblige, qu’il faut donner un enseignement supérieur en matière agricole, qui leur permettra à elles, qui ont le capital et le temps, de prendre l’initiative des progrès réclamés par l’agriculture, et de réagir sur les petits cultivateurs » [44]. Il dépose « un amendement relatif à la priorité à donner à l’enseignement supérieur agricole sur l’enseignement primaire » [45].

De 1848 à 1850, il propose plusieurs des volumes de la bibliothèque agricole de L’Encyclopédie populaire, publiée sous le patronage du roi des Belges. De 1849 à 1852, professeur d’histoire naturelle, il est rédacteur du Journal d’horticulture pratique de la Belgique ou Guide des amateurs et jardiniers [46]. A partir de 1852, il dirige un recueil agricole, La Ferme et le Jardin [47] pour la Société pour l’émancipation intellectuelle. Ysabeau défend l’enseignement agricole et la vulgarisation des ouvrages agronomiques.
Ysabeau est pleinement intégré à la société bruxelloise et n’hésite pas à condamner les brutalités policières [48]. « Elle est faite pour servir le public qui la paie » écrit-il dans un courrier au journal La Nation [49].

En 1864, une critique de l’ouvrage, Le père Éloi ou les causeries d’un vieux laboureur sur l’agriculture et l’histoire naturelle, livre de lecture pour les écoles, dépeint la démarche pédagogique d’Ysabeau, fondée sur l’expérience pratique :

On a dit avec raison "La science ne devient tout à fait utile qu’en devenant vulgaire". C’est ce qu’a compris un habile agronome M. A. Ysabeau qui fait pour les écoles ce qu’ont tenté pour les classes populaires MM. Barral , Joigneaux, Victor Borie, etc. Ces savants distingués veulent placer la science à la portée de tout le monde et ne voient pas la nécessité de mettre la lumière sous le boisseau. Nous avons rendu compte de deux excellents ouvrages de M. Ysabeau : les Leçons élémentaires d’agriculture et d’horticulture, rédigées d’après les programmes officiels pour l’usage des élèves des écoles normales et des écoles professionnelles. Tous deux, nous en avions l’intime conviction, ont eu depuis les honneurs de plusieurs éditions. Ainsi que nous le disions alors, l’auteur n’est pas un de ces nouveaux Triptolème, dont Voltaire s’est moqué avec tant d’esprit, un de ces laboureurs élégants "qui se forment des principes d’agriculture à l’Opéra et à la Comédie." Il a cultivé longtemps en Belgique et dans plusieurs de nos départements, et il a joint aux résultats de son expérience la lecture critique des agronomes français et étrangers. En un mot comme il l’a dit lui-même : "Il ne retrace que ce qu’il a pratiqué". Aujourd’hui M. Ysabeau, changeant sa forme, tout en conservant son excellent fond, nous donne un charmant livre qui, malgré son titre modeste, sera lu par tous ceux qui s’intéressent aux sciences agricoles […]. Ce petit ouvrage est complet et instructif. Il y a plus : les personnes étrangères aux questions qu’il traite ne le liront pas moins avec plaisir et profit M. Ysabeau, nous le répétons, n’est pas seulement un excellent agronome ; c’est un charmant conteur, qui sait rendre la science agréable ; rare et précieuse qualité. Nous ne doutons pas que les Causeries du Père Éloi n’obtiennent en peu de temps le même succès que les travaux précédents du même auteur. Cet ouvrage convient particulièrement comme livre de lecture courante dans les écoles de campagne ; il a sa place marquée dans toute bibliothèque scolaire. [50]

Collaborateur de La Démocratie pacifique

C’est au cours des années 1840 qu’il devient actif au sein de l’École sociétaire même si ces liens avec le mouvement phalanstérien sont probablement plus anciens si on se réfère à sa proximité avec la famille Fourdrin. En 1843, il est cité parmi les collaborateurs de La Démocratie pacifique. Dès août, il traite de sujet relevant des « questions industrielles et commerciales » ou bien de « questions agricoles » [51]. Il alimente en particulier le « Feuilleton de La Démocratie pacifique » avec des articles sur l’horticulture repris dans l’Almanach phalanstérien [52] ou bien en reprenant les cours d’Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire. Son nom disparaît de la liste des collaborateurs dans la table du second semestre 1846, période à laquelle il cesse également de tenir la rubrique horticole du Journal d’agriculture pratique de jardinage et d’économie domestique. Ceci s’explique par le choix de retourner en Belgique [53].
Son activité au sein de La Démocratie pacifique est-elle une pleine adhésion aux principes de l’École sociétaire ou bien illustre-elle sa fièvre rédactionnelle ? Ses centres d’intérêts (jardinage, horticulture, arboriculture,…) – faut-il y voir une communion avec les propos de Fourier sur les vergers et l’horticulture ? – intéressent cependant l’École sociétaire et ses membres [54]. « Les feuilletons de Toussenel sont aimés, mais ceux d’Ysabeau, moins passionnants, vont à plus de monde » [55]. Son discours est effectivement convenu :

La fille du laboureur va, nu-pieds dans la boue, garder sa vache ou ses pourceaux ; elle ne passe point à côté d’une fleur sauvage sans la cueillir, sans en essayer l’effet à son corsage ou dans ses cheveux. De tous les ornements naturels qui peuvent rehausser la beauté d’une femme, il n’en est pas qui vaille une parure de fleurs. [56]

Néanmoins, il n’en développe pas moins un discours où le jardinage offre un rapport épanouissant et esthétique, à la nature :

Nous félicitons les dames françaises, surtout les Parisiennes, de l’élan qu’elles donnent à la culture des fleurs […]. Une jardinière, ce meuble inconnu de la génération précédente, fait aujourd’hui partie obligée de l’ameublement du boudoir d’une jolie femme. [57]

Par ailleurs, l’attrait affirmé de Charles Fourier pour la consommation des fruits [58] transparaît dans les propos d’Ysabeau :

Nous avons à entretenir aujourd’hui nos lecteurs de cette partie des produits de l’horticulture que le public est accoutumé à considérer comme le plus directement utile ; nous voulons parler des fruits, si chers aux enfants et aux gastronomes de tous les pays. Ce n’est pas qu’à nos yeux les fleurs soient moins importantes que les fruits, moins véritablement utiles : le jour où les fleurs et les fruits seront à l’usage de tout le monde, le jour où ils seront classés ensemble parmi les choses indispensables, dont on ne doit se passer, la société aura fait un pas de géant […]. [59]

La culture des arbres fruitiers est d’ailleurs synonyme de travail attrayant :

Parcourez les rues de Montreuil un jour de repos. Vous vous étonnez de ne rencontrer que de jolis et frais visages ; ces jeunes femmes belles, bonnes et sages, qui font l’orgueil de Montreuil entre toutes les communes de la banlieue, méritent leur réputation ; il en est qui savent gouverner un espalier aussi bien et mieux que leurs pères ou leurs maris. D’où vient cela ? d’un seul fait : d’un travail agréable, intelligent et suffisamment lucratif. Or, nous ne pouvons trop le répéter, ce fait produirait partout les mêmes résultats, et, nous en avons l’ultime conviction, cela n’est impossible nulle part. […] A Thomery, les femmes occupées de la culture des treilles sont incomparablement plus belles, plus sages, plus intelligentes, meilleures, sous tous les rapports, que la population féminine des villages voisins, livrée comme partout, à des travaux excessifs, abrutissants et trop peu rétribués. [60]

Son retour en Belgique semble être lié au développement phalanstérien. Au printemps 1846, il est parmi les collaborateurs de deux périodiques, tout d’abord, Le Débat social, organe repris par une société rassemblant à la fois des actionnaires de sensibilité libérale et d’autres sympathisants fouriéristes, puis la Revue démocratique, un organe d’orientation libérale et démocratique, dont la volonté est de « radicaliser le libéralisme » [61]. Il semble s’éloigner peu à peu du mouvement phalanstérien.

Malgré cette abondante production, « sa vie n’a pas été heureuse, car malgré son travail assidu il obtenait à peine des libraires qui l’exploitaient le salaire nécessaire à l’existence de sa nombreuse famille » [62]. Ses travaux sur le jardinage sont de nouveau édités depuis 2021.
Il est inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) [63].