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TROUSSON Raymond : Sciences, techniques et utopies. Du paradis à l’enfer (2003)

Paris, L’Harmattan, 2003, 230 p.

Article mis en ligne le décembre 2003
dernière modification le 21 février 2006

par Guet, Michel

Sous ce titre un peu trompeur, car trop généraliste, il faut parcourir quelques pages pour réaliser soudain qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’économie politique ou d’histoire des sciences et techniques analysées sous l’angle de l’utopie. De même que la quatrième de couverture, ni la table des matières ne lèvent le doute : si le sujet est bien l’utopie, l’objet reste caché, ainsi que le champ dans lequel il se déploie. Tout aussi ambiguë est la profession de foi de l’auteur puisque celui-ci se propose, en effet, de « chercher à quel point, à partir de la fin des Lumières, sciences et techniques sont censées transformer la société, voire modifier, pour le meilleur ou pour le pire, la nature humaine elle-même » (p. 11). Bigre. Alléchant programme auquel se sont attaqués les plus grands du siècle (et des précédents) qu’ils soient philosophes, anthropologues, économistes, sociologues, et j’en passe. Non, rien de tout cela car c’est de littérature qu’il s’agit et exclusivement ; plus modestement, donc, mais fort pertinemment nous avons affaire à un manuel de Littérature Utopique (avec majuscules) de la meilleure veine. Plus que de vulgarisation il s’agit d’un guide approfondi nous conduisant à travers les dédales d’une littérature finalement profuse ayant pour unique objet l’utopie, tous ouvrages proposant la création « d’un monde tel qu’il devrait être » puisqu’ainsi l’auteur définit l’utopie (p. 7).

Le doute enfin levé, ce livre de Raymond Trousson irait jusqu’à réconcilier avec la littérature (en général et l’utopique en particulier), ceux qui sont en délicatesse avec elle depuis l’avènement des prix littéraires et de la rentrée du même nom, tant il nous en déploie la richesse et l’inventivité. Outre que notre homme possède confortablement son sujet et qu’il montre un amour réel de la chose, il écrit fort lisiblement, ne se gênant pas pour décerner bons et mauvais points à ceux qui le méritent ; mais de plus - et là est son talent - il sait mettre à la disposition des béotiens dont je suis quelques outils simples qui leur permettront de se bâtir une chronologie portative bien utile. Pour cela notre auteur use de quatre néologismes traduisant chacun une époque, chacun une ère utopienne en somme. Il réservera à la première, et plus ancienne, le nom depuis longtemps acquis d’Utopie et propose pour les périodes suivantes - exemples et analyses à l’appui - « technopie », « dystopie » et « écotopie » (p. 208). Rien n’est précisé, et c’est dommage, sur l’origine des ces trois derniers néologismes, mais il semble que dystopie soit l’aînée pour avoir une quinzaine d’années.

S’il n’est pas nécessaire de préciser le sens du mot Utopie, nous le ferons pour les suivants. « Dystopie » caractériserait l’anti-utopie : « il semblerait donc que, dès les lendemains de la Première Guerre mondiale, l’utopie positive se soit effacée définitivement devant la dystopie, son angoissant contraire » (p. 200). Nous apprenons par là même que l’utopie est sexuée puisqu’elle est positive, ce qui n’est pas sans conséquence, outre que cela lui permet au premier chef de se poser comme antithétique relativement à la dystopie (et vice-versa) ; il y a là un saut épistémologique fort intéressant mais dont la dispute nous ferait sortir du cadre présent. Et si l’archétype de l’utopie reste Thomas Morus, pour la dystopie deux noms nous viennent immédiatement : Orwell et Huxley. Voyons les suivantes. La « Technopie » se distinguerait par sa dévotion excessive à la technologie, la science, le progrès ; elle est forcément positive sans quoi elle tomberait dans la catégorie précédente. Si l’on retient son aspect progressiste, Saint-Simon et Cabet en seraient les hérauts ; si l’on opte pour le techno-scientifisme, ici les prétendants sont trop nombreux, nous retiendrons Robida et peut-être Jules Verne. (Signalons au passage une omission étrange à ce chapitre : Gaston de Pawlowski et son fameux « Voyage dans la quatrième dimension »). Enfin de l’« Écotopie », qui semble la dernière-née, on ne sait si elle est positive ou négative, (il est peut-être encore trop tôt pour se prononcer sur son genre), elle fonde la constante environnementaliste, « harmonienne » pour rester entre nous..., même si la donnée technologique y reste présente sous sa version soft. Son père en est l’écrivain américain E. Callenbach dont le titre de l’ouvrage de référence contient explicitement le mot : « ÉCOTOPIE, reportage et notes personnelles de William Weston  » (Stock, 1978). Le tableau me semble complet mais la tentation est forte de vous proposer, en prime, une « Sociotopie » à forte constante politique, capitaliste avec Bellamy et communiste avec William Morris... peut-être est-ce exagérer. Nous recommandons la lecture de cet ouvrage riche d’une solide bibliographie mais déplorons - une fois de plus - l’absence d’index.