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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Magnier, (Charles Antoine) Léon
Article mis en ligne le 26 avril 2023

par Desmars, Bernard

Né le 27 avril 1813 à Saint-Quentin (Aisne), décédé le 22 octobre 1881 à Noyon (Oise). Poète et journaliste. Proche du groupe fouriériste du Nouveau monde vers 1840, auteur de poèmes sur Charles Fourier et Victor Considerant, candidat sur une liste phalanstérienne à l’Assemblée constituante en avril 1848.

Léon Magnier est le fils d’un propriétaire, qui exerce successivement les professions de négociant, d’agent d’assurance et de contrôleur de l’octroi. Il fait la plus grande partie de ses études au collège de Saint-Quentin – où il obtient plusieurs prix [1] – avant de les terminer à Paris [2].

Fouriériste, poète et journaliste

Il écrit des poésies ; l’une, intitulée « Satan », est publiée en novembre 1839 dans Le Nouveau Monde, l’organe des fouriéristes dissidents rassemblés autour de Jean Czynski. Ce journal annonce en même temps que « la science sociale aura un nouvel organe dans L’Écho du progrès », édité à Saint-Quentin et dirigé par Léon Magnier [3]. Il s’agit d’un hebdomadaire, dont la publication est signalée dans l’Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration pour les années 1841 et 1842 [4]. À ce premier titre succède Le Courrier. Journal de Saint-Quentin [5], un « journal libéral et progressiste » dont Léon Magnier assure la direction pendant plusieurs décennies [6].

En 1840, paraît son premier recueil de poésies, Fleurs des champs, qui, à côté d’hommages à Victor Hugo et à Alphonse de Lamartine, contient un long poème intitulé « Ch. Fourier » et un autre, plus bref, « À Victor Considerant » [7]. Dans le premier, on lit notamment les vers suivants :

J’ai retrouvé la foi Adieu tristesse, adieu souffrance, Fuyez-moi, fuyez-moi ! Oh ! – d’une voix sonore, Moi je le veux crier. Et le crier encore : C’est que j’ai lu Fourier ! […] Voici, voici Fourier ; mortels, peu vous importe Sa douleur. Il s’écrie : Ecoutez, écoutez, car j’apporte Le Bonheur !

Les poésies de Léon Magnier sont lues lors de différentes manifestations fouriéristes [8] ; certaines sont reproduites dans Le Nouveau Monde, comme « Poésie » dont voici quelques vers :

Oh ! soyons patients, et semons l’harmonie ? Nous avons un but, nous ; un immortel génie Ainsi que notre cœur, nous montrent le chemin. Suivons, frères, suivons l’étoile lumineuse Qui brille à l’horizon ! une foule haineuse Pense-t-elle arrêter les pas du genre humain ? […] Nous, messagers de paix, poursuivons notre rôle, Frères ! semons partout la féconde parole [9].

Léon Magnier est admis en 1841 au sein de la Société des sciences, arts, belles-lettres et agriculture de Saint-Quentin ; il publie plusieurs poèmes dans les Annales scientifiques, agricoles et industrielles du département de l’Aisne, la revue de la société savante ; plusieurs d’entre eux concernent la question sociale [10]. Il fait partie de la commission du jardin botanique de la société savante [11].

Il publie en 1843 un second recueil de poème, Bruits du siècle, dont la vente se fait « au profit des enfants des salles d’asile de Saint-Quentin ». Il y est à nouveau question de Fourier :

Fourier, c’est toujours toi, vaste et puissant génie, Colossal novateur, prophète d’harmonie, C’est toujours toi que j’aime, esprit audacieux ! Quand je vois resplendir ton immense pensée, Mon âme, qui soudain vers toi s’est élancée, Monte, s’élève jusqu’aux cieux. […] Fourier, plein de pitié pour la douleur humaine, Embrassant l’univers comme un vaste domaine, Architecte nouveau, sait dicter ses désirs. A ses lois il soumet la terre plus heureuse, Puis, aux peuples souffrants, d’une main généreuse, Verse la joie et les plaisirs.

Il arrête les vents du pôle et de l’Afrique,
Les froids piquants du Nord et les feux du tropique
En couvrant de forêts les monts et les hauteurs ;
Et ce ne sont alors que brises odorantes,
Que ruisseaux répandant leurs ondes transparentes
Au milieu des champs producteurs [12].

Ce recueil fait l’objet d’un compte rendu tardif – en 1847 – et nuancé dans La Démocratie pacifique  : selon l’auteur de l’article, Jean Fleury, « la pensée est précise, mais elle est du domaine philosophique et l’auteur n’a pas sur su la traduire, ou plutôt, l’incarner dans le langage de la muse » ; Magnier est un « artiste qui s’égaie en gracieux pastiches au début » du recueil, et « c’est plus tard un apôtre de la réforme sociale, un poète de l’organisation harmonienne » [13].

Il est aussi l’auteur d’une pièce sur la Pologne, qui est chantée au théâtre de Saint-Quentin sur l’air de La Marseillaise  ; l’auteur y lance « un appel à la France en faveur de cette nation » [14].

En 1844, Léon Magnier a un fils avec Céline Letot, ouvrière en tulle. L’enfant est légitimé lors du mariage de ses parents en 1851.

Parallèlement à ses activités journalistiques, Léon Magnier devient en 1845 conservateur de la bibliothèque municipale de Saint-Quentin. Il participe l’année suivante à la souscription organisée par La Démocratie pacifique pour la « médaille à offrir à Eugène Sue, défenseur des classes sacrifiées et promoteur de l’organisation du travail » [15]. L’Almanach phalanstérien pour l’année 1848 publie l’un de ses poèmes, « La charité et la fraternité » qui souligne les limites de la première – « L’aumône que l’on jette au pauvre l’humilie » – et insiste sur la seconde [16].

De la candidature de 1848 au ralliement au régime impérial

En mars 1848, Jean-Baptiste Godin contacte les fouriéristes de Laon, Jacques François Glatigny et Jules Charles Godon afin d’envisager la formation d’une liste phalanstérienne pour les élections à l’Assemblée constituante du mois d’avril ; il prévoit aussi d’associer au projet Le Courrier de Saint-Quentin et son directeur Léon Magnier [17], qui figure effectivement parmi les candidats [18] ; mais il n’obtient que quelques centaines de voix [19]. La même année, Léon Magnier publie, avec Gustave Demolin, ancien ouvrier ciseleur, un nouveau recueil de poésies, Cloches et grelots. Selon La Démocratie pacifique, « M. Magnier est toujours le même : chanteur de l’ère sociale, il n’a rien perdu en coloris et en fraîche inspiration, mais il a gagné en correction. Ce sont tour à tour des chants d’espoir en l’avenir ou des chants de colère contre les exploiteurs du peuple, des chants d’amour pour l’opprimé qui souffre, pour l’ouvrier qui laboure péniblement son sillon, pour la fille du peuple condamnée à la faim ou à l’ignominie » [20]. Il participe à la campagne électorale qui précède les élections législatives du mai 1849. Il signe un texte d’habitants de Saint-Quentin, appelant au respect du suffrage universel et de la Constitution.

Au début des années 1850, Léon Magnier s’éloigne du mouvement fouriériste [21] ; il devient également moins actif au sein de la Société des sciences, arts, belles-lettres et agriculture de Quentin ; il passe en 1852-1853 membre correspondant de la société dont la revue ne contient plus de poème de sa part. Après l’établissement du Second Empire, se rapproche du régime. Il est l’auteur de poésies célébrant la victoire de Sébastopol (La prise de Sébastopol. Ode à l’armée d’Orient, 1855) ainsi que la naissance du prince impérial (À Napoléon IV. L’Avenir, 1857). Il publie aussi en 1858 Fleurs du bien, qui est une réponse au recueil Fleurs du mal de Baudelaire, paru l’année précédente. L’ouvrage commence par les deux quatrains suivants :

Fleurs du mal, voluptés, ivresse décevante, Plaisirs de feu suivis de fièvre et de frissons, Vous ne méritez pas que le poète vante Vos attraits, vos parfums mêlés d’amers poisons.

Fleurs du bien dont l’écho toujours sans tache brille,
Ô dictames du cœur, et plaisirs purs des yeux,
Ornements du foyer, bonheur de la famille,
Notre terre avec vous se rapproche des cieux.

Dans la préface, l’auteur déclare vouloir offrir à ses lecteurs ses « meilleurs inspirations, celles qui ont pour sujet le foyer, la famille et Dieu ». Selon le critique de la Gazette de France, ce volume est « le contre-poison des Fleurs du mal, publiées il y a quelque temps par un autre poète plus fort (il faut bien en convenir) que celui des Fleurs du bien  : une inexplicable loi le veut ainsi ; le mal est plus poétique que le bien et mieux servi la plupart du temps » [22]. « Tous les sentiments nobles y sont tour à tour exprimés et l’œuvre brille par un ton de sévère honnêteté et d’irréprochable moralité », commente l’auteur d’un Livre d’or des poètes quelques années plus tard [23].

Dans les années 1860, il est membre de l’Union des poètes, dont la revue, Les Olympiades, publie quelques-uns de ses poèmes [24]. Le Courrier de Saint-Quentin est désormais un journal qui « suit les inspirations de l’administration impériale » [25]

À la fin des années 1860, il dirige une seconde publication, La Petite feuille de Saint-Quentin et des localités environnantes.

Patriotisme, république et journalisme

En 1870, alors que commence la guerre entre la France et les États allemands réunis autour de la Prusse, il est pris par la fièvre patriotique et fait paraître dans le Courrier de Saint-Quentin un poème intitulé « L’Anti-prussiennne », qui se chante sur l’air de La Marseillaise, et qui fait l’objet d’un tirage à part. En janvier 1871, il est arrêté par l’armée prussienne et emmené en détention dans le fort de Ham où il passe une quinzaine de jours [26]. A la fin de l’année 1871, il publie une nouvelle œuvre poétique, La Bataille de Saint-Quentin, Marseillaise du Nord, qui a pour refrain.

A vous, soldats sans peur ! braves soldats du Nord ! Marchons (bis) à notre tour ; la victoire ou la mort !

L’œuvre est chantée en décembre 1871 sur le théâtre de Saint-Quentin, « avec chœurs, musique militaire, tambours, tocsin et coups de feu » sur l’air de La Marseillaise.
Léon Magnier continue à occuper le poste de directeur du Courrier de Saint-Quentin  ; il s’oppose aux projets de restauration monarchique et soutient l’action d’Adolphe Thiers, président de la Troisième République, de 1871 à 1874 ;

Une seule voie de salut se trouve devant nous, c’est la République. Vouloir essayer encore toute autre forme de gouvernement, ce serait ouvrir de nouveau la carrière à la rivalité des partis, à leurs luttes et aux dissensions qui perdraient la France [27].

En novembre 1874, il quitte la direction du Courrier de Saint-Quentin, qui change de titre – il s’appelle désormais le Conservateur de Saint-Quentin – et d’orientation politique ; Léon Magnier déclare vouloir rester fidèle aux « opinions exprimées dans [les] articles [qu’il a] toujours signés avec franchise et sincérité » et aux « principes [qu’il a] soutenus : liberté, progrès, moralisation par l’instruction générale, amélioration du sort de tous et conciliation des intérêts. En ce qui concerne les croyances, tolérance entière pour la foi religieuse comme pour l’examen philosophique » [28]. Il reste bibliothécaire de la ville de Saint-Quentin ainsi que directeur du jardin botanique [29].
Quelque temps plus tard, il quitte Saint-Quentin et s’installe à Valence où il collabore au Journal de Valence. Organe républicain de la Drôme et de l’Ardèche. Puis, en 1878, des républicains de Noyon (Oise) décident de créer un journal portant les idées démocratiques ; ils fondent Le Libéral de l’Oise et appellent Léon Magnier pour en diriger la rédaction ; l’organe paraît à partir du 1er mars 1878. A nouveau, les Mémoires de la Société académique des sciences arts, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin insèrent plusieurs de ses poèmes [30].
Magnier est encore à la tête du Libéral de l’Oise au moment de sa mort. Des représentants de la presse de l’Aisne et de l’Oise, ainsi que plusieurs représentations politiques de ces départements assistent à ses obsèques.