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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Fourdrin, Jean-Joseph
Article mis en ligne le 6 avril 2023

par Desmars, Bernard

Né vers 1800 à Paris (Seine). Écrivain et enseignant à Paris (Seine) et à Liège (Belgique). Engagé dans le mouvement démocratique belge. Saint-simonien puis fouriériste. Fondateur d’un établissement scolaire aux méthodes inspirées de la théorie sociétaire.

Les informations que l’on possède sur l’enfance et la jeunesse de Jean-Joseph Fourdrin sont peu précises et assez contradictoires [1]. Selon John Bartier, l’historien du fouriérisme en Belgique, il serait né « dans une famille pauvre, pieuse, quelque peu bohème » [2]. Cependant, au milieu des années 1820, quand son frère, lui-même architecte, se marie, leur père est bijoutier [3]. Jean-Joseph Fourdrin aurait fait de brillantes mais courtes études en raison de la modicité des ressources familiales [4] ; mais il est professeur lors du mariage de son frère – où il est témoin [5].

Il fait alors partie de la jeunesse libérale et entre dans la Charbonnerie, ce qui lui aurait valu d’être emprisonné pendant quelque temps [6]. En 1828, il publie l’Art d’aider la mémoire appliqué à l’histoire de France, et mis à la portée de toutes les intelligences [7]. La même année, il ouvre à Paris un cours dominical sur l’« art d’aider la mémoire », en commençant par « une séance publique et gratuite » [8]. Peu après, il quitte la France et s’installe à Liège où il donne à nouveau des leçons particulières. Il aurait aussi été co-directeur d’une école de commerce [9].

Franc-maçon et démocrate à Liège

En 1830, il s’engage dans les troupes qui combattent pour l’indépendance de la Belgique. Puis, il participe à la rédaction du Citoyen, un périodique d’orientation démocratique à l’existence très brève. En 1831, il assiste à des prédications, qui le font adhérer au mouvement saint-simonien [10], avant de rejoindre les fouriéristes.

Membre de la Société libre d’émulation de Liège pour l’encouragement des lettres, des sciences et des arts [11], il est reçu dans la franc-maçonnerie liégeoise au sein de la loge la Parfaite intelligence ; il y recommande la lecture de La Démocratie pacifique dès sa parution en août 1843 [12]. Avec deux autres membres de cette loge, il propose à ses amis francs-maçons l‘impression du « Manifeste de La Démocratie pacifique » qui leur semble « renfermer des vues utiles à répandre dans le monde profane au point de vue des progrès de la raison humaine et de l’amélioration des classes inférieures de la société » [13]. Il rencontre au sein de cette loge Victor Tedesco, étudiant en droit, puis avocat, proche de Karl Marx [14].

Parallèlement à son enseignement et à ses activités militantes, il publie, souvent sous le pseudonyme de Jean de Laborie, de nombreuses œuvres théâtrales dont Robespierre ou le 9 thermidor (1847), pièce dans laquelle il exprime son admiration pour le révolutionnaire [15].

Il est aussi l’auteur d’une grammaire, élaborée à partir « des leçons données » et « convenant à toutes personnes ayant déjà mis en doute la valeur de la doctrine professée à l’aide de MM. Noël et Chapsal et autres », soit des auteurs classiques de la littérature scolaire [16]. Il fait partie des membres de la Société libre d’émulation de Liège pour l’encouragement des lettres, des sciences et des arts [17].

Ses activités politiques suscitent l’irritation des autorités belges qui, en mars 1849, prennent une mesure d’expulsion en raison de ses « menées républicaines » ; mais il s’engage alors à ne plus se mêler de politique et peut rester à Liège [18]

Innovations pédagogiques

Probablement vers le début des années 1850, il ouvre une école à Liège. Guillaume Génillier, un proscrit français installé à Liège après le 2 décembre 1851, y dispense des cours de mathématiques et de physique. Il décrit ainsi l’établissement de Fourdrin en décembre 1853 :

[C’est] une pension qui se distingue complètement des autres pensions par son organisation. […]

Le caractère distinctif le plus saillant de cette maison d’éducation, c’est que les élèves n’y sont soumis à aucune contrainte, jamais une punition quelconque ne leur est infligée. Le directeur, M. Fourdrin, agit sur ses élèves exclusivement par la persuasion et leur amitié qu’il a le don de conquérir au plus haut degré. Il en résulte que cette maison à a l’apparence d’une famille nombreuse dont tous les membres seraient unis par les liens de l’affection la plus vive plutôt que d’un pensionnat.

Le directeur s’efforce de réaliser par sa méthode d’éducation et d’enseignement cette doctrine de Fourier : le travail par l’attrait. Il ne se propose pas seulement pour but de former des jeunes gens instruits, il s’occupe aussi avec zèle de leur éducation morale et physique. Les élèves sont remarquables par leur urbanité et la bienveillance dont ils font preuve, soit entre eux, soit vis-à-vis des étrangers. Ils contractent dans cet établissement ce qui n’est pas de nature à plaire à tous les parents, un grand amour de la justice. Ils sont généralement passionnés pour la cause du progrès [19].

Les cours de français y sont assurés par un nommé Bénard, avocat parisien également exilé en Belgique après le 2 décembre 1851. Il demande à ses élèves de relater le déroulement de leur journée.

Les enfants prenaient ainsi conscience de leurs actes et ils acquéraient l’habitude de la réflexion en s’écartant des sujets à phrases toutes faites [20].

Selon Génillier,

les élèves rédigent, font imprimer et administrer comme ils l’entendent un petit journal qui paraît tous les espace à supprimer quinze jours. Ceux d’entre eux qui le peuvent y insèrent des articles sur différents sujets, soit de morale, soit d’histoire, soit de littérature, soit de discussion sur l’enseignement, dans lesquels ils préconisent la méthode de leur directeur, et s’efforcent de faire de la propagande en sa faveur. Le rédacteur en chef du journal et l’administrateur sont élus périodiquement par les élèves.

Cette publication nuit beaucoup à l’établissement sous un certain rapport. Ces jeunes gens qui ont toute l’ardeur et la confiance qui appartiennent à leur âge, ne se gênent pas pour exprimer des opinions hardies qui sont de nature à froisser vivement les opinions généralement admises. La responsabilité de ces opinions retombe naturellement sur le maître de la pension et lui fait un grand tort auprès des parents. Il y a cependant un grand avantage pour les élèves dans cette publication ; c‘est un moyen puissant pour les inviter à apprendre l’art si difficile d’exprimer leurs pensées et de les étendre.

Le directeur tâche aussi de leur apprendre à improviser des discours en proposant chaque jour à la fin du dîner des toasts dont le sujet est pris ordinairement dans ce qui a pu frapper l’attention des élèves pendant la journée. Enfin, le repas se termine par une chanson dont le refrain est répété en chœur.

On pourrait croire qu’il règne un grand esprit de désordre parmi des jeunes gens qui n’ont jamais à redouter de punition ; il n’en est rien. J’ai donné des leçons dans des pensions à Paris où la discipline était maintenue par les moyens ordinaires, et je n’ai jamais rencontré une attention plus généralement soutenue et plus de déférence que j’en obtiens de ceux des élèves de cette pension qui assistent à mes leçons.

Les jeunes gens profitent-ils dans un établissement où ils jouissent d’autant de liberté ? Le directeur pense qu’ils font beaucoup plus de progrès par sa méthode qu’ils n’en feraient dans les autres établissements d’instruction. Je ne veux ni confirmer ni combattre cette opinion ; mais ce que je puis dire en toute conscience, c’est que ceux des élèves qui travaillent avec ardeur font beaucoup de progrès. Je n’ai pas souvent rencontré des jeunes gens du même âge dans d’autres maisons d’éducation ayant un plus grand nombre de connaissances et une aussi grande facilité pour écrire ou improviser. Quant à ceux qui sont plus ou moins paresseux, peut-être en obtiendrait-on plus de travail à force de pensums, de retenues ; mais je doute que leur intelligence fit fît pour cela beaucoup plus de progrès. Du reste, le directeur fait tous les sacrifices en son pouvoir dans l’intérêt de ses élèves. Chaque branche de l’enseignement a ses professeurs spéciaux. Outre le français, le latin et le grec, les langues anglaise, allemande et italienne y sont enseignées par des professeurs anglais, allemands ou italiens d’origine.

Cet établissement compte des externes et des pensionnaires. Les leçons communes aux externes et aux pensionnaires sont données dans une maison située dans l’intérieur de la ville. Quant à la pension proprement dite, elle se trouve à un quart de lieue de l’externat, à une des extrémités de la ville ; elle jouit ainsi des avantages de la campagne. Deux jardins, situés, l’un devant, l’autre derrière la maison, servent de lieu de récréation aux élèves. Quelques-uns d’entre eux y cultivent des plantes, d’autres y élèvent des animaux domestiques. Pendant presque toute l’année, les élèves s’exercent à la natation dans la rivière de l’Ourte [sic, Ourthe], qui coule devant l’établissement ; une salle de gymnase leur procure encore des exercices qui contribuent à développer leurs forces physiques.

Je vais assez souvent dans cette pension me reposer le dimanche ; j’y puise toujours des forces pour me faire supporter les désagréments de l’exil, tant l’aspect de cette jeunesse heureuse est de nature à détendre les ressorts de l’esprit lorsqu’ils sont trop tendus par les inquiétudes et l’ennui.

Cependant, l’institution de Fourdrin connaît des problèmes financiers :

Malgré les avantages qu’il réunit, cet établissement rencontre ici beaucoup de difficultés pour prospérer, d’abord à cause du prix relativement élevé de la pension, 800 fr. par an pour les pensionnaires et 200 fr. pour les externes ; ensuite et surtout à cause des opinions et des méthodes d’enseignement de son directeur. Je ne voudrais pas me porter garant de toutes les opinions du chef de l’établissement, soit sur les méthodes d’enseignement, soit sur d’autres points : nous sommes assez souvent en dissentiment ; mais ce que je me plais à constater, c’est que M. Fourdrin est un homme animé des sentiments les plus généreux, qui aime passionnément la jeunesse, et qui se livre à sa profession, non par esprit de lucre, mais par goût. Je suis bien persuadé que le système qu’il applique et qui réussit sous sa direction, échouerait sous un autre directeur dont la vocation pour l’enseignement serait moins fortement prononcée.

Si l’immense majorité des parents craignent d’accepter pour leurs enfants la responsabilité de méthodes nouvelles et non suffisamment expérimentées ; si un grand nombre craignent de faire contracter à leurs enfants la passion pour les idées de justice et de progrès par crainte de nuire plus tard à leur avancement dans la société, il y a cependant de nombreuses exceptions, et beaucoup de pères de famille seraient peut-être bien aise de connaître l’existence d’un pareil établissement. Aussi je serais bien heureux si vous le jugiez utile, et à cette condition seulement, que vous consentissiez à lui donner l’appui si important de la publicité de votre journal. Vous favoriseriez les idées progressives en facilitant […] l’expérimentation de méthodes nouvelles dans l’enseignement [21].

Parmi les élèves figurent notamment un futur bourgmestre de Liège ainsi que plusieurs acteurs importants de l’économie et de la vie culturelle wallonnes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle [22].

Poursuites judiciaires

Cependant, en 1854, Fourdrin est accusé d’avoir participé à un projet d’attentat contre Napoléon III ou Léopold 1er au moyen d’une « machine infernale ». La police découvre à Bruxelles, dans le bureau d’un employé du chemin de fer, des explosifs fabriqués à Liège par l’armurier Sanders, dont Fourdrin est un ami, ainsi d’ailleurs que Victor Considerant, un moment inquiété avant d’être mis hors de cause [23]. Fourdrin et trois autres hommes sont accusés de complicité ; le premier est d’abord acquitté par le tribunal de Liège, alors que plusieurs de ses co-accusés sont condamnés à la détention. Mais en appel, la cour royale annule ce premier verdict et condamne Fourdrin à 6 mois de prison [24].

Il est difficile de savoir exactement ce qu’il fait après sa sortie de prison : selon l’une de ses biographes, il aurait repris ses activités d’enseignement à Liège. Mais en 1858, les polices française et belge le soupçonnant d’avoir joué un rôle dans l’attentat d’Orsini contre Napoléon III, il aurait quitté la Belgique, d’abord pour Eijsden (Pays-Bas), puis pour Londres. Il aurait néanmoins effectué en 1876 un séjour à Liège, lors duquel il aurait rencontré quelques-uns de ses anciens élèves [25].

Selon d’autres sources, il aurait quitté Liège dès sa sortie de prison, d’abord pour le Limbourg hollandais, qu’il aurait dû quitter en 1856 [26] ; ou il aurait été expulsé de Belgique et se serait installé en Angleterre, mais en s’efforçant vainement en 1858 de revenir dans sa patrie d’adoption ; il fait d’ailleurs publier en 1858 à Bruxelles une brochure sur une méthode de cuisson économique [27] ; en 1871-1872, il vit à Londres et contribue à la publication du Vermersch-Journal, fondé par le communard Eugène Vermersch ; en 1877, il publie à Bruxelles une brochure sous le pseudonyme de Jean de la Boverie [28]. Selon une autre source, il serait mort à Londres dans la misère [29].