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PICON Antoine : Les saint-simoniens. Raison, imaginaire et utopie (2002)

Paris, Belin, 2002, 381 p.

Article mis en ligne le décembre 2003
dernière modification le 21 février 2006

par Bouchet, Thomas

Antoine Picon est l’un des meilleurs connaisseurs actuels du saint-simonisme. Son ouvrage, à la fois synthèse utile et traduction d’une recherche originale, est utile à plusieurs titres. Antoine Picon livre d’abord, dans une partie intitulée « anatomie d’un mouvement » des pages denses, rigoureuses, nourries aux meilleures sources. Il met en valeur les fonds remarquables conservés à la bibliothèque de l’Arsenal, les nombreuses publications saint-simoniennes (livres, brochures, journaux...). Il présente au lecteur un ensemble passionnant de dessins exécutés par Joseph Machereau. Puis, dans la deuxième partie (« La science et l’industrie »), et surtout dans la troisième (« La demeure de l’homme »), ses analyses se révèlent neuves et originales. L’auteur oriente directement ses développements autour de l’idée de « réseaux ». Cette approche signe l’originalité d’un historien qui est aussi architecte et ingénieur.

Les saint-simoniens fournit de manière plus générale des éléments de compréhension à propos des utopies. Dans son introduction, Antoine Picon tente de dégager son objet d’étude d’un ensemble d’interprétations trompeuses : il convient, précise-t-il, de reconsidérer les liens entre utopie et réel, entre utopie et histoire. Le discrédit ou l’idéalisation apportent peu, en définitive ; mieux vaut observer les articulations, chez les saint-simoniens, entre représentations et pratiques (p. 28, et passim). Mieux vaut s’interroger aussi sur une « raison pulsionnelle » à l’œuvre chez les saint-simoniens et chez nombre de leurs contemporains assoiffés d’un monde autre. A l’arrière-plan de son ouvrage se laissent ainsi deviner certains contours d’une histoire des utopies au XIXe siècle. C’est ainsi que pour donner sens à ses analyses, Antoine Picon met souvent en relation saint-simonisme et fouriérisme. Le nom de Charles Fourier revient une vingtaine de fois dans son étude ; Considerant, ou encore Lechevalier et Transon (tous deux passés du saint-simonisme au fouriérisme) sont eux aussi présents. Les dernières pages du chapitre 3 (« le mouvement saint-simonien vers 1830 ») évoquent justement, mais de manière assez allusive, le phénomène des transfuges. D’intéressants développements permettent de comparer modes de propagande, réseaux, individus (p. 127 sq.) ; Antoine Picon consacre là quelques lignes à la publication en 1831, par Fourier, de Pièges et charlatanisme des deux sectes Saint-Simon et Owen, qui promettent l’association et le progrès. Il montre aussi par exemple que la science saint-simonienne trouve une de ses sources d’inspiration chez Fourier (p. 185 sq.) ; il met en regard les positions des uns et des autres sur la question du travail à la mi-siècle (pp. 212-213). Et au-delà, c’est bien d’influences réciproques, de circulations diverses, de métissages qu’il s’agit souvent, entre saint-simoniens et fouriéristes. C’est aussi pour cette raison que la lecture du livre d’Antoine Picon est stimulante. Les développements consacrés au rôle que jouent poésie et musique dans la pensée et l’œuvre des saint-simoniens n’encouragent-ils pas à envisager qu’un prochain Cahier Charles Fourier porte sur ces questions précises ? Et ne vaudrait-il pas la peine de mettre sur le métier, d’ici peu, un ouvrage sur les membres de l’École sociétaire qui fasse écho aux saint-simoniens d’Antoine Picon ?