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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Héreau, Michèle, née Rabusson
Article mis en ligne le 15 juillet 2022

par Desmars, Bernard

Né le 17 juin 1793 à Gannat (Allier). Lectrice de l’impératrice Marie-Louise, puis maîtresse de pension d’abord à Auxerre, ensuite à Paris. Se présente comme phalanstérienne dans les années 1840.

Michèle Rabusson est la fille d’un boucher de Gannat, qui ne sait signer l’acte de naissance ; elle est la sœur de Jean Rabusson (1774-1848), d’abord garçon boucher, puis engagé volontaire en 1793, officier de la Garde impériale sous Napoléon Ier, décoré de la Légion d’honneur en 1804 [1]. C’est ce qui permet à Michèle Rabusson d’être admise en 1808 au château d’Écouen, transformé peu avant en maison d’éducation pour les demoiselles de la Légion d’honneur [2]. Puis, quelques années plus tard, on la retrouve dans l’entourage de l’impératrice Marie-Louise, d’abord comme « dame d’annonce », puis comme lectrice [3]. Elle l’accompagne dans l’été 1814 quand Marie-Louise retourne à Vienne ; en passant à Berne, elle se marie religieusement avec le docteur Edme-Jean-Joachim Héreau, médecin de l’impératrice [4].

Dans les années 1820, les deux époux sont à Auxerre, où naissent leurs deux filles, Claire en 1823 et Léonie en 1824. Mme Héreau y dirige une pension [5]. En mars 1838, elle obtient son diplôme de maîtresse de pension [6]. On retrouve le couple et Léonie à Paris vers 1840 [7]. Le Dr Héreau ouvre un cabinet rue Castellane, tandis que son épouse tient dans le quartier Monceau une institution de jeunes filles que fréquente brièvement, d’octobre 1840 à avril 1841, Solange Dudevant, la fille de George Sand ; selon la romancière, la discipline y est insuffisamment rigoureuse, et Solange, « intolérable de caractère », y est « gâtée » par la directrice [8] ; elle en est rapidement retirée pour être placée dans une autre maison où elle « est tenue avec plus de sévérité ». Certes, George Sand apprécie « la familiarité plus expansive, plus maternelle et plus indulgente de Mme Héreau. Cette femme est vraiment excellente, et j’ai eu un véritable chagrin à la fâcher comme j’ai fait en lui retirant Solange » ; mais, ajoute George Sand, les sanctions prononcées dans son établissement envers Solange sa fille étaient sans effet, « sachant qu’on finissait par lui pardonner » [9].

La pension de la rue d’Astorg

En 1843, l’institution Héreau est transférée dans le quartier de la Madeleine, rue d’Astorg ; à la pension pour jeunes filles est associé un « Institut d’éducation complémentaire pour les jeunes personnes » de 15 à 18 ans afin qu’elles puissent « compléter leurs études, s’instruire des nouveaux devoirs qu’elles auront à remplir dans le monde et acquérir cette distinction de manières et ce vernis de bonne compagnie […] qui sont le cachet de l’éducation parisienne ». Il s’agit de « former, non pas des femmes savantes, selon la mauvaise acception du terme, mais des femmes instruites, sans pédantisme, possédant les qualités qui, dans toutes les conditions, constituent une bonne épouse, une bonne mère et une maîtresse de maison accomplie » [10].

C’est dans cet établissement que séjourne pendant quelques années Clarisse Gauthier, future Mme Coignet. La ruine de son père Joseph Gauthier, maître de forges en Franche-Comté, est alors consommée, et Clarisse cherche un emploi. Sa tante Clarisse Vigoureux lui trouve à l’automne 1844 « une modeste situation, au pair, dans une institution de jeunes filles » [11], dirigée par une certaine « Mme X… », c’est-à-dire Mme Héreau, que, dans ses Mémoires, Clarisse Coignet présente ainsi :

Mme X…, […] tient par toutes ses relations, au monde de l’empire. Or, le bonapartisme et le socialisme rapprochés à cette époque [milieu des années 1840] par les publications de Louis Bonaparte et par les relations que ce prince entretient en France, groupent dans une opposition commune, les mécontentements du jour et les aspirations du lendemain. C’est par ces sympathies d’idées que Mme X… est entrée en rapport avec le chef de l’École phalanstérienne et sa famille. Aussi, le jour où ma tante et ma cousine [Julie Considerant, née Vigoureux], à la recherche d’une situation pour moi, sont allées lui demander son aide, elle leur a tout de suite offert de me recevoir dans sa maison [12].

Conduite par Clarisse Vigoureux et Julie Considerant à la pension de la rue d’Astorg, Clarisse Coignet est d’abord impressionnée par Mme Héreau :

Son teint, jeune encore, relevé par de magnifiques cheveux blancs, ses yeux caressants et doux, sa voie harmonieuse, exercent un charme particulier ; et ses belles manières, ses expressions choisies, sa parfaite aisance de femme du monde lui donnent très grand air […]. Nul n’a jamais présidé avec plus de noblesse les cérémonies d’école, tenu aux maîtres, aux enfants, aux parents, un langage mieux approprié. La force dans les principes, l’élévation dans les idées, la justesse, l’esprit, l’à-propos, rien n’y manque. Les auditeurs restent sous le charme [13].

La conversation entre les quatre femmes s’engage, avec « des considérations générales sur l’enseignement » :

Madame X… est phalanstérienne, avec ma tante et ma cousine, du moins. Entrant dans la donnée de Fourier, elle critique, de haut, toutes les vieilles méthodes formalistes et autoritaires et rappelle qu’à Écouen commençait déjà à souffler l’esprit de réforme. Elle a hérité de cette tradition et la met en œuvre chez elle. Au lieu d’écraser les enfants par le travail et la discipline, on tient compte de la nature de chacun, on en facilite le développement [14].

Clarisse Coignet est enchantée à « la pensée de contribuer à une œuvre d’une portée si haute, la rénovation de l’enseignement sous l’inspiration de Fourier ». Cependant, elle déchante rapidement :

au lieu de cette direction nouvelle et supérieure […], je reconnais bientôt, autour de moi, l’absence de toute direction, et par suite, une complète anarchie morale. Non que Mme X… ait une nature perverse. Naturellement bonne, au contraire, généreuse, sensible aux malheurs d’autrui, mais faible, sans volonté, sans conscience, elle a été débordée par les difficultés de la vie et s’en tire aujourd’hui un peu à l’aventure. Tombée d’une situation brillante dans une complète ruine, avec un mari incapable, des filles à établir, elle serait allée au fond du gouffre si d’anciennes relations, d’origines très mêlées, ne lui avaient fourni les moyens de fonder un établissement d’éducation, sans qu’elle y apportât d’ailleurs ni préparation, ni vocation […] Mme X… cherche sa clientèle un peu au hasard dans les courants nouveaux, s’attachant à parler à chacun sa langue [15].

La composition du public accueilli par l’établissement diffère d’ailleurs un peu de celle annoncée dans l’article publicitaire cité plus haut : il y a bien d’un côté un pensionnat avec des « enfants et adolescentes, de huit à seize ans, [qui] vivent dans les salles d’étude, les réfectoires, les dortoirs » ; les élèves sont réparties en trois classes dirigées par des sous-maîtresses pour les « petites et les moyennes », tandis que les « grandes » reçoivent des leçons de professeurs venant de l’extérieur ; mais à côté, « [l’]Institut d’éducation complémentaire » qui devait recevoir des « jeunes personnes » de 15 à 18 ans, accueille en réalité des « demoiselles ou dames de tout âge, complètement libres, qui occupent des chambres particulières, se réunissent dans un salon et une salle à manger à elles » et peuvent assister aux cours des « grandes » [16]. Clarisse Coignet précise que ces

pensionnaires en chambres sont demoiselles, veuves ou femmes séparées venues soit de l’étranger soit de la province, quelquefois des profondeurs inconnues de Paris. De leurs antécédents, de leur famille on ignore tout et on veut tout ignorer. Quelques-unes, sans doute, surtout parmi les étrangères, désireuses d’apprendre la langue ou se destinant à l’enseignement, mènent une vie laborieuse et régulière ; mais nombre d’autres, plus ou moins déclassées, ne songeant qu’au plaisir, sortent, rentrent à toute heure, voient un monde équivoque, affichent les plus libres allures. Ces pensionnaires toutefois représentent le plus clair des bénéfices, monopolisent toutes les faveurs. La maison est installée spécialement en vue de les accommoder et de les satisfaire. Cuisine, mobilier, service, tout est pour elles relativement soigné, tandis que pour les élèves tout sent la pénurie. C’est à la table de ces dames que Madame X et ses filles prennent leur repas, c’est dans leur salon qu’elles passent la soirée en causeries et en lectures. Le samedi, il y a thé, musique et quelquefois danse [17].

Le témoignage de Clarisse Coignet, de façon générale très critique envers la façon dont l’établissement est tenu, y compris pour la section des jeunes filles de moins de 16 ans, cesse à l’automne 1847 quand elle part enseigner dans une institution de jeunes filles à Liverpool. Dans les Annuaires, l’établissement de Mme Héreau est mentionné parmi les « institutions de demoiselles » jusqu’en 1850, avant d’être présenté dans les années suivantes comme un « pensionnat de dames étrangères » [18].

La seconde fille du couple Héreau, Léonie, recensée en 1851 comme « directrice des postes » à Ancy-le-Franc (Yonne), et mariée à Paris l’année suivante avec le fouriériste Jean-Baptiste Noirot, décède en 1853. Deux ans plus tard, c’est le docteur Héreau qui meurt, suivi en 1860 par sa fille Claire – mariée avec un sculpteur, Adrien Fourdrin –, Claire qui, à lire Clarisse Coignet, possédait « les qualités d’un administrateur émérite » et disposait véritablement du « gouvernement de la maison » [19]. Le pensionnat disparaît alors des Annuaires. Mme Héreau fonde avec une certaine Mme Ballègue la société « Héreau (Veuve) et Cie, pension de familles », qui possède une maison, rue du Colisée [20]. La société est dissoute en 1863 en raison du décès de Mme Ballègue [21].

On ne sait ce que devient ensuite Mme Héreau.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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