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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Pagliardini, Tito
Article mis en ligne le 18 mai 2021
dernière modification le 7 juin 2021

par Desmars, Bernard

Né vers 1817 à Città di Castello (Ombrie, Italie), décédé le 27 mars 1895 à Londres (Royaume-Uni). Professeur à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), puis à Londres. Collaborateur de plusieurs périodiques fouriéristes  ; écrivain, poète, traducteur et auteur de textes sur le Familistère de Guise. Membre d’associations concernant le pacifisme, l’éducation et les sciences sociales.

On ignore la date exacte de la naissance de Tito Pagliardini [1]. Vers 1840, il réside dans le Pas-de-Calais. Le recensement de Boulogne-sur-Mer de 1841 mentionne une famille

Tito Pagliardini (Archives nationales)

Pagliardini, dont le chef est professeur de langues, et qui comprend un seul fils, Tito, également professeur. L’Almanach de Boulogne paru la même année mentionne, parmi ceux qui donnent des cours privés, une famille Pagliardini, dont le père est professeur d’italien, tandis que la mère enseigne le chant, la fille le piano et le fils – sans doute Tito – l’italien et les mathématiques [2]. D’après son ami Dutercq, Tito Pagliardini est déjà fouriériste [3].

Probablement quitte-t-il la France pendant la première moitié des années 1840, période pendant laquelle il se marie [4] ; il est en tout cas absent du recensement de la population de Boulogne en 1846. Il reste en contact avec l’École sociétaire. En 1847-1848, il fait paraître dans La Phalange un article en cinq parties intitulé « L’analogie des langues » [5] ; dans la dernière partie, il envisage la création d’un « congrès central permanent », chargé de gérer les affaires européennes, et la formation d’une « langue unitaire de l’Harmonie » et d’un « alphabet universel ». Il faut aussi, écrit-il, « démocratiser l’orthographe », c’est-à-dire la simplifier afin de faciliter l’accès à la lecture et à l’écriture. « Répandre l’éducation, c’est moraliser la nation » [6].

Sans doute s’éloigne-t-il du mouvement fouriériste après la Deuxième République. Toutefois, en 1859 ou en 1860, il écrit à la direction du Bulletin du mouvement sociétaire en Europe et en Amérique, un éphémère périodique ayant pour but de maintenir les liens entre les disciples fouriéristes ; il signale dans sa lettre les travaux de l’Association nationale pour l’avancement de la Science sociale (National Association for the Promotion of Social Science) et plus généralement les progrès de « la réforme sociale » en Angleterre [7].

Faire connaître le Familistère de Guise

Installé à Londres, il est professeur de langues au collège de Saint-Paul de 1853 à 1879 [8]. En août 1865, il visite avec sa femme le Familistère de Guise. À son retour à Londres, il écrit à Jean-Baptiste Godin pour le remercier de son accueil et l’informer des initiatives qu’il a prises afin de « faire connaître votre belle œuvre et de pousser notre siècle à l’imiter ». Il annonce un article – pour l’essentiel une traduction de la brochure publiée peu avant par Auguste Oyon [9] – à paraître dans The Social Science Review  :

le moment ne pouvait être plus favorable à la publication. Le numéro contiendra le compte rendu de la session de l’Association internationale [des travailleurs] qui vient d’avoir lieu à Berne, et sera par conséquent lu par la plupart des hommes avancés de l’Europe et même de l’Amérique ; et comme il paraîtra trois jours avant la réunion de l’Association nationale pour l’avancement de la Science sociale qui aura lieu cette année à Sheffield, il y a bonne chance que quelque membre soit disposé à donner du retentissement au Familistère. Cette association renferme tout ce que la Grande-Bretagne possède d’hommes distingués par le talent, les bonnes intentions et même le rang.

Pagliardini fait tirer à part 200 exemplaires de son texte « pour les distribuer à tous les journaux et à tous les personnages marquants ». Il écrit un autre article pour un autre périodique, The Builder, avec une vue du Familistère. Ainsi, « la publicité sera assurée, et même Le Times qui cite fort souvent cette revue de l’architecture, sera forcé d’en parler ». Et, espère Pagliardini, l’attention portée par la presse anglaise à l’œuvre de Godin devrait conduire les journaux français à enfin s’y intéresser.

Vous voyez donc bien que j’ai fait mon petit possible pour faire partager aux autres l’enthousiasme qu’a fait naître en nous votre admirable œuvre. Je dis nous car ma femme aussi fait de la propagande de son côté.

Il souligne le « vif plaisir » que lui et son épouse ont « éprouvé en voyant surgir [à Guise] l’ère du bien-être physique et moral de l’humanité », « car dans votre œuvre, je vois plus que le familistère ; j’y vois une réforme sociale toute entière » [10].

Environ deux mois plus tard, il s’adresse à nouveau à Godin pour se féliciter du succès de son texte :

N’allez pas croire que le Familistère se meure en Angleterre parce que je ne vous en donne pas de nouvelles. Bien au contraire, sa vitalité y dépasse mon attente. Une foule de journaux s’en occupent, et ma pauvre petite brochure, l’œuvre de quatre jours, a eu un succès étonnant, grâce au sujet et aux secours que m’a fournis M. Oyon. Elle est partout recommandée comme une des publications les plus intéressantes et les plus dignes d’être lues. J’en ai distribué 400 exemplaires aux journaux et partout où je croyais qu’elle pouvait porter fruit. The Observer, Sunday Times, Record, City News, Morning Advertiser, Lloyd’s, Weekly Messenger, etc., etc., etc., en ont donné des extraits ou des résumés et tous en recommandent la lecture. Beaucoup de manufacturiers s’agitent, et c’est là mon principal but. The Morning Star me promet un article pour lundi. The Daily Telegraph, Once a week et All the Yeard Round, vont aussi s’en occuper. Et samedi prochain, je vous enverrai un autre article de moi dans Le Courrier de l’Europe. L’Internationale a la charmante habitude de couper les articles en 2 ou 3 et de mettre un mois et plus entre leur publication. Samedi 25 paraîtront dans le Builder les vues et le plan. La vue générale est déjà gravée, et plusieurs revues auront des articles dans leurs prochains numéros. Un livre illustré qui traite uniquement de l’amélioration du sort des classes ouvrières, qui va paraître incessamment, contiendra un appendice sur le Familistère.

Tito Pagliardini ajoute qu’un autre périodique, œuvrant pour la simplification de l’orthographe anglaise (le « Journal phonétique »), a publié le texte de la brochure dans ses colonnes, afin de « faire marcher de front le bien-être de l’humanité en général et la réforme orthographique en vue du progrès de l’éducation. D’ailleurs, de passage à Londres, Emma, reine des îles Hawaï, qui « veut que tous ses sujets sachent lire », mais qui craint que « les absurdités contradictoires de l’orthographe anglaise les en empêche », prévoit d’« étudier l’orthographe sensée en étudiant le Familistère » [11]. Par ailleurs, des manufacturiers anglais envisagent de se rendre à Guise.

J’avais donné cinq ans à l’Angleterre pour s’occuper activement du Familistère. […] Je ne serais plus étonné si dans un an, on s’occupait de poser la première pierre [12].

Il prolonge la publication de son texte par des conférences, des articles et des rencontres [13]. Ainsi, en grande partie grâce à son action, Edward Vansittart Neale, un des principaux responsables du mouvement coopératif de Grande-Bretagne, devient un admirateur fervent du Familistère où il séjourne à plusieurs reprises, parfois avec d’autres coopérateurs [14]. Et des visiteurs du Familistère dans les décennies suivantes se rendent à Guise après avoir lu ou rencontré Pagliardini [15].

Lui-même s’abonne au Devoir, publié par Jean-Baptiste Godin à partir de 1878 [16].

Le mouvement sociétaire et la réforme sociale et éducative

Pagliardini semble rester à l’écart de la réorganisation du mouvement fouriériste, au milieu des années 1860. Mais après avoir promu le Familistère, il reprend contact en 1869 avec les dirigeants de l’École sociétaire, en leur assurant que, malgré ce que pourrait suggérer son silence de quelques années, son « zèle pour les idées régénératrices de Fourier » ne s’est pas « refroidi ». D’ailleurs, il croit observer que « l’Angleterre marche d’un pas lent, mais sûr, et qui s’accélère chaque année, dans la bonne voie », tandis que « les vieilles idées » et « les vieux préjugés sont soumis à l’analyse et à la discussion ».

Étant membre effectif du conseil de l’Association nationale pour l’avancement de la Science sociale, et membre du département de l’économie sociale, je participe plus ou moins à toutes les questions qui s’agitent. […]

Or, beaucoup de questions qui nous intéressent souverainement, telles que paupérisme et droit de vivre qui mènent directement au Droit au Travail, – éducation industrielle compulsoire, – droits des femmes, - association du capital et du travail, – habitations saines et commodes pour les ouvriers, familistères, etc., etc. y sont traitées avec une hardiesse que l’on trouverait facilement ailleurs, mais aussi avec un calme digne et philosophique que l’on pourrait bien avec avantage imiter dans d’autres pays [17].

Il souligne avoir lu en 1867, dans le cadre d’un congrès de l’Association, un mémoire « proposant comme seul remède aux grèves l’Association du capital, du travail et du talent », idée qui se développe. « La coopération (garantisme) marche aussi grand train et prépare la voie à la véritable association ». Il est en relation avec une société coopérative agricole qui s’occupe de l’achat de graines, d’engrais, d’outils et de machines ; il a suggéré à son dirigeant de se procurer des terres et de les exploiter collectivement et en édifiant « au centre un familistère ». « Ce serait presque le phalanstère, car l’organisation du travail, comme remède aux chômages, ne tarderait pas à s’ensuivre ».

Au début de l’année 1869, le fouriériste Louis Isidore Granday propose la formation d’un essai agricole ; il s’engage à apporter lui-même une partie du capital (1 000 francs par an pendant dix ans) et appelle ses condisciples à le rejoindre. L’appel, d’abord publié dans le Journal de l’agriculture (février 1869), est reproduit dans La Science sociale (16 mars 1869) et suscite des réactions positives chez plusieurs fouriéristes. Ainsi Pagliardini exprime sa

joie de voir que, sortant enfin du domaine des paroles, les disciples de Fourier se soient décidés à entrer dans celui des faits. Succès et bonheur, quelle que soit la forme que prenne le premier essai.

Tito Pagliardini promet 100 francs par an pendant dix ans pour soutenir l’initiative de Granday – ou un autre projet allant dans le sens de la réalisation [18]. Finalement, ces intentions ne se concrétisent pas.

Dans les années suivantes, il soutient financièrement la Maison rurale d’expérimentation sociétaire fondée par Adolphe Jouanne à Ry, près de Rouen, afin d’éduquer les enfants selon les principes fouriéristes ; il envoie successivement 50, 100 et 50 francs de 1871 à 1873 [19]. Cela témoigne à la fois de son engagement fouriériste et de sa volonté de réformer l’éducation, qui se traduit aussi par son adhésion à la National Education Association.

Tito Pagliardini est abonné dans les années 1870 au Bulletin du mouvement social, l’organe de l’École sociétaire de 1872 à 1880 [20]. Alors qu’à la fin de cette même décennie, la Librairie des sciences sociales est en difficulté et sollicite les disciples de Fourier pour assurer sa survie, il s’engage à envoyer annuellement 25 francs pendant trois années, ce qu’il fait effectivement en 1880 et 1881. L’année suivante, il figure parmi ceux qui sont en retard dans leur versement [21].

Il continue son activité propagandiste afin de

pousser les réformateurs dans la bonne voie, c’est-à-dire les co-opérateurs, qui sont trop entachés de communisme et de nivellisme, à reconnaître les droits du capital et du talent, et les capitalistes à associer les ouvriers et leurs employés aux profits ; les réformateurs des habitations à changer les mesquines maisonnettes en Familistère, en attendant le Phalanstère, et les hommes de sciences et de lettres à balayer du chemin de l’éducation les obstacles qu’offrent les difficultés purement conventionnelles créées par un système confus de poids, mesures et monnaies, et une orthographe perfide autant que ridicule. Je combats depuis longtemps pour l’universalisation du système métrique, et l’adoption d’un alphabet universel fondé sur les organes de la voix humaine, et par conséquent applicable à toutes les langues présentes et futures [22].

En 1881, il intervient lors d’un congrès de l’Association nationale pour l’avancement de la Science sociale qui se tient à Dublin et qui aborde notamment la question de la pauvreté en Irlande. Il affirme que « les plaintes de l’Irlande ne sont plus d’ordre politique, mais d’ordre social ». La solution consiste donc en l’accroissement des richesses grâce en particulier à l’agriculture. Mais cela ne peut se faire, ni par le système des grandes fermes à tenure, ni par le morcellement qui prévaut en Irlande. Il propose de grouper les terres en de vastes exploitation de 2000 à 2400 hectares, sous l’administration d’un comité composé d’hommes « possédant la science et la pratique de l’agriculture » ; les bénéfices seraient répartis entre le capital, le travail et le talent. Des bâtiments d’habitation seraient élevés au centre du domaine, avec des écoles, des cuisines collectives, « et beaucoup d’autres sources indirectes de bien-être matériel et moral » – en quelque sorte les « équivalents de la richesse » de Godin [23].

Il participe au mouvement pour la paix et contribue aux souscriptions ouvertes par des associations pacifistes anglaises [24]. En 1881, il signe un « Manifeste des travailleurs amis de la paix d’Angleterre », qui proteste contre l’intervention française en Tunisie [25]. Il fait paraître en 1882 dans la Revue du mouvement social dirigée par Charles Limousin un article sur un ouvrage consacré à la « question d’Orient », ouvrage dont l’auteur imagine la fin de l’Empire ottoman et la promotion de Constantinople au rang de capitale accueillant le Parlement international des États-Unis d’Europe ; ce qui, précise Pagliardini a déjà été annoncé par Fourier [26].

République et poésie

Pagliardini est par ailleurs un partisan de la République en France ; en septembre 1877, il envoie depuis Londres sa contribution financière (10 francs) à la « souscription républicaine pour les prochaines élections », c’est-à-dire les élections législatives d’octobre 1877, où doivent s’affronter les partisans de la monarchie et ceux de la République [27].

Il est aussi l’auteur de poèmes, publiés dans des journaux italiens, anglais et français [28]. Il est enfin l’auteur de plusieurs traductions de l’italien vers l’anglais, et notamment des œuvres de Luigi Manzoni.

Le Devoir publie une nécrologie de Pagliardini qui souligne l’engagement du défunt en faveur du Familistère. Grâce à lui, « le nom et l’œuvre de J.-Bte.-A. Godin devinrent populaires dans les pays de langue anglaise, tandis qu’ils étaient encore presque inconnus en France » ; plus généralement, « il était un apôtre de la cause du progrès et du bien pour tous les hommes ». Le même organe reproduit des extraits des journaux anglaise, selon lesquels :

Il fut un vigoureux orateur et un brillant écrivain, non seulement en langue italienne (il était italien d’origine), mais aussi en anglais et en français. Il possédait parfaitement la plupart des langues ; aussi publiait-il des travaux très estimés touchant la linguistique. […]

Pagliardini prit un vit intérêt à tous les mouvements progressistes et parmi les nombreuses sociétés dont il faisait partie, nous pouvons citer ici : the « Workman Peace Association », the « Land Nationalisation Society », the « National Health Society », the « National Education Association », the « Women’s Bookbinders Association », the « Paddington Parliament », the « Royal Historical Society », etc. etc. [29]


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un_mouvement_fourieriste_largement_inscrit_dans_sa_province_d_origine.pdf 174.7 kio / PDF