Né le 23 décembre 1827 à Mons (Belgique), décédé le 25 mai 1892 à Ixelles (Belgique). Avocat, conseiller provincial, député. Abonné à La Démocratie pacifique, correspondant de l’École sociétaire à Bruxelles au début des années 1850, ami de Victor Considerant.
Adolphe Demeur est le fils d’un contrôleur du cadastre. Il fait des études de droit à l’université de Louvain, où il fait partie d’un groupe de disciples de Fourier [1]. En mars 1848, un certain nombre d’étudiants signent une Adresse de félicitations à leurs « frères d’Allemagne », en appelant au « règne de la Justice et de la Vérité ». Ce texte suscite la colère des autorités académiques qui excluent plusieurs étudiants, dont Adolphe Demeur [2]. Il continue ses études à l’université libre de Bruxelles où il obtient un doctorat [3]. Au début des années 1850, il devient avocat à la cour d’appel de Bruxelles. Il s’intéresse en particulier au droit des affaires et publie dès 1851 des ouvrages sur les systèmes de crédit et d’assurance [4].
Il s’engage du côté des progressistes de l’Association libérale ; il se situe à l’aile gauche de l’organisation, favorable à la démocratisation du régime et à des réformes sociales. Son aspiration à des changements sociaux se traduit également par son adhésion au fouriérisme.
Correspondant de l’École sociétaire
Il est un membre important du mouvement fouriériste en Belgique au début des années 1850. Il est le correspondant à Bruxelles du Centre parisien de l’École, chargé de percevoir la rente et le produit des abonnements auprès des souscripteurs belges et des abonnés à La Démocratie pacifique. En avril 1851, il envoie « la liste des renteurs », c’est-à-dire des disciples qui se sont engagés à verser régulièrement une somme d’argent pour subvenir aux besoins de l’École sociétaire. Au printemps 1851, cette rente n’a produit pour les premiers mois de l’année que 159,50 francs auxquels s’ajoutent 94 francs « pour cotisation exceptionnelle » (c’est-à-dire des dons versés par les renteurs en supplément à leur rente) : « c’est bien peu, comme vous voyez » [5]. En octobre 1851, il mentionne 22 renteurs, dont les versements réguliers se montent à 325 francs pour les trois premiers semestres, auxquels s’ajoutent 100 francs de « cotisations exceptionnelles » [6]. En 1852, seize renteurs envoient 268 francs 50 [7]. Lui-même verse 10 francs chaque trimestre, ce qui en fait un des principaux contributeurs belges à la rente. Une partie de l’argent collecté est remise directement à François Cantagrel, l’autre étant envoyée à Paris.
Il s’occupe également de la diffusion des publications fouriéristes sur le territoire belge. En juin 1851, il indique au Centre sociétaire parisien différents noms et adresses auxquels il faut envoyer La Démocratie pacifique, ainsi que la Revue de l’éducation nouvelle, un périodique fondé par Jules Delbruck. Lui-même commande plusieurs numéros de La Démocratie pacifique, qui manquent « à [sa] collection, par suite de donations, prêts, etc. » [8]. Il adresse également à la Librairie sociétaire des listes de livres qu’il commande en plusieurs exemplaires : on y trouve des ouvrages de Charles Fourier (Théorie de l’unité universelle, Cités ouvrières, Manuscrits), de François Cantagrel (Le Fou du Palais-Royal), d’Eugène Bonnemère (Les paysans au XIXe siècle), d’Alphonse Toussenel (L’Esprit des bêtes, Le Monde des oiseaux, Les Juifs rois de l’époque), d’Hippolyte Renaud (Solidarité), de Pierre Lachambeaudie, mais aussi d’auteurs non fouriéristes comme Émile de Girardin [9]. En 1853, il met en relation la Librairie sociétaire avec une librairie de Bruxelles, qui « offre de vendre pour 300 francs : 55 exemplaires de l’Esprit des bêtes et 55 [exemplaires] du Monde des oiseaux » ; certes, « ce prix est excessivement bas », mais peut intéresser l’École sociétaire, à un moment où son activité est très réduite [10].
La correspondance avec le centre sociétaire parisien conservée dans les archives sociétaires concerne principalement des questions comptables et administratives, Demeur se plaignant notamment de ne pas obtenir de quittances pour les sommes envoyées à Paris ou de ne pas recevoir des numéros de revues qui ont pourtant été commandés [11].
Quand la répression consécutive à la manifestation du 13 juin 1849, puis le coup d’État du 2 décembre 1851 provoquent l’arrivée de démocrates-socialistes en Belgique, Demeur aide certains d’entre eux à s’installer [12]. Il est proche en particulier de François Cantagrel et de Victor Considerant, avec qui il « fait un petit voyage » en 1851. « Ils se portent tous deux à merveille. Considerant nous a pêché une masse de truites » [13].
En 1854, après la parution de la brochure Au Texas, Victor Considerant propose la création d’une « Société de colonisation européo-américaine au Texas » ; sans doute Demeur, spécialiste du droit des sociétés commerciales, a-t-il aidé ses amis dans la rédaction des statuts [14]. Il héberge à son propre domicile le « siège primitif [de la société] à Bruxelles, rue de la Régence, n°16 » [15]. Lors de son bref retour en Europe en 1858, Victor Considerant séjourne à Bruxelles chez lui ; les deux hommes continuent à correspondre dans les années suivantes [16].
Demeur reste aussi en contact avec certains dirigeants fouriéristes. En 1861, alors que des dissensions se manifestent parmi les actionnaires quant à l’avenir de la société fondée en juin 1840 pour exploiter la librairie de l’École sociétaire, il envoie un message de soutien à Émile Bourdon et lui assure qu’il « saisira avec empressement toute occasion de [lui] être utile ou agréable » [17].
Engagements en faveur de la démocratie, de l’instruction et de la laïcité
À partir de 1857, Adolphe Demeur commence une série de publications sur les sociétés anonymes et sur les sociétés commerciales de Belgique, qu’il poursuit jusqu’en 1877. Surtout, il s’engage dans différentes associations en faveur du développement de l’enseignement, de la laïcité et de la démocratie ; il collabore à plusieurs organes progressistes, La Liberté (1865-1866), puis La Discussion (1870-1873). Il est membre du Vlamingen Vooruit, une association qui réunit les combat pour « le flamingantisme, la laïcité, le libéralisme social et les premiers mouvements sociaux-démocrates », et qui joue un rôle important dans le développement de la libre pensée [18]. En 1866, il est admis à la loge maçonnique Les Amis philanthropes. Il participe au congrès de la paix à Genève en 1867. Déjà membre du Conseil provincial du Brabant, il est élu député à la Chambre des représentants en 1870 ; lors de la campagne électorale, il signe un manifeste réclamant une réforme électorale avec « la substitution de l’instruction au cens comme condition de l’exercice du droit », l’instruction obligatoire, des lois « protégeant l’enfance contre un travail prématuré ou excessif », une « répartition plus équitable des charges publiques », la révision des lois sur les cultes, sur le livret ouvrier, etc. [19]. Il s’oppose en 1871 à l’expulsion des Communards réfugiés en Belgique [20]. Il se marie l’année suivante avec Jeanne Delstanche, née en 1846, avec laquelle il a cinq enfants.
Il s’abonne au Bulletin du mouvement social, fondé en décembre 1872, dès les premières semaines de sa parution [21]. Sa correspondance témoigne aussi, au-delà de la fidélité à la cause sociétaire, des relations amicales qu’il entretient avec certains dirigeants de l’École, et notamment avec Émile Bourdon [22]. Il reste aussi en relations avec Victor Considerant qui, après son retour des États-Unis, lui rend visite avec sa femme à Bruxelles, séjour au cours duquel les deux hommes se livrent à « des jeux de réussite » [23]. Les deux amis se retrouvent encore en 1891 [24]. Entre temps, ils s’écrivent et se donnent des nouvelles de leur santé et de leurs amis [25].
À la Chambre des représentants, Adolphe Demeur fait partie de la commission des finances (1879-1884) et de celle de la comptabilité (1879-1883) : il combat en faveur du suffrage universel et de réformes améliorant les conditions du travail des ouvriers et limitant le travail des enfants. Il lutte également pour le développement de l’enseignement public [26]. En 1880, il fait partie du Comité général du Congrès international de l’enseignement, qui se tient à Bruxelles ; en 1882, il est vice-président de la Ligue nationale pour la réforme de l’enseignement. Son anticléricalisme lui vaut de violentes attaques de la part des milieux catholiques. Il abandonne son siège de député en 1884, mais reste au conseil provincial du Brabant jusqu’en 1891. En décembre de cette même année, dans une lettre adressée à Victor Considerant, il fait part de son intention d’être candidat aux prochaines élections législatives afin de soutenir la campagne du Parti ouvrier belge en faveur du suffrage universel. Considerant lui répond depuis Laon, où il séjourne chez son ami Auguste Kleine en le félicitant pour cette décision et en soulignant la qualité du travail fourni par les socialistes [belges], qui aboutira, un peu plus tôt, un peu plus tard à l’organisation sociétaire » [27]. Mais Demeur est déjà décédé d’une crise cardiaque quand la lettre lui est envoyée [28].
[1] John Bartier, Fourier en Belgique, édité et présenté par Francis Sartorius, Bruxelles, Bibliothèque de l’université libre de Bruxelles, et Tusson, éditions du Lérot, 2005, p. 78.
[2] Ibid., p. 146, note 3.
[3] « Demeur Adolphe-Joseph (1827-1892) », Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, sous la direction de Pol Defosse, Bruxelles, Fondation rationaliste et éditions Luc Pire, 2005, p. 90.
[4] Notice sur Adolphe Demeur, Le Parlement belge, 1831-1894. Données biographiques, sous la direction de Jean-Luc De Paepe et Christiane Raindorf-Gerard, Bruxelles, Académie royale de Belgique – Commission biographique, 1996, p. 187-188 ; et « Demeur Adolphe-Joseph (1827-1892) », Dictionnaire historique de la laïcité…, op. cit., p. 90.
[5] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 313-314), lettre d’Adolphe Demeur à Allyre Bureau, 22 avril 1851.
[6] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vue 323), décompte effectué le 10 octobre 1851.
[7] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vue 320), liste datée du 1er mars 1853.
[8] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 311-312), lettre d’Adolphe Demeur à Allyre Bureau, 23 juin 1851.
[9] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 315, 328-329, 332, 341). Demeur envoie quatre listes de livres, l’une accompagnant le courrier du 23 avril 1851, les trois autres datées d’avril 1852, d’avril 1853 et d’août 1853.
[10] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 335-337), lettre d’Adolphe Demeur à Allyre Bureau, 1853.
[11] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 319-320 et 325), note du 10 octobre 1851 et lettre d’Adolphe Demeur à Allyre Bureau, 31 décembre 1851.
[12] Jonathan Beecher, Victor Considerant, grandeur et décadence du socialisme romantique, Dijon, Presses du Réel, 2012 (édition originale : 2001), p. 368, 373 et 417.
[13] Archives sociétaires, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 311-312), lettre d’Adolphe Demeur à Allyre Bureau, 23 juin 1851.
[14] John Bartier, Fourier en Belgique…, op. cit., p. 216.
[15] Article 7, Statuts de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, Bruxelles, Société de colonisation, et Paris, Librairie phalanstérienne, 1855, p. 5.
[16] Jonathan Beecher, Victor Considerant…, op. cit., p. 477 et p. 511-512.
[17] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vue 334), lettre d’Adolphe Demeur à Émile Bourdon, 30 avril 1861.
[18] « Vlamingen Vooruit », Dictionnaire historique de la laïcité…, op. cit., p. 288.
[19] Louis Bertrand, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique, Bruxelles, Dechenne et Cie, et Paris, Édouard Cornély et Cie, 1907, tome 2, p. 144.
[20] « Demeur Adolphe-Joseph (1827-1892) », Dictionnaire historique de la laïcité…, op. cit., p. 90.
[21] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vue 338), lettre d’Adolphe Demeur à Émile Bourdon, 7 janvier 1873. Demeur indique avoir reçu un exemplaire du Bulletin du mouvement social.
[22] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vue 338), lettre d’Adolphe Demeur à Émile Bourdon, 7 janvier 1873.
[23] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 343-345) lettre non datée.
[24] Jonathan Beecher, Victor Considerant…, op. cit., p.582-583.
[25] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 343-345), lettre non datée.
[26] Notice sur Adolphe Demeur, Le Parlement belge, 1831-1894… op. cit. p. 187-188.
[27] Passage de la lettre de Victor Considerant du 26 mai 1892, citée dans John Bartier, Fourier, op. cit., p. 78, note 3.
[28] Ibid., et notice sur Adolphe Demeur, dans Le Parlement belge, 1831-1894… op. cit. p. 187-188.
Œuvres :
Assurance par l’État. Réponses à M. le ministre des Finances, Bruxelles, 1851, 40 p.
Crédit foncier. Observations sur le projet de loi présenté aux Chambres belges par M. Frère-Orban, ministre des Finances, Bruxelles, 1851, 49 p.
Les Sociétés anonymes de Belgique en 1857. Collection complète des statuts, en vigueur, collationnés sur les textes officiels, avec une introduction et des notes, Bruxelles, 1859, CXIV-708 p.
Contre l’argumentation du capital de la Banque nationale. Discours prononcé dans la séance de l’Union commerciale de Bruxelles, le 8 décembre 1863, Bruxelles, 1863, 16 p.
L’expédition belge au Mexique. Appel aux Chambres, Bruxelles, Lacroix, Berboeckhoven et Cie, 1864, 32 p.
Meeting libéral. Séance du 4 février 1864. Législation belge relative à l’expulsion des étrangers, Bruxelles, Lacroix, Berboeckhoven et Cie, 1864, 36 p.
Les Sociétés anonymes de Belgique, à partir du 1er janvier 1858. Suite et complément de la collection complète des statuts en 1857, Bruxelles, 1864, III-475-300 p.
Le Congrès de la paix à Genève (9, 10, 11 et 12 septembre 1867), Bruxelles, Lacroix, Berboeckhoven et Cie, 1867, 24 p. (extrait de la Revue trimestrielle)
Mémoire en cause de Louis Bajart, ex-conducteur de travaux au service de S. M. Léopold 1er, appelant d’un jugement du tribunal civil séant à Bruxelles, en date du 29 juin, 1867, contre : 1° S.M. Léopold II, 2° S.A.R. le comte de Flandre, intimés, Bruxelles, Vve Parent et fils, 1867, 23 p.
Le Serment religieux est-il obligatoire ? Mémoire à l’appui de mon pourvoi en cassation contre l’ordonnance de M. le juge d’instruction de Hontheim, du 24 février 1868, Bruxelles, Cecq, 1868, 32 p.
Les Sociétés anonymes de Belgique, 1865 à 1869, Bruxelles, 1870, III-476-292-VIII p.
Les Sociétés anonymes de Belgique, 1870 à 1873, Bruxelles, 1874, XVI-364-276-23 p.
Les sociétés commerciales. Actes et documents, à partir de la mise en vigueur de la loi du 18 mai 1873 jusqu’au 1er janvier 1876, avec une introduction et des notes, Bruxelles, 1877, LXX-836-36 p.
Les sociétés commerciales de la Belgique. Actes et documents, statuts, documents divers, jurisprudence. Années 1876, 1877, 1878, Bruxelles, 1880, IV-896 p.
Collaboration à divers journaux, La Belgique judiciaire, le Journal de procédure, La Liberté, La Discussion, etc.
Sources :
Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 60, vues 311 à 345), lettres, notes, commandes d’ouvrages et listes de renteurs envoyées par Adolphe Demeur au centre parisien de l’École sociétaire et à Victor Considerant.
Statuts de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, Bruxelles, Société de colonisation, et Paris, Librairie phalanstérienne, 1855, 36 p.
Bibliographie nationale. Dictionnaire des écrivains belges et catalogues de leurs publications, 1830-1880, tome 1, A.-D., Bruxelles, P. Weissenbruch, 1186, p. 466-467.
Bibliographie :
John Bartier, Fourier en Belgique, édité et présenté par Francis Sartorius, Bruxelles, Bibliothèque de l’université libre de Bruxelles, et Tusson, éditions du Lérot, 2005, 237 p.
Jonathan Beecher, Victor Considerant, grandeur et décadence du socialisme romantique, Dijon, Presses du Réel, 2012 (édition originale : 2001), 417 p.
Louis Bertrand, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique, Bruxelles, Dechenne et Cie, et Paris, Édouard Cornély et Cie, 1906-1907, 2 volumes.
Pol Defosse (sous la direction), Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, Bruxelles, Fondation rationaliste et éditions Luc Pire, 2005, 343 p. (notices « Demeur Adolphe-Joseph (1827-1892) », p. 90, et « Vlamingen Vooruit », p. 288).
Jean-Luc De Paepe et Christiane Raindorf-Gerard (sous la direction), Le Parlement belge, 1831-1894, Données biographiques, Bruxelles, 1996 (notice sur Adolphe Demeur, p. 187-188.).
.
.
.