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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Sauvrezy (ou Sauvrezis), Auguste Hippolyte
Article mis en ligne le 21 novembre 2018

par Desmars, Bernard

Né le 1er mai 1815 à Laon (Aisne), décédé le 29 avril 1883 à Paris, 3e arrondissement (Seine). Ébéniste, sculpteur ornemaniste. Saint-simonien, puis fouriériste. Actionnaire de la Librairie des sciences sociales, membre du Cercle parisien des familles.

Auguste Sauvrezy est né dans un milieu modeste ; son père est blanchisseur ; les deux témoins présents lors de la déclaration de naissance sont jardinier et manouvrier [1]. Auguste commence à travailler chez un ébéniste de Laon vers l’âge de 12 ans.

Saint-simonien, fouriériste et ébéniste

Ensuite, les informations diffèrent nettement selon ses biographes, moins sur ses activités et ses déplacements que sur leur chronologie. Selon une nécrologie parue en 1883, il rejoint Paris vers l’âge de 16 ans et il se fait embaucher par un fabricant de meubles dans le quartier du Marais. Il fréquente alors le mouvement saint-simonien, et c’est « autant pour se perfectionner dans son métier que pour répandre la bonne parole, en apôtre convaincu, qu’il partit dans le Midi ». Il reste trois ans à Marseille et y apprend la sculpture sur bois ; puis il s’arrête à Lyon, où il travaille pour l’architecte Louis-Pierre Baltard, avant de revenir à Paris [2]. Mais pour Paul Eudel, il aurait quitté Laon vers 17 ans pour voyager dans le Sud et se rendre en Italie, avant de se fixer à Paris [3]. Enfin, selon Auguste Luchet, il aurait effectué tout son apprentissage à Laon, de 12 à 25 ans, se serait ensuite installé à Paris comme ouvrier, avant, plus tardivement, d’effectuer son voyage dans le Sud de la France et en Italie [4].

En tout cas, à Paris, il cherche à compléter sa formation. Il fréquente l’école fondée par le sculpteur Justin Marie Lequien ; il suit pendant une quinzaine d’années et avec beaucoup d’assiduité les cours organisés par l’Association polytechnique. Malgré ses faibles ressources, il achète des livres afin de développer sa culture artistique :

Sauvrezy employait ses soirées à apprendre le dessin, la sculpture, cherchant ainsi à s’assimiler les notions d’art ornemental [5].

C’est aussi probablement pendant cette période qu’il se rapproche des fouriéristes. Selon l’un de ses biographes,

il fut phalanstérien quand le phalanstère était la grande chose. Puis, quelques illusions tombées, il se marie et s’établit sculpteur en décoration [6].

Il épouse en effet Marie Angélique Sophie Duval en 1845. La même année [7], ou après la révolution de Février [8], il crée sa propre entreprise, établie d’abord dans le Marais, puis faubourg Saint-Antoine. Selon un annuaire, Ii est alors

sculpteur-ébéniste, fabricant de meubles de goût, spécialité de meubles dorés tels que consoles, tables de salon, fauteuils, chaises, canapés, écrans, cadres, galeries de croisées, baldaquins, pendules, porte-statuette postiches, et tout ce qui concerne le décor d’appartements ; ornements d’églises haute fantaisie, faub. St-Antoine, 97 [9].

La qualité de son travail lui vaut une reconnaissance croissante. Il obtient une médaille de deuxième classe lors de l’Exposition universelle de 1855 à Paris. Mais c’est surtout à partir de 1860 qu’il présente ses travaux dans les expositions qui se tiennent à Nantes (1861), à Londres (1862) et à Paris (1867) ainsi que dans les manifestations organisées par l’Union centrale des beaux-arts appliquées à l’industrie et par la Société du progrès de l’art industriel [10]. Il reçoit de nombreuses récompenses à ces occasions [11]. La presse fait l’éloge de ses meubles [12]. L’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie ayant mis en place un cycle de cours publics, il intervient sur l’ébénisterie au printemps 1865 [13]. À la fin du Second Empire, sa notoriété est bien établie.

C’est vers cette époque qu’il renoue avec ses condisciples ; en 1866, une société en commandite est fondée par François Barrier et Jean-Baptiste Noirot afin de rassembler les fouriéristes autour de la Librairie des sciences sociales. Sauvrezy souscrit au capital à l’automne 1869, alors que la société est en cours de transformation en société anonyme ; il prend trois actions, ce qui correspond à 150 francs [14]. Au printemps 1870, afin d’élargir l’audience des idées sociétaires, quelques fouriéristes créent le Cercle parisien des familles qui propose à ses membres des jeux, des danses et des conversations ainsi que la lecture de journaux. Lors de la première assemblée générale du cercle, le 28 avril 1870, Sauvrezy est élu au conseil d’administration [15]. Cependant, la guerre contre la Prusse interrompt les activités du Centre sociétaire pendant près de deux ans. Quand elles reprennent, Sauvrezy ne semble pas y participer.

D’ailleurs, le travail absorbe l’essentiel de son temps :

Chercheur et travailleur infatigable, toujours plongé dans ses livres, Sauvrezy produisait sans cesse, ne prenant pas un seul instant de repos, jamais de vacances, jamais de fêtes, jamais de dimanche [16].

Sa réputation s’affirme encore dans les années 1870, avec de nouvelles participations à des expositions et de nouvelles récompenses. Il siège désormais au sein de jurys, par exemple lors de l’Exposition universelle de 1878, ou encore pendant l’Exposition des arts décoratifs de 1882 ; il est alors vice-président du jury de la section bois [17]. Sa notoriété dépasse les frontières de la France. Il a notamment une clientèle à Saint-Pétersbourg ; le prince Vorontzof et le comte Souvarof lui achètent certaines de ses œuvres [18] ; en 1876, il réalise un trône pontifical offert par souscription au pape Pie IX [19].

Il affirme constamment sa liberté de producteur, d’artiste et se soumet difficilement aux exigences des clients, préférant refuser une commande plutôt que de fabriquer un meuble qu’il juge de mauvais goût. « Il faut que l’artiste soit libre », déclare-t-il en 1882 [20]. Aussi, malgré sa réputation, il ne s’enrichit guère [21].

Association et éducation professionnelle

En décembre 1881, un décret du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts forme une « commission d’enquête sur la situation des ouvriers et des industries d’art » qui reçoit Sauvrezy en janvier 1882. Il livre un témoignage assez pessimiste sur l’avenir de son activité :

À notre époque, les patrons, si bien intentionnés qu’ils soient, sont impuissants à diriger leurs fabriques, impuissants en ce sens que leurs intérêts sont opposés à ceux des ouvriers et qu’aujourd’hui les ouvriers comprennent qu’ils doivent avoir une part du travail qu’ils produisent et ils ont raison.

Aux risques de conflits sociaux s’ajoutent les effets de la concurrence, qui rendent l’exercice de la profession très difficile :

J’avoue, quant à moi, que j’ai l’amour de mon art poussé à l’excès ; eh bien, j’y renonce, je ne peux plus continuer. […] L’industrie devient impossible dans ces conditions [22].

Interrogé sur les remèdes, il répond :

Selon moi, c’est l’association – je suis né avec ces idées, et, comme on dit, je les ai sucées de bonne heure – qui, seule, peut accomplir des choses nouvelles et opérer la réforme de l’industrie. Alors l’amour renaîtra chez les hommes et le travail s’exécutera dans de bonnes conditions. C’est là qu’est le remède, mais on n’arrivera à rien tant que patrons et ouvriers seront en état d’antagonisme [23].

Il est également très critique envers la formation professionnelle des ouvriers et notamment leur spécialisation excessive :

Les ouvriers manquent beaucoup d’instruction, d’éducation professionnelle […] la spécialisation continuelle ratatine l’intelligence des hommes. […] Aujourd’hui, les ouvriers sont beaucoup moins habiles qu’autrefois, parce qu’ils travaillent comme des machines. Leur intelligence, leur goût ne peuvent pas se développer ; ce ne sont plus des gens de métier qui travaillent aujourd’hui. Quant à moi, je ne puis pas souffrir les spécialistes [24].

Il se prononce en faveur de la création d’écoles industrielles, où les élèves pourraient pratiquer les différents aspects d’une activité, par exemple, pour l’ébénisterie, « la tapisserie, la menuiserie, la marqueterie, le tournage, la gravure et bien d’autres métiers ». Dans ces écoles, l’élève pourrait « choisir lui-même la partie qui se rapprocherait le plus de son goût, de ses instincts naturels », tout en pouvant observer l’ensemble des tâches liées à son travail ; d’autres, « repoussant les spécialités », seraient polyvalents, formant « les intelligences d’élite », les futurs « chefs de service, les chefs de direction, c’est-à-dire ce qui nous manque » [25].

Sortis de ces écoles,

les élèves […] pourraient former une association, non pas que je sois partisan des associations partielles, qui finiraient par se manger les unes les autres ; l’association doit avoir une base plus large et comprendre l’agriculture et toutes les industries [26].

Même si on peut reconnaître dans cette déposition certains échos de ses convictions phalanstériennes, Sauvrezy ne semble plus être relation avec l’École sociétaire. Il ne participe ni aux banquets, ni aux souscriptions qui vers 1880 sont organisées pour sauver la Librairie des sciences sociales. Son décès n’est pas mentionné par l’organe fouriériste du moment, la Revue du mouvement social.

Lors des obsèques de Sauvrezy, au Père-Lachaise, Antonin Proust, député républicain, journaliste et président de l’Union centrale des arts décoratifs, prononce un discours dans lequel il signale que des démarches avaient été entreprises pour que le défunt reçoive la Légion d’honneur, mais que les lenteurs administratives avaient empêché qu’elles aboutissent à temps [27].