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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

A propos d’un talisman de Charles Fourier
Analyse critique et essai de reconstitution
Article mis en ligne le 21 octobre 2018
dernière modification le 23 octobre 2018

par Dax, Adrien

Source : La Brèche. Action surréaliste, Paris, Le Terrain Vague, février 1963, n° 4, p. 18-23. Directeur : André Breton. Comité de rédaction : Robert Benayoun, Vincent Bounoure, Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster. Administration : Le Terrain Vague, 23-25, rue du Cherche-Midi, Paris (6e).

Parmi les documents relatifs à Charles Fourier, celui dont l’Année Occultiste et Psychique nous révèle l’existence reste, sans doute, un des plus énigmatiques. Voici le texte de la communication figurant dans le premier volume (1907) de cette publication de P. Piobb, consacrée aux sciences ésotériques :

Le Talisman protecteur de Charles Fourier

Charles Fourier, le fondateur de l’école phalanstérienne, était-il réellement un occultiste ? La question peut être controversée, encore que certaines parties de la Théorie des Quatre Mouvements soient en parfaite conformité avec les idées hermétistes. Voici cependant un fait qui tendrait à prouver l’affirmative.

Un collectionneur russe [1] a découvert un document contenant la formule du talisman protecteur que portait habituellement le célèbre philosophe. Cette formule aurait été composée par lui ; elle est analogue à celles que l’on rencontre dans les anciens rituels magiques et laisse à penser que son auteur était au courant de la tradition ésotérique. Elle se résume en ceci :

  1. 1° Prendre un morceau de parchemin vierge fait de la peau d’un anneau mort-né ;
  2. 2° Tracer sur ce parchemin deux cercles concentriques l’un avec de l’encre rouge, l’autre avec une encre faite de poudre d’argent ;
  3. 3° Diviser la couronne, c’est-à-dire l’espace compris entre les deux cercles, en douze parties égales par des traits doubles avec la même encre d’argent ;
  4. 4° Dans chacune des cases ainsi obtenues inscrire chacun des douze signes du zodiaque ;
  5. 5° Dans la partie centrale des cercles, dessiner une étoile à sept branches ;
  6. 8° Peindre chacune des branches de l’étoile avec chacune des sept couleurs du spectre solaire [2] ;
  7. 9° Dans chaque branche de l’étoile inscrire le nom de la planète, le nom du métal et le nom de la note musicale correspondant à la couleur de la branche ;
  8. 10° Au centre de l’étoile, tracer, avec de l’encre rouge, l’image du soleil et en peindre le centre avec de l’or ;
  9. 11° Ces diverses opérations doivent être faites la nuit, les couleurs et les noms divers des métaux, planètes et notes doivent être apposés pendant l’heure correspondant à chaque planète dont on s’occupe, le travail dure donc sept heures inégales ;
  10. 12° Prendre ensuite une lame d’argent pur assez large pour que l’on puisse y coller le parchemin sans que la figure soit repliée ;
  11. 13° Le parchemin doit être collé avec de la colle de gui et la figure doit être apposée face au métal ;
  12. 14° Faire ensuite un sachet de satin vert, y mettre le talisman et porter le tout autour du col à l’aide d’un cordon de soie verte.

Charles Fourier ajoutait que, depuis le jour où il a composé ce pantacle et qu’il s’est mis à le porter, il n’a plus eu ni accident, ni ennui d’aucune sorte.

Il convient, sans doute, d’accueillir avec prudence la communication de l’Année Occultiste et Psychique. En effet, c’est bien là, semble-t-il, le seul indice qui nous soit parvenu sur un document dont personne d’autre que Piobb ne paraît avoir eu connaissance. Par ailleurs, il faut reconnaître que l’ordre de préoccupations qui nous est ici révélé est loin de trouver une confirmation trop immédiate dans les œuvres de Charles Fourier.

Le ton particulier de ses livres ne va pas, il est vrai, sans évoquer, souvent, les horizons familiers de la Tradition ésotérique. Jean Gaulmier ne manque pas d’attirer l’attention dans ce sens, tout en signalant, à propos des sources de Fourier, le caractère aventureux de toute prétention à la mise en évidence d’une filiation trop précise.

L’erreur de Bourgin et, après lui, de maints exégètes de Fourier est de le considérer comme un philosophe alors qu’il est le type même du Poète au sens surréaliste du mot, détecteur des sources et des ondes ; un poète ne souligne pas ses emprunts, ce qui ne signifie pas qu’il n’ait reçu de ses lectures aucun élan créateur [3]

Certes, comme le suggère Bourgin, les nombreux séjours de Fourier à Lyon (1791, 1793, 1800-1805, 1811, 1814-1815, 1825) ont pu lui valoir, là sans doute plus qu’ailleurs, un aperçu des divers courants de la pensée Illuministe. Courants qui, alors, trouvaient à converger vers cette ville, où, tout particulièrement, par Jean-Baptiste Wuillermoz et les Élus Coen, les théories de Martinès de Pasqually avaient imprégné le mouvement maçonnique local. Mais, à vrai dire, nous ne savons rien sur les rapports que Fourier a pu entretenir avec les Sociétés de Pensées Lyonnaises. A l’endroit de la Maçonnerie il a, d’ailleurs, exprimé des idées très personnelles, bien faites, au demeurant, pour dissuader de le rattacher à une quelconque obédience. En témoignent, par exemple, quelques passages de la « démonstration », incluse dans « la Théorie des quatre mouvements ».

Elle (la Maçonnerie) a donné une teinte religieuse au plaisir sensuel ; car à quoi se réduisent les séances maçonniques ? A des pique-niques accompagnés de quelques simagrées morales qui ont l’utilité de remplacer les jeux de cartes et faire passer le temps plus économiquement. Ces festins habituels ont éloigné poliment les avares qui sont plus nuisibles qu’utiles en affaire de partie religieux.

Voilà donc une coterie dont les dispositions déjà faites se prêtaient merveilleusement à fonder une nouvelle religion. Il n’a manqué à sa tête qu’un habile politique qui sut y introduire les femmes et la volupté ; aussitôt elle devenait religion dominante des gens riches dans tous les Empires civilisés et le Christianisme qui convient mieux au peuple, à cause de son austérité, se serait confiné insensiblement chez le peuple, comme en Chine le culte de Fô qui n’est que pour les classes inférieures.

Je m’abstiens de tout détail sur les statuts qui auraient pu convenir à une pareille secte et sur les moyens qu’elle aurait eu de s’adjoindre subitement tous les membres les plus marquants du corps social sans les détacher du culte catholique » [4].

Le ton, on en conviendra, reste ici aussi éloigné des ferveurs mystiques de l’Illuminisme que des vues plus pragmatiques de la stricte orthodoxie maçonnique. Si Fourier a reçu quelques lumières de ce côté, il semble bien qu’elles se distinguent mal des mystérieuses et fugaces lueurs qui, à l’orient d’un monde finissant, annonçaient, avec celle de la Liberté, l’aube du Romantisme. Ainsi, à propos des sources de Fourier, peut-on évoquer, non sans fondement, l’influence du Pythagorisme, celle de Swedenborg, comme celle de Louis-Claude de Saint-Martin, sans pour autant fournir la clef de son incontestable originalité créatrice. Il est certain que les dispositions particulières de son esprit l’ont moins conduit à adopter les idées de son temps qu’à transposer, par les voies analogiques qui lui étaient familières, les multiples suggestions qu’il en recevait.

Si l’on se réfère au classement des caractères proposé par son contemporain Azaïs dont, par ailleurs, le Précis du Système Universel n’est pas sans présenter d’autres similitudes que celles de titre avec la Théorie Universelle, il semble que l’on n’ait pas trop à hésiter pour assigner à Fourier une place d’honneur dans la catégorie dite des « caractères ardents ».

A l’extrême opposé sont placés les hommes qui, très vifs et très mobiles, ne peuvent recevoir une idée nouvelle sans la transformer de manière à ce que bientôt ils ne puissent plus eux-mêmes la rapporter à son origine. Les souvenirs de tels hommes ne peuvent être que confus, infidèles et sans durée, c’est l’imagination qui est leur faculté principale. » [5]

L’étonnante liberté imaginative dont Fourier a constamment donné l’exemple dispose sans doute mal à le tenir, au sens strict du mot, pour un occultiste.

Même si rien n’autorise à suspecter d’emblée son authenticité il faut reconnaître que le texte publié par Piobb nous laisse plutôt dans l’expectative quant aux conceptions ésotériques dont peut relever la formule du talisman qu’il nous décrit. En effet son attribution à Charles Fourier ne va pas sans conduire à d’assez inextricables problèmes. Ils résultent surtout des difficultés que rencontre la mise en concordance, d’une part des idées traditionnelles, concernant, en l’occurrence la science des pantacles — correspondances à établir en respectant diverses prescriptions dont l’observance rigoureuse conditionne, comme on sait, les vertus du talisman — et d’autre part, les vues personnelles de Fourier relatives à des correspondances, parfois du même ordre mais souvent différentes, auxquelles au demeurant, rien dans ses écrits ne permet de croire qu’il ait jamais attribué une valeur magique.

Les rapports de dépendance, voire d’identité, établis par les doctrines théurgiques entre le signe et la chose signifiée — rapports sur lesquels se fonde la magie opérative — ne paraissent en aucune manière impliqués par les correspondances analogiques signalées par Fourier. Celles-ci paraissent seulement rester, à ses yeux, les indices indiscutables d’une harmonie universelle dont le rétablissement impose, avant tout, la transformation sociale de notre planète.

C’est surtout dans la construction du talisman que les données traditionnelles sont respectées (parchemin – planétaires – colle de gui – lame d’argent). Par contre, pour les couleurs, l’utilisation du spectre solaire reste étrangère à la Tradition et relève bien du système de correspondances de Fourier, tout comme le recours aux notes de la gamme, assez rarement mises en évidence du côté Traditionnel, du moins par voie d’inscription.

Sans doute n’est-il pas exclu d’admettre que l’idée de ce talisman puisse être antérieure à l’élaboration des théories par lesquelles Fourier nous est connu et qu’il ait momentanément résolu, d’une manière que nous ignorons, l’amalgame des vues traditionnelles avec celles qui laissaient pressentir ses conceptions futures. Mais nous serions tout au plus conduits, alors, à mettre l’accent sur des préoccupations et des théories que lui-même n’aurait pas cru devoir confirmer par la suite. A défaut de toute possibilité d’information dans ce sens il paraît préférable d’en rester aux idées qu’il a affirmées.

Il semble donc que la correspondance avec les couleurs du spectre solaire ne puisse être envisagée suivant les thèmes septénaires — planétaires et métalliques — de la Tradition (absence du noir et du blanc, présence du violet, de l’indigo, de l’orangé). Par ailleurs il convient, peut-être, de rappeler que les idées cosmogoniques de Fourier diffèrent totalement de celles admises par les doctrines ésotériques. La construction universelle qui sert de base analogique à son plan de L’Attraction universelle — livre qui devait être publié en 1821 — ne signale pas moins de 32 touches sidérales, réparties en deux octaves, l’une majeure, l’autre mineure, disposant chacune d’un haut et d’un bas clavier mais en correspondance avec l’une des quatre passions cardinales : Ambition (ou Honneur), Amitié, Amour et Familisme (ou Paternité).

Il s’agit là d’une notion fondamentale dans les théories de Fourier.

Cette formule ou division en 32 touches peut s’appeler l’alphabet, le guide-âne de l’harmonie ; elle est ce que sont en mathématiques les quatre règles ; c’est pour la rendre familière aux commençants que je l’ai adaptée à cet ouvrage ». [6]

La Théorie de l’Unité universelle (Tome III) nous confirme la même partition quaternaire de l’Univers. A chaque clavier sidéral correspond un tourbillon planétaire placé sous l’égide d’une cardinale, rectrice aromale du tourbillon.

Ainsi, sauf pour le tourbillon d’Amitié, dont la Terre est cardinale, le septénaire ne se trouve jamais mis en évidence dans le ciel de Fourier. Il ne paraît donc pas possible de placer, comme l’indique la formule du talisman, chaque branche de l’Heptagramme sous le signe d’une planète.

Le tableau ci-dessous établit, d’après les œuvres de Fourier, les correspondances générales, en partie utilisées dans l’essai de reconstitution du pantacle.


Outre qu’il réduirait les influences cosmiques à celles dominantes de la Terre, le recours au septénaire du tourbillon d’Amitié conduirait à utiliser des astres à propos desquels aucune correspondance n’est signalée. Rappelons que ce tourbillon se compose de la Terre, planète cardinale, de ses cinq lunes nommées : 1. Vesa (ou Phœbiné, planète destinée à remplacer l’actuelle Lune ; 2. Junon ; 3. Cérès ; 4. Pallas ; 5. Mercure (la Vestale avec rang de transitive majeure) et de Vénus ambiguë hypo-majeure.