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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Chauffour, (Marie Antoine) Ignace
Article mis en ligne le 26 septembre 2018

par Desmars, Bernard

Né à Colmar (Haut-Rhin), le 13 janvier 1808 ; décédé à Colmar (alors en Haute-Alsace, dans l’Empire allemand), le 6 décembre 1879. Avocat, membre du conseil municipal de Colmar ; commissaire du gouvernement puis représentant du Haut-Rhin à l’Assemblée constituante en 1848 ; membre de plusieurs sociétés savantes, bibliophile. Abonné à La Phalange en 1837, contributeur au financement de l’École sociétaire dans les années 1840, abonné au Bulletin du mouvement social en 1877.

Ignace Chauffour est le fils et le petit-fils d’un avocat. Deux de ses frères sont aussi juristes. Après avoir fréquenté le collège de Colmar, il fait ses études de droit à Strasbourg et à Heidelberg. Il est admis en 1829 au barreau de Colmar au côté de son

père. Ses parents décèdent en 1832. Aîné de la famille, il est alors responsable de ses quatre frères et quatre sœurs [1]. Il devient sous la monarchie de Juillet un avocat très réputé et très estimé de ses confrères. « Ignace Chauffour les surpassa tous et fut l’avocat le plus célèbre de notre barreau de 1830 à 1870 […] Sa puissance dialectique, sa science approfondie du droit ancien et moderne, ses vastes connaissances de tout genre lui assuraient le premier rang », écrit l’un de ses confrères [2]. Les autres témoignages de ses contemporains confirment l’autorité acquise par Ignace Chauffour, « l’aigle du barreau français en Alsace » selon l’historien Paul Muller qui l’a personnellement connu [3].

Vers 1837, il est abonné à La Phalange [4]. Il souscrit en 1838 au « crédit de dix mille francs » destiné à financer une étude sur la formation d’un phalanstère d’enfants ; il verse 150 francs [5]. En 1846 et 1847, Jean Griess, le correspondant de l’École sociétaire dans l’Est de la France, le signale parmi les « renteurs » du mouvement fouriériste, c’est-à-dire ceux qui s’engagent à verser régulièrement une somme d’argent pour financer les activités du Centre parisien. Il envoie 9 francs par trimestre [6].

Parallèlement à cet engagement fouriériste, il est admis en 1839 à la Société de l’histoire de France [7]. En 1843, il est élu au conseil municipal de Colmar. Sur sa proposition, la municipalité institue une commission de surveillance de la bibliothèque de la ville, dont il occupe la présidence pendant plusieurs décennies. Il fait plusieurs dons de livres à cette institution [8]. En même temps, il accroît les collections de la bibliothèque familiale. Il est un bibliophile réputé.

Dans les années 1840, il est l’un des principaux animateurs du courant libéral et démocratique du Haut-Rhin. Il participe ainsi que son condisciple le docteur Jaenger au banquet organisé à Colmar le 8 août 1847. La Démocratie pacifique souligne que,

avec un tact remarquable, ces messieurs ont émis autant d’idées socialistes que le comportaient les dispositions des convives ; mais ils n’ont pas forcé la dose, et se sont gardés de donner à leurs paroles le cachet d’une école spéciale. Les principes qu’ils ont proclamés sont au nombre de ceux que tout le monde accepte ou est bien près d’accepter. En agissant ainsi, les orateurs n’ont surpris ni blessé personne, et se sont concilié au contraire un assentiment unanime.

Le discours prononcé par Chauffour exalte l’œuvre de la Révolution française dont il souhaite « la réalisation pacifique mais sincère, progressive, mais constante, de ses doctrines et ses principes » ; il critique la monarchie de Juillet et en particulier l’immoralité du personnel politique. Abordant les thèmes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, il souligne, à propos de cette dernière notion, la nécessité de « s’occuper enfin du sort de ces classes pauvres et souffrantes dont la misère est à la fois la honte et le péril de notre civilisation » [9].

Au lendemain de la révolution de février 1848, Chauffour fait partie de la commission départementale du Haut-Rhin, qui se substitue au préfet [10]. Il est ensuite désigné « commissaire du gouvernement près de l’administration du Haut-Rhin », fonction qu’il remplit pendant plusieurs jours jusqu’à ce que le ministre de l’Intérieur désigne un nouveau commissaire du Haut-Rhin, dont il est désormais l’adjoint [11]. En mars, il est nommé procureur, mais refuse le poste. Il est élu en avril représentant du Haut-Rhin à l’Assemblée constituante, bien que, selon Paul Muller, « il eût formellement décliné la candidature » [12]. Lors de la campagne électorale, il insiste sur l’importance des problèmes sociaux :

La Révolution n’est pas seulement politique, elle est sociale. Le mot, organisation du travail, effraie beaucoup d’esprits ; mais, de grâce, ne vous laissez pas aller à cette frayeur. Le prolétariat, avec son affreuse misère, est la plaie honteuse de la civilisation ; c’est un outrage au christianisme, une protestation inique contre le sentiment de fraternité. Le prolétariat ne trouvera sa rédemption que dans l’organisation du travail. Organiser le travail, c’est tout simplement introduire la justice et la moralité dans les moyens d’acquérir […] Porter atteinte à la propriété serait une de ces imprudences néfastes qui rendrait à jamais insoluble la conciliation sociale qu’il ne faut pas craindre de provoquer [13].

Il siège à la gauche de l’assemblée. Il fait partie de la minorité qui vote en faveur de l’insertion du « droit au travail » dans la Constitution [14] . En septembre 1848, il rédige un texte intitulé Aux électeurs du Haut-Rhin, dans lequel il explique ses positions et ses votes à l’Assemblée. Il démissionne fin novembre 1848, peu après l’adoption de la Constitution. Il reprend sa place au barreau de Colmar. Un an plus tard, il plaide devant la cour d’assises de Besançon, en faveur de républicains poursuivis pour avoir participé à une tentative d’insurrection dans le Haut-Rhin, en relation avec la manifestation parisienne du 13 juin. Tous les accusés sont acquittés [15].

Sous le Second Empire, Ignace Chauffour s’éloigne de la vie politique. Il quitte le conseil municipal de Colmar en 1855 après y avoir siégé pendant douze ans.

Sans doute s’intéresse-t-il à la Société agricole et industrielle de Beauregard, fondée à Vienne (Isère) par Henri Couturier, afin d’appliquer certains principes associatifs dans la perspective de la commune sociétaire ; il est en tout cas l’un des destinataires du compte rendu des activités de l’association en 1864 [16]. Il participe aux activités de plusieurs sociétés savantes : il contribue à la fondation de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace en 1855 ; il est élu vice-président de la Société du Musée Schoengauer en 1867. Il est aussi membre titulaire de la Société d’histoire naturelle de Colmar, à partir de 1859 ; de la Société nationale des antiquaires de France, à partir de 1865 [17].

En octobre 1870, après la chute du Second Empire, il entre comme adjoint dans la commission municipale de Colmar ; puis, après l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand et la stabilisation de la situation politique, il est conseiller municipal, poste qu’il conserve jusqu’en 1878. Il abandonne son activité d’avocat. Il complète sa bibliothèque, très réputée en particulier pour ses documents imprimés et manuscrits concernant l’Alsace. Il poursuit ses activités au sein des sociétés savantes ; en 1875, il adhère à la Société industrielle de Mulhouse.

En septembre 1877, il est abonné à La Science sociale, sans que l’on sache si cela résulte bien d’une démarche personnelle ou si, comme d’autres fouriéristes alsaciens, il bénéficie d’une initiative de Jean Dollfus qui a décidé de financer une quinzaine d’abonnements au périodique fouriériste [18].

Après son décès, sa collection de livres (environ 25 000), de manuscrits (plus de 100), de dessins et de gravures est remise, selon ses intentions, à la bibliothèque municipale de Colmar [19]. En 1882, le conseil municipal lui rend hommage en commandant à Auguste Bartholdi un buste, d’abord déposé à la bibliothèque municipale de Colmar, puis à la Maison des avocats [20]. Le nom d’Ignace Chauffour est attribué en 1888 par le conseil municipal à une partie de la rue des Blés, où se trouve le domicile familial [21].

Un de ses amis, l’abbé Mercklen lui consacre un ouvrage, largement hagiographique. Ce travail ne mentionne pas l’engagement socialiste de Chauffour. Ou plutôt, il signale qu’en 1848, le député du Haut-Rhin a été accusé d’appartenir à « à une société de républicains rouges », ou à une « secte communiste », ce dont il se serait alors lui-même défendu [22].