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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Maurize, (Jean Baptiste) Antoine
Article mis en ligne le 6 septembre 2018
dernière modification le 12 juillet 2021

par Desmars, Bernard

Né le 8 octobre 1801 à Paris (Seine), décédé le 11 avril 1887 à Saint-Symphorien (alors une commune d’Indre-et-Loire, aujourd’hui un quartier de Tours). Architecte. Saint-simonien, puis fouriériste ; collaborateur du Phalanstère  ; élabore les plans d’un phalanstère, puis le programme et le devis d’un établissement sociétaire pour enfants.

Du saint-simonisme au fouriérisme

Vers 1830, Antoine Maurize fait partie du mouvement saint-simonien. En juillet 1831, il est promu au « deuxième degré » au sein de la hiérarchie saint-simonienne [1]. Il est membre du « service de la propagande » [2]. La direction envisage un moment de l’envoyer en mission dans le Nord de la France [3]. À l’automne 1831, un schisme se développe entre les partisans de Bazard et ceux d’Enfantin. Lors d’une « réunion générale de la famille » saint-simonienne organisée le 21 novembre, Maurize déclare : « Je ne suis pas avec Bazard, je suis seul, je cherche ma doctrine » [4]. Et si, quelques jours plus tard, on retrouve son nom au bas d’une lettre collective publiée par Le Globe et rédigée par les partisans de Bazard, il fait insérer peu après par l’organe saint-simonien un entrefilet dans lequel il réaffirme son indépendance à l’égard des deux dirigeants du mouvement.

À la suite d’Abel Transon et de Jules Lechevalier, il rejoint le fouriérisme dans l’hiver 1831-1832. Il publie fin 1832 un ouvrage dans lequel il analyse l’organisation de la société depuis que la révolution de 1789 a détruit le système féodal. L’instabilité politique et les effets négatifs de la libre-concurrence et du commerce entraînent la France « au fond d’un abîme effroyable » [5] ; il souligne « l’impuissance des pouvoirs et des partis en fait d’améliorations sociales », puisqu’« ils n’ont aucun moyen d’amélioration, ni d’organisation du travail social, aucun moyen d’augmenter la richesse des États, condition sans laquelle il n’est pas possible d’arracher les peuples à leur misère » [6]. « Saint-Simon avait senti profondément qu’il fallait reconstituer la société, […] mais il n’a donné aucun plan d’organisation » [7] « Le problème est[-il] insoluble ? Nous répondons qu’il est très soluble, et que M. Fourier en a donné la solution compète » [8]. Maurize présente longuement la théorie sociétaire, dont il envisage aussi les effets sur la place de la France dans le monde et sur la paix en Europe [9].

Le Phalanstère insère un passage de la brochure consacré à la critique du commerce [10]. L’ouvrage est à nouveau présenté en 1836 dans La Phalange avec la reproduction de la table des matières et d’extraits [11].

Maurize fait lui-même dans Le Phalanstère un compte rendu très critique d’un ouvrage consacré au commerce :

On voit en lisant l’écrit de M. David, que l’auteur ne connaît pas les vices qui faussent le mécanisme du commerce. Il ne faut pas s’en étonner, puisque l’analyse régulière du commerce et de ses caractères n’a jamais été faite que par M. Fourier, dont les ouvrages ne se trouvent pas encore entre les mains de toutes les personnes qui s’occupent de questions sociales [12].

En avril 1833, il envoie à la rédaction du Phalanstère un article sur la « comptabilité », qui ne semble pas avoir été publié [13].

Condé-sur-Vesgre et le projet d’institut sociétaire

Au printemps 1833, Antoine Maurize est à Condé-sur-Vesgre, afin de participer à la réalisation du premier essai phalanstérien qui est alors en grandes difficultés. D’après sa correspondance, il s’occupe des comptes ; dans une lettre écrite depuis Condé, il déplore « l’argent qu’on a dépensé ici pour rien » et impute principalement les difficultés de l’entreprise à Gingembre, l’architecte de la colonie :

On ne saurait se faire une idée de l’incapacité de cet homme et pour mon compte, je vais jusqu’à le croire atteint d’aliénation mentale. Quant à son dévouement, ce n’est qu’une pure comédie dont Mr Dulary est dupe […]

Certes, si l’affaire eût été bien menée, elle serait en bon train maintenant, tandis qu’elle est d’une complexion si faible qu’il y a lieu de craindre pour son avenir [14].

L’essai est abandonné quelques mois après. Cependant, une partie du domaine reste entre des mains fouriéristes, ce qui suscite de nouveaux projets, et, dès 1833 ou 1834,

M. Maurize commença, aux frais de madame C. Vigoureux, le laborieux projet d’un Phalanstère en grande échelle [15].

Pendant trois ans, Maurize élabore des « plans et travaux d’architecture ». Lors d’une réunion organisée le 20 août 1837, sous la conduite de Victor Considerant et en présence de Fourier et d’une vingtaine de personnes,

M. Maurize procède à l’exhibition de ses plans et à l’explication de toutes les parties de son immense travail dont les résultats se résument en 25 grandes feuilles de dessins au net. L’objet de ce travail était la confection d’un projet général d’ingénieur et d’architecte pour la disposition d’un terrain d’une lieue carrée (2 200 hectares) destiné à l’exploitation en mode sociétaire, et pour l’élévation des bâtiments de toutes sortes nécessaires à cette exploitation et à l’habitation de 1 800 résidents.

Ces 25 feuilles décrivent « le plan général du phalanstère », de ses étages, des bâtiments ruraux, jardins, église, théâtre, jardins… Aussi

toutes les personnes présentes à la séance se sont convaincues en admirant les résultats de l’intelligente et courageuse persévérance de M. Maurize, de la grandeur, de la complication et des difficultés de la tâche qu’il avait embrassée ; tout le monde a compris combien elle exigeait de combinaisons nombreuses et de pénibles études de toutes sortes. […]

M. Considerant fait comprendre combien il était important de posséder le plan général de l’opération en grande échelle, avant de passer au travail relatif à une fondation réduite, qui en est un cas particulier.

En effet, le crédit de 10 000 francs, auquel les disciples de Fourier sont invités à souscrire, a pour but de financer les études préparatoires d’un établissement accueillant 400 enfants.

M. Maurize est chargé de la confection du programme détaillé des besoins et des convenances de la Fondation réduite, et en général des recherches et études industrielles de toutes sortes nécessaires au projet.

De son côté, César Daly « est spécialement chargé du travail architectural » tandis que Fourier « s’engage à fournir à MM. Maurize et Daly toutes les indications qui auraient échappé dans ses ouvrages, et à suivre le travail » [16].

Lors d’une nouvelle réunion, le 3 septembre 1838, les plans du projet sociétaire pour 400 enfants réalisés sont examinés par une commission.

Nous ne pouvons […] résister au plaisir de dire, à tous ceux qui désirent avec autant d’ardeur que nous un essai de la théorie de Fourier, combien nous avons été satisfaits du travail de MM. Maurize et Daly. Il appartenait sans doute à M. Maurize, qui déjà avait fait ses preuves dans son beau plan d’un Phalanstère en grande échelle, de rédiger le programme de celui qui n’est destiné qu’à 400 enfants et 100 grandes personnes. Ce programme annonce, dans celui qui l’a établi, une connaissance approfondie du système d’après lequel les travaux sont organisés dans un Phalanstère. Pour arriver à quelque chose de précis, M. Maurize a dû, avant tout, déterminer les différentes industries sur lesquelles on exercera les enfants ; ensuite, il a dû calculer l’emplacement que chacune de ces industries devra occuper ; il a dû aussi calculer approximativement le nombre d’enfants que les vocations naturelles attireraient aux divers travaux ; enfin il a dû faire, jour par jour et heure par heure, le décompte du travail d’une semaine d’été et le décompte du travail d’une semaine d’hiver. C’est par ce moyen qu’il a approché de la réalité autant qu’il est permis à une prévision de le faire [17].

Tout ce travail a été accompagné de discussions entre Victor Considerant, César Daly et Antoine Maurize, sur « les conditions du programme, dans leurs rapports avec la théorie sociétaire, avec la pratique et avec l’économie de construction », ce qui a conduit à modifier certains points. Ensuite, « ce programme définitivement arrêté a été confié à M. Daly pour l’exécution architecturale » ; il en résulte, selon les membres de la commission chargée d’examiner son travail, « une œuvre remarquable ». Cependant, avant de passer à l’étape suivant – l’établissement des devis – « Daly désire approfondir encore l’étude de ses détails », notamment pour réduire le coût de l’ensemble [18].

Les travaux se poursuivent donc encore pendant plusieurs années. En octobre 1841, Maurize signe un long devis de 40 pages intitulé « Détail estimatif des dépenses de toutes natures à faire pour l’établissement projeté d’un Phalanstère d’enfants à Condé-sur-Vesgre » [19]. Cependant, ce document ne semble pas avoir été rendu public à ce moment. Ce n’est qu’en janvier 1843 que Victor Considerant convoque à nouveau les membres de la commission chargée d’examiner les plans de l‘Institut sociétaire, réalisés par Daly, et les études concernant son organisation, dues à Maurize. Celui-ci présente trois cahiers ; les deux premiers prévoient, l’un pour l’été, l’autre pour l’hiver, « la distribution des travaux et des travailleurs, calcul heure par heure, pour chaque classe, pour chaque atelier et pour chaque personne, enfants, maîtres fonctionnaires et salariés ». Le troisième cahier établit le devis général de l’installation domestique, agricole, manufacturière et mobilière, service par service et atelier par atelier », avec l’ « estimation des matières premières, des dépenses de consommation, d’administration, des fonds de roulement, du revenu des travaux, etc. » [20].

Le projet est donc terminé – ou presque, puisqu’il reste quelques précisions à apporter pour « l’installation d’un service unitaire de chauffage, d’éclairage et de distribution des eaux ». Sa mise en œuvre, estime Maurize, demande un capital de 2 800 000 francs qui pourrait être réduit à 2 000 000 francs, « mais pas moins » [21]. Maurize reçoit un peu plus de 4 200 francs pour son travail. La commission espère la publication de ces plans et études, qui, en attendant, sont exposés au siège de la Société pour la propagation de la réalisation de la théorie de Fourier [22].

Finalement, l’Institut sociétaire pour les enfants reste à l’état de projet. Les études et les plans réalisés par Daly et Maurize ne sont pas publiés. Ils continuent à intéresser certains fouriéristes, en particulier Just Muiron qui, dès mars 1844, demande au Centre parisien de l’École de les lui communiquer :

Je compte donc obtenir la remise des pièces du projet Maurize-Daly, faire imprimer en prenant au besoin à mon compte l’avance des frais ce qui de ce projet sera bon à imprimer, recueillir moi-même les adhésions, constituer la société exécutive, me poser en pivot, si les sociétaires m’acceptent [23].

Cette demande est – vainement – réitérée à de nombreuses reprises dans les mois qui suivent [24], puis à la fin des années 1850 quand Muiron espère remobiliser l’École sociétaire [25].

Vers la monarchie et le cléricalisme

Quant à Maurize, il s’éloigne très vite du mouvement fouriériste ; on ne lit son nom ni dans les comptes rendus des manifestations sociétaires, ni dans la presse phalanstérienne après 1843. Peut-être est-ce à ce moment qu’il exerce les fonctions d’ « architecte du gouvernement » et demeure rue d’Anjou Saint-Honoré à Paris. Il n’occupe plus ce poste en 1849 – il se présente alors comme « ex-architecte du gouvernement » – quand il publie Des conditions de l’ordre social en France et en Europe et de l’impossibilité de la République. Cet ouvrage reprend trois pétitions adressées à l’Assemblée les mois précédents, mais non examinées. La première propose la démolition des fortifications de Paris ; dans la deuxième, Maurize demande que l’assistance aux pauvres soit confiée au seul clergé ; enfin, dans la troisième – développée sur 150 pages environ – il analyse de façon très critique l’évolution des sociétés et des régimes européens et dénonce la « fausseté » du suffrage universel avant de se prononcer en faveur de la restauration de la monarchie. Il est très hostile à la République et au socialisme.

La même année, il épouse Antoinette Spyns, qui vit à Saint-Germain-en-Laye (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines) et dont le premier mari est décédé quelques années plus tôt à Mayence [26]. Le couple vit à Paris dans les années 1850, rue d’Anjou-Saint-Honoré ; Antoine Maurize y est toujours architecte d’après les annuaires.

Probablement dans la seconde moitié des années 1860 – il n’est plus mentionné parmi les architectes parisiens à partir de l’Annuaire-Almanach de 1865 –, il s’installe à Tours (Indre-et-Loire). En 1868, il obtient un brevet pour un « système de chemin de fer à rails cuirassés et semelles amortissantes ; les rails à rebords ou banquettes de sûreté contre les déraillements » [27].

Il essaie d’intervenir dans l’espace public par la rédaction de nouveaux textes sur divers sujets : la place de l’Église [28] ; le danger constitué par l’endettement public [29] ; la situation provoquée par la guerre franco-prussienne et la déchéance de l’Empire [30], la question d’Orient [31]. En 1877, il publie deux brochures ; dans l’une, il veut démontrer « la nécessité de la religion pour les nations et du service religieux pour l’armée et les ouvriers ; dans l’autre, rédigée au lendemain de la dissolution de la chambre des députés, et alors que les monarchistes et républicains s’affrontent dans la perspective des élections législatives prévues en octobre, il prend nettement position pour les premiers et pour Mac Mahon, et réclame à nouveau la restauration d’un roi à la tête de la France et le rétablissement de l’influence de l’Église catholique. Il considère que la chambre des députés « ne représente que la révolution fondée sur le criminel désordre et le soi-disant suffrage universel » [32] ; le sénat, lui, représente les « intérêts généraux et l’élite de la nation » ; il doit donc avoir la primauté dans le travail législatif [33]. Dans ces textes, s’il est parfois question des problèmes sociaux, les noms de Fourier ou de Saint-Simon ne sont pas mentionnés, tandis que le socialisme y est dénoncé.

Sans doute quitte-t-il Tours vers le milieu des années 1870. Il signe ses derniers textes, en 1877, de Saint-Symphorien, une commune située près de Tours (elle en est aujourd’hui un quartier). Il y décède dix ans plus tard.