Né le 7 janvier 1819 à Caux-et-Sauzens (Aude), décédé le 21 janvier 1893 à Paris, 14e arrondissement (Seine). Négociant, puis publiciste ; inventeur d’un procédé de source artificielle. Membre de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, collaborateur de L’Avenir des campagnes, promoteur de l’association agricole.
Fils de propriétaires, Jules Rouby est installé à Limoux au milieu des années 1840. Il publie en 1844 l’unique numéro d’une revue intitulée Le Daguerréotype, qui, malgré son titre, « traite de politique et non de photographie » [1]. Pour Jules Rouby, il s’agit d’« attaquer l’erreur de front, sous quelque forme qu’elle se présente, et partout où nous pouvons la trouver. LA vérité, ou ce que nous croyons être la vérité, voilà notre arme, et quant à nos conditions de combat, voici : nous voulons, nous, que la critique frappe fort pourvu qu’elle frappe juste » [2]. Quelques années plus tard, il est installé à Carcassonne. Lors de son mariage en décembre 1853 avec la fille de propriétaires, il est négociant. En juin 1854, quand naît son enfant, le couple est installé à Ventenac-Cabardes. Jules Rouby est alors propriétaire.
Le bref séjour américain
Comme d’autres fouriéristes, Jules Rouby est séduit par le projet d’installation aux États-Unis proposé par Victor Considerant. Il se rend à Bruxelles pour en parler avec l’auteur d’Au Texas [3]. Il assiste à Paris à la première assemblée générale de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, en décembre 1855. Il convainc plusieurs habitants de Carcassonne de le suivre en Amérique. D’après Auguste Savardan, il entraîne un groupe de onze personnes, dont « deux boulangers, un épicier-tisserand, un tondeur de bestiaux, un écuyer-gymnaste, ancien élève de Saumur, deux jeunes gens ayant servi dans la marine, deux femmes et deux demoiselles » [4]. Il est lui-même accompagné de sa femme. Il arrive avec ses amis à La Nouvelle Orléans le 20 février 1856. Alors que certains partent directement pour Réunion, le couple Rouby ainsi que quelques autres membres du groupe décident de rester dans la capitale de la Louisiane, à la fois pour se reposer et aussi pour attendre « les bagages et les plants de vignes que nous avions expédiés par Bordeaux ». En ville, il entend « des accusations fort graves et des appréciations […] fort peu encourageantes » sur la colonie fouriériste et sur son responsable, Victor Considerant. En provenance de Réunion et de passage à La Nouvelle Orléans, Karl Burkli, César Daly et un nommé Martinet lui confirment les difficultés auxquelles est confrontée la colonie [5].
Alors que certains de leurs amis restés à La Nouvelle-Orléans décident de s’installer sur place, pour les uns, ou d’aller à Saint-Louis pour les autres, Rouby et son épouse décident d’abandonner leur projet initial et de repartir pour la France, sans même avoir séjourné à Réunion. À son arrivée au Havre, début juin 1856, Rouby écrit aux dirigeants de la Société européo-américaine de colonisation au Texas.
Mrs Daly, Burkly et Martinet, tous les trois entendez-vous, sont convaincus que M. Considerant est d’une incapacité absolue comme homme pratique, et que son maintien à la tête de l’entreprise ne peut que la compromette et finalement la conduire à une honteuse déconfiture. J’espère que c’est clair. On a vainement tenté de l’influencer par tous les moyens possibles : observations amicales, conseils affectueux, vertes critiques et rudes représentations ; rien n’a été négligé, mais toujours sans résultat. Décontenancé, écrasé par la grandeur de la tâche qu’il a acceptée, mais despote et vain, il n’écoute aucun avis ; il ne veut ni faire ni laisser faire. C’est un personnage désormais usé et fourbe. La colonie est dans un état déplorable. L’ordre que vous savez y règne en plein, sous cette administration inintelligente, écœurée, tracassière et mesquine. A À l’animation, à l’entrain et la joie des premiers jours, ont succédé dans cette petite population purgée par M. Considerant, l’atonie, la défiance et la déception, symptômes précurseurs de la fin. Il n’y a qu’un autre remède à une pareille situation que la révocation immédiate de M. Considerant et que dans l’application loyale de son programme démocratique [6].
Rouby n’en veut pas seulement à Considerant. Il considère que la Société européo-américaine de colonisation est également responsable de la situation, et donc de ses propres difficultés matérielles ; aussi lui demande-t-il un dédommagement financier :
Maintenant, messieurs, me voilà complètement ruiné pour avoir ajouté foi à vos bulletins et à vos lettres, pour avoir donné de mon temps, de ma personne et de mes capitaux dans une entreprise qui loyalement conduite aurait pu réussir. La position qui m’est faite est des plus affligeantes. Je ne puis ni ne veux rentrer dans mon pays après le déplorable succès que ma propagande y a obtenu. Il faut absolument que je m’industrie pour pouvoir vivre, mais comment y parvenir sans ressources ?
Il demande donc à la Société de le rembourser, afin de l’« aider à reconquérir la modeste aisance dont [il] jouissai[t] avant [s]a désastreuse expatriation ». Il exige également que son ami Barret, ancien élève de Samur et maître de manège, qu’il a convaincu de quitter Carcassonne pour le Texas, mais qui a dû partir de Réunion en raison de l’hostilité de Considerant, bénéfice également d’une indemnisation.
D’après une autre lettre de Rouby, la direction de la Société lui propose de l’aider tout en lui reprochant de ne pas s’être rendu à Réunion [7].
Journalisme et sources artificielles
La famille Rouby s’installe à Paris. Jules est désormais publiciste ; il collabore notamment à La Nouvelle, qui paraît pendant quelques mois en 1860 à Paris. Parmi les rédacteurs figure aussi Jacques de Valserres, également fouriériste [8]. Cependant, il connaît des conditions matérielles difficiles. En 1861, il écrit au ministre de l’Intérieur, à la Direction de l’imprimerie et de la librairie :
Par suite d’un effroyable concours de circonstances malheureuses, le soussigné, ex-rédacteur de La Nouvelle, […] se trouve sans pain, sans vêtements et presque sans tout, avec une femme et un enfant à nourrir, exténué par de longues privations, n’ayant d’autres ressources que sa plume en ce moment inactive, et ne sachant vraiment plus comment arracher les deux êtres qu’il aime aux outrages croissants d’une misère à coup sûr sans égale à Paris, il vient supplier humblement votre excellence de lui accorder un travail quelconque à faire pour le compte du gouvernement ; jamais il ose l’affirmer, ce genre d’assistance ne saurait-il descendre sur une pareille infortune plus profonde ni plus imméritée. Le soussigné, qui s’occupe d’économie politique, croit avoir trouvé le moyen d’empêcher, sans la moindre coercition, l’émigration croissante des populations rurales vers les centres industriels. Il se chargerait donc volontiers de présenter un mémoire sur cette grave question [9].
On ignore quelle est la réponse du ministère. En 1865, son épouse décède. Jules Rouby vit ensuite avec Jeanne-Marie Daniel, originaire des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) ; ils ont ensemble un enfant qui naît en 1869. Ils se marient en 1890 et légitiment alors leur enfant.
Dans les années 1860 et 1870, Jules Rouby se fait connaître par ses travaux concernant les sources d’eau. En 1868, il obtient un brevet concernant un « moyen de créer en quelque terrain que ce soit, des sources artificielles donnant partout et toujours la meilleure et la plus salubre des eaux potables ou alimentaires » [10]. Au début de l’année 1870, il soumet à l’Académie des sciences un mémoire dans lequel il explique son procédé : il s’agit, grâce à un dispositif technique particulier, de recueillir l’eau de pluie, de la filtrer et de la charger en matières minérales afin de l’enrichir, avant de la collecter dans un réservoir. Rouby dit avoir réalisé l’expérience dans la commune de Sèvres, avec des résultats tout à fait satisfaisants [11]. Il s’efforce de propager son invention en écrivant aux journaux et en faisant des conférences, notamment à Rouen où il bénéficie de l’aide de son condisciple Edmond Ernoult-Jottral qui prête une partie de son jardin pour expérimenter la technique Rouby [12]. Dans les années 1880, Rouby continue à perfectionner son invention. Il fait de nouvelles expériences sur un terrain situé à Vaucresson [13]. Il établit aussi une « source artificielle » au Jardin d’acclimatation à Paris [14].
Jules Rouby s’intéresse aussi au développement de l’agriculture et à la modernisation du monde rural. Il collabore à L’Avenir des campagnes, créé en 1885 par son condisciple Germain Délias ; il insiste en particulier sur le rôle que doit jouer l’association dans l’agriculture. Charles Limousin présente la nouvelle publication comme l’œuvre des « orthodoxes » de l’École sociétaire [15].
Au milieu des années 1880, quelques fouriéristes – en particulier Étienne Barat, Jenny Fumet, bientôt rejoints par Hippolyte Destrem – constatant la disparition de la Librairie des sciences sociales et la fin de l’École sociétaire, décident de former un nouveau groupe, la Ligue du progrès social. Jules Rouby est l’un des premiers à rejoindre la nouvelle association et fait partie du « groupe initial » [16].
[1] Paul-Louis Roubert, L’introduction du modèle photographique dans la critique d’art en France (1839-1859), thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la direction d’Éric Darragon, Paris I, 2004, p. 362.
[2] Jules Rouby, « Avant-propos », Le Daguerréotype, 1844, p. 1 ; cité dans Paul-Louis Roubert, L’introduction du modèle photographique…, op. cit., p. 362.
[3] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 (681 Mi 72, vues 258-260), lettre du 11 juin 1856.
[4] Auguste Savardan, Naufrage au Texas, observations et impressions recueillies pendant deux ans et demi au Texas et à travers les États-Unis d’Amérique, Paris, Garnier frères, 1858, p. 26.
[5] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 (681 Mi 7, vues 258-260), lettre du 11 juin 1856.
[6] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 (681 Mi 72, vue 260-261), lettre du 11 juin 1856.
[7] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 (681 Mi 72, vues 272-273), lettre de Rouby, 16 juin 1856, Le Havre.
[8] Jean-François Vaudin, Gazettes et gazetiers : histoire critique et anecdotique de la presse parisienne ; deuxième année, Paris, E. Dentu, 1863, p. 177-179.
[9] Archives nationales, F/18/288, ministre de l’Intérieur, dossier Rouby, lettre de Jules Rouby, 28 août 1861.
[10] Institut National de Production Industrielle, dossier 1 BB 80007, brevet d’invention, Rouby.
[11] La Construction, 9 février 1870, p. 100-101. ; Le Temps, 9 février 1870.
[12] Léon Deshays, « Note sur les Sources artificielles de M. Rouby » ; et J. Clouet, « Rapport sur les sources artificielles de M. Rouby », présentés lors de la séance du 7 août 1874, Bulletin de la Société industrielle de Rouen, 1874, p. 256-260 et 261-268.
[13] Ferdinand Canu, « Hydraulique – Les sources artificielles », La Science populaire, 13 janvier 1881, p. 757-758.
[14] E.-A. Carrière, « Les sources artificielles », Mémoires de la Société d’agriculture, d’horticulture, d’industrie, des sciences et des arts de l’arrondissement de Falaise, 1888, p. 96-100.
[15] Charles Limousin, « Les associations agricoles », Revue du mouvement social, juillet 1885, p. 231-238.
[16] Revue du mouvement social, juillet 1885, p. 270, liste des membres du « groupe initial ».
Œuvres :
Guide américain, ou Indicateur géographique, historique... de toutes les cités... baignées par les eaux de l’Ouest (États-Unis de l’Amérique du Nord), Paris, 1859, 248 p.
Directeur de Le Daguerréotype, paraissant le 1er de chaque mois, mai 1844, (un seul numéro paru).
Collaborateur de plusieurs périodiques, dont La Nouvelle, L’Avenir des campagnes.
Sources :
Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 (681 Mi 72, vues 258-281), lettres des 11, 16 et 18 juin 1856, depuis Le Havre, aux dirigeants de la Société de colonisation européo-américaine au Texas.
Archives nationales, F/18/288, ministre de l’Intérieur, dossier Rouby.
Archives départementales de l’Aude, état civil de Carcassonne, acte de naissance, 7 janvier 1819 (en ligne sur le site des Archives départementales de l’Aude, vue 103/167).
Archives départementales de l’Aude, état civil de Carcassonne, acte de mariage, 24 décembre 1853 (en ligne sur le site des Archives départementales de l’Aude, vues 120-121/128).
Archives départementale de l’Aude, état civil de Ventenac-Cabardes, acte de naissance d’Armand Rouby, 21 juin 1854 (en ligne sur le site des Archives départementales de l’Aude, vue 25/173).
Archives de Paris, état civil du 18e arrondissement, acte de décès de Catherine Jantet, 7 février 1865 (en ligne sur le site des Archives de Paris], vue 1/31).
Archives de Paris, état civil du 14e arrondissement, acte de mariage, 24 décembre 1890 (en ligne sur le site des Archives de Paris, vue 3/11).
Archives de Paris, état civil du 14e arrondissement, acte de décès du 22 janvier 1893 (en ligne sur le site des Archives de Paris, vue 20/31).
Auguste Savardan, Naufrage au Texas, observations et impressions recueillies pendant deux ans et demi au Texas et à travers les États-Unis d’Amérique, Paris, Garnier frères, 1858, 344 p. (en ligne sur la Bibliothèque virtuelle de l’Université de Poitiers – Les premiers socialismes).
Jean-François Vaudin, Gazettes et gazetiers ; histoire critique et anecdotique de la presse parisienne. Deuxième année, Paris, Dentu, 1863, XLVII-283 p. (en ligne sur Gallica).
E.-A. Carrière, « Les sources artificielles », Mémoires de la Société d’agriculture, d’horticulture, d’industrie, des sciences et des arts de l’arrondissement de Falaise, 1888, p. 96-100 (en ligne sur Gallica).
Léon Deshays, « Note sur les Sources (supprimer la majuscule ?) artificielles de M. Rouby » ; et J. Clouet, « Rapport sur les sources artificielles de M. Rouby », présentés lors de la séance du 7 août 1874, Bulletin de la Société industrielle de Rouen, 1874, p. 256-260 et 261-268 (en ligne sur Gallica).
Ferdinand Canu, « Hydraulique – Les sources artificielles », La Science populaire, 13 janvier 1881, p. 757-758 (en ligne sur Gallica).
La Construction, 26 février 1870 (en ligne sur Gallica).
Le Temps, 9 février 1870 (en ligne sur Gallica).
Revue du mouvement social, juillet 1885.
Bibliographie :
Paul-Louis Roubert, L’introduction du modèle photographique dans la critique d’art en France (1839-1859), thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la direction d’Éric Darragon, Paris I, 2004, 588 p. (en ligne sur HAL – Archives ouvertes).
Sitographie :
Base de données des brevets du 19e siècle (en ligne sur le site de l’Institut national de la propriété industrielle).
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