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Thomas VOET : La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846 (2001)

Dijon, Editions de l’Université de Dijon, 2001, 213 p., préface de Jean-Claude Caron

Article mis en ligne le décembre 2001
dernière modification le 10 mars 2006

par Cordillot, Michel

Avec ce stimulant ouvrage (issu d’un mémoire de maîtrise remarquable couronné par le prix Jean-René Suratteau pour l’année 2000), Thomas Voet nous offre le première étude approfondie de la deuxième grande tentative de réalisation fouriériste en France après l’essai avorté de Condé-sur-Vesgre. On sait que lancée début 1841, dans un contexte de brouille au sein de l’École sociétaire entre « réalisateurs » et « orthodoxes », cette expérience connut rapidement des difficultés, puis une réorganisation complète en 1844 qui ne put conjurer un déclin inéluctable, lequel déboucha sur une fin sans gloire (mais sans déshonneur, puisque toutes les dettes furent acquittées) en 1846.

Si l’auteur a visé avant tout à faire « l’histoire de ce projet, des hommes qui l’ont porté, de leurs succès et de leurs échecs » (p. 5), il a aussi souhaité, en se plaçant dans une perspective faisant écho aux travaux Les plus récents sur l’utopie, dépasser la problématique de l’échec pur et simple en resituant l’histoire de Cîteaux dans celle du mouvement fouriériste en général. Ce parti pris d’élargissement de l’angle d’analyse l’a amené à choisir d’aborder l’étude de cette tentative par celle des participants, avant de s’interroger sur les problèmes relatifs au passage de la théorie à la pratique et enfin sur les réactions suscitées par la colonie.

Des deux principaux initiateurs de la colonie, on connaissait surtout Mme Zoé Gatti de Gamond, qui en eut la première l’idée ; quant au philanthrope écossais Arthur Young, qui en fut le bailleur de fonds et le principal dirigeant sur le terrain, s’il n’était pas inconnu de nom, on savait finalement peu de choses sur lui. Thomas Voet nous apporte ici des informations neuves et bienvenues, brossant de ce jeune (31 ans) fouriériste convaincu un portrait à la fois nuancé et sympathique. Sans surprise, on trouve parmi les cadres et les militants qui participèrent à la mise en place de la colonie une majorité de « réalisateurs » avérés tels Peiffer, Jean Journet (dont Courbet dessina le portrait) et Jean Reverchon, mais on y découvre aussi un groupe notable d’« orthodoxes » et divers militants qui, tel le Lyonnais Aimé Baune, semblent avoir été des républicains à la recherche d’une voie alternative.

À partir des quelque 50 familles de colons identifiées et de leurs membres, soit 125 personnes au total, Thomas Voet nous propose une étude prosopographique tout à fait intéressante analysant, entre autres, les origines sociales des colons - laquelle remet sérieusement en cause les habituelles caricatures - ainsi que leurs formes d’engagement avant et après Cîteaux (à noter à ce propos la non-prise en compte du rôle important que jouera au printemps 1848 le peintre en bâtiment Hyacinthe Confais, auteur d’un très intéressant opuscule sur la manière de mettre en pratique l’Organisation du travail et dirigeant-fondateur de l’Association fraternelle des ouvriers peintres et vitriers en bâtiment, ainsi que celui de LouisE Mignerot, plus tard connue sous son nom de femme mariée, Marie-Louise Gagneur).

Se penchant ensuite sur l’histoire de la colonie, l’auteur examine dans quelle mesure les phalanstériens de Cîteaux ont cherché - et le cas échéant réussi - à mettre en pratique les théories de Fourier, en mettant en place une ébauche d’organisation sériaire et en appliquant la formule fouriériste du minimum social garanti ; comment la colonie a été pensée et mise en route (contrairement à ce que préconisait Fourier, le recrutement commença avant que la compagnie d’actionnaire ait été formée), comment elle a fonctionné, évolué en tentant de se réorganiser pour attirer des investisseurs financiers nouveaux étrangers à l’École, puis échoué du fait de querelles de personnes et des difficultés financières non résolues. Il décrit par ailleurs ce que fut la vie quotidienne dans cette utopie rurale et agricole plutôt débonnaire et festive, qui fut aussi le site d’expérimentations agronomiques limitées.

En replaçant l’histoire de Cîteaux dans une perpective élargie, Thomas Voet examine enfin les attitudes que cette expérience suscita : au sein du mouvement fouriériste dans son ensemble - de l’avis très réservé et globalement hostile de Victor Considerant aux prises de distance plus inattendues des « dissidents » pour des raisons différentes, en passant par l’attentisme des fouriéristes dijonnais, sauf à la toute fin de l’expérience -, auprès des autorités (forcément très méfiantes) et parmi la population locale.

Au terme de cette analyse d’ensemble bien maîtrisée et portée par une volonté de réévaluer l’utopie pour la sortir d’une « vision associant naïveté et folie », ainsi que le souligne Jean-Claude Caron dans sa préface, Thomas Voet est clairement amené à relativiser l’échec final, préférant conclure sur la portée profondément réformatrice des expériences communautaires fouriéristes dans leur contexte propre. Des annexes, une chronologie et un index complètent l’ensemble.

Ainsi, ce travail constitue-t-il désormais une référence obligée pour tous ceux qui souhaitent étudier, au-delà de cet épisode peu connu du fouriérisme, l’histoire de ce mouvement de pensée en général.