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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Simon, Claude-Gabriel
Article mis en ligne le 14 juin 2017

par Bastit-Lesourd, Marie-Françoise, Desmars, Bernard

Né le 16 novembre 1799 à Rennes (Ille-et-Vilaine), décédé le 24 octobre 1860 à Nantes (Loire-Inférieure, auj. Loire-Atlantique). Journaliste et rédacteur en chef du journal Le Breton sous la monarchie de Juillet. D’abord favorable au saint-simonisme, puis disciple de Fourier. Correspondant à Nantes de l’École sociétaire.

Fils d’un employé des postes originaire de Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), Claude Gabriel Simon est orphelin de père dès l’âge de trois jours. Il fait d’abord ses études à Rennes, puis, de 1813 à 1817, au petit séminaire de Grenoble où le fait venir son oncle paternel et parrain Mgr Claude Simon, évêque du diocèse. En 1817, il retourne à Rennes et fait sa classe de philosophie au collège royal [1].

Son intention est ensuite de s’inscrire à la faculté de droit, mais son oncle maternel Bourbet, qui tient à Rennes une importante entreprise de meubles, souhaite le voir lui succéder. Pour se former, Claude Gabriel Simon part à Paris travailler dans un commerce de meubles ; puis de retour en Ille-et-Vilaine, il prend la suite de son oncle. En octobre 1821, il épouse (Joséphine) Eulalie Bazin de la Bintinays (ou Bazin Bintinays), dont le père a été commissaire provisoire du gouvernement près l’administration municipale de Rennes (en 1800) et membre du conseil municipal de Rennes (en 1812, au moment de son décès). Deux enfants naissent de cette union, une fille et un garçon.

Journalisme, associations et progrès

Toutefois, les activités industrielles et commerciales exercées par Claude-Gabriel Simon ne satisfont pas ses aspirations littéraires et son goût pour les travaux intellectuels. Aussi, ayant hérité de son oncle évêque, il vend son entreprise afin de se consacrer à l’étude et à l’écriture. Il s’installe à Nantes en 1826. Il s’intègre rapidement aux élites culturelles locales et publie plusieurs traductions de textes anglais dans le Lycée armoricain sous le pseudonyme « Gabriel ». Il noue ou renoue des relations d’amitié avec l’écrivain Émile Souvestre ainsi qu’avec le docteur Ange Guépin, avec lequel il rédige une chronique des Événements de Nantes pendant les journées des 28, 29, 30 et 31 juillet 1830 [2].

Cette révolution de 1830 provoque des changements d’orientation dans la presse locale. Le Breton, un ancien journal légitimiste, est transformé par son propriétaire Charles Mellinet en organe libéral, avec l’aide d’Ange Guépin et d’Émile Souvestre ; la direction en est confiée à Simon qui est aussi le principal rédacteur ; il écrit des articles sur des thèmes très variés. En 1836 et 1837, s’ajoute au journal la Revue du Breton, qui paraît chaque mois. Dans ces périodiques, Simon se fait « l’avocat perpétuel et zélé des intérêts de la ville de Nantes, de son industrie et de son commerce » [3] ; il s’intéresse en particulier au développement portuaire de l’estuaire de la Loire et il promeut la construction d’un chemin de fer de Nantes à la mer.

Son engagement dans les affaires publiques nantaises se traduit aussi au début des années 1830 par son admission dans la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure et par sa contribution à la création de la Société industrielle de Nantes. Il participe en 1834 au congrès scientifique de Poitiers où il lit un « Mémoire sur le magnétisme animal et sur son application au traitement des maladies mentales », publié en novembre de la même année dans la Revue du progrès social. Il est également très attentif aux questions éducatives et il soutient, en vain, le projet d’un musée industriel qui comprendrait « des échantillons des produits bruts et manufacturés de notre sol et de l’industrie nantaise, et des produits étrangers des denrées coloniales formant la matière commerciale exploitée par les négociants de Nantes » [4]. En 1844, il devient membre correspondant de la Société industrielle de Mulhouse [5].

Simon appartient à ce monde des « capacités » qui joue un rôle croissant à Nantes sous la monarchie de Juillet [6]. Ses fonctions à la tête du Breton lui confèrent une position importante, que consolident son habileté et sa prudence politique : il place « son journal comme un organe proche de la préfecture mais ouvert aux réflexions sur l’état de la société et les réformes à voter dans le cadre de la monarchie orléaniste. En échange de cette modération, les autorités fournissent au Breton les annonces officielles et légales et trouvent à s’exprimer par son intermédiaire » [7]. Plutôt libéral, mais s’intéressant peu aux luttes républicaines et plus généralement aux questions politiques, Simon se montre attentif aux problèmes sociaux, cherche des solutions pour les résoudre, ce qui l’amène à rejoindre successivement le saint-simonisme et, plus longuement, le fouriérisme.

La fréquentation des saint-simoniens nantais [8]

Claude-Gabriel Simon est d’abord un sympathisant saint-simonien [9] ; certes, écrit-il à Michel Chevalier, il n’est « point entièrement converti au saint-simonisme et [n’adopte] qu’une partie [des] doctrines » saint-simoniennes ; en particulier, ajoute-t-il, « il ne m’est pas possible d’admettre tout ce que vous prêchez sur l’héritage, la femme libre et l’autorité des chefs » ; néanmoins, malgré ces réserves, « je n’ai réellement d’espoir que dans vos doctrines et dans leur application plus ou moins générale » [10]. Il publie dans Le Breton des articles favorables au saint-simonisme, certains rédigés par Ange Guépin ; la mission de Charton et Rigaud, qui séjourne à Nantes pendant une partie du mois d’octobre 1831 reçoit un écho favorable dans le journal [11]. Vers la même époque, Simon, ainsi qu’une trentaine de Nantais, reçoivent Le Globe, l’organe saint-simonien, « celui de tous les journaux de Paris qui, malgré son mysticisme, nous semble le plus utile et le seul d’ailleurs qui parle constamment en faveur des intérêts moraux et matériels du pays » [12] ; il reprend parfois des informations de ce périodique [13] et dénonce la « persécution » dont est victime le mouvement saint-simonien, quand la police disperse les amis d’Enfantin réunis salle Taitbout et rue Monsigny [14].

Au cours des années 1832-1833, Claude Gabriel Simon passe du saint-simonisme au fouriérisme, même si la rupture avec les milieux saint-simoniens est très lente. En avril 1832, il indique que son intention est de publier dans Le Breton des articles d’esprit saint-simonien, mais « dépouillés de la forme saint-simonienne », afin de ne pas éloigner une partie du lectorat [15]. Il entretient une correspondance avec Chevalier, ancien directeur du Globe et une des principales figures du mouvement saint-simonien, qui s’adresse encore à lui comme à un condisciple en novembre et décembre 1832 et en février 1833. Il se rend à Paris, vraisemblablement en octobre 1832, à l’invitation de Chevalier, pour rencontrer la famille saint-simonienne. Et au printemps 1833, il participe à la « Réunion de l’Ouest », organisée par Guépin afin de rassembler les « patriotes » de la Loire-Inférieure et des départements voisins ; ce « congrès républicain-saint-simonien », selon la police, se déroule les 9 et 10 avril 1833 avec une cinquantaine de délégués de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-Vilaine, du Maine-et-Loire, du Loir-et-Cher, de la Sarthe et du Finistère. À l’issue des discussions, les délégués désignent un comité central chargé de maintenir les relations entre les représentants des différents départements ; Simon en fait partie [16]. Cependant, rapidement des divergences s’établissent entre ceux qui souhaitent limiter leur action aux questions économiques et sociales, et ceux qui veulent étendre leur intervention au domaine politique et se mettre en relation avec les sociétés républicaines parisiennes. Simon fait partie de la première tendance ; il « ne veut, dit-il, ni sociétés populaires, ni ramifications avec celles de Paris », écrit la police nantaise qui surveille attentivement les activités de la « Réunion » [17].

Pourtant, alors qu’il semble toujours lié aux saint-simoniens, il évolue vers le fouriérisme. Dès l’été 1832, des articles moins favorables au saint-simonisme paraissent dans Le Breton ; et alors que Chevalier semble toujours le considérer comme l’un des membres de la famille et lui donne des indications – y compris depuis la prison Sainte-Pélagie, en février 1833 – sur la ligne éditoriale que doit suivre Le Breton, Simon est déjà converti au fouriérisme et correspond avec Jules Lechevalier, l’un des premiers transfuges de l’Église saint-simonienne, en mettant en avant son activité au service de la cause phalanstérienne : « j’espère, mon cher Lechevalier, que vous n’êtes pas mécontent de moi. Depuis que j’ai quitté Paris, je n’ai laissé passer aucune occasion de parler de vos travaux [de l’École sociétaire] » [18]. Et Lechevalier, à la suite d’un séjour à Nantes, annonce en décembre 1832 à Fourier que « Le Breton nous est entièrement acquis » [19].

L’engagement fouriériste

Simon s’est en effet mis au service de la propagande sociétaire ; il reprend dans son journal certains articles issus du Phalanstère ou de brochures fouriéristes. Il utilise également ses réseaux pour diffuser les idées phalanstériennes : en mars 1833, il envisage de présenter la théorie de Fourier à la principale société savante du département : « j’ai résolu de faire un exposé un peu étendu du nouveau système industriel dont je donnerai communication à notre Société académique car nos chers académiciens sont pour la plupart bien arriérés, bien encroutés [sic], mais une fois mis sur la bonne voie, un bon nombre iront droit » ; il commande au Centre sociétaire les deux volumes de « l’Association domestique et agricole ». Il sollicite une relecture du Maître :

S’il convenait à M. Fourier de voir mon travail et l’apostiller avant que j’en fisse la lecture, je le lui ferais passer, il me le renverrait ensuite avec ses notes qui ne pourraient être que d’un grand secours pour faciliter l’intelligence de sa prodigieuse conception [20].

Rien n’indique cependant que Simon ait poursuivi son projet, d’autant que le 4 avril 1833, soit un mois seulement après qu’il a exprimé cette intention, l’un de ses condisciples, Pierre-Alexandre Guilbaud, « fait une communication sur les ouvrages de M. Charles Fourier et sur son système d’association » devant les membres de l’Académie [21].

Simon s’efforce aussi de diffuser Le Phalanstère à Nantes et de faire connaître les projets fouriéristes, et en particulier, en 1832-1833, la colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre. Lui-même souscrit pour une action de 500 francs à l’entreprise. Il s’enthousiasme à la lecture du numéro 26 du Phalanstère (22 novembre 1832) qui contient à la fois le projet de la future phalange et les statuts de la société chargée de la réaliser. « Envoyez-moi donc plusieurs exemplaires de ce n°26 que je les propage dans notre ville en l’adressant aux cabinets et aux sociétés de lecture et à quelques-uns de nos abonnés entre les mains desquels ils ne seront pas perdus » [22]. « Nos efforts n’ont pas été vains », écrit-il en mars 1833, « et toutes les personnes que j’ai mises sur la voie de vous connaître et qui ont eu le temps de vous approfondir goûtent beaucoup vos doctrines. Bien des individus même que les saint-simoniens n’avaient pu séduire sur aucun point sont devenus tout à fait fouriéristes » [23]. Environ trois semaines plus tard, il envoie une promesse de souscription de l’un de ses amis, Demangeot ; « si je peux vous en obtenir d’autres, je le ferai » [24]. Il amène également son ami rennais Ducrest de Villeneuve à la lecture des œuvres de Fourier, puis à l’École sociétaire [25].

Il aimerait faire plus pour l’École (« si j’étais garçon, je vous porterais une partie de ma fortune et mon concours, mais vous connaissez le proverbe : qui a consort a maître ») et réclame des nouvelles des travaux qui se déroulent à Condé et autour de l’École :

Si vous étiez aimables, vous m’écririez de temps à autres des lettres confidentielles pour me mettre bien au courant des affaires de la colonie à Condé-sur-Vesgre et de vos progrès dans l’opinion et surtout dans les coffres-forts, si facile à ouvrir aux intrigants […] si difficiles aux hommes moraux et capables [26].

Il s’interroge parfois sur l’avenir de la colonie et la préservation de ses intérêts : la société anonyme alors envisagée ne devant avoir qu’une durée de vingt années d’après les statuts, que deviendra sa mise de fonds à la fin de cette période ? N’y aura-t-il pas remboursement pour ceux qui ne pourront habiter sur les lieux ? « Je sais bien que vous me répondrez qu’en cas de réussite, avant vingt ans, la France sera couverte de phalanstères, c’est possible ; mais nous sommes si routiniers que le contraire est possible aussi » [27].

Il donne aussi des conseils – que l’on peut estimer bien peu phalanstériens et assez contradictoires avec le système passionnel et l’idéal harmonien – aux dirigeants de la future colonie :

Lorsque vous serez installés, vous éprouverez de grandes difficultés de la part de la masse de vos coopérateurs qui apporteront dans votre colonie tous les vices de leur éducation de civilisé, c’est-à-dire que malgré la morale douce et pure, ils seront haineux, hargneux, querelleurs, égoïstes, ivrognes, taquins, etc. et par-dessus tout fort ignorants de leurs propres intérêts. Je vous engage donc à ne leur laisser que la liberté d’entrer ou de sortir de chez vous, menez-les du reste tout militairement, jusqu’à ce qu’ils se soient bien pliés au régime harmonique. Si vous pouvez vaincre cette grande difficulté, que je regarde comme la seule bien réelle, je vous prédis un immense succès. Mais ce sont les mauvaises passions, ce vieux levain de civilisation, que vous aurez de la peine à dompter et à réformer, surtout si les femmes y apportent leurs petitesses et leur caquet.

Pourtant, il conclut sa lettre :

mes respects à M. Fourier et surtout bonne chance à vos projets ; d’eux comme de vous, je puis me dire, l’ami et le zélé partisan [28].

En 1835, Simon effectue un voyage en Angleterre. Il en revient avec un livre d’« observations », dans lequel il s’intéresse à la fois à l’industrie, à la croissance urbaine, au travail des enfants, aux prisons, à la religion, etc. [29] Il consacre aussi un passage à l’« association » [30], considérée comme un moyen de « neutraliser les funestes effets de l’esprit de lutte ou d’antagonisme » et de résoudre les maux sociaux [31]. Il porte un regard plutôt critique sur les saint-simoniens qui « touchèrent malheureusement et imprudemment à tout » ; voulant restaurer l’ordre et l’autorité, ils « n’élevèrent […] qu’une statue au despotisme. Ils alarmèrent ensuite l’esprit de propriété en détruisant l’héritage ; effarouchèrent les sentiments de famille et les convictions religieuses en prêchant l’abolition du mariage et la construction ».

L’examen du fouriérisme est beaucoup plus favorable : « Sans descendre dans les détails, les saint-simoniens avaient tout généralisé : il appartenait à Charles Fourier de régler la société sur des bases complètement nouvelles et de prévoir tous les cas ». Simon se contente de présenter, de façon très sommaire, les passions, les phalanges et la répartition des produits du travail ; il souligne que, quand les autres systèmes « attaquent la propriété et la déclarent commune, M. Fourier, au contraire, veut qu’elle subsiste toujours comme un des plus énergiques stimulants de la production ». Enfin, Simon montre une certaine sympathie pour Owen, notamment en raison de l’importance qu’il accorde à l’éducation ; mais son « système est inférieur à celui de Fourier » ; Simon prévoit que certains hommes, victimes de la concentration industrielle, « s’écarteront du système d’Owen […] pour se rapprocher des idées bien plus saines de Fourier, à qui son admirable instinct a fait deviner d’avance en association, plus que l’expérience et la pratique ne leur a encore révélé » [32]. Cependant, « bien qu’il fût facile et même utile de mettre à l’épreuve, par la formation d’une seule phalange le système de Charles Fourier, les préoccupations du siècle, et des convictions d’un autre ordre n’ont pas point encore permis cet essai » [33].

Au fil du temps, l’engagement fouriériste de Simon et les sympathies phalanstériennes de son journal deviennent plus discrets ; en 1840, Jules Benoit signale à Victor Considerant que la doctrine sociétaire a peu d’adeptes dans la région nantaise et qu’elle fait plutôt l’objet de railleries :

c’est à ce point que Mr Simon, quoique admirateur sincère de Fourier, se garde bien de se donner comme tel et ne se soucie même pas d’ouvrir les colonnes de son journal à des articles écrits dans le sens de la doctrine. À ce propos, il me disait dernièrement qu’il avait l’intime conviction qu’à partir du jour où il viendrait à faire du fouriérisme, il serait abandonné par la moitié de ses abonnés et que déjà il avait été averti par quelques amis que ces tendances déplaisaient.

Il refuse également d’apporter sa contribution financière lors d’un appel à souscription :

il s’en est excusé sur la pénurie de sa bourse qui se trouve, m’a-t-il dit, entièrement à sec par suite des dépenses considérables que lui occasionne la construction d’une maison non encore achevée [34].

Il semble d’ailleurs s’éloigner progressivement de l’École ou ne plus correspondre avec le Centre parisien – en tout cas, il n’y a plus de lettre de sa part dans les archives sociétaires. Il ne rompt cependant pas avec ses condisciples nantais En avril 1847, il fait partie des signataires d’une lettre adressée au maire de Nantes pour demander l’autorisation d’organiser un banquet afin de célébrer la naissance de Fourier [35]. Parmi les autre signataires figurent deux ingénieurs des ponts et chaussées , Émile Allard et Clément Médéric Lechalas, le second étant aussi le gendre de Simon dont il a épousé la fille, Célestine Élisabeth, en 1845.

En novembre 1846, il abandonne la direction du Breton pour se consacrer à des activités littéraires. Mais la révolution de février 1848 l’amène à reprendre sa correspondance avec ses condisciples parisiens auxquels il fait part de ses doutes et de ses craintes : à Nantes, « nous avons crié la République » écrit-il au début de sa lettre ; et « la physionomie de notre ville est calme » ; mais, ajoute-t-il, « certainement, il y règne plus d’inquiétude que d’enthousiasme et l’on eût préféré à la république le règne du comte de Paris avec sa mère pour régent et de fortes garanties de liberté » [36].

Il craint en particulier « les passions déchaînées » et envisage l’avenir avec appréhension :

Les réunions populaires qui se préparent, les clubs qui vont se rouvrir, les difficultés extérieures qui vont naître, l’agitation qu’une presse sans frein peut jeter dans les esprits, la misère et la faim mauvaises conseillères, les ambitions déchues et déçues, une crise électorale imminente sur tous les points de la France, les prochaines et brûlantes discussions parlementaires au sein d’une nouvelle constituante, composée vraisemblablement d’hommes nouveaux, jeunes, de théoriciens inexpérimentés avides de place ou de bruit, voilà ce qui épouvante et alarme malgré eux-mêmes les hommes qui nourrissent depuis longtemps dans leur cœur l’idée d’un régime démocratique, juste et fraternel, mais qui demandait peut-être de plus complètes préparations.

Certains de ses amis souhaitent lancer un journal socialiste ; lui-même hésite. Il espère voir des fouriéristes occuper « une position officielle dans le régime nouveau. Une place naturelle leur appartient parmi ceux qui doivent être chargés de l’organisation du travail. Qui s’y entendrait mieux qu’eux ? » [37]

Cependant, alors que plusieurs de ses anciens amis saint-simoniens – au premier rang desquels Guépin – sont très actifs sous la Seconde République, il semble rester en retrait. Dans les années suivantes, il étudie la littérature et la poésie orientales, et aussi la ventriloquie. Il s’intéresse également au compagnonnage et publie en 1853 une Étude historique et morale sur le compagnonnage en France. Son épouse décède en 1855. Il connaît lui-même des problèmes de santé à la fin des années 1850 et démissionne de la Société académique de Nantes. Peu avant sa mort, il donne à la bibliothèque municipale de Nantes plusieurs ouvrages de sa bibliothèque, dont une collection complète du Breton [38]. Ses engagements saint-simonien et fouriériste semblent bien loin et sont d’ailleurs totalement occultés dans la nécrologie que lui consacre Armand Guéraud, l’un de ses collègues de la Société académique.