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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Guillon, (Charles François) Ferdinand
Article mis en ligne le 8 février 2017
dernière modification le 12 juillet 2021

par Chérouvrier, Daniel, Desmars, Bernard

Né vers 1813 à Parme (alors dans l’Empire français, auj. en Italie), décédé le 19 juillet 1887 à Paris (Seine), 5e arrondissement. Publiciste, journaliste à Troyes, Nantes, Paris et Constantine (Algérie) ; employé par une compagnie de chemins de fer en Russie. Membre de l’Institut sociétaire, auteur de plusieurs brochures fouriéristes. Collaborateur, membre du conseil de rédaction puis co-gérant en 1849-1850 de La Démocratie pacifique. Co-gérant de la Société européo-américaine de colonisation au Texas. Collaborateur du Bulletin du mouvement social.

Ferdinand Guillon est le fils de Charles Guillon et d’Antoinette Paglia mariés à Parme en 1813. La famille s’installe ensuite à Avignon, probablement en raison de la fin de la domination napoléonienne sur la péninsule italienne. Lors de la naissance de ses enfants – une fille naît à Avignon dès janvier 1815 – Charles Guillon se présente comme ingénieur vérificateur du cadastre (1815 et 1817), puis comme géomètre en chef du cadastre, notamment dans un ouvrage qu’il publie en 1824 [1]. La famille séjourne dans le Vaucluse au moins jusqu’en 1827, quand naît un autre enfant. Sous la monarchie de Juillet, Charles Benoît Guillon occupe le poste de chef du service topographique de la province d’Alger.

Ferdinand Guillon (Archives nationales)

La première intervention connue de Ferdinand Guillon est un discours prononcé en 1834 ; il y fait l’éloge des sociétés philanthropiques ; il se présente alors comme « docteur ès sciences, membre correspondant de plusieurs sociétés savantes et de plusieurs sociétés littéraires » [2].

Il participe ensuite aux travaux de l’Institut sociétaire, un groupe fouriériste dissident, dont il est un des deux vice-présidents. En 1838, il est l’un des quatre signataires d’un projet d’Hôtel sociétaire, avec Édouard Ordinaire, Eugène Tandonnet et Prudent Forest, également membres de l’Institut sociétaire qui soutient l’initiative ; l’entreprise, qui doit proposer une table d’hôte, s’appuie aussi sur l’ancien inspecteur des enfants trouvés à Nantes Pierre-André Guilbaud et Hyacinthe Confais, présenté comme un « maître d’hôtel garni à Paris ». Il s’agit de créer un établissement proposant des logements et tenant une table d’hôte à des prix modérés. La réussite de cette fondation a aussi pour but de « fournir une démonstration complète de la puissance de l’association ». Un appel est lancé aux condisciples afin de réunir les vingt mille francs nécessaires à la concrétisation du projet. En vain semble-t-il, puisque l’initiative n’a pas de suite [3].

De Troyes à Nantes

Dans la seconde partie des années 1830, Ferdinand Guillon s’installe à Troyes où il effectue probablement sa première expérience journalistique [4]. Il collabore au Journal de l’Aube, dirigé par Théodore-Alphonse Bayle [5]. Ce périodique accueille notamment, en 1838, un article très élogieux d’Hubert Carlet sur l’ouvrage de Zoé Gatti de Gamond, Fourier et son système. En octobre 1839, le Journal de l’Aube est absorbé par son concurrent, Le Propagateur  ; hostiles à cette opération et en désaccord avec l’orientation du Propagateur, Bayle et Guillon s’associent pour fonder un nouveau journal, L’Aube. Journal des intérêts de la Champagne, dont ils sont à la fois les propriétaires et les rédacteurs en chef. Ils sont soutenus financièrement par le banquier parisien Paul Casimir-Perier, fils de l’ancien député de Troyes et président du Conseil Casimir Perier. Ce quotidien, dont la parution commence le 12 novembre 1839, est conservateur du point de vue politique ; il déclare lutter « contre les creuses théories et la politique révolutionnaire ». Alors que des campagnes sont menées en faveur du suffrage universel, Bayle et Guillon déclarent ne pas s’intéresser aux « vœux des faiseurs d’utopies gouvernementales, des rêveurs d’eldorados constitutionnels et des grands apôtres de réforme électorale » [6] ; ils repoussent l’élargissement du corps électoral. Lors des élections au conseil général de l’Aube, en novembre 1839, le journal soutient Paul Casimir-Périer Perier, qui est élu dans le canton de Romilly [7]. À Troyes, il combat la candidature d’Auguste Stourm, par ailleurs député siégeant dans l’opposition dynastique [8]. Ces prises de position placent L’Aube parmi les journaux orléanistes, soutenant la politique du parti de la Résistance et favorable aux gouvernements nommés par Louis-Philippe.

Si l’une des devises placées autour du titre, « La liberté par l’ordre », indique bien cette orientation politique, l’autre, « Le progrès par l’association » souligne l’intérêt de L’Aube pour les questions sociales et la faveur de ses rédacteurs en chef pour les structures associatives.

Sans l’association, vous n’avez que des individus ; avec elle vous avez des citoyens, dans la véritable essence du mot. Sans elle, vous n’avez que des intérêts hostiles qui se heurtent, s’entrechoquent, enfantent la concurrence industrielle, l’anarchie politique. Avec elle, vous avez des intérêts solidaires qui se combinent dans une majestueuse unité, augmentent le produit du travail humain, accroissent les chances de la paix publique [9].

Le quotidien déplore que l’association soit parfois devenue un enjeu politique, pour « les partis qui en ont fait un des instruments les plus actifs, les plus puissants de leurs passions désorganisatrices » et pour le gouvernement qui y voit surtout une menace qu’il faut réprimer. Alors que la « triomphale et pacifique invasion [de l’association] sur tous les points de notre ordre social actuel » favoriserait la prospérité générale [10]. Aussi L’Aube soutient-elle les sociétés de secours mutuels, les associations philanthropiques, les sociétés culturelles, etc. Bayle est d’ailleurs le rédacteur en chef d’un hebdomadaire, L’Association, qui paraît en février-mars 1840. Guillon est mentionné dans la liste des collaborateurs, aux côtés de plusieurs fouriéristes comme Gatti de Gamond, Edouard de Pompéry, Czynsky sans que l’on puisse toutefois identifier un article de sa plume. Ce périodique reproduit un texte de Fourier et fait l’éloge des travaux de Victor Considerant, de Nicolas Lemoyne et d’autres fouriéristes.

Guillon se marie à Paris en janvier 1840 avec Anne Égérie Casaubon [11] ; un premier enfant naît à Troyes en novembre de la même année ; Ferdinand Guillon est alors qualifié d’hommes de lettres. Il reste en relation avec les milieux fouriéristes ; il figure sur une liste des « correspondants membres de l’Union harmonienne » [12]. En juin suivant, Ferdinand Guillon devient le seul propriétaire et rédacteur en chef de L’Aube, que Bayle a quitté sans que l’on en connaisse les raisons. Le quotidien appartient à « l’opinion modérée », estime la préfecture [13]. Il publie sur plusieurs numéros un long texte du fouriériste Édouard de Pompéry sur « l’organisation du travail », qui présente les propositions de Fourier et critique celles de Louis Blanc [14] ; L’Aube reproduit plusieurs articles de La Phalange [15].

La position du journal est la même qu’en 1839 : conservatisme politique et progrès sociaux :

Nous différons de l’école radicale, en ce sens surtout que nous faisons consister le progrès et l’amélioration du peuple beaucoup plus dans la satisfaction de ses intérêts moraux et matériels que dans le succès de certaines réformes ou l’extension de certains droits politiques. Tandis que les écrivains démocrates affectent un superbe dédain pour ce bien-être positif qu’ils sacrifient volontiers aux exigences de leurs doctrines exclusives ou de leurs dessins ambitieux, nous cherchons, de notre côté, à diriger la pensée et les désirs des classes laborieuses vers les idées de travail, de sécurité, de famille, tenant plus de compte d’une école à ouvrir que d’une pétition à signer, et trouvant l’argent de l’ouvrier mieux placé à la caisse d’épargne que dans les banquets en l’honneur du suffrage universel [16].

Dans L’Aube du 2 avril 1842, Guillon annonce son départ de la rédaction et la cession de la propriété du journal à une société représentant des intérêts locaux ; « des circonstances toutes d’intérêt privé » sont à l’origine de cette décision. Peut-être est-il las des polémiques parfois violentes avec son concurrent local ; il se présente en tout cas comme une « plume fatiguée à la tâche » [17]. On peut aussi penser que les milieux conservateurs auxquels L’Aube s’adresse n’apprécient guère les articles d’inspiration fouriériste. Quelques années plus tard, sous sa nouvelle direction, le journal troyen publie d’ailleurs un article très hostile au fouriérisme [18].

En quittant la rédaction de L’Aube, Guillon déclare « sortir [du journalisme] sans doute pour ne plus y rentrer » [19]. Pourtant, en 1843, il rejoint la rédaction de La Démocratie pacifique.

Au début de l’année 1844, il est en relation avec George Sand. Le journaliste et l’écrivaine échangent plusieurs lettres, après avoir eu des entretiens directs. Lors de l’un d’eux, George Sand présente Pierre Leroux à Ferdinand Guillon qui semble alors envisager de rejoindre la communauté de Boussac (Creuse) ; George Sand y est favorable, mais craint d’une part que l’« éclectisme religieux et politique » de Guillon ne soit un obstacle à son admission, et d’autre part que le journaliste fouriériste n’apprécie un peu superficiellement Leroux et ses disciples : « je vois bien que vous nous jugez un peu creux et un peu fous. C’est bien vite nous refuser la science sociale » et « peut-être êtes-vous un peu injuste, vous, de nous classer parmi les rêveurs impuissants ». Selon George Sand, Guillon essaie de rapprocher le fouriérisme et la doctrine de Leroux « avec beaucoup d’art et de talent », mais « c’est une conciliation spécieuse » [20].

Finalement, Guillon ne rejoint pas les partisans de Leroux. Il figure encore dans la liste des rédacteurs du quotidien fouriériste pour le premier semestre 1844. Puis il s’installe à Nantes où il est l’un des fondateurs du Courrier de Nantes, dont il annonce la création à la préfecture de la Loire-Inférieure en août 1844 [21]. Selon le préfet, la plupart des commanditaires qui financent la publication appartiennent à l’opposition démocratique [22].

Il donne dans les colonnes de son journal un large écho aux conférences faites à Nantes par Victor Hennequin en octobre 1846. Ses fonctions au Courrier de Nantes cessent en mars 1847 [23]. Il s’installe à Paris et fait à nouveau partie des collaborateurs réguliers de La Démocratie pacifique à partir du premier semestre 1847 ; au cours du premier semestre 1848, il entre dans le conseil de rédaction. Il est l’un des orateurs du congrès phalanstérien d’octobre 1848 [24]. Son frère Amédée Guillon participe également aux activités fouriéristes.

Gérant de La Démocratie pacifique

À la suite de la manifestation du 13 juin 1849, le gouvernement prend des mesures répressives contre les démocrates-socialistes et notamment contre les fouriéristes. Ferdinand Guillon est arrêté et placé en détention provisoire. Michelet, avec lequel il est entré en relation quelques mois tôt, lui envoie quelques livres pour le distraire et fait des démarches pour obtenir sa libération, notamment en écrivant au ministre de l’Intérieur Dufaure [25]. Victor Considerant et François Cantagrel ayant fui la France pour échapper à l’arrestation, Ferdinand Guillon, Charles Brunier et Victor Hennequin sont désormais les gérants de la « société pour la propagation et la réalisation de la théorie de Fourier » formée en 1840 et connue sous la raison sociale Considerant, Paget et compagnie ; ils lui substituent à partir du 1er janvier 1850 un nouveau nom (société Brunier et compagnie) [26].

En 1849, Ferdinand Guillon entame la publication dans La Démocratie pacifique d’une série d’articles, qui sont rassemblés en 1850 sous le titre Accord de principes. Travail des écoles sociétaires. Charles Fourier. Il commence par une discussion sur les doctrines de Pierre Leroux, Pierre-Joseph Proudhon et Louis Blanc et envisage un travail de synthèse des doctrines socialistes ; ultérieurement, il souhaite

faire de la comparaison de ces doctrines un travail approfondi et démontrer que les dissidences qui effraient les néophytes sont plus apparentes que profondes, qu’elles sont d’ailleurs nécessaires au travail d’élaboration du socialisme et qu’elles peuvent servir à mieux faire l’unité du but qu’il se propose [27].

Le livre se poursuit par une analyse de la notion de socialisme, l’essentiel de l’ouvrage étant cependant constitué d’une présentation du fouriérisme.

En mai 1850, il est condamné deux fois pour des articles repris de La Voix du peuple, de Proudhon ; la première fois, le 21 mai, à six mois de prison et 1 500 francs d’amende pour « offense envers la personne du président de la République » ; la seconde fois, le 29 mai à 8 mois de prison et 3 000 francs d’amende [28]. La cour d’assises de la Seine ordonne aussi la suspension du journal pendant un mois. Guillon entre à la prison de Sainte-Pélagie le 15 juin 1850 [29]. Le 30 juillet suivant, il déclare renoncer à la fonction de gérant de La Démocratie pacifique qui, après plus de deux mois d’interruption, reparaît en août à un rythme hebdomadaire [30].

En prison à Sainte-Pélagie

D’après les lettres qu’il envoie à Jules Michelet et à Victor Considerant, son séjour carcéral semble avoir été d’abord très pénible. Au premier qui lui rend visite à plusieurs reprises [31], Guillon demande qu’il lui fasse parvenir des ouvrages d’histoire, de philosophie et d’économie politique :

la privation absolue de livres du dehors est la rigueur pénitentiaire dont je souffre le plus. C’est la prison morale ajoutée à la prison matérielle. C’est presque l’oisiveté forcée, digne pendant des travaux forcés. On frappe aujourd’hui d’interdiction les simples documents historiques, les œuvres les plus littéraires [32].

Afin d’obtenir l’amélioration des conditions d’incarcération du prisonnier, et notamment la possibilité de recevoir des livres, Michelet demande à Béranger d’intervenir auprès des autorités ; en vain semble-t-il, le chansonnier-poète craignant « de ne pouvoir être utile [au] prisonnier » car son « crédit […] est évanoui de ce côté comme de tous les autres » [33].

En mars 1851, Guillon envoie une longue lettre à Victor Considerant, exilé en Belgique, dans laquelle il justifie son long silence par sa situation à Sainte-Pélagie.

Vous avez peut-être supposé que comme Proudhon et autres privilégiés de la Conciergerie, j’avais à Sainte-Pélagie la faculté de m’isoler dans une chambre seule, de penser, de m’abstraire à mon gré et de dire aux nombreux camarades et aux plus nombreux visiteurs de telle heure à telle heure, je n’y suis pas.

Erreur ! La promiscuité de la vie forcée en commun a été ici presque aussi intolérable pour moi qu’elle l’est pour nos malheureux frères de Belle-Ile. J’ai passé sept mois dans une chambre à trois lits servant, en raison de sa position centrale, de parloir, de salle à manger, de café, salle de jeu, gymnase pour tous les détenus du pavillon. Pendant plus de six mois, je n’ai pas eu même la permission de recevoir le moindre livre du dehors et n’ai pu dévorer en paix, dans la nuit, les quelques feuilles qui me parvenaient par contrebande.

Quand on n’a que son ennui propre à porter en prison, il est aisé de le secouer et de s’en défaire en prenant un livre ou une plume, mais quand on porte quotidiennement et à toute heure l’ennui collectif de nombreux camarades, il n’y a d’autre refuge contre le mal que dans l’excès même du bruit et de l’étourdissement.

Sa situation s’améliore cependant au début de l’année 1851 :

Depuis quelques semaines seulement, je possède […] une petite chambre seule et je jouis en outre de la faculté de recevoir presque tous les livres que je demande. Cette double conquête m’a rendu d’abord tellement heureux que c’est par sentiment de cette joie même que j’ai négligé de vous en faire part tout de suite. Ma chambre qui ne ferme pas en dedans (le règlement le veut ainsi) est bien encore un foyer d’attraction pour les désœuvrés qui m’entourent. Les cinq sixièmes de mon temps me sont bien encore volés par la société sédentaire ou visiteuse. Cependant, dans la soirée, dans la nuit et le matin même, je savoure l’inappréciable joie de m’écouter penser, de prendre des notes et de nouer les fils d’un canevas d’études.

Ce séjour en prison l’a changé, ajoute-t-il :

en somme le nouveau genre de vie ne m’a pas été nuisible. Après mes douze années de journalisme machinal, quotidien, incessant, après surtout nos deux années révolutionnaires, j’avais besoin de détendre complètement l’arc et de me reposer le sang. La prison m’a rendu je crois calme et patient. Faites savoir à Cantagrel que j’ai dompté mes nerfs, cela lui fera plaisir, j’en suis sûr. […]

La prison m’a fait apprécier mieux que je ne le faisais la sainteté de notre famille phalanstérienne. Il n’y a que nous, voyez-vous, dans tout le parti démocratique, qui soyons restés bons enfants par la sincérité et la spontanéité du cœur.

Parmi ses lectures, figure la brochure de Considerant, La Solution ou le gouvernement direct par le peuple, parue en décembre 1850, et dont le texte a d’abord été publié en novembre-décembre dans La Démocratie pacifique [34].

Guillon apprécie beaucoup ce texte qui le rassure sur l’orientation de son auteur :

J’étais depuis plus d’un an dominé par la crainte de nous voir engagés fatalement pour l’avenir dans l’entraînement et les manœuvres d’un parti : vous avez dissipé cette crainte chez d’autres comme chez moi.

Cependant, tout en faisant l’éloge de cette réflexion sur les conditions de l’établissement d’une véritable démocratie, il insiste sur le fait que toute réforme politique doit être liée à la réforme sociale, semblant ainsi pointer les limites du travail de Considerant :

Comme phalanstériens nous ne pouvons oublier ce que nous avons toujours professé, à savoir que toutes les réformes sont solidaires et qu’on ne peut obtenir le moindre fonctionnement régulier de la souveraineté politique qu’au moyen d’améliorations simultanées ou déjà réalisées dans les autres domaines de la souveraineté sociale. De là l’urgence plus que jamais sentie de ne pas séparer la solution politique de la solution sociale. Avec la transformation de la commune et la triple réforme de la circulation de la production et de la consommation comme nous l’entendons, la législation directe est un couronnement logique et facile à comprendre. Mais sans l’intelligence des autres réformes, cette réforme seule du gouvernement soulève mille objections.

Guillon dresse en prison le plan d’un ouvrage, qui s’appellerait Lois sociales et qui aurait pour but

d’établir le parallélisme des institutions religieuses et politiques dans les sociétés historiques, de montrer les lois identiques entre ces sociétés et d’indiquer même l’analogie de ces lois sociales avec les idées physiologiques et cosmogoniques de chaque temps.

Il utilise pour cela L’Encyclopédie nouvelle, dirigée par Pierre Leroux et Jean Reynaud, que lui a procuré Désiré Laverdant apparemment l’un de ses principaux visiteurs.

Il reste optimiste quant à l’avenir, le fouriérisme et l’École sociétaire pouvant seuls proposer des solutions aux problèmes contemporains :

En dehors de nous, je ne vois de véritable fraternité ou de vérité morale nulle part. Ne désespérons pas, dans deux ou trois ans, quoiqu’il arrive, nous nous trouverons assez forts pour être aussi nombreux que nous le voudrons [35].

Il sort de prison le 14 août 1851 [36]. Quelques mois plus tard survient le coup d’État du 2 décembre. Dans une lettre adressée à la fin du mois à Victor Considerant, il indique avoir subi un « profond découragement » au lendemain de l’événement.

Nous avons bien souffert, mais aujourd’hui, l’intelligence a repris le dessus et s’efforce, selon son habitude, de justifier la Providence. Il y a huit jours, nous ne parlions que d’expatriation, nous interrogions sérieusement l’ami Brisbane, qui est à Paris, sur le point des États-Unis que nous pourrions aller habiter au nombre d’une soixantaine et sur la possibilité qu’il y aurait à concilier là-bas les études scientifiques, les travaux de propagande avec les exploitations industrielles nécessaires à notre subsistance. Nous mordions presque tous à ce projet qui trotte encore dans nos cervelles, mais le sentiment que nous avons des derniers efforts à tenter en France et qu’il est de notre devoir d’apôtres d’adapter notre enseignement aux circonstances nouvelles commence à dominer.

D’ailleurs, la situation peut offrir de nouvelles perspectives à l’École sociétaire :

En y regardant bien la cause phalanstérienne est intacte, son honneur et ses principes sont saufs ; elle n’est même pas plus frappée dans ses hommes, dans ses ressources, qu’elle ne l’était avant le 2 décembre. […]

Il est certain que le moment est favorable aux études d’organisation communale et d’améliorations garantistes. […]

D’autre part, il vous paraîtra peut-être comme à nous qu’il y a quelque chose de significatif dans l’exception faite en notre faveur au milieu de cette fureur d’arrestations et de persécutions. Sans s’y fier beaucoup, il importe de sonder le terrain. Ne nous dissimulons pas que si nous nous réduisions au silence sans y être forcés nous compromettrions notre influence sur l’École, les ressources qui nous restent et nous nous exposerions à voir quelques dissidents jaloux et intrigants relever le drapeau abandonné par nous.

Guillon envisage donc la reparution prochaine d’un organe fouriériste.

Seulement, nous croyons généralement qu’il convient de revenir à l’ancien titre La Phalange comme exprimant mieux la propagande purement phalanstérienne et scientifique que nous nous proposons dans les circonstances actuelles.

[…]

Il est certain que la publication phalanstérienne qui surnagera au milieu des épaves du journalisme purement révolutionnaire ou politique aura grande chance de rallier un personnel nouveau de lecteurs. Les quelques organes qui pourront remplir les conditions fiscales et restrictives auront la force du monopole. Avec les 30 000 francs que la rente peut fournir encore, ne nous est-il pas possible de nous assurer cette forte position ? Nous sommes certainement le seul groupe d’opinion libérale qui jouisse d’une telle organisation et d’un tel avantage. N’est-ce pas une obligation pour nous de déployer autant de persévérance que de prudence ? [37]

Finalement, le journal ne reparaît pas et les membres du Centre parisien de l’École sociétaire sont réduits à l’inaction, la librairie sociétaire n’ayant qu’une activité très limitée.

Du projet texan à Saint-Pétersbourg, puis à Constantine

En mai 1854, Victor Considerant fait paraître Au Texas, qui suscite de nombreuses adhésions parmi ses condisciples. En septembre suivant, la Société de colonisation européo-américaine au Texas est fondée. Ferdinand Guillon est l’un des gérants de la société, avec Allyre Bureau et Jean-Baptiste Godin. Peut-être pense-t-il aller lui-même au Texas [38]. Parallèlement, il s’intéresse au Ménage sociétaire de Condé-sur-Vesgre. Il propose à Joseph Pouliquen, l’un de ses principaux animateurs, de l’aider à faire connaître l’association et à lui attirer de nouveaux soutiens [39]. En 1857, il fait partie des principaux fondateurs de la Revue moderne ; l’objectif de cette publication mensuelle, tel qu’il l’expose au ministre de l’Intérieur, est, non de faire de « la pure propagande d’École », mais de s’intéresser aux progrès économiques et sociaux, de présenter des « études calmes de quelques théories », par exemple sur « la réforme commerciale par la réduction des intermédiaires », en apportant « l’esprit de transition et de modération qui appartient aux solutions praticables et justes » [40]. Il obtient un rendez-vous auprès du chef de la division de la presse, mais le ministère interdit aux responsables de la revue de traiter de l’actualité et des affaires économiques et sociales. La Revue moderne doit se restreindre à des articles littéraires et artistiques et à des récits de voyage, lors de son éphémère existence, de juillet 1857 à février 1858 [41].

Au moment où paraissent les derniers numéros de la revue, Ferdinand Guillon a déjà quitté la France depuis plusieurs mois. Aimée Beuque, qui gère une librairie sociétaire désormais peu fréquentée, déplore son départ début octobre 1857 : « Voilà Mr Ferdinand parti ; ainsi, plus de groupe phalanstérien dans cette pauvre rue de Beaune qui a été pour nous si vivante » [42]. Ferdinand Guillon a en effet obtenu un emploi dans les chemins de fer russes [43] ; il s’installe avec sa famille à Saint-Pétersbourg où, sans doute peu avant, s’est aussi établi Jean Fleury, un ancien collaborateur de La Démocratie pacifique, Jean Fleury.

Ferdinand Guillon et les siens séjournent aussi à Moscou [44]. Amédée Guillon les rejoint peu après. Ferdinand Guillon, dont l’épouse décède à Saint-Pétersbourg en mars 1860, peu après la naissance d’un nouvel enfant, revient à Paris en 1863 [45]
]]. Il collabore au Temps, puis s’établit en 1864 en Algérie, où il dirige le journal L’Indépendant publié à Constantine. Son fils Paul Allyre Gustave – peut-être prénommé ainsi en souvenir d’Allyre Bureau – né à Saint-Pétersbourg, décède en 1866 à Constantine. En 1868, Ferdinand Guillon signe, comme « rédacteur en chef du journal L’Indépendant » une pétition concernant la situation de l’Algérie [46]. Des raisons de santé l’obligent à rentrer en métropole en 1869 [47]. Il s’installe à Paris (on le retrouve dans un acte daté du 15 juin 1870 domicilié rue de Vaugirard) [48].

Pour le socialisme, contre la révolution

En janvier 1874, le Bulletin du mouvement social, un organe fouriériste et coopératif qui paraît depuis 1872, accueille un premier article de Ferdinand Guillon. Eugène Nus, le responsable du mensuel et ancien rédacteur de La Démocratie pacifique, présente l’auteur comme « un de nos anciens collaborateurs et amis » ; il salue « la précieuse collaboration qui nous arrive » avec « le renfort de ce nom [que nos amis] n’ont pas oublié » [49].

Ferdinand Guillon publie en effet dans le Bulletin du mouvement social en 1874 et 1875 plusieurs articles, généralement placés en première page. Il y rappelle tout d’abord l’attention dont bénéficiaient dans les années 1840 « le socialisme, la science sociale ou la sociologie, dont les principaux élaborateurs et vulgarisateurs sortaient de l’École polytechnique » ; alors, le fouriérisme comptait « des adhérents et des renteurs dans les plus hautes régions de l’État, sur les marches du trône et même dans le clergé ». Or, le socialisme suscite aujourd’hui des réactions très différentes dans ces mêmes milieux. « Comment donc le socialisme est-il devenu un spectre, un épouvantail, l’abomination de la désolation ? ». Selon lui, c’est à partir de 1848 que s’est opérée « l’injuste confusion entre le socialisme et la révolution ». A À partir de la Seconde République, « le vocabulaire même de la science sociale devenait dès lors mal porté, choquant, compromettant, proscrit, impossible ». Et les choses se sont aggravées avec la Commune de Paris :

Depuis la révolution du 4 septembre 1870, et l’insurrection du 18 mars, c’est bien autre chose. Allez donc écrire les mots de commune sociétaire, d’association domestique, industrielle et agricole, on vous prendra pour des communards ! Parlez encore de l’association libre et volontaire entre le capital, le travail et le talent, on voit en vous un membre déguisé de l’Internationale. Si vous rêvez la plus grande liberté possible des transactions et le plus grand respect des conventions libres, on croit que vous conspirez conventions d’ouvriers ou transportations de bourgeois. Écrivez encore le mot fédéralisme, au point de vue de l’union future des États européens et de la paix universelle, vous passerez pour des ci-devant fédérés de la Commune [50].

Il revient sur le même thème quelques mois plus tard :

En France, il y a trente ans, on n’avait pas peur de croire à ce qu’on désire, et de passer pour socialiste, pour utopiste, pour phalanstérien…

Pourquoi a-t-on cette peur aujourd’hui ? – Pourquoi prêchons-nous dans le désert ? – Que s’est-il donc passé ?

Là encore, il considère que les révolutions politiques (février 1848, septembre 1870) avec un programme « Réforme, Liberté, République » suscitent dans un second temps l’espérance illusoire de changements sociaux radicaux, d’où des émeutes et un « socialisme confus », sorti « de l’ignorance, de la misère et de la faim ».

Cependant, parallèlement, Guillon observe avec intérêt certaines évolutions de la société :

Nous phalanstériens, nous découvrons, nous reconnaissons déjà les essais partiels et partiaux, les ébauches grossières, mais vivantes, de ce garantisme, de ce mutualisme, de ce sociantisme que Fourier lui-même a prédits et décrits comme des jalons, des étapes, des acheminements instinctifs vers son association intégrale [51].

Ainsi, Guillon poursuit en soulignant les progrès de la coopération, de la solidarité ; il donne en exemple « notre ami Godin » et son Familistère, Jean Leclaire qui a mis en pratique la mutualité et la participation des ouvriers aux bénéfices de son entreprise, ainsi que les économats que l’on trouve associés aux grandes entreprises.
Aussi,

Il ne s’agit plus à cette heure de répéter l’exposition d’une théorie à quelques adeptes déjà convaincus, il s’agit d’une œuvre plus vivante ; il s’agit de convertir à cette théorie, en les contrôlant par elle, les tendances des masses et les expériences même dont elles font les frais. Il s’agit d’éclairer pour pacifier [52].

S’appuyant sur Charles Fourier, Guillon affirme que la réforme économique doit s’effectuer en dehors du champ politique, par la voie de « la libre discussion, de la libre expérimentation, de la libre acceptation, de la libre imitation ». Le « grand obstacle à cette transformation du domaine économique », c’est « la politique, le gouvernementalisme » et « le révolutionnarisme » ainsi que, de l’autre côté, « la Réaction conservatrice » [53].
Mais dans un article sur « la science sociale », il manifeste un certain pessimisme :

Que se passe-t-il parmi nous ? Nous sommes pris de velléités de doute et de découragement, en voyant que l’action de notre science, de nos livres, de nos écoles, de notre propagande, est réduite à la plus simple expression de fait ou d’influence directe sur les faits sociaux, sur les esprits, sur les événements. Cela est vrai. Il est très certain que, dans les circonstances actuelles, notre enseignement est presque sans auditoire, sans étudiants, sans opérateurs, et que d’autre part, les mouvements sociaux s’effectuent empiriquement, spontanément, sans guide, sans principes, sans loi consciente, sans le concours de la science [54].

Sa collaboration au Bulletin du mouvement social s’achève en 1875, avec un article sur la science sociale. La participation de Ferdinand Guillon au mouvement fouriériste dans ces années 1870 se limite à ces quelques articles ; son nom n’apparaît plus ensuite dans les colonnes des publications fouriéristes ; il ne figure pas non plus sur les listes des convives des banquets organisés chaque 7 avril pour commémorer la naissance de Fourier. Enfin, Guillon ne fait pas partie de ceux qui rejoignent la Ligue du progrès social, formée en 1885 autour d’Étienne Barat et d’Hippolyte Destrem afin de redynamiser le mouvement fouriériste.