Si vous voulez, [1]
fidèle Eucharis, promue au rang de corybante,
parvenir enfin en voyage de noces au Soleil habité
magnifique archipel baignant dans son océan de lumière
au-delà de la coque aromale,
cachée entre les plumes de l’antivautour
avec le jeune César Clodomir
que vous aurez connu à la précédente campagne
de reboisement des Cévennes,
héritier des empires de Rome, Constantinople et Moscou,
dont les populations impatientes attendront
votre premier fils pour lui offrir chaque année
des Colisées, des Hippodromes et des Kremlins
en sucre d’abord, puis en bois laqué,
puis de toute la gamme des métaux anciens
jusqu’à l’or, animés peu à peu d’automates,
loin des banqueroutes en tapinois
et vous, coquette Leucothoë sa sœur,
générale des virtuosettes,
fameuse dans les petites bandes
par vos parures d’hortensias,
ouvrages de l’étoile Cléopâtre
cinquième satellite d’Herschell,
après avoir épousé, au clair de Vesta,
remplaçant notre Lune morte,
sur les rives de l’Amazone fleuve de sucre,
l’inconstant et stérile paladin Ariodant,
qu’il vous donne pour cadeau de rupture
40 000 francs harmoniens
dans un coffret en écaille d’antipieuvre,
loin des phrasiers,des banqueroutiers honorables et séduisants
dans leurs boursettes et boursiquettes,
philanthrope Cymodocée,
troisième fille de Damon, après avoir
épousé l’ambitieux berger Tircis
au clair de Mercure inventeur de la rose
et de la pêche, de retour en orbite autour
de la terre, vous voir solennellement
restituer en rivière de diamants
sur votre costume de faquiresse,
infirmière des souffrances passionnelles,
en soie d’antiépeire brochée
de feuilles de buis, tandis que se disposeront
les 102 nouvelles planètes,
le dégagement, intégralement distribué
de vos mains aux pauvres, qu’il vous aura offert
pour aller suivre la reine de Toscane,
loin des banqueroutiers tacticiens et manœuvriersdans leurs boursailles et boursicailles,
rêvant de tripotages forcenés
au milieu des 130 espèces de serpents,
loin des minotaures,
la quatrième Cunégonde, attirer par l’invention
d’une nouvelle soupe au fromage
l’attention des petits Japonais
de la grande horde jonquille
lors de son passage à Marseille,
au point qu’ils vous délivrent, sur vélin d’antiguépard,
le diplôme de druidesse
et porte-thyrse, au clair de Cérès, couvrant
votre père et toutes vos six sœurs
de bambous tressés, de papiers pliés,
de colliers de graines, et partir
avec eux pour lancer un défi, unanimement regrettée,
tous oriflammes claquant,
aux cuisiniers anglais sur la mer citronnée,
loin des roquets,des banqueroutiers agitateurs et sournois
dans leurs boursottes et boursicottes,
organisant les calamités publiques,
les famines et les pénuries,
au milieu des 42 espèces de punaises,
délicieuse Orithye cinquième, négocier au clair de Pallas
en toute moralité vos appas gainés en peau d’antitaupe,
et tout en émouvant aux larmes les vieillards
par des concessions gratuites
dans la chaleur de la couronne boréale,
chevalière de miséricorde, recouvrer par la gestion sage
de votre fortune bientôt considérable toute l’estime attendrie
de votre père timoré lui-même le bon Damon,
loin des banqueroutiers barbouillons et faux frèresdans leurs boursasses et boursicasses, [Topique : boursillasses]
directions suprêmes d’agiotage, réunions démoniaques
bouleversant méthodiquement les empires et l’industrie,
loin des zoïles
et, fleur vous-même, Amaryllis,
haute sénéchale des repriseuses de France,
rapetasser si bien au clair de Junon,
pour l’amour de son fils Childebert,
les bribes en laine d’antipuce en quoi
l’habit de cérémonie du grand-duc Dagobert
aura été réduit par un opéra violent,
qu’il arme pour votre mariage un vaisseau
chargé d’iris jaunes et azur,
d’où vous observerez tranquillement la fusion
des derniers icebergs arctiques,
allaitant votre cher Nisus
à six ans passionné de faisans et d’œillets,
loin des banqueroutes en tirailleurs,
Galatée enfin, devenir reine des passions,
merveille de tout l’octivers,
votez CHARLES FOURIER [2]
[1] « La Politique des Charmeuses » reprend l’affiche « Votez Charles Fourier » composée par Michel Butor avec Jacques Hérold et collée sur les murs de Paris le 1er mai 1968. Le texte a ensuite été publié par Michel Butor avec sept eaux-fortes en noir de Jacques Hérold sous la forme d’un livre-rouleau en rayonne édité par Brunidor à Paris en 1969. Il sera au sommaire de la revue Topique consacrée à Charles Fourier sous la direction de Simone Debout (Octobre 1970, n° 4-5, p. 98-101) et, dans sa version définitive, intégré aux Œuvres complètes de Michel Butor parues sous la direction de Mireille Calle-Gruber aux éditions de La Différence : Paris, 2006, vol. IV - Poésie 1 (1948-1983), p. 816-823 et p. 1100 ; à l’intérieur de ce volume, il appartient à l’ensemble Illustrations IV qui a fait l’objet d’une première publication en 1976 (Gallimard, p. 114-121). La version des Œuvres complètes et celle publiée dans Topique présentant quelques différences, Michel Butor a bien voulu nous indiquer ses choix, qu’il en soit ici grandement remercié (juste avant la composition du volume, nous avons appris avec une grande tristesse la disparition de Michel Butor dont l’intérêt pour Fourier mériterait assurément plus d’un hommage).
[2] À la question de André Clavel : « La chronologie nous ramène au seuil d’une année explosive : 1968. Ça tombe bien, puisque la France vient de redécouvrir l’œuvre subversive de Charles Fourier. Vous y avez fait votre miel. », Michel Butor répond : « Fourier, je le connaissais déjà un peu grâce à André Breton. En 1967, on a publié un inédit capital, Le Nouveau Monde amoureux et les éditions Anthropos en ont profité pour rééditer ses œuvres complètes. Je m’y suis plongé avec délectation. J’ai adoré son audace, sa profondeur philosophique mais surtout sa loufoquerie et son humour, ce qui m’a conduit à écrire La Rose des Vents, en hommage à Fourier. Il y a chez lui une liberté sexuelle extraordinaire. Alors que l’érotisme sadien est absolument sinistre, celui de Fourier est prodigieusement ludique. » (Michel Butor, Curriculum Vitæ. Entretien avec André Clavel. Paris, Plon, 1996, p. 180) La Rose des Vents. 32 rhumbs pour Charles Fourier a été publié dans la collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs aux éditions Gallimard en 1970 ; l’ouvrage a pour exergue : « Cher André Breton, et si vous jouissiez, à l’intérieur de la coque aromale, des hasards de l’escarpolette… » et il est dédicacé « Aussi pour Roland Barthes ». À noter que Fourier est également présent, dès 1961, dans Histoire extraordinaire - essai sur un rêve de Baudelaire (Gallimard, p. 99 sq.) et que Michel Butor a magnifiquement préfacé une édition non censurée du Nouveau Monde industriel et sociétaire parue dans la Nouvelle Bibliothèque Romantique des éditions Flammarion en 1973. Il y écrit notamment : « C’est à André Breton, à son Ode américaine pour commencer, que nous devons la mise en lumière de ces aspects de son œuvre [son inconvenance doublée de son audace imaginative], qui le font apparaître aujourd’hui comme un précurseur non seulement du marxisme, mais de la psychanalyse et de toutes sortes de directions de l’art moderne et de la pensée contemporaine. Certes les premiers admirateurs avaient été sensibles à l’énergie de son parler, mais c’est Breton qui nous a rendus capables, en soulignant leurs vertus poétiques et humoristiques, d’apprécier ses livres non seulement par bribes, mais dans leur totalité. L’année qui a suivi la mort de celui-ci, Mme Simone Debout a publié un très important inédit, qui aurait fait sa joie, sous le titre : le Nouveau Monde amoureux, le tome le plus séduisant sans doute de la nouvelle édition de ses œuvres qu’elle a préfacée aux éditions Anthropos » (p. 8-9).
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