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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

114-116
Poétique
Article mis en ligne le 23 février 2010
dernière modification le 2 octobre 2016

par Barthes, Roland

Le système de Fourier repose sur un principe poétique (au sens désormais classique que Jakobson donne à ce motif, à savoir : l’extension syntagmatique [de termes paradigmati] d’un paradigme) : pour faire une [Phalange] Série, comme pour faire du sens, il faut à la fois des similitudes et des différences ; il faut associer les semblables et combiner les différents.

La fédération des semblables en une seule et même classe, la secte, répond à un principe d’économie : en s’associant pour satisfaire les mêmes intérêts, les mêmes besoins et (ajoute Fourier) les mêmes désirs, on dépense moins et on arrive à un meilleur résultat : principe qui n’a rien d’original : [« Dans les emplois de cuisine et de chauffage, l’Association épargnerait les 7/8 du bois que consomme le système actuel, le mode incohérent et morcelé qui règne dans nos ménages. » (III.12) : Les sectes [mot illisible] en groupant d’une part tous les amateurs de bergamotes et d’autre part tous les amateurs de beurrés, on donnera à leur goût les moyens, la force, les moyens de les satisfaire.]

La combinaison des différences implique que l’individuation de chaque terme est respectée : on n’essaye pas de redresser, de corriger, d’annuler un goût [quel qu’il soit (si « bizarre soit-il »)(*)] ; bien au contraire on l’affirme, on l’emphatise, on le reconnaît ou le légalise, on le renforce en associant tous ceux qui veulent le pratiquer : le goût ainsi corporé, on le laisse jouer en opposition avec d’autres goûts à la fois affinitaires (au niveau du genre) et différents (au niveau des espèces) : [le jeu d’opposition qui est très exactement] ; au sein d’une même Série (corps combiné de passions différentes) [les ama] la secte des amateurs de bergamotte coexistera avec celle des amateurs de beurré et un jeu (de compétition [voire d’intrigue, mais codée(*)]) s’établira entre les deux sectes, ajoutant à la satisfaction d’un goût simple (celui des poires) l’exercice des autres passions, celles là formelles, combinatoires (la cabalistique ou passions des intrigues, [et l’] l’engrenante et la variante, ou papillonne, s’il se trouve des Harmoniens qui prennent plaisir à passer de la bergamotte au beurré).

Le monde fouriériste est donc un discours poétique : on prend des unités [(des mots)], qui sont les goûts, les passions, inaltérables dans leur être, tout comme les mots, qui sont eux aussi suffisamment stables, individués, pour [être trans] exister [quasi intemporellement(*)] dans le dictionnaire ; ces unités sont [propres à être répétées] soumises à répétition (tout comme les signes) et à opposition (comme les termes d’un paradigme : bergamotte / beurré) ; ces [oppositions] paradigmes sont éténdus, actualisés simultanément dans un même [syn] espace, dans un même syntagme, qui est la série, tout comme deux mots rimés (semblables et [dive] cependant divergents par la racine) sont enchaînés dans la texture de la strophe : l’opposition (phénomène paradigmatique) est transformée en contraste (phénomène syntagmatique) ; [l’a] les agents de cette extension (de cette actualisation syntagmatique) sont des passions formelles [(l’engrenante, la cabaliste, la papillonne)(*)] qui construisent le discours comme des opérateurs de syntaxe (conjonctions) construisent la phrase ou des règles de versification construisent la strophe. A cette sémantique, il ne manque même pas la possibilité d’énoncer le degré complexe des oppositions (ce sont les sectes d’omnigenres  : [par exemple celle qui I. 298] : ceux, par exemple, qui aiment toutes les fleurs [associés de la sectine des mille fleurs(*)]), en leur degré zéro (ce sont les transitions, mixtes, neutres, passages, trivialités, ambigus ou crépuscules).

Il ressort de cette construction sémantique du monde que l’« association » n’est pas, aux yeux de Fourier, un principe « humaniste » : il ne s’agit pas [de mettre ensemble] de réunir tous ceux qui ont la même [passion] manie (les « co-maniens ») pour qu’ils se sentent bien ensemble et s’enchantent de se mirer narcissiquement les uns dans les autres ; il s’agit au contraire d’associer pour combiner, pour contraster. (*) Le but de l’Harmonie n’est pas de se protéger du conflit (en s’associant par similitudes) ni de le réduire (en sublimant, édulcorant ou normalisant les passions)[, ni de le transcender en « comprenant » l’autre(*)], mais [au contraire] de l’exploiter pour le plus grand plaisir de chacun et sans lésion pour aucun. Comment ? En le jouant  : en faisant du conflictuel un sens, un texte.

Sens (semblable)

Fourier I.7

(*)

Concret (démonstration de l’avantage de l’Association) :

« 300 familles de villageois associés, n’auraient qu’un seul grenier bien soigné au lieu de 300 greniers mal en ordre

qu’une seule cuverie…

qu’ils n’auraient dans divers cas, et surtout en été, que 3 ou 4 grands feux au lieu de 300

qu’ils n’enverraient à la ville qu’une seule laitière avec un tonneau de lait,

porté sur un char suspendu, ce qui épargnerait 100 demi-journées perdues par 100 laitières qui portent 100 brocs de lait. »