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Meynieu (née Coates), Mary
Article mis en ligne le 25 mai 2016
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 20 novembre 1798 à Bristol (Grande-Bretagne), décédée le 8 novembre 1876 à Paris, 8e arrondissement (Seine). Auteure de plusieurs ouvrages. Collaboratrice de La Phalange et de La Démocratie pacifique. Abonnée à La Science sociale.

Mary Coates s’installe en France vers 1830, après avoir épousé Bernard Meynieu, enseignant dans le secondaire à Bordeaux. Le mariage a lieu en Angleterre, dans la paroisse de Saint-Georges, à Bloomsbury (Londres), en mars 1829. Le couple change de domicile au gré des affectations du mari, devenu proviseur en 1830, d’abord à Saintes (jusqu’en 1834), puis à Dieppe (de 1835 à 1838) et enfin à Dunkerque (de 1839 à 1848). Bernard Meynieu a des « opinions avancées » qui, assure-t-il en novembre 1848, ont nui à sa carrière sous la Restauration et la monarchie de Juillet [1].

Des ouvrages sur les problèmes sociaux

Mary Meynieu se manifeste dès les années 1830 par la publication de plusieurs ouvrages, dont des Éléments d’économie politique, ouvrage d’initiation destiné aux futurs instituteurs formés dans les écoles normales primaires. L’avant-propos de ce livre témoigne à la fois de sa « sympathie pour les souffrances de la classe ouvrière » et de la distance qu’elle établit avec ceux

qui, désespérant d’un société dont l’organisation leur paraît radicalement vicieuse, trouvent tout simple d’en construire une autre sur des bases nouvelles ; - ou ils découpent la terre en parallélogrammes ; ou ils partagent les habitants en série : les uns se réfugient sur les bords de l’Illinois, les autres se retirent à Ménilmontant ; ils bâtissent des phalanstères, ou cherchent la femme libre. – Ce sont des poètes qui rêvent, des apôtres qui se dévouent.

Loin de ces « rêveurs », en qui l’on peut reconnaître Owen, Fourier et leurs disciples, ainsi que les saint-simoniens, Mary Meynieu se situe du côté de ceux qui

acceptant les hommes tels qu’ils sont, la société telle qu’elle est faite, s’efforcent d’analyser les éléments actuels du bien-être, d’indiquer la voie qui y conduit, de signaler les erreurs qui en éloignent. – Ce sont des philosophes qui observent et racontent, et c’est de leurs doctrines que je voudrais me rendre le modeste interprète auprès de ceux dont l’esprit est encore libre de préventions, dont le cœur est exempt de fiel.

Cependant, quelques années plus tard, Mary Meynieu a en partie changé d’opinion. En 1841, elle fait paraître Du Paupérisme anglais, un phénomène dont la France « sent déjà les premières atteintes » [2] . Elle y décrit les conditions de vie misérables d’une partie de la population anglaise et l’inefficacité des réponses apportées, qu’il s’agisse du développement de l’épargne, de la lutte contre l’alcoolisme, des encouragements au travail, ou encore de la charité et de la répression de la mendicité … Dans un chapitre intitulé « Réforme industrielle », elle analyse avec bienveillance les solutions proposées par « Fourrier [sic] », seul théoricien à bénéficier d’un tel examen de sa part :

Substituer la coopération à la compétition, – à la dure loi de la nécessité, l’attraction passionnée ; mettre à la place du travail isolé, opiniâtre, répugnant, les réunions en séances variées, courtes et graduées ; – détruire le conflit entre le travailleur, le capitaliste et le propriétaire en confondant leurs intérêts ; – accomplir, dans l’ordre matériel, des entreprises gigantesques à l’aide de l’association volontaire et du libre déploiement des forces individuelles ; faire cesser, dans l’économie domestique, le gaspillage de temps et d’argent, la misère et la mesquinerie du morcellement ; […] donner la liberté à l’enfance, sans subir sa tyrannie, accorder à la femme sa part entière d’action, sans chercher à effacer son caractère distinctif ; – favoriser chez l’individu le libre développement de toutes ses facultés, en remplaçant par l’élan, par le choix et la spontanéité la contrainte morale, la lutte et l’antagonisme : – tel est le but de la nouvelle école sociale. Admirable conception d’esprits purs, chaleureux et élevés, croyant au progrès, parce qu’ils croient au bonheur et à la vertu ; […] Conception qui sourit à l’imagination et soulage le cœur dans ces moments où l’organisation actuelle du travail apparaît sous un aspect trop révoltant, pour qu’on ne soit pas tenté de se réfugier dans l’idéal contre le hideux de la réalité, ou du moins de répondre en désespéré à celui qui demande, Que voulez-vous ? – Tout, hormis ce qui est [3].

Que n’expérimente-t-on les propositions fouriéristes sur le sol britannique ?

Quelques arpents de terre dans la malheureuse province d’Ulster, quelques centaines de paysans irlandais, quelques milliers de livres sterling pris sur la dîme, auraient suffi pour faire connaître la valeur du système, pour séparer l’or du minerai, en le faisant passer par le creuset de l’expérience ; et en vérité, quand même l’expérience aurait complètement échoué, elle n’aurait empiré la position ni de l’Homme, ni de la terre. Alors on aurait pu faire la part de l’enthousiaste, amoureux de l’œuvre, fille de son imagination, créée et embellie dans le silence et la solitude, et celle du philosophe qui a longuement médité une idée féconde [4].

Mary Meynieu est en effet très réservée sur plusieurs points de la doctrine sociétaire, qu’une expérience permettrait de valider ou de rejeter :

On aurait reconnu sans doute [grâce à un essai] qu’il faut tenir compte dans la pratique de mille obstacles qu’on dédaigne dans la théorie ; - qu’il est impossible d’établir des catégories assez nombreuses pour embrasser toutes les variétés de l’espèce ; - qu’il y a des fonctions utiles qu’il serait difficile de rendre attrayantes, d’autres qui seraient toujours trop recherchées ; - que, tout en excitant des institutions les influences corruptrices, on n’exclurait pas toujours les influences subversives qui naissent d’un esprit bizarre, incapable de raisonner, d’une passion excentrique incapable de se modérer ; - on aurait senti que l’intérêt bien entendu ne peut servir de règle qu’aux esprits calmes et réfléchis ; que pour la majorité, faible et impressionnable, il dégénère en intérêt personnel et immédiat ; - et l’on se serait convaincu, peut-être, qu’en fût-il autrement, l’Homme perdrait quelque chose de sa grandeur morale en restant étranger au sentiment du Devoir, aux douleurs de la lutte ; et, pour terminer cette digression par une remarque qui la rattache plus directement à notre sujet, on aurait vu que, quand même ce système tendrait à augmenter la puissance productive, il ne manquerait pas de faire croître dans une proportion effrayante le nombre de consommateurs. Si la certitude de voir ses enfants élevés par la charité suffit pour encourager des mariages imprudents, qu’arriverait-il lorsque ces enfants seraient admis, en naissant, au banquet qu’on ne prépare chez nous qu’aux privilégiés ? – Si l’on gaspille un fonds individuel, que serait-ce d’un fonds commun ? Vainement dira-t-on que tous ont un intérêt réel à la prospérité de la phalange ; chacun prend à la sienne propre un intérêt plus direct et veut apporter à la masse le moins qu’il peut pour en retirer le plus. [5]

La Grande-Bretagne, écrit-elle, est un « pays éminemment routinier », peu ouvert aux nouvelles idées et en particulier aux théories socialistes.

Dans un pays qui vit ainsi de traditions, les questions sociales ailleurs si vives et si brûlantes [sont] accueillies avec une froide indifférence ; et, pendant que les doctrines de Saint-Simon et de Fourrier [sic] avaient pour organes zélés et dévoués l’élite du talent parmi la jeunesse française, Owen, homme d’une portée fort inférieure sans doute à celle de l’inventeur du phalanstère, mais tout aussi convaincu que lui et disposant de ressources pécuniaires dont celui-ci était dépourvu, ne réunit sous sa bannière que des noms obscurs [6].

D’ailleurs, l’émigration et la colonisation constituent selon Mary Meynieu la véritable solution au paupérisme.

Collaboratrice des périodiques fouriéristes

La Phalange fait un long et élogieux compte rendu [7] de cette « courte et très remarquable brochure », dont elle reproduit même le chapitre sur « [l’]inefficacité des remèdes moraux » [8]. Selon le périodique fouriériste, « l’ouvrage de madame Meynieu est une éloquente dénonciation de ce mal », le paupérisme, et de la « crise imminente » qui menace l’Angleterre. L’auteur du compte rendu signale l’intérêt de Mary Meynieu pour la théorie sociétaire, répond à ses réserves, et doute que l’émigration vers les colonies puisse véritablement constituer une solution au paupérisme.

Mais pourquoi ce sentiment si vrai des misères actuelles ne lui-a-t-il point révélé la fausseté de nos rapports sociaux ? Pourquoi cette critique si animée est-elle suivie de conclusions si timides ? […]

Nous engageons donc madame Meynieu, qui, nous le savons, suit avec intérêt nos travaux, à se placer à notre point de vue pour juger la grande question du Paupérisme. On peut hardiment aujourd’hui se mettre à la suite du génie de Fourier. […] Que madame Meynieu examine de nouveau la Réforme industrielle comme remède au paupérisme, qu’elle se rende raison des objections qui s’étaient d’abord élevées dans son esprit, et elle ne tardera pas à concevoir que c’est uniquement par l’Organisation sociétaire que, non seulement le paupérisme, mais aussi tous les autres maux actuels pourront être radicalement expirés, et que l’Homme, cette créature « qui n’est qu’un peu au-dessous des anges », suivant la belle expression de l’auteur, pourra jouir de la plénitude de ses nobles facultés, et accomplir son heureuse destinée sur la terre.

A la fin de l’année 1841 au plus tard, Mary Meynieu est en relation directe avec la rédaction de La Phalange. Elle lui envoie plusieurs textes, publiés en 1842 et 1843 sous la forme de lettres, plutôt que d’articles. Abordant des thèmes très divers (la « littérature des ouvriers » ; le système scolaire et la liberté de l’enseignement ; les conséquences de la crise de l’industrie linière ; la biographie d’un musicien gallois), elle reprend la critique de la société développée par les fouriéristes, mais ne fait référence ni à Fourier, ni à la doctrine sociétaire. En 1843, l’École sociétaire se dote d’un quotidien, La Démocratie pacifique. Mary Meynieu n’apparaît dans la liste des rédacteurs qu’au premier semestre 1846.

Selon son mari, elle est au printemps 1848 une collaboratrice d’Hippolyte Carnot, ministre de l’Instruction publique [9]. Dans les mois qui suivent, Bernard Meynieu est en conflit avec la municipalité de Dunkerque, dont dépend le collège qu’il dirige, et avec les autorités académiques. Il est mis en disponibilité, d’abord en conservant son traitement, puis à partir de 1849 en n’en recevant qu’une partie. Il demande dès lors à être mis en retraite, en raison des infirmités dont il souffre. Le ministère refuse, en raison d’une durée d’activité insuffisante ; mais en 1859, après une procédure devant le Conseil d’État, B. Meynieu peut prendre sa retraite avec une pension. Les époux Meynieu demeurent alors à Paris. Mary Meinieu continue à publier différentes études, sur la religion, l’économie politique et sur le travail des femmes. En 1854, elle envoie une "cotisation" au Centre de l’École sociétaire. Elle s’intéresse à l’établissement envisagé d’une colonie au Texas.

J’ai lu avec intérêt la brochure Au Texas. Bien que le projet soit loin de répondre aux voeux des phalanstériens, je désire qu’il réussisse ; mais évidemment il est trop peu muri pour qu’on puisse répondre à la demande de concourir. [...] Si le capital indispensable était divisé en actions et en coupons d’actions, les personnes qui comme moi ne peuvent disposer que de très faibles sommes verraient ce qu’elles pourraient faire par elles-mêmes et par leurs amis ; mais il est impossible de répondre à un appel aussi vague que celui que vous faites par votre circulaire d’hier. Il y aurait du reste beaucoup d’objections à faire qui disparaîtraient cependant si j’étais en position de vous offrir autre chose que des économies de toilette, devant le vif désir que j’éprouve et que j’ai toujours éprouvé de témoigner aux disciples de Fourier une sincère sympathie

Elle ajoute cependant :

Des habitants des États-Unis qui m’inspirent une grande confiance s’étonnent de voir le nom de M. B. [Certainement Brisbane] accolé à celui si justement honoré de M. Considerant. Ai-je besoin de dire que je vous le dis tout à fait confidentiellement [10].

Mary Meunieu est abonnée à La Science sociale, à la fin du Second Empire [11]. Son mari décède en 1870. Elle ne semble plus entretenir de relations avec les fouriéristes dans les années 1870.

Aux lendemains de sa mort, l’économiste et homme politique Hippolyte Passy, dans une lettre adressée à la Société d’économie politique, lui rend un hommage appuyé :

À des facultés intellectuelles de la plus rare éminence, Mme Meynieu joignait une érudition à la fois variée et sûre. Outre les langues anciennes qu’elle savait aussi bien que les professeurs qui les enseignent avec le plus d’éclat, elle parlait et écrivait les langues modernes de manière à ce qu’il fût impossible de ne pas la croire du pays même dans l’idiome duquel elle s’exprimait. Rien de ce qu’elle a publié en français qui ne soit d’un style, d’une correction irréprochable, en même temps que d’une élégance toute française. L’allemand, l’espagnol, l’italien étaient parlés et écrits par elle avec la même facilité. […]

Mme Meynieu a été à la fois un puissant esprit et un grand et noble cœur. Rien ne lui coûtait toutes les fois qu’il s’agissait des intérêts de l’humanité ; elle voulait le bien, cherchait à le réaliser en toute chose, et si elle n’a pas donné à la science tout ce qu’il était en son pouvoir de le faire, c’est surtout parce que l’accomplissement des devoirs qu’elle se croyait envers ceux qui avaient besoin de ses lumières et de son appui absorbaient une très grande part du temps dont une santé délicate lui permettait de disposer [12].

Son décès n’est pas mentionné dans le Bulletin du mouvement social, l’organe fouriériste du moment.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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