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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Favaron, (Jean-) Louis
Article mis en ligne le 1er mai 2016

par Desmars, Bernard

Né le 7 septembre 1856, à Valentine (Haute-Garonne), décédé le 19 juin 1931 à Paris, 7e arrondissement (Seine). Coopérateur, président de la Chambre consultative de 1884 à 1906. Membre du comité de la statue de Fourier, puis celui de la statue de Considerant.

Louis Favaron appartient à une lignée de charpentiers. Son père, Noël Favaron, est à la tête d’une petite entreprise de charpente. Louis Favaron embrasse la même profession ; il fait partie des compagnons du Devoir, sous le nom de « Saint-Gaudens la clé des cœurs ». Vers l’âge de vingt ans, il est reçu à une loge maçonnique toulousaine très fréquentée par les artisans, « La Française des Arts », affiliée au Grand Orient de France.

« Le Napoléon de la charpente »

A 23 ans, il part travailler à Paris. En 1881, il participe à la formation de la société des

Louis Favaron (Panthéon de l’industrie, décembre 1903 - Gallica)

Ouvriers charpentiers de la Villette, une coopérative formée de compagnons [1]. Favaron en prend la direction à partir de 1883 avec un certain succès. Elle réalise des travaux remarqués pour les pavillons de l’Exposition du travail (1885) et ceux de l’Exposition universelle de Paris (1889). Il participe en 1884 à la création de la Chambre consultative des associations ouvrières de production, un organisme qui a pour objectif de fédérer et de soutenir les coopératives de production. Il en est élu président. En 1888, il se marie avec Julie Dugal, fille d’un charpentier parisien.

Cependant, en 1893, Favaron se retire de la société des Charpentiers de la Villette ; avec une vingtaine d’ouvriers, compagnons du Devoir comme lui, il fonde les Charpentiers de Paris, une coopérative qui, rapidement, bénéficie d’importantes commandes publiques, mais aussi de nombreux marchés privés grâce à la réputation obtenue auprès des architectes. Son activité, qui, au-delà de la charpente, concerne aussi la menuiserie, la serrurerie et différents travaux de construction, s’étend en province, puis à l’étranger (notamment aux Pays-Bas, en Russie, en Italie). Elle participe à la réalisation de plusieurs pavillons lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900 ; elle obtient plusieurs récompenses aux Expositions universelles de Saint-Louis (1905), Liège (1905), Milan (1906), Londres (1908). Louis Favaron, directeur de la société, bénéficie d’une très bonne réputation dans les milieux de la construction. Lauréat de la Société centrale des architectes français, il est admis au conseil d’administration de l’École d’architecture, dont il occupe un moment la vice-présidence. Il est régulièrement sollicité pour faire partie des commissions d’admissions et des jurys lors des Expositions.

En raison de ses succès et de son énergie, et probablement aussi de son caractère autoritaire, il est surnommé « le Napoléon de la charpente » [2]. Une fois placé par ses camarades à la tête de l’entreprise, il n’admet guère de contestation.

C’est très joli, le régime parlementaire, mais en matière d’industrie, c’est désastreux. Si j’ai mal géré vos intérêts, chassez-moi ; mais en attendant f…-moi la paix ! Que j’agisse à ma guise ! Que je sois libre ! Nulle entreprise humaine ne progresse que si elle a à sa tête une volonté unique et intelligente [3].

En 1905, un ouvrage fortement illustré est publié pour assurer la promotion de la Société des charpentiers. Dans un avant-propos, Pierre du Maroussem, professeur au Collège libre des sciences sociales et leplaysien, décrit le fonctionnement de l’entreprise coopérative, « un atelier à forme républicaine », une « entreprise démocratique républicaine » ; mais il ajoute aussitôt que se trouve à sa tête, non un directeur élu pour une durée déterminée, mais un « consul à vie », qui ne quitte son poste que si l’Assemblée des actionnaires le révoque [4].

La coopération, telle qu’elle est appliquée à la Société des Charpentiers, revêt une nette dimension corporative : pour être sociétaire et détenir des parts de l’entreprise, il faut être charpentier. Les autres ouvriers – la coopérative emploie notamment des menuisiers et des serruriers – font partie des « auxiliaires », parmi lesquels on trouve aussi des charpentiers non sociétaires. Cependant, tous les membres du personnel – ils sont environ 300 au début du XXe siècle – reçoivent une part égale aux bénéfices de l’entreprise. Pierre du Maroussem résume ainsi le fonctionnement de l’entreprise :

Le commandement à un seul, le contrôle et la responsabilité à un groupe d’élite [les sociétaires], le partage des bénéfices à tous [5].

Responsabilités coopératives, fonctions publiques et relations fouriéristes

Sa position à la tête de la Chambre consultative le conduit vers d’autres fonctions au sein du monde coopératif : il est l’un des administrateurs de la Banque coopérative, fondée en 1893 ; il préside le conseil d’administration de l’Orphelinat de la coopération. Ces responsabilités coopératives et son activité professionnelle l’introduisent dans différentes commissions et institutions, où il côtoie des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’entreprise et des représentants syndicaux et associatifs : il siège au Conseil supérieur du travail (de 1895 à 1899) et au Conseil supérieur des habitations à bon marché (de 1895 à 1900). Après avoir été le secrétaire du comité d’organisation du Congrès international pour l’éducation sociale en 1900, il fait partie de la Société d’éducation sociale, présidée par Léon Bourgeois, et administrée notamment par les coopérateurs Auguste Manoury et Edmond Briat. Ses succès professionnels et ses responsabilités coopératives lui valent d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1895, puis d’être promu officier en 1900.

Le rapprochement entre la Chambre consultative et les derniers partisans du fouriérisme s’opère dans la seconde moitié des années 1890, grâce principalement à Henry Buisson, à l’occasion de la réalisation de la statue de Fourier. Favaron fait partie du comité qui, en mars 1898, examine la maquette de l’œuvre dans l’atelier du sculpteur Emile Derré [6]. Il est également un des signataires, avec Henry Buisson et Alexandre Vila, du côté des coopérateurs, Adolphe Alhaiza, Etienne Barat, Jules Delbruck, Jean-Baptiste Noirot et Textor de Ravisi, du côté des phalanstériens, du texte invitant les personnalités et le public à l’inauguration du monument, le 4 juin 1899 [7].

En 1901, il fait partie, en tant que représentant de la Chambre consultative, du comité de la statue de Victor Considerant, élevée à Salins (Jura) [8]. Dans les années 1901-1904, l’École Sociétaire Expérimentale recherche un domaine sur lequel elle pourrait procéder à un essai phalanstérien. « M. Favaron dont les nombreuses relations s’étendent aussi en province » participe à ces recherches, d’après Raymond-Duval, l’un des dirigeants du groupe fouriériste [9].

Pourtant, alors qu’Henry Buisson, Alexandre Vila ou, avec davantage d’hésitations, Raphaël Barré semblent véritablement adhérer au projet phalanstérien, cela n’est visiblement pas le cas de Louis Favaron. D’ailleurs, dès son départ en 1906 de la présidence de la Chambre consultative – il en devient président honoraire –, il cesse de participer aux manifestations fouriéristes.

Coopération, compagnonnage et syndicalisme

Dans les années 1920, il est toujours le directeur de l’association des Charpentiers de Paris qui exécute d’importants travaux à l’Exposition des arts décoratifs en 1925 (Paris), notamment aux pavillons de la Ville de Paris, de l’Espagne, de l’URSS, etc. Nommé commandeur de la Légion d’honneur en 1926, Favaron est aussi titulaire de plusieurs décorations étrangères (il est commandeur de la Couronne royale d’Italie et officier du Nichar Iftikhar, un ordre tunisien). Il est également officier du mérite agricole et détenteur de la médaille d’or de la Mutualité [10].

Invité à présenter ses activités devant les leplaysiens de la Société d’économie sociale, il exprime son attachement au compagnonnage (la majorité des ouvriers de la Société des Charpentiers sont compagnons du Devoir, dit-il) et sa défiance envers « les syndicats, ennemis du compagnonnage » [11].

De son côté, la CGTU dénonce régulièrement dans L’Humanité le comportement de la direction de la Société des Charpentiers de Paris ; ceux qui

auraient encore des illusions sur la bonne foi de la coopérative […] peuvent déchanter, car la philanthropie de ses dirigeants ne va pas jusqu’à verser des bénéfices aux ouvriers ne courbant pas l’échine [12].

En 1926, le même journal accuse Favaron d’avoir licencié une vingtaine de charpentiers ayant participé à une réunion syndicale [13]. L’année suivante, le quotidien communiste rapporte que le « camarade Bonieux », en train de distribuer des tracts à la sortie de « la maison Favaron », a été « pris à partie par le directeur » qui lui a arraché les tracts, puis l’a menacé et insulté. L’Humanité appelle « tous les travailleurs de la maison Favaron » à se réunir afin de « protester contre cette attitude inqualifiable et donner une leçon à cet apprenti fasciste » [14].

Des ouvriers sont congédiés en 1928 pour avoir fait la grève le 1er mai [15]. En 1930, une partie des travailleurs de « cette Société soi-disant ouvrière » lancent un mouvement de lutte et revendiquent une augmentation salariale [16]. Favaron reste directeur de la Société des charpentiers jusqu’à son décès. Son gendre René Marchand reprend la direction de l’entreprise.