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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Vila, Alexandre (Manuel Raymond)
Article mis en ligne le 1er mai 2016

par Desmars, Bernard

Né à Barcelone (Espagne) en 1850. Décédé le 19 juin 1906 à Paris, 14e arrondissement (Seine). Coopérateur. Secrétaire de la Chambre consultative des associations ouvrières de production. Participe aux manifestations fouriéristes au début du XXe siècle.

Alexandre Vila naît à Barcelone, de parents français, originaires de Perpignan. Il est encore un enfant quand il découvre Paris. De l’âge de 13 ans jusqu’à environ 30 ans, il est successivement ouvrier, employé et représentant en papeterie. A partir de 1879, il occupe un emploi de comptable.

Alexandre Vila (L’Association ouvrière, 25 juin 1906 - Coll. CEDIAS-Musée social)
Coll. CEDIAS-Musée social

Un dirigeant de la coopération de production

En 1885, il est nommé secrétaire-adjoint de la Chambre consultative des associations ouvrières de production, créée l’année précédente. Sa promotion au poste de seul secrétaire en 1889 ne fait que traduire le fait qu’il assume l’essentiel de la tâche depuis son entrée dans cet organisme coopératif [1]. Puis, quand la Chambre se dote d’un périodique, en 1893, L’Association, il en est le gérant. Il fait partie de comités d’admission et de jurys lors de plusieurs expositions (Exposition du travail en 1891 ; Expositions universelles de Paris en 1900, de Saint-Louis en 1904, de Liège en 1905 et de Milan en 1906). Son activité lors de ses manifestations lui vaut plusieurs « médailles de collaborateur » (Bordeaux, 1895 ; Bruxelles, 1897 ; Paris, 1900).

Au secrétariat général de la Chambre consultative, il contribue très activement à l’essor et à l’organisation de la coopération de production. Il joue notamment un rôle très important lors du Congrès des associations ouvrières de production de France, à la fois comme organisateur et comme orateur [2].

Son activité de propagande le conduit à parcourir la France afin d’y « porter la doctrine coopérative » [3].

Il avait pour principe de se mettre tout d’abord en relation avec les syndicats ouvriers et, quand il arrivait dans une ville, sa première visite était pour le secrétaire de la Bourse du travail ; la seconde était pour le représentant de la République, préfet ou sous-préfet à qui il allait rappeler avec fermeté que le devoir républicain est de favoriser les efforts des travailleurs qui veulent par l’Association, essayer de s’affranchir et de conquérir le bien-être avec la liberté.

Au siège de la Chambre consultative, il reçoit beaucoup et prodigue ses conseils à ceux qui envisagent de former une coopérative.

Avec sa grande expérience et sa netteté d’esprit, il leur indiquait sans détours inutiles ce qu’ils devaient faire ; il les amenait, un peu rudement parfois, mais avec la franchise d’un chirurgien qui veut couper le mal dans la racine, à reconnaître que certaines utopies généreuses sont pour le moment inapplicables dans ces organisations industrielles et commerciales que sont nécessairement les associations ouvrières.

Ceux qu’il convainc de constituer une coopérative reçoivent ensuite son aide, pour remplir les formalités et s’établir dans de bonnes conditions.

Enfin,

On le voyait ensuite courir dans les administrations et les ministères, à l’hôtel de ville, chez les députés et chez les conseillers municipaux pour faire valoir les revendications de ses chères Associations et il n’avait de cesse qu’on ne leur ait rendu justice.

Vila contribue non seulement à l’organisation du secteur coopératif, mais aussi à l’évolution idéologique de la Chambre consultative ; il participe à « une certaine transition entre une orientation républicaine solidariste vers une orientation plus socialisante » [4].

Si la Chambre consultative accapare une grande partie de son temps, il assure également un enseignement au Collège libre des sciences sociales. Il participe encore aux activités de nombreuses associations ; il contribue à fonder dans les années 1870 et 1880 plusieurs mutuelles ; franc-maçon, il est le secrétaire de la loge l’Éducation coopérative fondée par Auguste Manoury) ; il est membre de la Société républicaine des conférences populaires, du Syndicat de la presse française périodique, de la Chambre syndicale des employés de commerce, de la section des Associations ouvrières de production au Musée social, du Comité de statistique de l’Alliance coopérative internationale, de l’Union protectrice des jeunes travailleurs des deux sexes et de la Caisse des écoles du 3e arrondissement…

De la statue de Fourier aux « Pionniers sociétaires »

Comme pour d’autres dirigeants de la Chambre consultative, son rapprochement avec le mouvement phalanstérien déclinant date de la seconde moitié des années 1890, à l’occasion de la réalisation de la statue de Fourier. Les responsables de la coopération de production – parmi lesquels, outre Vila, Henry Buisson et Raphaël Barré – apportent leur contribution à partir de 1896-1897 pour mener à bien l’opération ; Vila verse lui-même 10 francs et fait partie du comité qui se rend dans l’atelier du sculpteur Émile Derré en mars 1898 pour examiner la maquette de l’œuvre [5] Il est l’un de ceux qui sont chargés d’organiser l’inauguration de la statue de Fourier, le 4 juin 1899, boulevard de Clichy ; « il a apporté dans cette laborieuse fonction un zèle et une activité qui ont assuré le succès de cette belle fête », soulignent ses amis de l’Union phalanstérienne [6]. Son nom figure, avec ceux d’Henry Buisson et de Louis Favaron, pour la Chambre consultative, d’Adolphe Alhaiza, Etienne Barat, de Jules Delbruck, de Jean-Baptiste Noirot et de Textor de Ravisi, pour les fouriéristes, au bas du texte invitant le public à participer à l’inauguration officielle du monument, le 4 juin 1899 [7].

Ces relations se prolongent au-delà de cette manifestation. Elles résistent à la division des fouriéristes entre l’École sociétaire dirigée par Adolphe Alhaiza, xénophobe et antisémite, d’une part, et l’Union phalanstérienne et l’École Sociétaire Expérimentale, d’autre part. Vila, et ses amis coopérateurs, s’allient aux seconds qui, la plupart du temps dépourvus de moyens de publicité propres après 1900, peuvent s’exprimer dans L’Association ouvrière. Il est l’un des convives du banquet fouriériste organisé en avril 1897, pour l’anniversaire de la naissance de Fourier, aux côtés d’Étienne Barat, d’Eugène Ledrain et d’Albert Gauttard [8]. Il s’associe en juin 1901 à plusieurs militants phalanstériens, et en particulier à Jean-Baptiste Noirot, pour fêter la parution de Travail, un roman de Zola d’inspiration fouriériste [9]. La même année, les initiateurs du projet de statue de Victor Considerant, à Salins, le font entrer dans leur comité. En 1902, il assiste avec ses amis de l’Union phalanstérienne aux obsèques de Marie-Louise Gagneur, « amie des associations ouvrières », puis à celles d’Emile Zola [10]. Il continue à fréquenter les banquets de l’Union phalanstérienne et de l’École Sociétaire Expérimentale au début du XXe siècle [11]. En 1905, il participe avec les coopérateurs (Raphaël Barré, Auguste Manoury à cette manifestation présidée par Jenny Fumet, en présence d’Auguste Kleine [12].

Pour beaucoup de coopérateurs, il s’agit, en accueillant les phalanstériens dans les colonnes de L’Association ouvrière et en participant à leurs banquets, de rendre hommage à Fourier, précurseur de la coopération. Dans le cas de Vila, son engagement semble aller plus loin. En 1903-1904, il fait partie des « Pionniers sociétaires » qui, autour de Raymond-Duval, achètent une propriété au Vaumain (Oise) afin d’y installer une communauté phalanstérienne. Quelques-uns des « pionniers » séjournent sur le domaine – Vila, retenu à Paris par ses activités n’en fait très sans doute pas partie – avant de se disperser vraisemblablement au cours de l’hiver 1904-1905.

Mémoire

Revenant d’une tournée de propagande coopérative dans les villes de Nantes, Angers et Tours, Il est victime d’une congestion pulmonaire. Le député Paul Doumer, proche des milieux coopératifs, Arthur Fontaine, directeur du Travail au ministère du Commerce, de l’Industrie et du Travail, assistent à ses obsèques, ainsi que le coopérateur et syndicaliste Edmond Briat, futur secrétaire de la Chambre consultative, Auguste Keufer, de la CGT, « et près de deux mille membres des Associations ouvrières parisiennes, ainsi que des délégués de Limoges, de Morlaix, de Beauvais, de Méru, etc. » [13]. Favaron, au nom de la Chambre consultative, fait l’éloge du défunt, « un artisan du Progrès social et de l’Émancipation ouvrière » [14].

L’Association ouvrière reproduit une lettre du phalanstérien Eugène Verrier, qui souligne l’activité de Vila au service de la coopération, « la cheville ouvrière des Associations » [15].

Dès les lendemains de son décès, des voix s’élèvent afin de « perpétuer sa mémoire par l’érection d’un monument […] qui consacrera l’image de ses traits et popularisera sa physionomie, faite de bonté, de dévouement et de solidarité » [16] ; une souscription est ouverte [17]. L’Association ouvrière, dans chacun de ses numéros, signale les versements effectués ; mais fin décembre 1906, moins de 1500 francs ont été collectés [18]. Le conseil d’administration de la Chambre consultative décide de suspendre la souscription [19].