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Miguel Abensour, Utopiques I. Le Procès des maîtres rêveurs, avec une préface de Louis Janover, Paris, Sens&tonka, 2013
Article mis en ligne le 1er février 2016

par Andro, Denis

Comme d’autres ouvrages de Miguel Abensour (ainsi l’important Pour une philosophie politique critique, paru au même éditeur en 2009), il s’agit d’un recueil de textes (lui-même déjà paru en 2000, mais ici enrichi) consacrés à l’utopie, précédemment présentés dans différentes revues. On trouve ainsi un article de 1978 de la revue Libre contre les fossoyeurs post- (et anti-) soixante-huitards de l’utopie l’associant à la matrice du totalitarisme ou à une variante de despotisme, reprenant peu ou prou des schèmes idéologiques déjà développés par Sudre (Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes, 1848). On trouve surtout, pour ce qui nous concerne, des textes sur Pierre Leroux, parus en 1972 dans les Etudes de marxologie – revue de l’éditeur des œuvres de Marx à la Pléiade, le conseilliste Maximilien Rubel –, ou dans le Cahier du Collège international de philosophie en 1985. Ces rappels de dates illustrent, en même temps que les positions (anti-staliniennes, à certains égards libertaires) de l’auteur depuis toujours, combien le propos de Miguel Abensour est placé sous le signe de la fidélité à un engagement de la pensée philosophique non comme simple « connaissance », mais comme pensée de l’émancipation. En cela il est proche de l’Ecole de Francfort et de la Théorie critique (Max Horkheimer, Theodor W. Adorno...) dont il a été l’un des passeurs en France avec la collection « Critique de la politique » qu’il a animée chez Payot depuis 1974 (à présent Payot/Rivages). Comme l’anthropologue des « sociétés contre l’Etat » Pierre Clastres, dont il rend la pensée encore présente (par des colloques, des éditions) alors qu’elle est souvent tue par l’Université, Abensour ne cesse de remettre sur la trame la question de La Boétie : « pourquoi la majorité des dominés ne se révolte-t-elle pas ? » (phrase qui figure dans le Manifeste de la collection « Critique de la politique »). Venons-en à ces articles. « Pierre Leroux et l’utopie socialiste » (1972) est une présentation, dans son contexte philosophique (Réfutation de l’éclectisme, 1839), et plus généralement intellectuel et politique, de l’auteur d’une longue « lettre au docteur Deville » elle-même publiée in extenso : « Je suis venu au monde après Saint-Simon, après Owen, après Fourier […] Je suis le Quatrième Socialiste ; et […] ai réuni les trois rayons or, bleu, rouge, de Saint-Simon, d’Owen, et de Fourier, et formé de leur faisceau le rayon blanc, l’unité dans la triplicité ». Miguel Abensour souligne à ce propos la critique de l’épigonisme auquel se livre Leroux : pour l’auteur des « Lettres sur le fouriérisme » (1846), l’élan utopique s’est surtout poursuivi en-dehors des sectes de disciples, ou contre elles. Ainsi pour les fouriéristes, selon Abensour, lecteur de Leroux (mais aussi de Karl Korsch à propos d’une autre tradition, le marxisme sclérosé) à côté d’une « aile ascendante », autour de Considerant, figurerait « l’aile descendante » des « fouriéristes hérétiques, anti-institutionnels : Proudhon, Déjacque, Coeurderoy, Lefrançais ». Le dernier article de ce recueil, « L’Affaire Schelling », est paru en 1991 dans Corpus, Victor Cousin. Elle éclaire un moment singulier de la scène philosophique et du contexte du premier socialisme – entre France et Allemagne, quand le vieux Schelling est remis en selle par l’Etat prussien comme « antidote » à l’hégélianisme au grand dam des hégéliens toutes générations confondues, mais avec l’approbation de Pierre Leroux. Celui-ci publie en effet le discours inaugural du 15 novembre 1841 de Schelling – dans la salle se côtoyaient étrangement Engels, Bakounine ou Kierkegaard – dans la Revue indépendante en avril 1842. Leroux reçoit deux réponses : l’une d’un anonyme présenté comme provenant du « parti philosophique » allemand, citée dans la Revue indépendante, mais aussi deux lettres de l’hégélien de gauche Alexandre Weil parues dans La Phalange, respectivement les 22 avril et 4 mai 1842. Miguel Abensour prend soin de publier in extenso cette correspondance ; il en fait une analyse brillante en interrogeant la pensée de Leroux, tout en ouvrant sur un nouvel acteur : une lettre de Marx du 3 octobre 1843 qui évoque lui-même la dispute à plusieurs voix de part et d’autre du Rhin, et gratifie l’inventeur du mot « socialisme » du qualificatif « […] le génial Leroux […] ». Revenons rapidement à l’article publié dans le Cahier du Collège de philosophie, « Philosophie politique et socialisme. Pierre Leroux ou du ‘style barbare’ en philosophie ». En réaction à une époque où la philosophie se constitue (y compris professionnellement) à l’ombre de l’Etat avec Victor Cousin ou Hegel, l’éclectisme du premier se caractérisant comme une « pensée de la fragmentation », abstraite et élitiste, Leroux introduit une autre philosophie, incarnée et sensible, en sympathie avec l’univers qui l’entoure et dont il participe : Leroux est ainsi pensé par Miguel Abensour comme philosophe qui « […] introduit dans le texte noble de la philosophie le corps ‘ignoble’ de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre et qui fait de l’Association la question constitutive de la modernité ».


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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