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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Fleury, Jean (François Bonaventure)
Article mis en ligne le 19 avril 2015
dernière modification le 18 avril 2015

par Desmars, Bernard

Né le 14 février 1816 à Vasteville (Manche), décédé le 17 août 1894 à Gréville (aujourd’hui Gréville-Hague, Manche). Rédacteur au Journal de Cherbourg, puis dans divers organes parisiens dont La Démocratie pacifique. Professeur de français dans différents établissements universitaires de Saint-Pétersbourg. Auteur d’ouvrages sur la littérature française, sur les traditions et le patois normands.

Jean Fleury naît dans un milieu modeste ; lors de sa naissance, son père est laboureur et signe l’acte d’état civil de façon malhabile, ainsi que les deux témoins, également laboureurs. Grâce à une bourse, Jean Fleury fait des études au collège de Cherbourg. En janvier 1838, il prend le poste de rédacteur du Journal de Cherbourg ; avec son arrivée, cet hebdomadaire dominical, qui se présentait jusqu’alors comme un organe exclusivement « commercial, maritime, judiciaire,

agricole et littéraire », devient aussi « politique » ; il appartient « à la fraction la plus avancée, celle qui veut le progrès et le bonheur de l’humanité » [1] ; il se situe donc dans l’opposition à l’orientation conservatrice de la monarchie de Juillet, autour de 1840. A partir de janvier 1839, ce périodique passe à un rythme bi-hebdomadaire et paraît le jeudi et le dimanche. Parallèlement, Fleury co-écrit un guide de Cherbourg et mène des travaux sur les traditions populaires locales.

Rédacteur à La Démocratie pacifique

En 1841, il quitte Cherbourg pour s’installer à Paris, où naît sa fille Alice l’année suivante, le mariage avec la mère – Justine Louise Brémont, la fille d’un tonnelier de Cherbourg – n’intervenant qu’en 1843 ; parmi les témoins du mariage figure le peintre Jean-François Millet. Il collabore à divers organes de presse, dont, à partir de 1844, La Démocratie pacifique, jeune périodique fondé l’année précédente. En 1847, il reçoit 3 000 francs pour son travail à La Démocratie pacifique, qui semble alors constituer sa principale activité [2]. Il joue probablement un rôle très important dans la rédaction du quotidien, pour laquelle il écrit de nombreux articles, notamment des comptes rendus bibliographiques dans la rubrique « Variétés » et des chroniques théâtrales et artistiques dans le « Feuilleton ». Ses textes plaisent aux lecteurs, signale Victor Hennequin lors de l’une de ses tournées en province :

La collaboration de Fleury est appréciée par les Dijonnais qui m’ont dit du bien de ses articles. Il a le goût du théâtre et fait spirituellement les feuilletons [3].

Il est cependant difficile d’apprécier le degré d’engagement de Fleury au sein de l’École sociétaire. Il n’apparaît pas parmi les orateurs des banquets phalanstériens, ne prononce pas de conférences de propagande et ne publie pas de brochure théorique. Sans doute, sa longue collaboration à La Démocratie pacifique, qui continue même après deux interruptions de la parution du périodique, en 1849 et 1850, suggère-t-elle au moins une sympathie pour la cause fouriériste, de même que le compte rendu qu’il fait de l’ouvrage du fouriériste Paul de Boureulle, Francœur et Giroflet  :

Ce petit livre est […] une introduction complète à la science sociale. La science s’y dépouille de son austère gravité et se fait accessible à tous. Les questions de finances surtout apparaissent dans la conversation peu académique des deux interlocuteurs, dépouillées de leur aridité ordinaire et présentées sous une forme tout à fait attrayante. Enfin l’intérêt y est si bien ménagé, les caractères des deux amis sont tellement sympathiques dans leur vulgaire sans-façon, qu’il est impossible de ne pas achever ce petit roman quand on en commence la lecture. Francoeur et Giroflet est un très profitable livre élémentaire à l’usage des petits commerçants, des agriculteurs et de ces classes ouvrières que la révolution de Février a appelées à la vie politique [4].

Fleury apporte aussi sa collaboration au Journal de la mère et de l’enfant. Revue de l’éducation nouvelle, dirigé par le fouriériste Jules Delbruck, et à l’Encyclopédie du dix-neuvième siècle, d’Ange de Saint-Priest ; il est l’auteur de très nombreuses notices, concernant principalement la littérature (notices sur des auteurs, comme Corneille, Goethe, ainsi que sur des genres et des formes littéraires, comme Élégie, Épode, Poésie), mais aussi la musique (Gossec, Haydn, fugue, gamme), le théâtre (Mlle Mars), la franc-maçonnerie, la langue française, etc.

Fleury rédige également l’article « Fourier (Charles) », « l’un des principaux réformateurs socialistes du XIXe siècle ». Après quelques lignes sur la vie de Fourier, il présente le système phalanstérien avec beaucoup de simplifications :

[Fourier] imagina un plan d’organisation sociale qui ferait du commerce d’approvisionnement une fonction communale et supprimerait la fraude. Il imagina ensuite d’appliquer à la production ce qu’il n’avait d’abord rêvé que pour la consommation, et partant de cette idée que l’homme est essentiellement bon, il cordonna un système d’association dans lequel toutes les activités humaines seraient utilisées pour le bien général. Dans cette société plus de guerres, parce qu’on n’aurait plus de motifs de luttes entre nations ; plus de crimes, parce que l’on n’aurait plus d’intérêt à en commettre ; plus de contrainte, parce que l’attrait du plaisir et de l’émulation suffirait pour exciter au travail ; peu de maladies, parce qu’une vie plus active dans laquelle les travaux manuels pourraient alterner avec les travaux intellectuels affermirait la constitution, parce que de grands travaux d’assainissement, de reboisement, d’irrigation, seraient entrepris à la fois sur tous les points où ils deviendraient nécessaires, et aussi parce que les médecins préposés à la salubrité de la commune recevraient une rétribution qui augmenterait en raison inverse du nombre de maladies.

Fleury écarte les « idées accessoires qu’il est tout à fait inutile d’exposer » – il s’agit sans doute des textes de Fourier sur les communications astrales, les « antilions » et les « antibaleines » et le « nouveau monde amoureux », textes que les disciples eux-mêmes se gardent bien de mettre en avant. Il ne prend pas parti sur le fond et ne manifeste ni adhésion, ni répulsion envers le projet phalanstérien. Ses critiques sont surtout réservées à la façon dont Fourier, « très mauvais expositeur », a présenté la théorie sociétaire.

Ses œuvres choisies, qui se composent de sept volumes in-8e très compactes, ne contiennent pas dans leur ensemble un exposé complet et régulier de son idée. Ce ne sont que des préfaces remplies de répétitions fastidieuses, d’assertions sans preuves, de passages vulgaires, entremêlées d’observations profondes et délicates, de pages d’un grandiose que rien ne dépasse. Son plan d’organisation communale y est d’ailleurs embarrassé de conjectures étranges sur la cosmogonie, et de tableaux cyniques des coutumes amoureuses qui pourraient s’organiser à la seconde ou à la troisième génération quand son système d’harmonie universelle serait réalisé. Ces étrangetés, ces nudités auxquelles Fourier avait la faiblesse de tenir autant et plus peut-être qu’à ses idées pratiques, ont singulièrement compromis son plan d’organisation [5].

Professeur en Russie

Après la fin de La Démocratie pacifique, Fleury s’éloigne de l’École sociétaire, même si son nom figure dans un répertoire d’adresses établi par la direction du

Buste de Jean Fleury placé à la mairie de Gréville-Hague (Manche) - (Photographie de Michaël Tardif)
Michael Tardif

mouvement à la fin des années 1850 et dans les années 1860 [6]. Il part en Russie avec sa fille, tandis que son épouse reste à Paris où elle exerce la profession de sage-femme (elle décède en 1868). A partir de 1858, il enseigne la langue et la littérature françaises dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur à Saint-Pétersbourg : école de droit, faculté des lettres, instituts, etc. Il publie en Russie et à destination de lecteurs russes plusieurs ouvrages pédagogiques concernant la langue et la littérature françaises. Il rédige également des livres édités en France pour un public français : Histoire élémentaire de la littérature française, Rabelais et ses œuvres, Marivaux et le marivaudage. Il fournit à des périodiques russes des analyses de livres publiés en France et de pièces de théâtre jouées à Saint-Pétersbourg en français et en italien. Il est également correspondant du Figaro, de la Revue internationale et de la Revue universelle [7].

Il se remarie en 1875 à Saint-Pétersbourg avec Henriette Alexandrine Léger, de Gréville (Manche). Il continue à s’intéresser à la culture de sa région natale et publie en 1883 un ouvrage sur la littérature orale de la Basse-Normandie. Il est aussi l’auteur d’articles sur la linguistique, la grammaire et les arts parus dans des périodiques français, suisses et italiens. Il est membre de sociétés savantes françaises, anglaises et russes.

Déjà décoré de divers ordres russes (il est commandeur des ordres de Saint-Stanislas et de Sainte-Anne [8]) et français (il est officier d’académie), il reçoit en 1891 la Légion d’honneur. En 1894, lors d’un séjour en France, il décède à Gréville (Manche), au domicile de son épouse, elle-même professeur à Saint-Pétersbourg. Un sonnet, dont il est l’auteur, est gravé sur sa pierre tombale, au

Tombe de Jean Fleury au cimetière de Gréville-Hague (Manche) - (Photographie de Raymond Theiss)

cimetière de Gréville. Sa fille Alice est l’auteure de nombreuses œuvres littéraires sous le pseudonyme d’Henry Gréville. Elle fait réaliser par le sculpteur Alphonse Marcel-Jacques un buste de son père qui a été placé en 2014 dans une salle de mairie de Gréville-Hague.