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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

104-105
André GORZ : Misère du présent, richesse du possible

Paris, Galilée, 1997

Article mis en ligne le décembre 1997
dernière modification le 21 mars 2006

par Ucciani, Louis

Si, face à une crise du monde et de la pensée, la philosophie fait retour aux textes de l’utopie et interroge les pistes non retenues par l’histoire, d’autres tentent, de là où ils sont, de tracer, à partir d’aujourd’hui, des constructions qui pourraient être perçues comme les formes de l’utopie que le présent tisse. Le livre de Gorz retrouve en ce sens la veine créatrice de l’utopie et fait à sa façon office, pour aujourd’hui de Saint-Simon, de Fourier ou de Proudhon. Le point de départ de son travail dénote d’une lecture à la Fourier du monde tel qu’il est. Là où celui-ci envisageait le vaste monde du multiple sous la croûte de la misère, Gorz voit sous cette même misère galopante les traces de son possible dépassement : « il faut apprendre à discerner les chances non réalisées qui sommeillent dans les replis du présent. Il faut vouloir s’emparer de ces chances, s’emparer de ce qui change. Il faut oser rompre avec cette société qui meurt et qui ne renaîtra plus » [1]. Le livre est alors un panorama de ce monde qui s’éteint, de celui de la misère qui s’installe. Mais dans les failles où ce qui s’éteint n’est pas encore ce qui advient, germent les possibles détours, les possibles redéfinitions, qui ouvrent portes de sortie. Ce qui est condamné c’est le travail, ce qui est advenant c’est le travail. Dans la suite de Rifkin [2], Gorz voit disparaître le « travail spécifique propre au capitalisme industriel » et note l’irréversibilité du processus. La voie n’est pas dans la jérémiade mais bien plutôt dans l’exode : « il faut oser vouloir l’Exode de la "société du travail" : elle n’existe plus et ne reviendra pas ». Pas de pleurs, le monde qui s’éteint n’en mérite point : « il faut vouloir la mort de cette société qui agonise afin qu’une autre puisse naître sur ses décombres ». Le propos est de décrypter sous ce qui meurt ce qui pourrait germer. Se dessinent alors les contours d’un autre rapport au monde qui pourrait prendre aspect dans la très fouriériste Allocation universelle [149] ou les Cercles de coopération (« à la fois solution d’urgence et nouvelle subjectivité, Exode produisant des socialités nouvelles, soustraites au pouvoir de l’État et de l’argent, les systèmes d’échanges locaux (SELs) présentent un des meilleurs exemples d’expérimentation sociale à grande échelle » [165]). Si la volonté de tous est sollicitée, afin de lever la peur, si l’avenir est réappropriable par l’individu, manque dans cette utopie, la distance ironique, la part imaginaire et ludique, la dimension du plaisir qu’avait su insuffler Fourier. Pour oser il faut savoir rêver, or ce que tue le monde qui meurt c’est le rêve et l’imagination. Et comme un pied de nez l’approche de Ricœur ne semble plus si étrangère que ça à ce qui se discute dans l’utopie.