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VIDAL Laurent : Ils ont rêvé d’un autre monde

Paris, Flammarion, collection "Au fil de l’histoire", 2014, 393 p.

Article mis en ligne le 12 janvier 2015

par Cordillot, Michel

Assurément moins connue que les tentatives menées à Condé-sur-Vesgre, Cîteaux, ou encore Réunion (au Texas), la tentative de fonder un phalanstère au Brésil, à laquelle furent associées plusieurs grandes figures du fouriérisme français (surtout lyonnais en l’occurrence) attendait encore de trouver son historien en France. Oubli, distance, rareté des sources, nécessité de maîtriser la langue portugaise, autant de difficultés qui expliquaient sans doute cet état des choses ; tout comme le fait que cette tentative étant au départ née dans les milieux fouriéristes dissidents autour du journal Le Nouveau Monde, elle avait largement été passée sous silence par l’École sociétaire elle-même. Mais voilà cette injustice historique maintenant réparée.

Ce ne fut pourtant pas une mince affaire que cette tentative de réalisation, puisqu’à partir de 1841, quelque cinq cents disciples fouriéristes décidèrent de tenter l’aventure avec leur famille sous l’égide de l’Union industrielle fondée à Lyon, notamment par Michel Derrion (l’homme du Commerce véridique) et le canut Joseph Reynier. Enfin du moins le croyaient-ils, car dans le même temps Benoît Mure, praticien homéopathe et disciple de Hænemann, déjà sur place, avait passé en son nom propre et en tant qu’entrepreneur avec l’empereur du Brésil un contrat pour un projet de colonisation, afin d’obtenir une concession foncière. D’où une confusion certaine à l’arrivée des premiers colons, qui dégénéra aussitôt en conflit, entraînant une première vague de défections. Le groupe se scinda alors rapidement en deux camps antagonistes installés dans deux établissements distincts, ce qui compromit d’emblée la réussite du projet d’implantation dans la péninsule du Sahy, située au sud du pays, un peu au-dessus de Porto Alegre. Bientôt l’exode des colons déçus commença, et fin 1843, ils n’y étaient déjà plus qu’une quarantaine au total. Fin 1845, l’échec était patent et définitivement consommé. Comme au Texas beaucoup repartirent ; d’autres restèrent pour faire leur vie au Brésil, sur place ou à Rio de Janeiro, apportant à ce pays encore neuf le bénéfice de leurs compétences, jouant également un rôle dans le débat des idées. Tous ne furent pas détruits par l’échec de cette tentative et quelques-uns devaient même ultérieurement connaître un « beau destin ».

Spécialiste du Brésil, Laurent Vidal nous conte avec sens de la nuance et précision, et sans en dissimuler les aspects parfois vaudevillesques, l’histoire de cette tentative de réalisation très vite devenue hasardeuse, en s’efforçant de suivre au plus près les itinéraires individuels et collectifs. Pour écrire ce livre, il a effectué un remarquable travail de recherche d’archives. Au terme de son enquête historiographique, il nous offre une histoire classique et scrupuleuse de cet essai phalanstérien. Mais il nous propose aussi une approche plus intime, plus personnelle, qui confère à son récit un ton et une atmosphère inhabituels. C’est un livre à lire et à savourer, qui nous entraîne dans un beau voyage historique et transatlantique, tout en se voulant une invitation à la réflexion philosophique.