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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Kleine, (Frédéric-) Auguste
Article mis en ligne le 7 janvier 2015
dernière modification le 11 novembre 2017

par Desmars, Bernard

Né le 31 mai 1849 à Chartrettes (Seine-et-Marne), décédé en juin 1925 à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Ingénieur des ponts et chaussées, directeur de l’École nationale des ponts et chaussées. Ami de Victor Considerant qui passe chez lui ses derniers mois. Conserve les archives sociétaires pendant près de trente années à son domicile.

Fils d’un serrurier et mécanicien [1], Auguste Kleine fait de brillantes études secondaires au lycée de Besançon (sa famille demeure alors à la Viotte, près de Besançon) à l’issue desquelles il obtient le baccalauréat ès lettres et le baccalauréat ès sciences. Il entre à l’École polytechnique en 1868 ; puis, grâce à son bon classement (11e), il rejoint l’École des ponts et chaussées en 1870. Après plusieurs missions dans l’Oise, la Charente-Maritime et le Rhône, il est nommé ingénieur dans l’arrondissement de Bernay (Eure) en 1874 ; il est chargé de la navigation sur une partie de la Marne en 1877, avant de prendre un poste à Paris en 1879.

Auguste Kleine, élève à l’Ecole polytechnique
©Collections Ecole polytechnique (Palaiseau)

Auprès de Victor Considerant

Il épouse en 1877 Lucy Coignet, fille de François Coignet et de Clarisse Gauthier, et séparée de son premier mari, Emeric-Auguste (dit Attila) de Gérando-Teleki [2]. Leur vie commune est très brève, Lucy décédant en mars 1883. Sans doute est-ce par ce mariage qu’il entre en relation avec Victor Considerant ; sa belle-mère, Clarisse Coignet, est la cousine de Julie Vigoureux, l’épouse de Considerant, elle-même décédée en 1880.

En 1890, il est ingénieur à Laon, dans l’Aisne. Victor Considerant y séjourne parfois. Avec l’ancien dirigeant de l’École sociétaire, Kleine noue « quasiment une relation filiale » [3] ; il l’aide dans sa vie quotidienne, et aussi, pour préserver le fonds de la librairie des sciences sociales de la dispersion [4]. Et quand Considerant ne peut plus vivre seul, c’est Auguste Kleine qui l’accueille, d’abord à Laon, puis à Paris où il le ramène à l’automne 1893 en raison de son état de santé. C’est aussi lui qui le veille dans les minutes qui précèdent sa mort, le 27 décembre 1893, et qui conduit le deuil lors des obsèques [5].

Un haut fonctionnaire

Devenu ingénieur en chef en 1890, Auguste Kleine est nommé directeur du personnel et de la comptabilité au ministère des Travaux publics en 1899 [6]. Il participe aussi à des congrès : en 1902, il représente son ministre, le radical Emile Maruéjouls, au Congrès international du travail et des assurances sociales, qui se tient à Düsseldorf [7]. Promu inspecteur général (de deuxième classe en 1901, de première classe en 1905), il quitte l’administration centrale du ministère en 1906 pour prendre la direction de l’École des ponts et chaussées. L’année suivante, il se marie avec la baronne d’Uexküll-Tallenay.

Tout en dirigeant l’École des ponts et chaussées, il est fréquemment sollicité pour participer à des commissions, effectuer des missions ou représenter le ministère des Travaux publics lors de réunions [8] : en 1909, le président du Conseil et ministre de l’Intérieur Clemenceau le désigne pour une mission d’arbitrage, entre les mineurs d’Albi et leurs employeurs ; en 1910, il est nommé vice-président du comité de l’exploitation technique des chemins de fer. Il est aussi membre du conseil de perfectionnement de l’École polytechnique et de la commission interparlementaire de la dépopulation constituée par le ministère des Finances.

A titre personnel ou comme représentant des pouvoirs publics, il participe activement aux travaux de différentes organisations dans les années 1909-1913 : il est membre du comité directeur et du comité militaire de la Ligue nationale aérienne, et en tant que tel, accomplit de nombreuses démarches auprès des milieux politiques et militaires afin de les convaincre d’accroître les moyens consacrés à la défense aérienne ; ainsi, il lance une réflexion sur « le développement formidable des dirigeables allemands », promeut « la création d’une Direction spéciale de l’aéronautique » et demande le développement de l’instruction des pilotes. Toujours dans le domaine militaire, il effectue des « démarches en vue de l’inscription au budget des crédits nécessaires pour amorcer le fonctionnement en Afrique occidentale française du Réservoir indispensable des troupes noires », puis s’inquiète des faibles moyens prévus pour ces troupes. Il envoie à des ministres, des parlementaires, des journalistes, des hauts fonctionnaires la traduction d’une brochure anglaise dénonçant « le danger allemand ». Par ailleurs, au cours du second semestre 1912, il contribue à la création des Éclaireurs de France, et à la redynamisation de l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française, peu active depuis quelques années ; il fait partie du comité directeur de chacune de ces associations.

Pendant la guerre 1914-1918, il participe aux travaux de diverses commissions : l’une chargée d’étudier les conditions de la scolarisation des pupilles de la nation dans les établissements d’État ; une autre instituée en vue de l’étude des questions relatives à l’utilisation et à l’extension de la navigation aérienne pour les besoins du service des postes » ; une autre encore ayant pour but de « rechercher les meilleurs moyens de généraliser l’utilisation du cinématographe dans les différentes branches de l’enseignement ».

Toutes ces activités lui valent d’être nommé dans l’ordre de la Légion d’honneur, successivement chevalier (1884), officier (1901), commandeur (1913) et grand officier (1920).

Il prend sa retraite professionnelle en 1920. « M. Kleine a rendu au cours de sa carrière de près de 50 ans des services éminents à l’administration des travaux publics. Il a fait preuve, notamment dans le poste de Directeur de l’École nationale des ponts et chaussées qu’il a occupé de 1906 à 1920, de remarquables qualités d’administrateur », écrit le ministre des Travaux publics qui le recommande pour un poste d’administrateur à la banque d’Algérie ou à la banque d’Indochine [9].

Archives et manifestations fouriéristes

Auguste Kleine est l’exécuteur testamentaire de Victor Considerant ; c’est lui qui héberge les archives de l’École sociétaire recueillies par Victor Considerant lors de la liquidation de la Librairie des sciences sociales vers le milieu des années 1880 ; il les a sauvées de la disparition et « les conserve avec un soin jaloux », écrit en 1898 Maurice Lansac, qui projette la création d’un « Centre phalanstérien » où seraient déposées les livres et les archives concernant l’histoire de l’École [10]. En 1901, selon la féministe Hubertine Auclert, Kleine ferait des efforts pour propager le fouriérisme et aurait la volonté d’établir un musée et une bibliothèque fouriéristes, qui seraient tenus par un homme et une femme, dans l’ancien domicile de Considerant [11]. Si ce projet a vraiment existé, il n’a pas abouti.

En fait, on ne connaît pas bien l’opinion de Kleine à l’égard du fouriérisme. Avant les années 1890, il ne semble pas avoir fréquenté les groupes sociétaires, ni s’être abonné à des périodiques phalanstériens. On ne le voit participer à des manifestations fouriéristes qu’à la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant : en 1898, il fait partie du comité composé de membres de l’École sociétaire et de responsables coopératifs qui inspecte la maquette de la statue de Fourier réalisée par le sculpteur Emile Derré [12]. Il est d’ailleurs présent lors de l’inauguration du monument, en juin 1899, place de Clichy ; lors du banquet qui suit, il siège à la table d’honneur présidée par John Labusquière, Jules Delbruck, Adolphe Alhaiza, Marie-Louise Gagneur, etc [13]. En 1901, il participe à la manifestation organisée par les fouriéristes de l’École Sociétaire Expérimentale et de l’Union phalanstérienne pour saluer la sortie de Travail, le roman de Zola en partie inspirée par le projet phalanstérien [14]. La même année, il est membre du comité de la statue de Victor Considerant, érigée à Salins (Jura) où il se rend pour l’inauguration [15]. Il assiste aussi plusieurs fois à la fête organisée par le mouvement sociétaire chaque 7 avril en souvenir de la naissance de Fourier ; sa présence est signalée en 1899, en 1902 et en 1905. Ensuite, son nom n’est plus mentionné que parmi les absents excusés, en 1905 et 1913 [16].

Mais on ignore si sa présence à ces manifestations est liée à une véritable adhésion aux idées fouriéristes, ou si elle est de nature plus sentimentale, en souvenir des liens qui l’ont uni à Victor Considerant. A l’exception du banquet organisé à Salins en 1901, où « M. Klein [sic] adresse des remerciements aux souscripteurs modestes » [17], il ne prend pas la parole et on ne connaît donc de lui aucune prise de position sur Fourier et sa théorie.

En tout cas, il permet la publication de lettres inédites de Considerant à Renan, dans La Revue (ancienne Revue des Revues) en août 1901 et octobre 1902 [18]. Surtout, il autorise plusieurs chercheurs à accéder afin de réaliser des travaux universitaires : en premier lieu, Hubert Bourgin qui peut ainsi réaliser sa thèse sur Fourier et le mouvement fouriériste ; puis Henri Louvancour, pour son étude sur les saint-simoniens devenus fouriéristes [19]

En 1922, il remet l’ensemble de ces archives sociétaires à Célestin Bouglé, qui vient de fonder le Centre de documentation sociale à l’École normale supérieure [20]. Il s’installe avec son épouse à Villefranche-sur-Mer où il décède trois années plus tard.