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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Granday, Louis Isidore
Article mis en ligne le 16 novembre 2014

par Desmars, Bernard

Né le 17 septembre 1816 à Touquin (Seine-et-Marne), décédé le 18 avril 1892 à Antran (Vienne). Propriétaire agriculteur. Partisan de la réalisation d’un essai agricole. Actionnaire de la Librairie des sciences sociales.

Louis Isidore Granday est le fils d’Auguste-Isidore Granday, marchand épicier, puis propriétaire rentier en Seine-et-Marne. Lors du recensement de 1851, il est domicilié dans la Vienne, à la Boussée d’Availles, dans la commune d’Antran, mais à proximité du bourg d’Usseau et près de Châtellerault ; il vit avec Julienne Cotelle, épouse d’un rentier, Philippe Colin, qui demeure à Rueil-en-Brie (Seine-et-Marne). En 1854, Philippe Colin décède ; Louis Isidore Granday et Julienne Cotelle se marient à Antran l’année suivante. Julienne Cotelle meurt en 1861. Le couple n’a pas d’enfant. Lors du recensement de 1851, Louis Isidore Granday et Julienne Cotelle disposent de six domestiques, certains d’entre eux se consacrant probablement aux travaux agricoles dans l’exploitation.

Agronomie et météorologie

Granday s’intéresse en particulier aux innovations agricoles ; le Journal d’agriculture pratique, dirigé par Jean-Augustin Barral, ancien disciple de Fourier qui reste proche de l’Ecole sociétaire, insère plusieurs de ses lettres et de ses articles. En 1866, Granday envoie un texte sur « la culture de la pomme de terre » [1]. L’année suivante, il figure sur « liste des 600 premières adhésions à la Société des agriculteurs de France », association en cours de formation [2].

Il rédige aussi des notes sur la météorologie et sur ses rapports avec l’astronomie. En 1867, il adresse à Jean Augustin Barral, qui vient de quitter le Journal d’agriculture pratique et de fonder le Journal de l’agriculture, un texte dans lequel il expose que même en accumulant les données astronomiques et météorologiques, « il sera toujours impossible de prédire, avec une certitude complète, les variations atmosphériques » ; on peut certes arriver à prédire les principaux changements atmosphériques avec une certaine approximation ; mais « ces prédictions, toutes conjecturales qu’elles seront, le deviendront encore davantage par l’effet de l’influence des comètes dont les apparitions viennent presque toujours nous surprendre », affirme-t-il en signant « Membre des sociétés météorologique et scientifique de France » [3]. Dans les années 1870, il envoie plusieurs lettres au quotidien républicain Le Rappel pour signaler l’importance « au point de vue météorologique et agricole » de « l’étude des comètes et de leur périodicité » ou pour expliquer une température exceptionnelle, en janvier 1877, par la position de la planète Vénus [4].

Pour l’association agricole

Mais Granday est surtout connu au sein du mouvement sociétaire pour ses interventions visant à mettre en pratique l’association agricole. En 1855, Barral signale dans le Journal d’agriculture pratique une correspondance de Granday qui a pour but de « démontrer que la culture morcelée est loin du dernier degré de perfectionnement de l’agriculture » ; en effet, écrit Granday, « le morcellement ne s’oppose-t-il pas à toute amélioration, au drainage par exemple ? Si l’abolition des privilèges territoriaux, si la participation de tous les hommes à la propriété sont des avantages, il est funeste de morceler la culture » [5].

Si le contenu de cette lettre rappelle la critique fouriériste de « l’agriculture morcelée », rien ne certifie que Granday ait été alors en relation avec l’École sociétaire. Mais en 1869, il envoie à Barral une longue lettre qui est publiée dans le Journal de l’Agriculture, dans laquelle il propose un essai d’association agricole, en se référant explicitement à Fourier. Il propose d’appliquer « l’idée émise, il y a déjà soixante ans par un homme de génie, par un des plus grands penseurs de notre siècle […] Ch. Fourier » ; il s’agit donc « d’associer capital, travail et talent », seul moyen de ramener la prospérité dans les campagnes et d’empêcher la désertion du monde rural. « Avec de bons chemins, de belles fermes, une riche culture et aussi avec l’instruction généralisée, la vie de campagne sera agréable pour tous ».

L’association composée est notre destinée sociale, c’est elle qui tuera pour toujours le paupérisme et le prolétariat ; c’est elle qui rendra notre patrie forte et qui, au point de vue agricole, la mettra à la tête des nations. Employons donc vite ce remède énergique et curatif de nos maux sociaux et non pas seulement de simples palliatifs.

Aussi, Granday propose de lancer une souscription ; il s’inscrit lui-même « comme premier souscripteur pour 10 000 francs, à raison de 1 000 francs par an » [6].

L’École sociétaire, dirigée par François Barrier est à ce moment dans une situation difficile après sa réorganisation du milieu des années 1860 : la librairie des sciences sociales est régulièrement déficitaire et La Science sociale ne parvient pas à élargir son audience. Une partie des fouriéristes souhaitent le passage à la pratique, sous la forme soit d’un « ménage sociétaire », soit d’un essai agricole. La proposition de Granday arrive à point nommé pour Barrier :

Nous avons écrit à M. Granday pour nous mettre en relations avec lui et lui faire part du projet qui nous occupe de notre côté dans l’espoir de le voir s’y rallier et joindre ses efforts aux nôtres.

Nous recevons sa réponse et son adhésion complète à nos vues [7].

Un comité est constitué pour examiner les diverses propositions d’essais agricoles, établir un projet unique et précis, qui serait adressé ensuite « aux partisans de l’association ». Mais le travail n’est toujours pas terminé quand Barrier, qui préside le comité, décède en 1870, puis quand la guerre contre la Prusse et ses alliés éclate.

Cependant, grâce probablement à cette prise de contact, Granday, dont on n’avait pas vu le nom jusqu’alors dans les différentes associations fouriéristes, participe aux travaux de l’École sociétaire. Il entre fin 1869 dans l’actionnariat de la société anonyme qui possède la librairie des sciences sociales [8]. Il adhère au Cercle parisien des familles constitué en 1869-1870 afin de créer un lieu de rencontre pour les fouriéristes, mais aussi pour des personnes extérieures à l’École [9]. Dans les années 1870 et au début des années 1880, il continue à soutenir financièrement la Librairie des sciences sociales, en grande difficulté financière ; quand la direction interroge les actionnaires sur le maintien ou la liquidation de la librairie, Granday se prononce à chaque fois pour le maintien, et s’engage à apporter une aide financière ; ainsi, il envoie 100 francs par an, de 1880 à 1883. Il est abonné au Bulletin du mouvement social [10].

Il continue à promouvoir l’essai agricole, malgré les déceptions enregistrées. En 1875, il lit dans Le Rappel un article d’Auguste Vacquerie, qui, à propos d’une affaire où trois personnes ont été condamnées à mort pour assassinat et vol, souligne les responsabilités du milieu social et en particulier des conditions misérables dans lesquelles s’est déroulée l’enfance des coupables. Il écrit à l’auteur de l’article :

Monsieur,

Vous avez bien fait, à l’occasion de la condamnation de Maillot et de ses complices, de remettre à l’ordre du jour la question sociale, car cette question a une importance immense, capitale !

Pour ceux qui pensent et raisonnent sérieusement et ont le sentiment humanitaire, cette question sociale prime de beaucoup la question politique, car si toujours nous avons eu de mauvaise politique [sic], cela tient à notre vicieux état social.

La solution du problème social est aujourd’hui d’une urgence extrême ; aussi viens-je vous prier de vouloir bien donner dans le Rappel, où elle trouvera de l’écho, toute la publicité désirable à l’offre suivante, que j’ai déjà faite infructueusement, et qui a pour but d’aider à cette solution de la manière la plus pacifique, par conséquent la moins contestable.

J’offre gratuitement cent mille francs pour la fondation d’une association intégrale, c’est-à-dire foncière, agricole et industrielle, d’après les principes d’organisation du travail indiqués par l’immortel Charles Fourier.

Veuillez, monsieur, agréer l’expression de mes sentiments les plus sympathiques.

Granday, propriétaire agriculteur [11].

La rédaction du Rappel déclare une semaine plus tard :

Nous recevons […] de nombreuses lettres où l’on nous demande l’adresse de M. Granday, qui a si libéralement offert cent mille francs pour la fondation d’une association foncière, agricole et industrielle [12].

Cet engouement suggéré par Le Rappel pour la proposition de Granday est largement démenti par une correspondance reçue par le Centre parisien de l’Ecole sociétaire. Selon Granday lui-même :

Mon appel n’a pas eu le succès désiré, toutes les adhésions que j’ai reçues sont presque sans valeur au point de vue de la réalisation

Il est fâcheux que M. [Nom illisible] n’ait pas appuyé de son adhésion et de son concours le projet de M. Moigneu, c’était le moyen d’entrer sûrement dans la voie de cette réalisation maintenant, et après l’échec que je viens d’éprouver, il est douteux qu’on arriver à quelque chose par l’initiative privée, c’est vraiment décourageant [13].

Etienne Barat et François Cantagrel ayant déclaré vouloir à leur tour préparer un essai agricole, Granday adresse une lettre à la rédaction du Bulletin du mouvement social, où il déclare soutenir les intentions des deux hommes, « qui renouvellent l’initiative que j’avais prise, sans succès, il y a quelques années, avec plusieurs condisciples pour une réalisation d’association » ; il envoie son adhésion au projet [14] ; l’année suivante, il fait partie d’une commission qui se réunit autour de Barat pour constituer un Comité de réalisation d’une association agricole. Après deux ou trois réunions, le projet est finalement ajourné [15].

Ecole et projets sociétaires

A la fin des années 1870, il est sociétaire de la coopérative, le Comptoir des producteurs et des consommateurs, fondée par Favelier [16]. En 1881, il est l’un des signataires, avec Jean Griess-Traut, Albert Brisbane, Henri Couturier et quelques autres, d’un projet de « cercle phalanstérien » à Paris, qui constituerait un lieu de réunion pour les fouriéristes [17]. Puis, alors que la Librairie des sciences

Monument Granday au cimetière d’Antran (Photographie de Nathalie Brémand)
Photographie de Nathalie Brémand

sociales a été liquidée et que l’École sociétaire est menacée de disparition, il adhère à la Ligue du progrès social, fondée en 1885 par quelques disciples pour assurer la survie du mouvement fouriériste ; il est alors qualifié d’agronome [18]. Quand, en 1888, la Ligue crée un périodique, La Rénovation, Granday fait partie des premiers abonnés.

Il est aussi actionnaire des Orphelinats agricoles d’Algérie dans les années 1880, la société fondée par le médecin Henri Couturier, qui loue les bâtiments et une partie des terres de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig (Algérie) [19]. Il fait partie des abonnés de la revue Le Devoir, publiée par Jean-Baptiste Godin, du Familistère de Guise [20].

A sa mort, Granday lègue une partie de ses biens aux communes de Touquin, lieu de sa naissance, et d’Usseau (Vienne), commune sur laquelle s’étend une partie de son domaine ; selon le testament, ces communes doivent porter des secours à des parents nécessiteux du défunt et laisser la jouissance de certains biens à sa domestique ; surtout, elles doivent fonder des associations coopératives agricoles à Touquin et à la Boussée d’Availles, afin de participer à la résolution de la question sociale. Les deux communes bénéficiaires décident de financer l’érection d’un monument funéraire sur la tombe de Granday, à Antran.