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"Avis à nos abonnés de Paris sur le colportage d’un tableau"
Article mis en ligne le 1er juillet 2021

par Considerant, Victor

Victor Considerant,
« Avis à nos abonnés de Paris
sur le colportage d’un Tableau »

dans La Phalange. Journal de la Science Sociale ,
Paris, mars 1838, n° 5.

« Un grand nombre de nos amis et abonnés de Paris nous ont averti que l’on colportait chez eux un grand tableau qui, sous ce titre absurde : L’AVENIR. Perspective d’un Phalanstère ou Palais sociétaire dédié à l’humanité, contient une copie ridicule de la vignette du Phalanstère donnée dans deux des ouvrages de M. Considerant, récemment reproduite sur le titre du premier tome de la Phalange ; et, en outre, la reproduction textuelle du chapitre de Destinée sociale que développe l’idée d’un édifice sociétaire. Ce tableau est remis à domicile avec la lettre suivante dont on nous a apporté plusieurs exemplaires :

M. En vous adressant cette production toute philanthropique, nous vous prions de vouloir bien considérer le motif désintéressé qui nous fait agir. La Brochure annexée au Tableau vous fera comprendre facilement le but que nous nous proposons : ce but, nous le remplissons religieusement, persuadés que nous sommes, qu’il contribuera puissamment à améliorer la situation de toutes les classes de la société. Celui qui a consacré quarante ans de son existence à la recherche du bonheur de l’humanité, et qui meurt épuisé de fatigues et d’amertumes, celui-là mérite sans doute l’attention et la sympathie des hommes généreux : tel a été Charles Fourier. N. B. La personne chargée de placer ce Tableau repassera pour le reprendre ou en recevoir le prix, si vous l’acceptez.

Cette lettre ne porte aucune signature.

Plusieurs personnes, en voyant le nom de M. Considerant sur le susdit tableau, ont cru d’abord que ce colportage émanait de La Phalange, et ont acquis l’objet au prix de trois francs. D’autres, à la vue de cette lettre sans signature et de son style, ont mieux compris et ont refusé. D’après ce qui nous a été dit, le colporteur de ce tableau, interpellé sur la question de savoir s’il était envoyé par M. Considerant, aurait avoué que non, en quelques maisons, et, en d’autres, aurait répondu affirmativement.

L’espace et le temps nous manquent pour parler sur cet incident avec les détails et les réflexions qu’il exige ; nous y reviendrons au prochain numéro. Contentons-nous pour le moment de faire savoir à nos abonnés, dont on s’est procuré les listes d’adresse, que ce tableau ne se colporte et ne se vend point de notre fait ; que M. Considerant en particulier en avait improuvé la composition avant qu’il fût tiré, en déduisant à la personne qui en avait le projet (et qu’il ne faut néanmoins pas confondre avec le colporteur) les raisons de son improbation ; que M. Considerant, par un motif de complaisance et de bienveillance dont d’autres n’auraient peut-être pas fait preuve, ne voulait point s’opposer à ce que l’éditeur de ce tableau vendît, à ceux de ses amis et de ses connaissances qui consentiraient à en acquérir des exemplaires, de quoi retirer les frais du tirage qu’il s’était obstiné à faire ; mais qu’aujourd’hui, en présence des moyens et des intrigues que l’on emploie pour pousser à la publicité et à la vente de cet objet, M. Considerant, qui en a le droit (puisque ce tableau est la reproduction de son texte et la copie, quoique déformée et ridicule, de son dessin), s’oppose formellement à la vente de ce tableau à Paris, vente qui dorénavant deviendrait un fait illicite et frauduleux. »

Victor Considerant,
« Avis à nos abonnés de Paris
sur le colportage d’un Tableau »

dans La Phalange. Journal de la Science Sociale ,
Paris, 15 mars 1838, n° 6.

« Le défaut d’espace nous a empêché de dire tout ce que nous avions à dire relativement au colportage et à l’affaire du tableau contre lequel nous avons dû nous prononcer dans le dernier numéro. Nous le faisons en peu de mots. Un ami de la cause phalanstérienne, à la pureté des intentions duquel nous nous faisons un plaisir de rendre le plus complet hommage, professeur de musique à Bordeaux et dont le fils est lithographe, nous soumit le projet de reproduire, dans une dimension trois fois plus grande, la vignette représentant un Phalanstère, dessinée par M. Considerant, et mise en tête de Destinée sociale et de l’Architectonique, en d’en composer un tableau en ajoutant au-dessous la description de l’édifice contenue dans un chapitre de ces ouvrages. Le produit de la vente, frais prélevés, devait être consacré à l’essai pratique de la théorie. Il fut répondu à l’auteur de ce projet :

1° Que reproduire dans une grande dimension, dans une dimension d’étude, un croquis qui ne correspondait pas à un plan étudié, et qui n’était fait et donné que pour indiquer l’idée générale et approximative d’un édifice sociétaire, formait un contresens manifeste.

2° Que le dessin projeté ne pourrait servir qu’à donner au public, de nos connaissances en architecture, une fort pauvre idée ; ce qui était grave dans le moment surtout où nous nous préparions à passer à la pratique, et où par conséquent nous devions ne produire, sur dimension d’étude, que des dessins réellement étudiés, susceptibles de soutenir la critique et de ne pas nous attirer la juste moquerie de quiconque possède la moindre notion des constructions de l’architecture.

3° Que donner aux amis de la théorie de Fourier, qui désirent généralement posséder une perspective sérieuse et complète d’un édifice sociétaire, un tableau comme celui projeté, serait tromper leur désir ; puisque ce tableau leur offrirait, en dessin et en texte, sur l’architecture phalanstérienne, quelque chose de moins convenable et de moins complet, et à un prix supérieur, que ce qu’ils ont déjà entre les mains par l’Architectonique.

4° Que le projet en question était d’autant plus faux et inopportun, qu’au lieu de vendre, reproduit sur une dimension maladroite, le croquis de M. Considerant, il convenait de réserver la bonne disposition des acquéreurs présumés d’un dessin de ce genre pour la perspective du projet étudié depuis trois ans par M. Morize, perspective que l’on gravera aussitôt qu’elle sera achevée et qui présentera une idée vraie, grande réalisable et complète d’un édifice sociétaire avec tous ses détails réels, tous ses accessoires, ses constructions rurales, et la vue du territoire et des cultures unitaires d’une Phalange [1]. Que nous aurions à donner en outre les dessins (actuellement en étude) de l’édifice destiné à l’essai minime, pour lequel l’attention devait être réservée dans l’intérêt de la réalisation elle-même. Que le projet du tableau en question était donc non-seulement mauvais en lui-même, mais encore inopportun et capable de nuire aux travaux utiles et sérieux qui étaient en exécution.

Pour ces raisons et en les déduisant les unes après les autres à l’auteur du projet, nous lui avons amicalement mais nettement manifesté notre improbation. Il est évident pour toute personne de sens que notre improbation n’avait et ne pouvait avoir d’autres motifs que ces motifs tirés directement de ce qui nous semblait bon et convenable aux intérêts généraux de notre cause ; d’autant plus que l’auteur du projet, dont nous n’avons certes jamais suspecté l’intention, entendait consacrer à nos travaux tout le profit de la vente, si profit il y avait.
Que l’auteur n’ait pas jugé convenable de déférer à nos avis : qu’il ait peut être trouvé encouragement auprès de quelques personnes, par cela tout justement qu’il avait trouvé improbation auprès de nous ; c’est de quoi nous ne sommes pas comptables. Nous croyons qu’il a eu tort de ne pas se rendre à une opinion inspirée par les motifs que nous avons déduits ; nous croyons que, même en conservant l’idée qu’il pouvait y avoir quelque utilité relative à l’exécution de son projet, il eût été convenable à lui de s’abstenir et de faire le sacrifice de son opinion à la nôtre, pour éviter un acte de divergence : attendu qu’il n’y a pas d’unité possible si en chaque cas particulier où la manière de voir peut différer, c’est l’opinion du centre d’impulsion et de travail constant qui doit céder à l’opinion extérieure. Enfin, et très incontestablement, l’auteur a eu tort de ne pas comprendre qu’il était inconvenant de faire une seconde édition d’œuvres appartenant à M. Considerant, en contradiction avec l’opinion formelle de celui-ci.
Lorsque nous avons eu sous les yeux le tableau qui est le sujet de cette note, le titre sous lequel il se présentait et l’exécution du dessin étaient, il faut le dire, extrêmement peu propres à modifier favorablement notre opinion. Néanmoins comme nous supposions que cet objet n’aurait qu’une publicité très rétrécie, nous avions passé outre : mais quand nous avons su qu’on l’exposait en vente publique, qu’on le colportait chez les abonnés de La Phalange avec la lettre que nous avons reproduite, qu’il nous était attribué tacitement et même explicitement, et que, comme nous l’avions prévu, il était l’objet de critiques et de moqueries que nous ne saurions trouver injustes et imméritées, nous avons dû faire taire le sentiment de bienveillance personnelle qui nous avait retenus, formuler positivement notre désaveu, et interdire la publicité et la vente dudit tableau.
Il nous a paru utile de donner à nos amis les explications précédentes pour faire comprendre la raison de notre conduite dans cette circonstance, afin que cela serve pour tous les cas analogues qui pourraient se présenter. Il n’entre point dans nos intentions de discuter ainsi tous nos actes et de justifier toutes nos mesures ; il serait ridicule et inconvenant que la Phalange, destinée à être l’organe de nos doctrines, à les vulgariser dans le monde et à en provoquer l’application, fût envahie par des dissertations de cette nature et se prétât à un ordre de questions qui deviendraient vite un mesquin tripotage. Nous ne nous soucions point de perdre ainsi la place et le temps, dont nous manquons beaucoup trop déjà pour remplir comme nous le voudrions notre tâche. L’expression franche et formelle de la position que nous prenons, le caractère de direction dans lequel nous nous établissons est le seul moyen logique d’éviter des nécessités inconvenantes et des gaspillages de temps et d’action. Il n’y a pas lieu à discuter et à disputer ce à quoi nous ne voulons aucunement nous prêter ; il y a lieu à accepter, à marcher avec nous en toute confiance, ou à rejeter et à agir bien distinctement en dehors de nous. Nous désirons de toute notre puissance que tous ceux qui adhèrent à la doctrine de Fourier s’associent à notre mouvement, dans les conditions de ce mouvement et dans le sens du but où l’on sait bien que tendent et que tendront constamment tous nos efforts ; nous désirons que tous viennent travailler sympathiquement avec nous dans l’atelier que nous avons constitué ; qu’ils y prennent leurs grades, et y conquièrent leur influence convergente, par le travail, par des œuvres, par des épreuves, comme ont pris leurs grades et conquis leur influence ceux qui le composent : voilà notre vœu et notre désir ; mais nous savons que ce vœu et ce désir ne peuvent pas être remplis, dans une parfaite mesure, au sein des conditions actuelles, avec des éléments incohérents, avec des antipathies de position et de caractère, et au milieu d’une société dont l’air est plus qu’à aucune autre époque, peut-être, rempli de germes d’opposition, de méfiance et de dissolution. Ne nous abusant pas sur la possibilité d’une convergence parfaite et complète, ne pouvant ni ne voulant contraindre les volontés et les actes, nous voulons du moins que le public, en face de qui nous sommes placés, aux yeux de qui nous représentons la doctrine de Fourier et l’École que nous avons constituée avec Fourier et sur sa parole, nous voulons que le public, et que ceux qui marchent avec nous, ne soient pas exposés à confondre ce qui émanera de nous et ce qui viendra d’ailleurs.

Un principe grave tiré de la nature profonde des choses, confirmé par l’expérience historique et évident pour quiconque s’élève à une certaine sphère, c’est que l’esprit d’individualisme et de criticisme doit trouver, sans danger aucun, utile emploi de son développement franc et libre dans la constitution très puissante et très fortement organisée du régime sociétaire ; que aujourd’hui même il peut être et est réellement utile quand il s’agit de procéder analytiquement à la recherche des éléments d’une science ou d’une doctrine ; mais que ce même esprit devient essentiellement dissolvant et désorganisateur dans tout fait constitué ou à constituer au sein des conditions actuelles. La raison en est qu’aucun fait ne peut être assez fortement et assez complètement constitué, dans ces conditions, pour pouvoir résister à cet esprit dont le propre est d’analyser, de séparer, de faire naître et grandir les discords. En l’absence du ralliement supérieur, dominateur et harmonique (qui n’est autre chose que la résultante de tous les équilibres et de tous les ralliements partiels et cardinaux de l’ordre sociétaire), l’esprit individualiste et critique est un esprit de dissolution, de faiblesse et de mort.
Cet esprit, dans les conditions sociales subversives, a tué les plus fortes constitutions politiques, les unités religieuses les plus puissantes, et toutes les doctrines auxquelles il s’est mis. Nous comprenons ce phénomène moral et ses raisons d’être ; et c’est pour mettre à l’abri l’œuvre que nous avons entreprise, œuvre encore faible, peu compacte et si voisine de son origine, que nous proscrivons parmi nous cet esprit dissolvant, dont notre époque est imbue et qui la caractérise en tant qu’époque de dissolution politique, sociale et religieuse ; c’est pour assurer l’avenir de notre œuvre et la force de notre mouvement que nous déclarons que l’on cesse d’être dans nos rangs, que l’on n’est plus avec nous mais hors de nous, quand on s’abandonne à cet esprit et qu’on le manifeste. Nous admettons et provoquons les avis, la critique bienveillante, le secours des lumières, le concours à notre œuvre dans les conditions de son existence et de sa constitution ; nous repoussons la discussion de nos actes, nous laissons en dehors de nous l’action individuelle divergente. Quiconque dans nos rangs provoque des discussions sur nos actes et sur nos personnes, ou se livre à ces discussions, cesse de faire corps avec nous et ne comprend pas les conditions de notre unité actuelle, qui n’est et ne saurait être l’unité harmonique. Nous n’avons pas à nous défendre, à discuter et à justifier chacun de nos pas, à gaspiller notre temps et nos forces en débats intérieurs ; nous avons à enseigner le monde, à agir sur le monde, à marcher. Les conditions de la communion active avec nous et dans notre mouvement sont donc claires et bien établies : c’est sur elles en premier lieu que nous réglerons nos alliances plus ou moins directes, et dont le cercle peut être très large ; car pour vouloir des positions nettes et logiques, ainsi que nous l’imposent les intérêts de la cause à laquelle nous avons prouvé notre dévouement, nous ne voulons néanmoins pas être inintelligemment étroits et exclusifs.

M. Dulary, que l’on a fait figurer dans l’affaire du tableau dont il vient d’être question, comme devant recevoir et administrer les bénéfices présumés de la vente, fait savoir qu’il n’a été et n’est absolument pour rien dans cette affaire.

Les deux articles ci-dessus n’étant point à l’adresse du public, un tiré à part, où ils sont supprimés et remplacés, sera fait pour les cabinets de lecture et les lieux publics. »