Né le 7 janvier 1814 à Couvrelles (Aisne), décédé le 29 août 1880 à Rosnoën (Finistère). Agronome et propriétaire terrien. Conseiller général, député de 1871 à 1880, membre du groupe de la gauche républicaine. Vulgarisateur des nouvelles techniques agricoles. Membre de l’Association bretonne.
Théophile est issu d’une famille originaire de l’Aisne. Le grand-père, François-Hyacinthe, seigneur de Salsogne et vicomte de Couvrelles, membre de l’Ordre de Saint-Louis, occupe la charge de lieutenant dans la maréchaussée à Quimper à la fin des années 1770. Il y épouse Anne-Marie Audouyn du Cosquer en 1786 [1]. Elle a des talents de poète et de musicienne ; de 1783 à sa mort en avril 1820 [2], elle consigne son existence dans une correspondance, publiée en 1884 [3], par son petit-fils Édouard. Le père, Louis-Charles de Pompéry, ancien gendarme d’ordonnance de l’Empereur, revient s’installer avec sa famille dans l’Aisne, au petit village de deux cent cinquante habitants où se dresse le « solitaire château » [4] des Pompéry. La fratrie est composée d’Aimée Marie, l’ainée et des trois fils, Édouard, Théophile et Henri (1816-1882, membre du groupe phalanstérien finistérien). A Couvrelles, les enfants Pompéry sont éduqués dans un milieu cultivé, influencé par les théories des physiocrates et les idées libérales de Benjamin Constant. La famille met en valeur un vaste domaine, y élevant des troupeaux d’origine anglaise.
La ferme du Parc, à Rosnoën
Après la mort de sa femme, Louis-Charles se remarie en 1825 avec Marie Saisy de Kérampuil, issue d’une grande famille de la noblesse bretonne, dont il a quatre enfants. Théophile et Édouard sont placés en pension à Brest, puis Edouard fait des études de droit. Louis-Charles acquiert le domaine du Parc, à Rosnoën (800 hectares), une ferme bâtie sur l’ancien manoir du Parc, à la confluence de l’Aulne et de la rivière du Faou, face à l’abbaye de Landévennec. L’abbaye a été achetée en 1825 par Ambroise Vincent, pour y développer une exploitation et une industrie de briqueterie. Son fils, Aristide, fouriériste convaincu, essaie de la mettre en valeur. Le domaine bien géré, fait vivre la famille. Le recensement de 1841 indique que Théophile est le propriétaire, il vit au domaine avec son frère Henri et six domestiques. Théophile exploite le domaine avec son père Louis-Charles (1787-1854), qui s’est retiré à Brest où il décède en 1854.
Rapidement la réputation des Pompéry dépasse le cadre cantonal. Ils suivent les expériences menées par Jules Rieffel à Grand-Jouan-en-Nozay, près de Châteaubriant (Loire-Inférieure, auj. Loire-Atlantique). Théophile est membre de l’Association bretonne, créée en 1843 pour « hâter le développement des progrès agricoles de la Bretagne et former un centre d’études et de relations [5] » .
Sous la Seconde République, Théophile est inspecteur de l’Association bretonne pour l’arrondissement de Châteaulin. Dans une note présentée à l’Association normande, le comte de Courcy note que les Pompéry sont devenus des éleveurs renommés de chevaux et ont un élevage de vaches bretonnes de haut niveau : les comices agricoles qu’ils ont créés au Faou – Théophile en est le premier président en 1844 – ont beaucoup de succès :
Dans chacune de ces réunions, ces messieurs donnent à ces braves gens des leçons d’agriculture en breton et ils sont si zélés pour l’amélioration de l’économie rurale, qu’ils saisissent toutes les occasions pour instruire ces bons bretons, même en particulier [6].
Théophile expérimente les assolements et amendements en systématisant l’introduction des plantes fourragères et le drainage des terres [7]. Théophile soutient activement les projets de dragage du maërl – des débris d’algues mêlés de sable et de débris coquilliers – en rade de Brest, souhaités par Aristide Vincent. En octobre 1846, lors de la visite du ministre de la Marine à Brest, Théophile expose « l’urgence de faire étudier sérieusement par une commission mixte de naturalistes, de marins, d’huîtriers et d’agronomes la question des richesses sous-marines que renferme notre rade, et de rechercher les moyens les plus propres d’exploiter ces précieuses productions au triple point de vue de l’intérêt de la marine, du commerce du poisson et de l’agriculture » [8].
Le Journal des débats souligne l’accueil favorable du ministre qui « donne lieu d’espérer que notre agriculture ne sera plus privée des importantes ressources que lui présentait le dragage du maërl » [9], mais la Marine refuse l’exploitation dans la rade, considérée comme zone militaire.
Le militant fouriériste
Théophile participe activement à la réflexion menée par son frère, sur la modernisation de l’agriculture, en lui fournissant des exemples concrets, notamment pour les débats auxquels Edouard participe à la chambre des députés sous la monarchie de Juillet et où il reprend les thèses de l’assolement alterné chères à Théophile. Théophile suit Édouard dans son engagement fouriériste, notamment lorsque ce dernier rejoint La Phalange en 1842. Théophile participe à la structuration du groupe finistérien en 1844 [10], et il aide Édouard à se présenter aux élections à l’Assemblée constituante dans le Finistère, en avril 1848. Édouard, grâce en partie à l’influence de Théophile au sein du monde agricole, est le seul fouriériste à dépasser les dix mille voix dans le département. Théophile est lui-même élu conseiller général du Faou, poste qu’il occupe jusqu’en 1880.
Le vulgarisateur de l’agronomie moderne
En 1851, Théophile publie un premier ouvrage qui a la particularité d’être bilingue, Quelennou var labour pe gonnidègues an douar, ou le nouveau guide du cultivateur breton. Il dédie cet ouvrage « Aux cultivateurs de la commune de Rosnoën et du canton du Faou ».
C’est à vous, mes voisins de la commune de Rosnoën, à vous, cultivateurs du canton du Faou, que je dédie ce livre. Ne vous dois-je pas, en effet, quelque reconnaissance pour les vives jouissances que vous m’avez fait éprouver en profitant avec tant d’intelligence et d’ardeur des instructions pratiques ou orales que nous vous donnons depuis plusieurs années.
Vous avez adopté les instruments aratoires perfectionnés, abandonné l’ancien mode de culture, en usage parmi vous, pour lui substituer une méthode raisonnée, qui diminue vos labeurs et augmente les produits du sol. Cependant, des hommes qui ne peuvent vous connaître, parce qu’ils n’ont jamais vécu parmi vous, vous accusent de vous complaire dans la routine et d’être rebelles à toute idée de progrès et d’améliorations. Vous continuerez à démentir, par vos judicieuses innovations, ces injustes reproches, et à donner d’utiles exemples aux autres populations agricoles, qui ne tarderont pas à vous suivre dans la carrière féconde que vous leur tracez.
Avant-propos :
Tout le monde déplore l’état de stagnation dans lequel languit notre agriculture bretonne, abandonnée à l’empire de la routine. On laisse insoucieusement les soins de la production à des cultivateurs ignorants et pauvres ; ceux-ci, abandonnés à eux-mêmes, sans guide et sans direction, suivent, depuis des siècles, les méthodes primitives que leurs pères leur ont transmises de génération en génération.
Cependant, dans ces derniers temps, les gouvernants ont paru comprendre enfin l’importance de l’agriculture, et les savants, qui l’avaient jusqu’ici dédaignée, commencent à s’intéresser à ses progrès et à lui prêter, comme aux autres arts et aux autres industries, le concours de leurs recherches et de leurs lumières.
De nombreux ouvrages d’agronomie ont été publiés depuis quelques années, par des hommes instruits et éclairés, qui sont non-seulement d’habiles théoriciens, mais en même temps des praticiens consommés. Malheureusement, nos cultivateurs, trop peu familiarisés encore avec la langue française, ne sauraient puiser dans ces documents les utiles enseignements qu’ils contiennent.
Pour vulgariser les saines doctrines de culture applicables à notre pays et déjà pratiquées dans les environs du Faou, j’ai donc pensé qu’il serait utile de composer, pour nos cultivateurs, un petit traité d’agriculture, aussi bref, aussi condensé et aussi complet que possible. J’ai cru atteindre plus sûrement le but, et rendre mon ouvrage plus compréhensible, pour la classe à laquelle je le destine spécialement, en plaçant une traduction bretonne en regard du texte français ; c’est d’ailleurs un moyen d’aider à la propagation de la langue française et d’en faciliter l’intelligence aux habitants des campagnes. »
L’élu au service de l’agriculture
Conseiller général du Finistère sous la Seconde République, il fait partie de la mouvance démocrate ; en 1851, il proteste contre le coup d’État du 2 décembre [11], mais se rallie au régime après avoir constaté le succès du plébiscite. Le sous-préfet de Châteaulin obtient de Théophile un courrier dans lequel ce dernier reconnaît le nouveau gouvernement, condition sine qua non pour continuer à se présenter aux élections du Conseil général :
Le Conseil Général n’est pas et n’a jamais été pour moi un corps politique, si j’y entre je ne m’y occuperai que des intérêts départementaux. Je ne serai jamais systématiquement hostile à un gouvernement, je ne comprends pas l’opposition systématique. Il n’y en a plus depuis la grande manifestation du 20 décembre [le plébiscite en faveur de Louis-Napoléon Bonaparte] J’adhère complètement et sans réserve au gouvernement du Prince Louis Napoléon ; c’est en ce sens que j’ai prêté le double serment, de conseiller général et de membre de la Chambre d’agriculture [12].
En reconnaissant l’Empire, il peut poursuivre son œuvre au sein de la Chambre d’agriculture et du Conseil général, où il est très actif.
Théophile de Pompéry pense qu’une industrialisation de l’agriculture bretonne nécessite la maîtrise des assolements et des défrichements : les cultures fourragères sont le socle du développement de l’agriculture bretonne. En 1861, il obtient de l’assemblée départementale la création d’une prime d’assolement pour les cultivateurs :
C’est la mauvaise agriculture qui fait déserter les campagnes, parce qu’elle occupe peu de bras. Le moyen d’étendre fructueusement les opérations culturales et d’accroître la richesse agricole en fixant au sol le manouvrier rural, c’est de généraliser les assolements alternes, basés sur la culture des racines fourragères et des prairies artificielles. D’autre part, c’est ainsi que l’on entretiendra un nombreux bétail, que les races domestiques pourront s’améliorer, et que l’on produira de grandes masses de fumier pour augmenter la fertilité du sol [13].
En favorisant l’enseignement de l’agriculture et la diffusion des techniques parmi les simples cultivateurs, il veut développer une nouvelle image du propriétaire terrien, qui ne doit ni être absent de ses terres, ni enfermé dans son château. Dans ses interventions nombreuses devant le conseil général, il soulève deux questions essentielles : la pression foncière (le sol est devenu une marchandise avant d’être un outil de production) ; la difficulté à mobiliser des capitaux afin d’accompagner la modernisation des campagnes. Il propose des orientations pour moderniser l’agriculture bretonne : le maintien d’une forte population rurale oblige à créer un enseignement agricole et une organisation du travail, favorisant les paysans propriétaires ; des structures identiques à celles des villes (hôpitaux, dispensaires, bureaux de bienfaisance) doivent être créées pour secourir les malades et les nécessiteux.
L’un des moyens les plus efficaces pour combattre ces funestes tendances à la désertion des campagnes et au déclassement des fonctions, c’est l’enseignement agricole. Nous remarquons que l’élève de la ferme-école, dont l’existence est encore toute récente, prend le goût de l’agriculture, apprend à estimer sa profession, et ne cherche plus à quitter l’état de ses ancêtres ; tandis que le demi savant de l’institution primaire, tend presque toujours à s’en écarter, soit pour se faire industriel, ou pour devenir au moins gendarme, douanier ou commis [14].
Il devient l’une des personnes les plus en vue de l’Association bretonne , dont il anime les congrès régulièrement à partir de 1853. Il la quitte en 1872, estimant qu’il ne s’y passe plus rien.
En 1871, il est le seul conseiller général à s’opposer à la création d’un dépôt de mendicité départemental. Il estime préférable de continuer l’assistance dans les communes. Le système répressif, outre son incapacité à résoudre le problème de la mendicité (plusieurs dizaines de milliers de mendiants sont recensés en Finistère) a, selon lui, pour inconvénient de chasser les mendiants des villes comme Brest, et de les disperser dans les campagnes. Il lui oppose le développement de l’instruction primaire et la lutte contre l’ivrognerie, qu’il pense être à l’origine de la déchéance de nombreux parents.
L’engagement républicain
À la fin de l’Empire, Théophile participe à l’organisation des républicains dans le département. Il échoue aux élections de février 1871, mais conquiert, lors d’une élection partielle le 2 juillet 1871, un siège de député du Finistère. Il œuvre au sein de la gauche républicaine, de tendance modérée. Il échoue aux sénatoriales de 1876, sur la liste républicaine, comprenant Armand Rousseau (fils de Louis Rousseau, saint-simonien puis fouriériste), Penquer (ancien saint-simonien) et Morvan.
Réélu en 1876, il signe la motion de défiance au président Mac-Mahon qui entraîne la dissolution de la chambre des Députés puis la victoire des républicains en 1877. Sept députés finistériens sur dix ont signé la défiance au président, ancrant le département dans le camp républicain. Malgré une campagne de dénigrement des monarchistes, il est réélu, pour un troisième mandat, en octobre 1877. La politique ne l’intéresse que dans la mesure où elle fait progresser ses thèses sur la modernisation de l’agriculture. Son action à la Chambre porte en effet essentiellement sur cette question. Il combat également pour la répression de l’ivrognerie, qu’il considère comme l’une des plaies les plus graves de la population rurale bretonne.
Au Conseil général, où il siège jusqu’à sa mort en 1880, il est membre de la commission de l’agriculture. Il défend le développement économique des campagnes et l’amélioration des populations les plus fragiles, filles-mères, orphelins, pour lesquels il réclame des structures d’accueil et le développement de l’enseignement gratuit et laïc [15]. Quelques jours avant sa mort, alors qu’il est très malade, il se fait transporter à l’assemblée départementale pour le vote du président : la gauche républicaine l’emporte, et son ami Auguste Penquer (l’un des amis saint-simoniens de Pellarin en 1831), maire de Brest, est élu président.
Il décède à Rosnoën le 29 août 1880. Une statue, représentant un personnage féminin portant couronne de laurier et tenant une gerbe de blé et un outil agricole, est érigée en 1884 sur le champ de foire du Faou. Elle a été commandée par son frère Édouard et porte l’inscription suivante :
« A LA MEMOIRE DE M.M. DE POMPERY INITIATEURS EN CE PAYS DU PROGRES AGRICOLE 1830-1880 PAR LEUR FILS ET FRERE EDOUARD COMICE DU FAOU 1884 ».