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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bernard, Pierre Marie
Article mis en ligne le 11 mars 2013
dernière modification le 14 novembre 2013

par Guengant, Jean-Yves

Né le 31 mai 1801 (11 Prairial an IX) à Louédac, (Côtes-du-Nord, auj. Côtes-d’Armor). Décédé le 17 novembre 1872 à Guipavas (Finistère). Avoué de justice à Brest. Actionnaire de la Société du 15 juin 1840 « pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier ». Expérimente en 1841 une nouvelle méthode de culture des céréales en s’inspirant de « l’écart absolu » de Fourier.

Fils d’un propriétaire du centre de la Bretagne [1], il est avoué de justice au tribunal de Brest dès les années 1820. Il se marie le 25 février 1829 [2] : à son mariage, l’un de ses témoins est Borgnis-Desbordes, qui figure dans le groupe phalanstérien finistérien en 1844. Il réside au cœur du Brest bourgeois, rue du Château.

L’expérimentation

Il décide de mener, avec son ami Charles Paillard, une expérimentation pour la culture des céréales, « sans labour, sans engrais, sans sarclage, et dans une mauvaise terre » [3] s’inspirant du principe de l’écart absolu de Fourier. Il qualifie cette expérience de fait majeur de leur futur phalanstère d’essai.

Il la présente au journal La Phalange, expliquant comment vint leur idée de cultiver le blé :

Dans des causeries intimes avec l’un des nôtres, honorable membre du tribunal et de l’administration municipale de celle ville [4], dirigeant de ses conseils et de son expérience, comme fils de cultivateur, une ferme manœuvrée par sa famille, il nous manifestait souvent combien l’agriculture trouvait d’obstacles à son amélioration et à son extension par la cherté des engrais, et il nous disait que celui qui trouverait le moyen de produire économiquement le fumier lui rendrait le plus grand des services, puisqu’il est pour elle un objet indispensable.

Ses vues, comme celles de tous nos agronomes, étaient entièrement tournées vers ce moyen d’amélioration ; et il est probable que nous n’en aurions pas cherché d’autres, si nous n’eussions été inspirés par les grands principes qui ont servi de base à la science mise au jour et coordonnée par Fourier.

1. Tout est bien, sortant des mains de l’auteur des choses.
2. Observer la nature et la suivre dans sa marche.
3. Ne pas croire la nature bornée aux moyens connus (ou employés par les hommes).
4. Tenter par conséquent l’écart absolu de ces moyens [5].

Il décrit alors précisément son expérience :

Dans un champ semé de seigle, parce que la terre, au dire du fermier, n’était pas bonne pour le froment, on nous a accordé un bout de sillon non labouré ni fumé, d’environ cent pieds carrés de surface ; nous avons semé de froment cette terre en jachère, et nous l’avons recouvert d’une couche de paille d’un pouce environ d’épaisseur. Puis dans un jardin dont la terre est des plus mauvaises, et qui n’a pas reçu d’engrais depuis bien des années, nous avons pilé un carré de manière à en faire une aire à battre. Nous y avons pareillement répandu du froment recouvert de paille.

Enfin pour mieux prouver que la terre n’est qu’un « moyen de support », nous avons placé vingt grains sur les carreaux de vitre, et les avons aussi recouverts de paille

L’expérience est soutenue par de nombreux phalanstériens brestois. La Phalange publie alors plusieurs articles sur le sujet et doit répondre à une polémique sur la véracité des faits.

De la révélation à la polémique

Le 22 septembre 1841, La Phalange reprend le sujet, en apportant les témoignages de plusieurs agriculteurs, maires, et représentants des autorités préfectorales (témoignage du sous-préfet de Fougères, Ille-et-Vilaine) :

Le résultat annoncé par MM. Charles Paillard et Bernard était trop extraordinaire à la fois et trop important pour passer inaperçu. Présenté sous le garantie de leurs signatures, il méritait an moins l’attention ; car ce n’est pas légèrement que deux hommes qui sont dans la position de ces messieurs pourraient s’exposer à la confusion qui rejaillirait sur eux infailliblement, s’ils proclamaient ainsi, sans avoir de fondement à l’appui de leur dire, des faits qu’une foule de leurs concitoyens avaient été à même de vérifier, et pouvaient par conséquent démentir. Aussi, comme nous l’avons déjà annoncé à nos lecteurs, les journaux de province en très grand nombre ont reproduit et continuent à reproduire, comme un document d’un haut et sérieux intérêt, la lettre de MM. Paillard et Bernard. Une seule feuille, à notre connaissance, Le Français de L’Ouest, en dénaturant avec une insigne mauvaise foi l’expérience agricole pratiquée à Brest, en a fait un sujet de méchantes plaisanteries contre la Théorie sociétaire. A cette unique exception près, les journaux des départements ont fait part à leurs lecteurs des résultats obtenus par MM. Paillard et Bernard, sans aucune observation défavorable, et en faisant seulement, comme nous ; appel à de nouvelles expériences. Nous ne citerons parmi ces journaux que ceux de Lyon, dont les rédacteurs ont pu consulter, avant de se décider à rapporter l’expérience dont il s’agit, plusieurs savants agronomes réunis dans leur ville à l’occasion du Congrès scientifique [6].

La polémique enfle et s’oriente sur la crédibilité de la théorie sociétaire : le 29 septembre, La Phalange doit à nouveau contre-attaquer, puis le 6 octobre, en publiant une nouvelle lettre des restois, appuyée par l’envoi d’échantillons de blé certifiés par la mairie de Brest et attestés par onze personnes. La polémique enflant, des arguments de toutes sortes sont employés, y compris théologiques :

Ceux qui ne veulent pas changer leurs habitudes de culture diront : mais avec votre nouvelle manière de cultiver, la terre ne se reposera plus.
D’abord la terre a-t-elle besoin de se reposer ? Se repose-t-elle dans nos jardins, où nous la faisons sans cesse produire ? Se repose-t-elle dans vos champs à pâture, que vous appelez à repos. Où elle produit toute espèce de mauvaises herbes, qui infesteront vos récoltes prochaines ? Assurément non.
Si Dieu avait voulu que vos champs se reposassent, ou ne produisissent plus après avoir produit pendant un certain nombre d’années, croyez-vous que, dans sa toute-puissance, il ne les eut pas pour un temps frappés de stérilité, comme il a permis que certains points de notre globe le fussent momentanément ?
Loin de là, Dieu a dit : CROISSEZ ET MULTIPLIEZ ; mais il a imposé à la terre, comme à l’homme, des conditions, des lois qui sont les mêmes pour tous, et suivant lesquelles doivent s’accomplir ces paroles : Croissez et multipliez [7].

Le 20 octobre, La Phalange commence à douter de la réalité de l’expérience et incite ses lecteurs à la reproduire, afin de vérifier les faits :

Bon nombre de nos amis et quelques-uns de nos collaborateurs, ceux-là mêmes qui s’occupent le plus spécialement des questions agricoles, et qui étaient absents de Paris lors de la communication de MM. Bernard et Paillard, nous ont manifesté des doutes, non sur la réalité des résultats obtenus à Brest, toute confiance doit y être accordée, mais sur la possibilité d’une application pratique pouvant remplacer avantageusement les méthodes actuelles de culture pour les céréales. D’un autre côté, il ne se passe point de jour depuis un mois, que nous ne recevions de nos correspondants et amis l’assurance formelle de faits nombreux venant à l’appui de l’expérience de Brest.
Or, que voulons-nous avant tout, aujourd’hui comme toujours, dans cette question spéciale comme dans tontes les autres ? La vérité, rien que la vérité.
Aussi, en présence des affirmations des uns et des doutes des autres, nous en appelons à de nouvelles expériences, faites avec tout le soin et le scrupule convenables. Nous convions ceux de nos amis et ceux de nos lecteurs qui sont à même de répéter l’expérience de Brest, de vouloir bien consacrer à cette vérification importante un peu de bonne volonté, de patience et d’attention, et de nous tenir au courant des résultats [8].

Le journal publie également les premiers avis contraires, qui pointent les erreurs de l’expérimentation. Attaqué par les journaux spécialisés en agriculture, notamment le Journal d’Agriculture pratique, La Phalange doit céder du terrain, et si elle publie le 7 novembre 1841, des témoignages d’agriculteurs, elle sait qu’il ne faut pas s’enferrer dans ce combat :

Comme l’a bien dit La Phalange, c’est toute une révolution agricole. Nous différons cependant en ce point avec ce journal (le Journal d’Agriculture pratique) : c’est qu’à nos yeux la révolution est encore à faire, même après l’expérience de MM. Paillard et Bernard. Et où donc le Journal d’Agriculture pratique a-t-il vu que La Phalange considérait la révolution comme faite ? La Phalange a signalé l’expérience de Brest, comme elle fera toujours pour les idées ou les faits nouveaux qui lui paraîtront d’un grand intérêt ; elle a accueilli avec distinction la lettre fort remarquable de MM. Paillard et Bernard, et, conformément à ses habitudes d’esprit, elle a provoqué la reproduction de l’expérience. La Phalange n’a affirmé et n’a pu affirmer qu’une chose, la réalité de l’expérience de Brest. Quant aux conséquences pratiques de ce beau fait de physiologie végétale, c’est aux expériences agricoles à prononcer.
En résumé, il s’est produit un fait jugé très remarquable par des milliers de personnes éclairées, et entre autres par des hommes que le Journal d’Agriculture pratique serait enchanté de compter au nombre de ses rédacteurs.
La Phalange a donné à ce fait le plus de publicité qu’elle a pu, en engageant les agriculteurs à faire, pour en juger la valeur, des expériences très simples et très peu coûteuses [9].

En novembre 1842, le ton de la rédaction de La Phalange a changé [10]. L’essai est considéré comme trop petit, donnant de moins bons résultats qu’un jardin. Le doute est désormais présent sur la capacité à mener une expérience rigoureuse. Les expérimentateurs brestois notent eux-mêmes la difficulté à pailler les champs, leur parcelle ayant été pillée par des indigents. L’expérience reste donc confinée à des parcelles fermées. Trois expériences de culture ont été menées, à Gouesnou et Guipavas, où Bernard décide de mener son expérimentation sur d’autres plantes (trèfle).

Le 15 mai 1843, Pierre-Marie Bernard est actionnaire de la Société du 15 juin 1840 « pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier » et détient une action de cinquante francs qu’il a réglée, avant que la société soit scindée en deux entités, la seconde devenant la « Société pour la transformation de La Phalange en journal quotidien » [11].

A son décès au lieu-dit de Lossulien, il est désigné comme propriétaire et ancien avoué à Brest [12].