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Doderet, Hubert
Article mis en ligne le 18 février 2013
dernière modification le 18 novembre 2016

par Sosnowski, Jean-Claude

Né à Selongey (Côte-d’Or) le 3 novembre 1813. Encore en vie en 1885. Licencié en droit, marchand de fer à Selongey sous la monarchie de Juillet. Rentier résidant à Grenoble (Isère) au cours des années 1860, à Dijon (Côte-d’Or) à partir de 1869 puis Foncegrive (Côte-d’Or) à dater de 1879. Juge de paix nommé par le gouvernement de la Défense nationale à Gevrey-Chambertin (Côte-d’Or) en 1870-1871. Colon de Réunion (Texas, Etats-Unis) en 1856 et actionnaire de la Société de colonisation européo-américaine au Texas. Contributeur de la Société des Etudes sociales en 1872. Souscripteur de la Librairie du mouvement social et des Orphelinats agricoles de Saint-Denis-du-Sig (Algérie).

En 1813, Bernard Doderet, père de (Jean-Baptiste) Hubert Doderet, est commis du bureau des contributions de l’arrondissement des recettes de Selongey. Il devient agent d’affaires et est condamné en avril 1836 par le tribunal de Dijon pour des pratiques usurières. Depuis 1821, il a consenti soixante-trois prêts pour un montant de 42 432 francs auquel il a appliqué un taux de 7,5 à 12 %, allant même exceptionnellement jusqu’à 24, 66, 72 et 144 %. Selon le recensement de Selongey de 1846, il exerce toujours ce métier. Néanmoins, sa fortune ne lui permet plus d’être inscrit sur les listes électorales censitaires pour 1846-1847 dont il est retiré. Deux filles, l’une Marie-Claude âgée de 23 ans, l’autre Marie-Joséphine âgée de 15 ans vivent avec leur frère Hubert au foyer paternel. Hubert Doderet est alors marchand de fer. Leur mère, Gertrude Vernerey, est décédée en 1831.

Hubert Doderet est semble-t-il en relation avec l’Ecole sociétaire dès 1846. Il est fort probablement le « M. D. » de la « petite correspondance » de La Démocratie pacifique à l’attention de C[ombet] (voir cette notice) à Selongey les 27 septembre et 28 septembre 1846 [1]. Ses remarques et conseils auxquels doivent répondre les rédacteurs confirmeraient l’hypothèse [2]. Il prend semble-t-il les fonctions de correspondant pour la réunion phalanstérienne locale qui se constitue.

Colon éphémère de Réunion (Texas)

Colon de Réunion (Texas), Doderet (fils) participe également au financement de la Société de colonisation européo-américaine au Texas pour un total de 4 536 francs. Il arrive à Réunion en janvier 1856 [3] Son arrivée semble des plus compliquées si on suit le récit de Savardan [4] et a lieu alors que la crise s’accentue au sein de la colonie :

[...], il nous arrivait de France, tous les jours, de nouveaux colons. Je citerai M. Doderet, jeune notaire [5] bourguignon dont les connaissances en agriculture et en constructions rurales promettaient non moins que sa position de fortune très-indépendante et son dévouement à la cause phalanstérienne, un précieux coopérateur ; mais il avait eu de malencontreux débuts dans la colonie : la veille de son arrivée, il avait dû seul, par un froid de quinze degrés, passer la nuit au milieu de la prairie, sans avoir pu allumer de feu, et sans souper. Il avait dû savourer ainsi cet avant-goût du printemps perpétuel que le livre lui avait annoncé ; puis, au lieu d’une confortable chambre garnie que la gérance lui avait promise lors de son départ, il lui fallait se contenter d’un coin, avec une paillasse sur le plancher, dans un grenier ouvert à tous les vents ; enfin il s’était empressé, aussitôt après le retour de M. Considerant, d’aller faite une visite à lui et à sa famille, et il était sorti du cottage avec la ferme résolution de n’y retourner jamais.
D’ailleurs il avait parcouru à cheval les cent lieues qui nous séparent d’Houston, sous le poids des impressions toutes pénibles que lui avait causées une lettre de M. Considerant adressée à M. Raizant, directeur alors de la ferme d’Houston, lettre par laquelle il était en quelque sorte enjoint à tous les arrivants de ne pas faire un pas de plus et de se pourvoir partout ailleurs qu’à Réunion comme ils l’entendraient pour le mieux de leurs intérêts.

Selon Guillon, Doderet, Savardan et Guillemet s’opposent au directeur intérimaire Duthoya qui a pris la suite de Cantagrel, démissionnaire en juillet 1856 [6]. Le 27 août 1856, Auguste Guillemet est chargé par une lettre de la Gérance, signée Bureau, de contrôler les dépenses aux côtés de Savardan et de Doderet. Ce dernier appartient au groupe de ceux (Savardan, Daly Capy) qui finalement réclament leur remboursement d’actions par des terres de la colonie pour permettre à Guillemet de s’y installer avec sa famille, sa propre part ne le lui permettant pas. Doderet est parmi les derniers à recevoir le 15 mars 1857, terres et bétail [7]. Il quitte la colonie six mois après l’ultime tentative collective de création d’une société alimentaire qui regroupe quelques fidèles de Savardan, société fondée sur les ruines d’un défunt restaurant sociétaire. Accompagné du docteur Nicolas, Doderet se rend au Brésil avant de retourner en France.

« Devons-nous espérer un réveil de l’école ? » [8]

Il est cité sans profession dans le répertoire Noirot des contacts et abonnés de la Librairie des Sciences sociales établi au cours des années 1860. Il est domicilié à Grenoble, 5 rue des Clercs. C’est fort probablement lui qui, en 1860 et 1861, correspond avec L’Ami des sciences fondé par Victor Meunier. En 1869, rentier, il réside à Dijon, 19 rue Bassano [9]. Le 1er octobre 1870, un décret du gouvernement de la Défense nationale le nomme juge de paix à Gevrey (auj. Gevrey-Chambertin). Le 20 septembre 1871, il démissionne. Il est également membre de la Société d’horticulture de la Côte-d’Or. Lors de l’assemblée générale du 11 février 1872, il est présenté par Weber, jardinier chef au jardin botanique et Morizot, herboriste résidant rue Bassano. Doderet est qualifié d’agronome. Il démissionne lors de la séance du 3 février 1877 sans qu’aucune raison soit avancée, mais il apparaît avoir été fort critique envers l’organisation de cette société. A plusieurs reprises, mais sans succès, ses détracteurs considérant le procédé inutile en horticulture, il développe un argumentaire pour l’utilisation des engrais chimiques, source selon lui d’un meilleur rendement qu’il a pu observer chez le Docteur Jules Lavalle, l’un des chefs de file côte-d’orien du parti républicain sous l’Empire, conseiller général de Dijon nord (1867-1871) puis de Genlis (1877-1880), directeur de l’Ecole de médecine, botaniste et directeur du jardin botanique de Dijon. En octobre 1872, Doderet réside 4 rue Victor Dumay à Dijon. Il y vit avec une domestique. L’année suivante, il déménage au 25 rue Guillaume Tell où il vit seul selon le recensement de 1876. Il n’y réside plus au recensement suivant et écrit de Foncegrive (Côte-d’Or) à partir de 1879. Ses déménagements semblent liés à une situation financière plus difficile.

En octobre 1872, Doderet est considéré comme détenteur de deux actions de la Société des Etudes sociales pour un montant de cent francs et est abonné au Bulletin du mouvement social. Il l’est jusqu’en 1879. Le 3 juin 1874, lorsqu’il renouvelle son abonnement, il stipule à Eugène Nus que sa participation à la Société des Etudes sociales de 1872 n’était qu’un soutien sans engagement. « La diminution des revenus, l’augmentation des charges, l’imprévu des dépenses, tout concourt à rendre impossible l’exécution des prévisions désirées ». Il félicite d’ailleurs Nus d’avoir « su ménager les ressources pour tenir campagne pendant cette nouvelle année ». En 1873, il souhaitait pourtant « tester en faveur de l’école phalanstérienne [...]. Nous n’avons même pas quelque chose d’analogue à ces frères ignorantins si bien organisés pour recevoir les dons de la gent dévote » [10]. Il est très attentif aux actes des nouveaux dirigeants, aigri par l’expérience américaine, oubliant même le rôle qu’il a tenu dans les conflits qui ont marqué la colonie : « le sort [des actionnaires de la société européo-américaine] est irréparable et désastreux après l’insuffisance et l’immense nullité pratique du fondateur [...]. Une bien grande faute a été commise lorsqu’on a destiné Bureau à venir diriger les affaires du Texas en éloignant Godin, seul homme pratique parmi les gérants. Guillon et Bureau ont commis une faute bien lourde. Veuillez-donc consulter M. Godin [...] » [11] stipule-t-il à Nus, inquiet de la structuration et de la pérennité de la Société des Etudes sociales. Il suggère la mise en place au sein de l’Ecole sociétaire d’une formation pratique « pour que quelques hommes qui en font partie apprennent à gérer et à administrer de petits biens avant d’en posséder de plus grands [...]. Il ne me conviendrait pas de donner à une société sujette à liquidation et vendant tous ses biens [...]. Les antécédents de la plupart des directeurs de la propagande ne sont pas rassurants, ainsi Considerant et Guillon ne m’inspirent pas la moindre confiance, ils n’ont su que demander toujours et paraissent incapables de savoir rien gérer, rien conserver, c’est bien décourageant » [12]. Il reste malgré tout militant et garde espoir : « les brochures de MM. Bonnemère et de Godin sont recherchées ici et nous aurons certainement un mouvement de résurrection de notre idéal. Nous espérons une nouvelle édition de la commune agricole » [13]. Il fait lire son journal à son entourage [14] mais il faut attendre 1878 pour qu’il puisse se féliciter d’avoir placé un nouvel abonnement, destiné à « Gibour, naturaliste à l’Arquebuse à Dijon. J’ai enfin obtenu ce petit succès en faisant lire mon J[ourn]al chaque fois que j’en trouve l’occasion. L’empressement n’est pas le même que pour les nouvelles quotidiennes à un sou » [15].

« Renoncer à la propagande, c’est triste et froid comme la mort » [16]

Doderet est très vigilant quant aux choix et propos des dirigeants de l’Ecole. Charles Limousin dans un article de La Revue du Mouvement social évoquait le fait que les anciens rédacteurs de La Démocratie pacifique « n’avaient plus la même foi qu’il y a 30 ans en l’harmonie préétablie des lois de la nature principale base de la doctrine de Ch. Fourier... Ces doutes n’ont pas été combattus par M. Limousin ce qui fait supposer qu’ils ne sont pas dépourvus de fondement. Le doute est plus contagieux que la foi, j’en ai ressenti une possible influence [...]. Si la base du système est attaquable, alors il me faut dire adieu à mes dernières et vieilles illusions et renoncer à la propagande, c’est triste et froid comme la mort » [17]. Même s’il est sujet à des phases de découragement, Doderet suit avec intérêt la structuration du mouvement socialiste lors du Congrès ouvrier de Lyon qui se tient du 28 janvier au 10 février 1878 : « si les ouvriers du congrès étaient bien inspirés, ils devraient fusionner leur nouveau journal à naître avec Le mouvement social ; ces deux organes ne devraient pas être inconciliables, les vanités personnelles et les différences d’instruction seront des obstacles sérieux, néanmoins ce serait un rapprochement à tenter » [18]. C’est pourtant à ce même congrès, même si le collectivisme est encore rejeté, qu’est critiquée la formule de l’association et affirmée la division de la société en deux classes antagonistes, d’un côté le prolétariat, de l’autre la bourgeoisie. Doderet poursuit sa souscription en faveur de la Librairie du mouvement social mais en 1883 accuse un retard de versement. Il espère toujours en une réalisation prochaine et c’est avec regret qu’en 1879, il voit l’abandon d’un projet d’Institut agricole autorisé par l’Etat à recevoir des dons et legs [19]. A défaut, il souscrit aux Orphelinats agricoles, société philanthropique fondée en 1881, présidée par Henri Couturier, qui à partir de 1883 loue le domaine de Saint-Denis-du-Sig à l’Union agricole d’Afrique. Encore une fois, il s’interroge sur le statut de la « phalange Couturier » ainsi qu’il nomme la société, afin de savoir si elle a « qualité pour recevoir dons et legs » [20]. Il espère que « des hommes d’une très haute valeur pratique » [21] comme Godin prendront la tête d’un essai. A plus de soixante-dix ans, il propose ses connaissances agronomiques en vue d’exploiter utilement des terres peu fertiles ou friches que mettraient à disposition des phalanstériens afin d’en tirer le revenu nécessaire au lancement de la phalange d’essai :

Si chaque phalanstérien voulait secouer sa torpeur, nous pourrions donner des signes sérieux d’existence. Il est vrai que les tentatives antérieures étaient bien faites pour nous décourager et nous plonger dans un sommeil léthargique. S’il n’est plus possible de faire un appel au capital, nous pouvons encore faire un appel au travail et au talent, aux idées. Si nous n’en possédons pas une par jour, comme Girardin, nous n’en sommes cependant pas complètement dépourvus. Seulement, il ne faut pas continuer de vivre dans l’isolement, il faut grouper les pensées éparses et savoir en faire un faisceau.

Unissons-nous donc, et que chacun apporte son tribut. Voici une idée pratique dont la justification pourra convaincre les plus incrédules [22].