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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Ledrain, (Fréjus) Eugène
Article mis en ligne le 2 octobre 2012

par Desmars, Bernard

Né le 22 juin 1844 à Sainte-Suzanne (Mayenne), décédé le 16 février 1910 à Paris (XVe arrondissement). Prêtre, puis employé à la Bibliothèque nationale, et enfin conservateur et professeur au musée du Louvre. Spécialiste de l’Antiquité. Critique littéraire. Dirigeant de l’Union phalanstérienne autour de 1900.

Eugène Ledrain
(Source : Larousse mensuel illustré, mai 1910)

Fils de Guillaume Nicolas Fréjus Ledrain, gendarme, et d’Eugénie Couriat, Eugène Ledrain fait ses études chez les Oratoriens pour devenir prêtre ; il est ordonné, mais abandonne rapidement la carrière ecclésiastique, sans doute en 1876 [1].

Un spécialiste des civilisations anciennes

Il est déjà connu alors comme égyptologue (il a suivi les cours de Renan et de Maspero au Collège de France et travaillé sous la direction du second à l’École pratique des hautes études). Il entre, grâce à Renan, à la Bibliothèque nationale, où il est d’abord chargé du catalogue des antiquités égyptiennes (à partir de 1876), puis du catalogue des imprimés (à partir de 1878) [2]. Il est nommé en 1881 au département des Antiquités orientales du musée du Louvre, puis, deux années plus tard, conservateur-adjoint des Antiquités orientales, avant d’obtenir en 1908 la fonction de conservateur du département des Antiquités orientales et de la céramique antique. Il est aussi professeur à l’École du Louvre, qu’il contribue à fonder en 1882-1883 ; il assure alors un cours d’inscriptions sémitiques, puis dans les années suivantes, d’épigraphie assyrienne, phénicienne et araméenne. Le directeur de l’École vante « l’enseignement vivant et fécond » assuré par Ledrain [3].

Conservateur et enseignant, Ledrain est aussi l’auteur de publications savantes sur les civilisations de l’Antiquité, sur Israël, sur l’Egypte ainsi que sur l’Assyrie. Il propose une nouvelle traduction de la Bible, dirige une collection scientifique (Bibliothèque d’histoire orientale, chez l’éditeur E. Leroux) et participe avec Oppert et Heuzey, tous les deux membres de l’Institut, à la fondation de la Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale dont il est l’un des rédacteurs, avec généralement des articles brefs.

Il fréquente également les milieux ethnographiques : en 1900, il fait partie du comité d’organisation du Congrès international des sciences ethnographiques, où il peut d’ailleurs retrouver ses condisciples fouriéristes Textor de Ravisi, Verrier et Gauttard [4].

Critique littéraire

Parallèlement à ses activités scientifiques, Eugène Ledrain collabore à plusieurs revues, politiques, philosophies et culturelles (Revue de philosophie politique, de Littré, La Revue bleue, L’Artiste) ainsi qu’à des périodiques généralistes (L’Eclair, La Nouvelle Revue, etc.). Il rédige des critiques littéraires sur des auteurs contemporains avec des jugements parfois très abrupts : « écrivain mordant et combatif [...], il eut à soutenir, un peu de tous les côtés, des polémiques ardentes. C’est ainsi qu’il eut de vifs démêlés avec Renan à propos de la Bible, avec tous les admirateurs de Flaubert au sujet de Salambô, où il trouvait des descriptions beaucoup trop brillantes et idéalisées de la ville de Tanil, avec Anatole France, avec Berthelot, avec Émile Zola, au sujet de la valeur morale du roman contemporain qu’il jugeait à peu près nulle » [5]. Cela lui vaut des attaques parfois très violentes [6].

« Intelligence vaste et curieuse, appuyée sur un fonds rare d’érudition », selon Le Figaro [7], il est aussi lecteur chez l’éditeur Lemerre. Il préface plusieurs œuvres littéraires et en particulier poétiques, ainsi qu’un ouvrage sur l’Inde et la littérature sanscrite. Il dispose de nombreuses relations dans les milieux littéraires et artistiques parisiens. C’est François Coppée, membre de l’Académie française, qui lui remet la Légion d’honneur quand il est fait chevalier en 1892. Cette nomination lui vaut d’ailleurs des critiques de La Croix, dénonçant « un malheureux prêtre défroqué, M. Ledrain, [...] qui à l’exemple de l’académicien renégat [Renan] se livre à des études rationalistes » [8].

Ces multiples activités empiètent sur ses travaux scientifiques. Ses publications deviennent d’ailleurs plus rares après les années 1890, et selon la nécrologie parue dans la Revue archéologique, « il était à peu près perdu pour la science » et « les promesses de son début n’avaient pas été tenues par son âge mûr » [9].

En 1897, il se marie avec Emma Wilhelmine Rascob, professeur au lycée Buffon. L’acte de mariage signale que Ledrain a eu un fils en 1888, avec une certaine Pauline Louise Ballin, enfant qu’il a reconnu et légitimé [10].

Dirigeant de l’Union phalanstérienne

Ce n’est qu’au milieu des années 1890 qu’on le voit figurer au sein du mouvement fouriériste, et très rapidement à la tête de l’un des courants sociétaires. Presque dès la formation de l’Union phalanstérienne, fondée en 1895 par quelques fouriéristes contestant l’orientation donnée par Alhaiza à l’École sociétaire, il est porté à sa présidence [11].

Il préside l’anniversaire du 7 avril organisé par l’École sociétaire en 1896 et y prononce un discours [12]. Puis, les relations entre l’Union phalanstérienne dirigée par Ledrain et le groupe de La Rénovation emmené par Alhaiza se détériorent. En 1897, les membres des deux courants sont ensemble devant la tombe de Fourier, mais se séparent pour le banquet qui suit [13]. Il en va de même en 1898, malgré des initiatives en faveur d’un banquet commun. Alhaiza impute à Ledrain la responsabilité de la division [14].

Membre du « comité de la statue de Fourier », il participe à l’inauguration du monument en juin 1899 et y prononce un discours où il présente « la pensée de Fourier » comme « celle de l’avenir », ainsi que le montrent « ces sociétés coopératives qui se pressent autour de sa statue, et celles qui se développent en Angleterre, en Belgique, dans le monde entier. Toutes se sont établies sur la formule du maître : Intelligence, capital, travail » [15]. Cette inauguration aggrave les dissentiments entre les deux courants sociétaires ; plusieurs périodiques, dont Le Petit Parisien (5 juin 1899) ayant écrit que Ledrain a parlé au nom des phalanstériens, Alhaiza proteste en déclarant que « M. Ledrain [...] n’a pas eu la moindre part dans l’œuvre, même celle de simple souscripteur » et qu’il n’était que l’« invité de l’“ Ecole phalanstérienne ” [dirigée par Alhaiza], seule initiatrice et réalisatrice, avec les associations coopératives, du monument de Fourier » [16]. Ledrain semble en effet utiliser les relations dont il dispose dans la presse pour mettre en avant l’Union phalanstérienne : en 1900, un compte rendu de l’anniversaire du 7 avril dans L’Éclair, journal auquel il collabore lui-même, déclare que le banquet de l’Union phalanstérienne a réuni « tous les fouriéristes connus » ; Alhaiza réagit violemment en s’attaquant à Ledrain, « si peu phalanstérien » [17] ou « soi-disant phalanstérien » [18].

Ledrain reste à la tête de l’Union phalanstérienne au moins jusqu’en 1902 : c’est en tant que tel qu’il figure - comme Alhaiza - parmi les membres du comité de la statue de Considerant, mais pas plus qu’Alhaiza, il ne participe aux décisions concernant la réalisation, puis l’inauguration du monument en août 1901 à Salins [19]. Il est absent de la fête organisée en juin 1901 par l’Union phalanstérienne en l’honneur de Zola, pour fêter la parution de Travail ; mais il représente encore ses condisciples de l’Union aux obsèques de Marie-Louise Gagneur, en 1902 [20].

Puis, il disparaît soudainement des manifestations et entreprises sociétaires. Il est vrai que l’Union phalanstérienne, en ces premières années du XXe XXe siècle, apparaît incapable d’atteindre son but : la réalisation d’un essai pratique. Cet objectif est d’ailleurs maintenant porté par un autre groupe, l’École Sociétaire Expérimentale, où l’on retrouve des membres et des dirigeants de l’Union phalanstérienne, mais pas Ledrain.

Il reste cependant actif dans les domaines de l’éducation populaire (il prononce des conférences dans les universités populaires) et de la libre pensée ; en 1904, il est l’un des membres fondateurs, avec Tarbouriech, Psichari, Alfred Naquet, C.-A. Laisant, du groupe rationaliste des libres penseurs, association qui « a pour objet de compléter l’action des associations similaires, qui travaillent à substituer à une société fondée sur la doctrine chrétienne et la division en classes, une société poursuivant la recherche de la vérité scientifique et la réalisation du progrès moral par l’emploi-exclusif des méthodes rationnelles » [21]. À la fin de sa vie, il préside le Cercle populaire d’enseignement laïque [22].

Cet homme, « petit, replet et voûté, portant un lorgnon retenu par un cordon, parlait d’une voix flûtée, mais avec une lenteur pleine d’onction » [23]. Il meurt en février 1910 et est incinéré au Père-Lachaise [24]